24 juillet 2001

[Professeur Mattei - Fontgombault] "Considérations sur la Réforme liturgique"

Professeur Mattei - intervention à Fontgombault - 22-24 juillet 2001

T. R. Pères Abbés, Révérends Pères,

Mon intervention, comme vous pouvez bien vous l'imaginer, ne sera pas celle d'un liturgiste ni d'un théologien, mais celle d'un homme de culture, d'un historien, d'un catholique laïque qui essaie de situer les problèmes de l'Eglise dans l'horizon de son propre temps. Dans cette perspective, je me propose de développer certaines considérations sur les racines historiques et culturelles de la Réforme liturgique post-conciliaire. Je suis, en effet, convaincu que plus ce tableau sera clair, plus la compréhension et la solution des problèmes complexes que nous avons devant nous sera facile. Tout problème, et la liturgie ne fait pas exception, pour être saisi dans son essence, doit être en effet situé dans un contexte plus vaste. Celui qui voudrait étudier l'architecture gothique, par exemple, ne pourrait négliger son rapport avec la Scolastique médiévale si bien illustré par Erwin Panofski , de même qu'en voulant comprendre l'art figuratif du XIXe et du XXe siècle, il serait nécessaire de recourir aux études de Hans Sedlmayr , qui en saisissent la dimension idéologique profonde. Ainsi, autant un discours sur l'art doit aller au-delà de l'art, un jugement technico-esthétique n'étant pas suffisant, autant un discours sur la liturgie doit aller au-delà de la liturgie elle-même, en essayant de trouver le sens ultime de celle-ci. La liturgie, du reste, n'est pas seulement l'ensemble des lois qui règlent les rites. Ces rites, dans leur variété, renvoient à l'unité d'une foi. Sans ce contenu, le culte chrétien serait un acte extérieur, vide, dépourvu de valeur, une action non sacrée mais « magique », typique de certaines conceptions gnostiques ou panthéistes du monde. En ce sens, il a été bien dit : « le culte, compris dans toute sa plénitude et profondeur, va bien au-delà de l'action liturgique » . Dans ses formules, dans ses rites, dans ses symboles, la liturgie catholique doit refléter le dogme. Le dogme, a-t-on dit, est pour la liturgie ce que l'âme est pour le corps, la pensée pour la parole.
 
Il est donc nécessaire de rendre intime et profond le rapport entre la liturgie et la foi, que l'on a traditionnellement exprimé dans la formule lex orandi, lex credendi . Dans cet axiome nous pouvons aussi trouver une clé de lecture de la crise actuelle.
L'axiome Lex orandi, lex credendi dans la théologie du XXe siècle
Au début du XXe siècle, les théologiens modernistes re-interprétèrent l'axiome lex orandi, lex credendi selon les catégories de leur pensée qui, sous l'influence des idéologies alors dominantes, se nourrissait d'un évolutionnisme de matrice simultanément positiviste et irrationaliste. Georges Tyrrell, en particulier, considéré par Ernesto Buonaiuti comme le personnage « le plus intimement imprégné de foi et d'enthousiasme pour la cause moderniste » , identifia la révélation avec l'expérience vitale (religious experience), qui se réalise dans la conscience de chacun. C'est donc la lex orandi qui doit dicter les normes à la lex credendi et non l'inverse, vu que « le credo est contenu de façon implicite dans la prière et doit être extrait d'elle avec beaucoup de peine ; et que toute formulation doit être mise à l'épreuve et expliquée par la religion concrète qu'elle formule". On doit encore écrire l'histoire du modernisme après sa condamnation ; mais il est certain que plusieurs de ces instances pénétrèrent à l'intérieur du « Mouvement liturgique » , à tel point que Pie XII se vit contraint d'intervenir avec son importante encyclique Mediator Dei du 20 novembre 1947, pour en rectifier les déviations.
