2 avril 1995

[Mgr Bernard Fellay - FSSPX] "La fausse paix dans laquelle vit l'Église aujourd'hui établit un climat d'anesthésie généralisée"

SOURCE - Mgr Bernard Fellay - Lettre du Supérieur Général de la FSSPX n°48- 2 avril 1995

Chers Amis et Bienfaiteurs,

Avant de vous donner quelques brèves nouvelles sur les développements de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, nous aimerions appeler vos âmes de catholiques à la vigilance.

La fausse paix dans laquelle vit l'Église aujourd'hui établit un climat d'anesthésie généralisée. Le scandale contre la foi, devenu de plus en plus habituel, ne choque plus, et pendant ce temps, les ennemis, car il faut les appeler par leur nom, assènent des coups terribles à notre sainte mère l'Église ; outrages, injures, pleuvent sur celle que Jésus Notre-Seigneur a aimée et pour laquelle il a versé son sang.

La violence s'est faite principalement spirituelle : elle n'en est pas moins réelle, destructrice des âmes dont elle corrompt la foi et souille les mœurs ; journaux, radios, télévision distillent avec beaucoup d'habileté leur venin contre l'Église catholique, contre la papauté, contre le célibat sacerdotal, etc. Leur agressivité ne connaît plus de limite. Les médias applaudissent, félicitent, mettent sur le piédestal tous ceux de ses fils qui la trahissent : Drewermann, Duquesne, Gaillot, Küng, Boff... « Notre-Seigneur est en agonie dans son Église... Il est en agonie parce que son Église est entravée, bafouée, contrecarrée, combattue de l'intérieur dans son office primordial de dispensatrice de la Rédemption. Non qu'elle soit près de disparaître, puisque les portes de l'enfer ne prévaudront pas, mais ses propres fils, et parmi ses fils, des chefs hiérarchiques, la maltraitent avec tant de vilenie et de méchanceté qu'elle n'avance plus qu'en retombant à chaque pas, épuisée et languissante » (P. Calmel, Brève apologie pour l'Église de toujours, Difralivre 1987 p. 74).

Ces paroles sont-elles assez sévères pour décrire la dure réalité ? Ce que pressentait le Père Calmel il y a déjà vingt cinq ans ne s'accomplit-il pas littéralement sous nos yeux ? « Si quelque pape venait à prendre des allures de faux messie... il mélangerait à s'y méprendre deux messages qui s'opposent dans leur essence même : d'une part le message de domination prométhéenne du monde, conformément au Trois Tentations, et sans tenir compte pratiquement de la souveraineté de Dieu ni du péché de l'homme, et d'autre part le message de la foi chrétienne qui annonce la Rédemption par la seule Croix du Seigneur Jésus. Par l'effet de cette imbrication contre nature, le scandale serait près d'atteindre sans doute ses limites ultimes ; il serait porté à un point de séduction extraordinairement dangereux. Il ne serait pas assez fort, malgré tout, pour perdre des élus, ni abolir l'Église ».

N'est-ce pas ce que nous trouvons dans la lettre "Tertio millenio adveniente" qui décrit le programme des cinq années à venir en préparation de l'année sainte jubilaire, l'an 2000. En parfaite cohérence et conformité avec "Redemptor hominis", première encyclique de Jean-Paul II et avec tout son pontificat, il s'y dessine la tentative de substituer à la Religion du Dieu fait homme la religion de l'homme devenu Dieu en prenant Notre-Seigneur, l'Homme-Dieu, comme intermédiaire : une religion dont la préoccupation est la communion des peuples mais sans conversion à Jésus crucifié et sans soumission à l'Église fondée par lui. Est-ce cela l'avènement qui terminera l'Avent dans lequel nous serions jusqu'à l'an 2000 ?

Le mélange entre la vie, les droits et les exigences de l'ordre de la nature créée et de l'ordre surnaturel devient évidence dans la récente encyclique Evangelium vitæ où sont (Dieu merci !) condamnés avortement et euthanasie !

Le résultat : une immense confusion dans le peuple chrétien, la perte de la foi qui s'évanouit dans l'indifférentisme. Indifférentisme qui ne signifie pas que les hommes considèrent la religion ou la question religieuse avec indifférence, mais bien qu'il est indifférent d'appartenir à telle ou telle religion, car toutes indifféremment, plus ou moins parfaitement, auraient les moyens de conduire et conduiraient au salut. Cela est totalement opposé à la foi catholique. Par exemple l'encyclique de Pie XI "Mortalium animos", écho de la foi et de la discipline millénaire de l'Église dit : « L'union des chrétiens ne peut être procurée autrement qu'en favorisant le retour des dissidents à la seule et véritable Église du Christ qu'ils ont eu jadis le malheur d'abandonner, seule et véritable Église du Christ comme telle et bien visible à tous les regards, destinée enfin, par la volonté de son auteur, à demeurer telle qu'il l'a lui-même instituée pour le salut commun des hommes ». En cela Pie XI ne dit rien d'autre que le symbole de saint Athanase qui commence par ces mots : « quiconque veut être sauvé doit avant tout tenir la foi catholique; celui qui ne la garde pas intégrale et pure ira sans aucun doute à sa perte éternelle ».

Or, le contraire est devenu aujourd'hui pensée courante : le document de Balamand (juin 93) n'a suscité pratiquement aucune protestation de fond. Il règle les rapports entre l'Église catholique et les orthodoxes en « excluant à l'avenir tout prosélytisme et toute volonté d'expansion des catholiques aux dépens de l'Église orthodoxe »(n. 35) et cela au nom du "rejet de la prémisse selon laquelle seule l'une de nos Églises serait l'unique propriétaire des moyens de grâce de manière telle que la conversion à cette Église à partir de l'autre soit nécessaire au salut". (Déclaration de la Consultation orthodoxe catholique romaine des Etats-Unis, (Doc. n°2112 p.285).

