27 avril 1987

[Mgr Lefebvre, fsspx] "Nous recevons donc juridiction cas par cas pour venir au secours d'âmes en détresse."

SOURCE - Mgr Lefebvre, fsspx - 27 avril 1987

Ecône, le 27 avril 1987.

Mes bien chers amis,

Profitant du calme des vacances pour étudier une réponse au travail que nous a envoyé le Cardinal Ratzinger à propos des objections à la Déclaration sur la Liberté religieuse, j'ai aussi voulu rouvrir le dossier sur une éventuelle consécration épiscopale.

En effet, la réponse de Rome confirme la thèse libérale adoptée par le Concile et en conséquence confirme les déplorables résultats de cette thèse sécularisation des Etats catholiques, droit commun accepté pour l'Eglise, respect et valorisation des fausses religions par l'œcuménisme, déchéance de l'idéal missionnaire surnaturel pour une mission temporelle sociale et humanitaire : la soi-disant Eglise des pauvres démocratique et libératrice. Et il faudrait ajouter les conséquences pour la vie interne de l'Eglise. 

Cette réduction pratique de l'Eglise au niveau des fausses religions est déjà une apostasie pratique et mène à l'apostasie générale, but de la maçonnerie et de l'enfer. 

En même temps quatre études sur la conception conciliaire de la liberté religieuse nous sont parvenues : de l'épiscopat français réalisée par le P. Sesboué S.J, remise par l'Evêque de Carcassonne à M. l'Abbé Vannier, Supérieur de notre collège de Montréal ; d'un Américain, prêtre étudiant, qui nous communique sa thèse de doctorat, soutenue à l' "Angelicum" à Rome, avec succès ; d'un prêtre belge, Abbé C. Gœthals, un travail sérieux de 140 pages ; et enfin une étude de deux petits fascicules rédigée par le R.P. Baltazar Perez Argos, jésuite espagnol. 

Avec le travail du théologien du Cardinal Ratzinger, qui ressemble beaucoup au Père Congar, ce sont cinq études importantes qui nous sont envoyées presque simultanément pour nous prouver qu'il n'y a pas rupture avec la Tradition, mais comme le dit l'étude officielle de Rome "nouveauté dans la continuité".

Nous pouvons donc être assurés que la thèse libérale qui fonde le pluralisme religieux de droit naturel n'est pas près d'être abandonnée. Mais il est aussi évident que la thèse traditionnelle les met dans l'embarras. Le Syllabus est gênant. Ne plus prendre comme guide de la pensée et de l'action la vérité objective est en effet une entreprise nouvelle pour l'Eglise et il est malaisé de la rattacher à la Tradition sinon en affirmant des propositions contradictoires. 

Cela nous oblige à réfléchir sur les conséquences, qui découlent pour la Fraternité, de cette apostasie de fait qui normalement doit continuer à se développer autour de nous dans tous les domaines. 

Nous connaissons suffisamment la réponse que nous devons faire sur notre situation par rapport à l'Eglise, nos constitutions y répondent : Société de vie commune sans vœux, reconnue par décret de l'évêque de Fribourg, et par lettres patentes de la Congrégation du Clergé, ayant donc le droit d'incardiner ses sujets, selon la pratique utilisée par la Congrégation des Religieux à notre égard. 

C'est donc une Société bien enracinée dans l'Eglise comme les Sociétés de Saint-Sulpice, des Missions Africaines de Lyon et autres sociétés du même genre. La suppression arbitraire, injuste et illégale qui a frappé la Société étant nulle, la Société demeure, mais désormais ne trouvera plus d'autorisation de la part des Evêques pour l'installation de ses nouvelles maisons, comme ce fut le cas pour Ecône et Albano. Par le fait même les peines infligées aux membres de la Fraternité parce qu'elle poursuit sa vie normale seront nulles également. L'imposture et la tyrannie ne créent pas le droit.

Quelle sera alors la juridiction des membres prêtres de la Société ? C'est une question importante pour justifier devant Dieu et devant l'Eglise notre ministère. 

Tandis que le pouvoir de l'ordre potestas ordinis est inamissible, le pouvoir de juridiction est conféré par la mission canonique. N'ayant pas de mission canonique, nous n'avons pas de juridiction par le fait d'une mission, mais l'Eglise, par le droit, nous accorde la juridiction, eu égard au devoir qu'ont les fidèles de se sanctifier par la grâce des sacrements, qu'ils recevraient difficilement ou douteusement s'ils ne la recevaient pas de nous. Nous recevons donc juridiction cas par cas pour venir au secours d'âmes en détresse. 

Les sacrements qui demandent une juridiction particulière sont la pénitence, l'ordre, la confirmation, le mariage. 