 
Le Pape condamna, en particulier, « l'erreur de ceux qui prétendirent que la Sainte Liturgie fut presque une expérience du dogme », se fondant sur une lecture erronée de l'adage lex orandi, lex credendi. "Ce n'est pas ainsi - affirme Pie XII - qu'enseigne et commande l'Eglise ; (.) si nous voulons distinguer et déterminer de façon générale et absolue les relations qui existent entre foi et liturgie, l'on peut affirmer avec raison que la loi de la foi doit établir la loi de la prière ». Pie XII réaffirme donc le primat de l'objectivité de la foi sur la liturgie comprise comme « expérience religieuse » subjective, à l'opposé de ceux qui semblaient indiquer dans la « praxis liturgique » la nouvelle norme de la foi catholique. Après la constitution Sacrosanctum Concilium du 4 décembre 1963 , la Réforme liturgique, entreprise par Paul VI en application aux décrets conciliaires et qui aboutit à la constitution apostolique Missale Romanum du 3 avril 1969 , mit de nouveau au jour le rapport entre la lex orandi et la lex credendi . Les premiers et plus influents critiques de la Réforme liturgique, les cardinaux Ottaviani et Bacci, en présentant à Paul VI un Bref examen critique du Novus Ordo Missae , définirent le nouveau rite comme « un éloignement impressionnant de la théologie catholique de la Sainte Messe telle qu'elle fut formulée dans la XXIIe session du Concile Tridentin ». Faut-il le rappeler, cette session avait défini la Messe comme Sacrifice vraiment propitiatoire dans lequel « Jésus-Christ lui-même est contenu et immolé de façon non sanglante » . Les critiques des cardinaux Ottaviani et Bacci et d'autres auteurs qui suivirent , soulignaient comment la nouvelle lex orandi de Paul VI ne reflétait pas sur ce point, de façon adéquate, la lex credendi traditionnelle de l'Eglise . S'ouvrit alors une discussion, non encore terminée, qui amena à des cas de conscience et à des fractures à l'intérieur de l'Eglise. Le Novus Ordo Missae, né aussi pour réaliser une forme de rencontre liturgique avec les non-catholiques, finit par produire, à l'opposé, une phase de désunion liturgique parmi les catholiques. La thèse de fond que j'essaierai d'exposer synthétiquement est celle-ci : le rapport lex credendi-lex orandi, implicite dans la Réforme liturgique, doit être lu à la lumière de la nouvelle théologie qui prépara le Concile Vatican II et qui surtout voulut en orienter les développements. La lex credendi exprimée par le Novus Ordo parait en ce sens comme la révision de la foi catholique par le « tournant » anthropologique et séculariste de la nouvelle théologie ; une théologie, il faut le souligner, qui ne se limite pas à re-proposer les thèmes modernistes, mais les fait siens après le marxisme, c'est-à-dire après une pensée qui se présente comme une « philosophie de la praxis » radicale et définitive. Cela signifie qu'un jugement global sur la Réforme, surtout trente ans après, ne peut pas se limiter à une analyse théorique du Nouveau Rite promulgué par Paul VI, mais doit nécessairement s'étendre à la « praxis liturgique » qui a suivi son institution . La Réforme liturgique aujourd'hui ne peut plus être considérée statiquement, dans les documents qui l'ont fondée, mais doit être vue dans son aspect dynamique, en faisant attention à une multiplicité d'éléments qui, bien que n'étant pas prévus par le Novus Ordo, sont devenus une part entière de ce qui pourrait être défini comme la praxis liturgique contemporaine.