Cette idée, extrêmement grave, ne concerne pas seulement les orthodoxes, mais au moins toutes les confessions protestantes, sinon toutes les religions monothéistes et peut-être plus ! Cette pensée ruine de fond en comble l'Église catholique, elle détruit la foi, "foi sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu (Heb 11, 6) et d'être sauvé" (Vat. I, Dei Filius).

Certes « le faux messianisme ne prévaudra ni contre l'Église ni contre la papauté. Jusqu'à la fin, l'Église fondée sur Pierre gardera dans son cœur et répandra parmi les hommes le seul messianisme véritable, celui de Jésus-Christ : messianisme de la grâce, de la conversion et des béatitudes ; messianisme qui réside en plénitude dans le royaume qui n'est pas de ce monde, et qui, de là, fait sentir son influence sur les royaumes de ce monde, si du moins ils reçoivent la Loi évangélique et s'efforcent d'accomplir leur œuvre temporelle de par le Roi du ciel » (P. Calmel p. 72).

Puisqu'on nous annonce la pénitence pour les péchés des fils de l'Église que celle-ci devrait assumer, efforçons-nous, par des manifestations publiques : conférences, messes, de montrer toute la beauté de l'Église et de son histoire, de défendre son honneur et celui de ses saints. « Ma Mère, l'Église, serait un tyran ! Je vais la défendre. Je rétorque : au contraire de l'Église, qui a été fondée sur l'apostolat et le martyre, les fausses religions ont été introduites par la violence de la puissance ennemie et par l'oppression de la conscience catholique des peuples... Où est le berceau de l'Église ? Dans le sang, mais dans le sang de ses martyrs... Où est le berceau de l'hérésie ? Dans le sang, non dans le sang de ses confesseurs, mais le sang de ses opposants » (Rob. Mäder Ich bleibe Katholisch p. 36 Goldach 1975).

On trouve certaines constantes dans l'histoire, tels les châtiments des peuples qui ont "trop" offensé Dieu. Préparons-nous, fortes in fide. Les jours sont mauvais. « Pendant que nous avons du temps, faisons le bien à tous, surtout à ceux qui partagent notre foi » (Gal 6, 10).
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Soyez remerciés pour votre aide généreuse, sur laquelle nous comptons toujours pour réaliser de nouveaux projets :

1. Après vingt ans de démarches administratives et d'attente, nous avons enfin reçu l'autorisation de construire l'église du séminaire d'Écône. Celle-ci permettra de donner à Notre-Seigneur la place d'honneur qu'il mérite et aux séminaristes de Le servir dans un lieu plus digne. Ainsi le séminaire trouvera son achèvement : car la chapelle est bien le centre du séminaire, le centre de la vie sacerdotale. Ce projet très important ne pourra cependant pas voir le jour sans votre grande générosité. Vu le rôle qu'a joué le séminaire d'Écône, berceau de la Fraternité Saint-Pie X et vu que l'église abritera le tombeau de Mgr Marcel Lefebvre, notre vénéré fondateur, nous osons demander à tous les fidèles du monde entier de collaborer à son édification. Oserons-nous considérer cet événement comme un heureux présage de la "reconstruction de la chrétienté" ?
A peu près dans le même temps, notre séminaire de la Reja, qui pour l'instant peut recevoir une cinquantaine de séminaristes, va commencer la construction de sa chapelle.

2. Nous espérons pour les années à venir une moyenne de 25 ordinations sacerdotales par an pour l'ensemble de nos séminaires; en plus, ces dernières années, nous avons pu voir s'approcher de nous des jeunes prêtres, fraîchement sortis de leur séminaire diocésain. Phénomène nouveau, signe que la grâce de Dieu travaille toujours! Espérons que le mouvement s'accroisse et qu'il gagne finalement quelques évêques.

3. L'apostolat à l'Est se développe. Les contacts se multiplient et nos abbés, qui entre-temps commencent à parler russe et polonais, ont fort à faire pour visiter régulièrement les groupes qui se forment, spécialement en Pologne et Biélorussie, sans oublier les pays baltes, la Russie, l'Ukraine.
Nous devons agrandir les locaux de Jaidhof afin de pouvoir recevoir, pour un temps de préparation, les jeunes gens de ces pays qui s'intéressent au sacerdoce.

4. En Asie et Amérique latine, l'apostolat se renforce, les groupes se solidifient. Du Mexique, nos prêtres visitent régulièrement le Guatemala, San Salvador, Costa Rica; de l'Argentine, le Pérou, le Paraguay, l'Uruguay; de la Colombie, Saint-Domingue. Tant de pays, tant d'âmes, si peu de prêtres, si peu de moyens ! Et pourtant un peu partout s'élèvent de terre les murs d'une future chapelle – et qui sait ? – d'un futur prieuré.

5. Notre effort principal, reste cependant partout, la fondation et le soutien de nos écoles.
Tous ces projets, tous ces soucis, nous les confions à vos prières et à votre générosité. Que les mérites de votre charité obtiennent du Sacré-Cœur tant le développement de la tradition catholique que la conversion de ceux qui s'éloignent de l'Église.

Qu'en ce temps de la Passion, Notre-Dame nous aide à pénétrer davantage le grand mystère des souffrances de son Fils qui continuent dans le Corps Mystique si douloureusement meurtri sous nos yeux.

Stabat mater.
Que Dieu vous bénisse.

Menzingen, dimanche de la Passion
2 avril 1995
+ Bernard Fellay
Supérieur général