Pour la pénitence et le mariage, les prêtres du diocèse de Campos ont très bien répondu aux objections éventuelles. Pour la pénitence, c'est le pénitent, se trouvant dans de réelles difficultés pour recevoir la grâce de ce sacrement, qui provoque l'obligation pour le prêtre dénué de juridiction d'entendre la confession. Celui-ci reçoit par le fait même la juridiction par le droit qui prévoit ces circonstances. 

Pour le mariage, les fiancés peuvent utiliser le canon 1098 de l'ancien Code ; leur désir de contracter mariage selon l'ancien rite et leur répugnance pour le nouveau rite est une cause suffisante pour utiliser la forme extraordinaire, ceci fut confirmé par Rome à l'occasion d'un récent mariage à Monthey en Suisse. 

Pour l'ordre, les fondateurs ou Supérieurs majeurs doivent donner des lettres dimissoriales, dans l'hypothèse qu'ils incardinent dans leur Société. L'urgence de pourvoir les fidèles de prêtres catholiques et validement ordonnés peut exiger de faire des ordinations en faisant abstraction de l'incardination. 

Les fidèles ont également le devoir et le droit de recevoir le sacrement de confirmation d'une manière certainement valide.
Le canon 682 de l'ancien droit dit "Laicis competit jus recipiendi a clero bona spiritualia et potissimum adjumenta ad salutem neccessaria"(1). Or ils ne les reçoivent plus du clergé progressiste actuel, l'enseignement conciliaire mène à la perte de la foi et à l'apostasie ; la grâce est-elle encore donnée par les rites en évolution continuelle ? On peut vraiment se le demander. Les fidèles encore catholiques sont pour beaucoup dans une situation spirituelle désespérée.  

Notre rôle est donc de multiplier les prêtres catholiques qui puissent aller à leur secours pour leur procurer la foi catholique et la grâce du salut. C'est cet appel, dans leur situation tragique, que l'Eglise entend et c'est dans ces circonstances qu'elle nous donne juridiction. 

C'est pourquoi il me semble que nous devons surtout nous rendre là où l'on nous appelle et ne pas donner l'impression que nous avons une juridiction universelle, ni une juridiction sur un pays ou sur une région. Ce serait baser notre apostolat sur une base fausse et illusoire. 

C'est pourquoi également, si d'autres prêtres subviennent normalement aux besoins des fidèles, nous n'avons pas à nous immiscer dans leur apostolat mais nous réjouir que d'autres prêtres catholiques se lèvent pour sauver les âmes. 

La Providence, dans l'état actuel des choses, nous invite à nous rendre là où l'on nous appelle, c'est la seule réponse valable que l'on puisse faire aux autorités qui nous reprochent nos implantations et nos ministères.

C'est d'ailleurs ce qui a justifié les initiatives extraordinaires de saint Eusèbe de Samosate.  

Mais s'il fallait un jour consacrer des évêques, ceux-ci n'auraient pour fonction épiscopale que d'exercer leur pouvoir d'ordre et n'auraient pas de pouvoir de juridiction, n'ayant pas de mission canonique. 

Le rôle de la Fraternité et de son Supérieur Général, aidé de son Conseil, est d'organiser les séminaires pour multiplier les prêtres et de les répartir pour les prieurés, les collèges, les maisons de retraites selon l'appel des fidèles. 

Il est essentiel que les membres de la Fraternité comprennent bien cette Mission providentielle que Dieu demande à notre Société. L'accroissement des fidèles et la multiplication des vocations indiqueront les emplacements des nouveaux séminaires. 

Notre apostolat est immense parce que les âmes se sentent de plus en plus abandonnées ou trompées par les nouveautés conciliaires. 

Que nos dispositions dans cette œuvre de restauration de l'Eglise soient celles d'être au Service des âmes avec les trois pouvoirs qui nous sont donnés par l'ordination : enseigner, sanctifier, conduire les âmes pour leur salut éternel. 

Que la Trinité Sainte nous y aide par l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et de saint Pie X.
 
+ Marcel Lefebvre
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(1) Can. 682: "Les laïcs ont le droit de recevoir du clergé les biens spirituels, surtout les secours nécessaires au salut." A ce canon correspond dans le nouveau Code le can. 213 : "Jus est christifidelibus ut ex spiritualibus Ecclesiae bonis, praesertim ex verbo Dei et sacramentis, adjuventa a sacris Pastoribus accipiant." Les chrétiens ont le droit de recevoir du clergé les biens spirituels, surtout l'enseignement de la Révélation et les sacrements.

Ce document a été publié dans Des sacres par Mgr Lefebvre ? Un schisme ? par l'abbé François Pivert, éditions Fideliter, avril 1988, pp. 55 à 60.