La sécularisation de la liturgie
La Messe, qui est l'action sacrée par excellence , a toujours été réglée par un rite, c'est-à-dire par son ordo, selon les mots de saint Augustin : "totum agendi ordinem, quem universa per orbem servat Ecclesia" . Avec la Réforme liturgique, l'essence du Sacrement qui restait valide  et gardait toute son efficacité, ne changea pas, mais on « fabriqua », selon l'expression du cardinal Ratzinger , un rite ex novo. Le rite, dont la définition classique remonte à Servio (Mos institutus religiosis caeremoniis consecratus ), n'est pas en effet l'action sacrée mais la norme qui guide le déroulement de cette action. Il peut être défini comme l'ensemble des formules et des normes pratiques qu'il faut observer pour l'accomplissement d'une fonction liturgique déterminée, même si parfois le terme a une signification plus vaste et désigne une famille de rites (romain, grec, ambrosien). C'est bien pour cela que si les sacrements, dans leur essence, sont immuables, les rites, eux, peuvent varier selon les peuples et les temps. En théorie, le Novus Ordo de Paul VI établit un ensemble de normes et de prières qui réglaient la célébration du Saint Sacrifice de la Messe en substitution de l'ancien Rite romain ; de fait, la praxis liturgique révéla qu'on se trouvait face à un nouveau rite protéiforme. Au cours de la Réforme on introduisit progressivement toute une série de nouveautés et de variantes, un certain nombre d'entre elles non prévues ni par le Concile ni par la constitution Missale Romanum de Paul VI. Le quid novum ne saurait être limité à la substitution des langues vulgaires au latin. Il consiste également dans la volonté de concevoir l'autel comme une « table », pour souligner l'aspect du banquet à la place du sacrifice ; dans la celebratio versus populum, substituée au versus Deum, avec, pour conséquence, l'abandon de la célébration vers l'Orient, c'est-à-dire vers le Christ symbolisé par le soleil naissant ; dans l'absence de silence et de recueillement pendant la cérémonie et dans la théâtralité de la célébration accompagnée souvent de chants qui tendent à désacraliser une Messe dans laquelle le prêtre est souvent réduit à un rôle de « président de l'assemblée » ; dans l'hypertrophie de la liturgie de la parole par rapport à la liturgie eucharistique ; dans le « signe » de la paix qui remplace les génuflexions du prêtre et des fidèles, comme action symbolique du passage de la dimension verticale à celle horizontale de l'action liturgique ; dans la sainte communion reçue par les fidèles debout et dans la main ; dans l'accès des femmes à l'autel ; dans la concélébration, tendant à la « collectivisation » du rite. Il consiste surtout et enfin dans le changement et la substitution des prières de l'Offertoire et du Canon. L'élimination en particulier des mots Mysterium Fidei de la formule eucharistique, peut être considérée, comme l'observe le cardinal Stickler, comme le symbole de la démythification et donc de l'humanisation du noyau central de la Sainte Messe . Le fil conducteur de ces innovations peut être exprimé dans la thèse selon laquelle si nous voulons rendre la foi au Christ accessible à l'homme d'aujourd'hui, nous devons vivre et présenter cette foi à l'intérieur de la pensée et de la mentalité actuelle. La liturgie traditionnelle, de par son incapacité à s'adapter à la mentalité contemporaine, éloignerait l'homme de Dieu et se rendrait donc coupable de la perte de Dieu dans notre société. La Réforme se proposait d'adapter le Rite, sans entamer l'essence du Sacrement, pour permettre à la communauté chrétienne cette « participation au sacré » qui ne pouvait être saisie à travers la liturgie traditionnelle. Grâce au principe de la participatio actuosa, la communauté tout entière devient sujet et porteuse de l'action liturgique. « Le mot, apparemment si modeste, de 'participation active', pleine et consciente, est indice d'un arrière-plan inattendu »  observe le père Angelus Häussling, en soulignant le rapport entre la participatio actuosa de la Réforme liturgique et celle qui, à l'école de Karl Rahner, a été appelée le « tournant anthropologique » (anthropologische Wende) de la théologie . Il ne semble pas excessif d'affirmer que la partecipatio actuosa de la communauté semble être le critère ultime de la Réforme liturgique dans la perspective d'une radicale sécularisation de la liturgie. Une telle sécularisation comporte l'extinction du sacrifice, action sacrée par excellence, qui sera remplacé par l'action profane de la communauté qui s'auto-glorifie, ou, selon les mots de Urs von Balthasar, vise à répondre à la louange de la Grâce de Dieu avec une « contre-gloire » purement humaine . Ce n'est plus vraiment le prêtre, in persona Christi, c'est-à-dire Dieu lui-même, qui agit, mais la communauté des fidèles, in persona hominis, pour représenter les exigences de ce monde moderne qu'un disciple de Rahner définit « comme saint et sanctifié dans son profane, c'est-à-dire saint sous forme d'anonymité » . A une « Parole divine, sacrale et pluriséculaire » qui a pour conséquence « une liturgie sacralisée séparée de la vie » , s'oppose une Parole de Dieu qui « n'est pas pure révélation, mais aussi action : elle réalise ce qu'elle manifeste » ; elle est « l'auto-réalisation absolue de l'Eglise » . La distinction, proposée par Rahner, entre la « sécularisation », qui devrait être positivement admise en tant que phénomène inévitable, et le « sécularisme » anti-chrétien, qui ne serait qu'une forme déviée de la sécularisation, est clairement captieuse. De fait, le mot sécularisation, tout en ayant une quantité de sens différents , est communément compris, de même que sécularisme, comme un processus de « mondanisation » irréversible de la réalité qui s'est progressivement libérée de tout aspect transcendant et métaphysique.  La sécularisation se présente en effet non seulement comme une acceptation de facto d'une sécularisation toujours croissante du monde actuel, mais aussi comme l'idée d'un processus irréversible et, en tant qu'irréversible, vrai. La sécularisation est « vraie » car la vérité est de toute façon immanente à l'histoire ; le sacré est « faux » pour son illusion de transcender l'histoire et d'affirmer une distinction qualitative entre la foi et le monde, entre transcendant et transcendantal. La foi en la puissance de l'histoire prend ainsi la place de la foi en la Providence et en la puissance de Dieu. Cette philosophie de l'histoire se fonde sur le mythe, propre à l'illuminisme, du monde devenu « adulte » qui doit se libérer des valeurs du passé, relevant de l'enfance de l'humanité, pour accéder à un niveau de vie tout à fait rationnel. Une telle vision a trouvé une expression rigoureuse dans la pensée protestante, surtout dans la thèse de Bonhoeffer sur la soi-disant « maturité du monde » (Mündigkeit der Welt) , une maturité que l'on atteint avec l'élimination du sacré de la vie, dans toutes ses dimensions. Cette maturité a été portée à son ultime cohérence par le marxisme gramscien qui a représenté le développement conséquent au XXe siècle de la philosophie des Lumières et le point d'arrivée du sécularisme en tant qu'immanentisme radical. La théologie progressiste, surtout après le Concile, a voulu substituer à la philosophie traditionnelle la philosophie « moderne », en se subordonnant inévitablement au marxisme. Ce dernier représentait pour le progressisme catholique la première philosophie qui avait réussi à transporter son critère de vérité dans la praxis et qui, dans le succès de cette praxis, semblait démontrer la vérité de sa pensée. On a remarqué l'affinité entre la vision théologique de Tyrrell, fondée sur le primat de la lex orandi sur la lex credendi, et le concept d' « auto-réalisation » de l'Eglise dans la pastorale et dans la liturgie de Karl Rahner . Cependant, les instances du premier modernisme sont développées par la théologie progressiste à l'intérieur d'un horizon de pensée qui n'est plus simplement positiviste mais marxiste, un horizon de pensée qui parachève un processus, jugé nécessaire, qui enfonce ses racines dans la Philosophie des Lumières et dans le Protestantisme et, plus loin encore, dans le mouvement intellectuel qui provoqua la fin de la société médiévale . "La philosophie de la praxis - selon Gramsci - est le couronnement de tout ce mouvement de réforme intellectuelle et morale ; (...) elle correspond au lien Réforme protestante + Révolution française » . La philosophie de la praxis gramscienne, retranscrite théologiquement, conduit à la nécessité d'une nouvelle praxis orandi. La Réforme liturgique se présente donc comme le Verbe de la nouvelle théologie qui se fait chair, c'est-à-dire praxis, en « auto-réalisant » l'Eglise par la nouvelle liturgie sécularisée.
Nouvelle liturgie et post-modernité
Ainsi qu'on a pu l'observer, le problème va bien au delà de la liturgie elle-même : il touche le jugement d'ensemble sur les rapports entre l'Eglise et la civilisation moderne ; il renvoie à la nécessité d'une théologie de l'histoire. Surtout il ne peut être résolu de façon abstraite mais doit tenir compte de ce qui s'est passé dans l'Eglise au cours de ces trente dernières années. A travers la Réforme liturgique, la théologie séculariste a recherché dans la praxis la preuve de sa propre vérité. Or la vérité qui résulte de cette praxis n'a pas été un rapprochement entre l'Eglise et le monde mais au contraire une extranéité toujours plus grande entre l'Eglise et le monde, laquelle a atteint son comble dans la crise de la foi désormais admise par tous. La nouvelle théologie a recherché la rencontre avec le monde moderne exactement à la veille de la débâcle de ce monde . En effet, en 1989, avec le soi-disant « socialisme réel », tous les mythes de la modernité et de l'irréversibilité de l'histoire qui représentaient les postulats du sécularisme et du « tournant anthropologique », se sont écroulés. Le paradigme de la modernité est remplacé aujourd'hui par celui post-moderne du « chaos », ou de la « complexité », dont le fondement est la négation du principe d'identité-causalité dans tous les aspects du réel . En se subordonnant à ce projet culturel, la nouvelle théologie progressiste se propose la « déconstruction » de tout ce qu'elle avait « fabriqué » au cours de ces trente dernières années, en commençant par une Réforme liturgique qu'elle considère aujourd'hui construite selon un modèle abstrait et «bureaucratique ». Ainsi, au schéma « monoculturel moderne » du nouvel Ordo Missæ, on oppose l'« inculturation » postmoderne de la liturgie qui est laissée à la « créativité » des églises locales . L'éloignement de la liturgie romaine est décrit par Anscar J. Chupungo selon les phases de l' « acculturation », de l' « inculturation » et de la « créativité liturgique », à travers un processus dynamique qui du terme a quo du Rite romain traditionnel puisse aboutir, comme terme ad quem, aux « valeurs, rituels et traditions » propres aux églises locales .
 
A l'intérieur de cet horizon de « tribalisme liturgique », on pourrait donc aussi prévoir la création d'un « ghetto » traditionaliste reconnu canoniquement et considéré comme « l'église locale » de ceux qui veulent rester « inculturés » au passé. Cependant, ce « multiritualisme » postmoderne n'a rien à voir avec la pluralité de rites reconnue traditionnellement par l'Eglise à l'intérieur d'une même unité de foi et d'une seule lex credendi dont les différents rites sont l'expression. Aujourd'hui, la fragmentation des rites risque de déboucher sur une parcellisation des visions théologiques et ecclésiologiques destinées à entrer en conflit. Le chaos liturgique se présente comme un reflet du désordre institutionnalisé que l'on voudrait introduire dans l'Eglise pour en transformer la Constitution divine. Comment ne pas partager ces mots du cardinal Ratzinger ? « Ce que précédemment nous savions seulement théoriquement, est devenu une expérience concrète : l'Eglise subsiste et tombe avec la liturgie. Quand l'adoration à la Trinité divine disparaît, quand dans la liturgie de l'Eglise la foi ne se manifeste plus dans sa plénitude, quand les paroles, les pensées, les intentions de l'homme l'étouffent, alors la Foi aura perdu son lieu d'expression et sa demeure. C'est donc pour cela que la vraie célébration de la sainte Liturgie est le centre de tout renouvellement de l'Eglise » .
Proposition de solutions
Suite à ces considérations, on peut en déduire des conclusions pratiques que je me permets d'exposer en esprit d'amour envers l'Eglise et la Vérité.
 
1) Du point de vue des catholiques fidèles à la Tradition, prêtres et laïques, la solution de tout problème, à court terme, doit être recherchée, à mon avis, à l'intérieur de deux « invariables » : d'un côté il est nécessaire que les fidèles « traditionnels » reconnaissent, non seulement en théorie mais aussi dans toutes les conséquences pratiques, la plénitude de juridiction qui appartient à l'autorité ecclésiastique légitime. D'autre part il est clair que l'autorité ecclésiastique ne peut légitimement exiger des prêtres et des fidèles de faire positivement quoi que ce soit qui aille contre leur propre conscience. Le cardinal Ratzinger a écrit des pages très aiguës sur l'inviolabilité de la conscience qui a son fondement dans le droit à croire et à vivre comme des chrétiens croyants . « Le droit fondamental du chrétien - a-t-il écrit - est le droit à la foi intègre »  et, pourrions-nous ajouter, à une liturgie intègre. Il ne sera pas difficile de déduire les conséquences canoniques et morales de ces principes clairs.
 
2) En regardant les choses, non du point de vue des catholiques fidèles à la Tradition, mais sub specie Ecclesiae, il me semble que la seule voie que les autorités ecclésiastiques puissent raisonnablement parcourir à moyen terme, soit celle indiquée par la formule « réforme de la Réforme liturgique » . Cette voie suscite chez certains « traditionalistes » perplexité et scepticisme car la « réforme de la Réforme » ne constituerait pas une « restauration » vraie et intègre du rite traditionnel. Mais s'il est vrai, comme le soutiennent les traditionalistes eux-mêmes, que la Réforme liturgique parvint à exécuter une vraie « Révolution », au moment même où elle affirmait sa continuité avec la Tradition, comment nier à une réforme d'esprit contraire, la possibilité de parvenir, même graduellement, à un retour à la Tradition ? D'autre part il devrait être clair que la « réforme de la Réforme » n'aurait pas de sens si elle était « offerte », ou mieux imposée aux « traditionalistes », pour leur demander d'abandonner un rite auquel, en conscience, ils ne veulent pas renoncer ; elle a un sens, au contraire, si elle est proposée à l'Eglise universelle pour rectifier, au moins en partie, les déviations liturgiques en cours. La « réforme de la Réforme » a un sens en tant que « transition » vers la Tradition et non en tant que prétexte pour l'abandonner.
 
3) Ces mesures, bien que nécessaires, ne peuvent pas résoudre le problème de fond. Dans une phase que d'aucuns pourraient considérer trop longue mais qui, en réalité, est seulement urgente, car elle n'admet pas de raccourcis, il est nécessaire de renouer avec une vision théologique, ecclésiologique et sociale, fondée sur la dimension du sacré, c'est-à-dire sur un projet de re-sacralisation de la société diamétralement opposé au projet de sécularisation et de déchristianisation dont nous subissons les conséquences dramatiques. Cela signifie qu'on ne peut pas imaginer une réforme ou restauration liturgique faisant abstraction d'une réforme ou restauration sur le plan théologique, ecclésiologique et culturel. L'action sur le plan de la lex orandi devra être parallèle à celle menée sur le plan de la lex credendi pour une reconquête des principes fondamentaux de la théologie catholique, à commencer par une conception théologique exacte du Saint Sacrifice de la Messe. Aujourd'hui le sécularisme est en crise. Toutefois les nouvelles formes de sacré, qu'il s'agisse de la religiosité New Age ou de l'Islam qui prospère en Occident, éliminent le Sacrifice de Jésus-Christ et donc l'idée que l'homme peut être sauvé seulement par l'Amour gratuit de Dieu, par Son Sacrifice, et qu'à un tel don, l'homme doit répondre en embrassant lui aussi la Croix rédemptrice. Il faut donc s'approcher avec amour du mystère sublime de la Croix et de l'idée de sacrifice qui en découle. Le sacrifice, dont le modèle est le martyre et dont l'expression est le combat chrétien, est avant tout le renoncement à un bien légitime au nom d'un bien plus élevé. Le sacrifice suppose une mortification de l'intelligence qui doit se plier à la Vérité, sur une ligne exactement contraire à celle de l'auto-glorification de la pensée humaine qui a caractérisé les derniers siècles. Mais comment imaginer une reconquête de l'idée de sacrifice qui est au cour de la vision catholique de l'histoire et de la société sans que cette idée soit avant tout vécue ? Il est nécessaire, me semble-t-il, que l'idée de sacrifice imprègne la société dans la forme, aujourd'hui extrêmement abandonnée, d'esprit de sacrifice et de pénitence. Celle-ci, et non d'autres, est l' « expérience du sacré » dont notre société a un besoin urgent. Au principe d'hédonisme et d'auto-célébration du « Je » qui constitue le noyau du processus révolutionnaire pluriséculaire qui agresse notre société, il faut opposer le principe vécu du sacrifice. Une reconquête catholique de la société est impossible sans esprit de pénitence et de sacrifice, et sans cette reconquête des principes et des institutions chrétiennes, il est difficile de pouvoir imaginer un retour à la Liturgie authentique et à son cour : l'adoration due au seul vrai Dieu. L'appel à la pénitence, et surtout un exemple de pénitence, peuvent valoir beaucoup plus que de nombreuses théories. C'est peut être pour cela qu'à Fatima la Sainte Vierge indique le chemin de la pénitence comme étant le seul par lequel le monde contemporain pourrait se sauver. Le triple appel à la pénitence de l'Ange dans le Troisième secret de Fatima , est un manifeste de doctrine et de vie qui nous indique la voie pour toute restauration, même liturgique.