21 novembre 2009

[Alain Hasso - Monde&Vie] Lourdes : les évêques entre eux - Mais qu’est-ce qu’ils se sont dit ?

SOURCE - Alain Hasso - Monde&Vie n°819 - 21 novembre 2009

L’Assemblée de Lourdes a été particulièrement tendue, comme en témoignent, chacun à sa manière, ceux qui en sont revenus. Essai d’analyse.

C’était bien d’accord, on devait, un peu plus d’un an après la visite du pape à Lourdes, parler de tout ce qu’il avait dit, de tout sauf du statut des traditionalistes. Las… dès le premier jour, 2 novembre, les choses se gâtent. Mais le mal est à l’extérieur de l’Assemblée. Dans la lettre de Paix liturgique, l’évêque de Langres, Mgr Philippe Guéneley, est épinglé, pour des propos de parvis qu’il « aurait tenus » au sujet de trois de ses confrères évêques. Les événements se passent le 23 août dernier. Quelques personnes s’étaient rendues à la messe à Joinville pour distribuer le nouveau tract de l’association Paix liturgique. Sur ce tract, on voit Benoît XVI levant la main et on y lit des questions sur la messe traditionnelle et sa possible réintroduction dans les diocèses. Chacun peut se prononcer librement sur ce sujet en renvoyant le tract à l’expéditeur. Cette liberté d’expression n’était apparemment pas du goût de Mgr Guéneley qui a manifesté violemment sa mauvaise humeur après la messe, alors qu’il avait déjà fait un avertissement solennel avant l’office, et une diatribe furibarde en guise d’envoi des fidèles. Comme nous l’avons annoncé sur le Blog de Monde et Vie, nous avons retrouvé les distributeurs du tract. A Monde et Vie, nous avons donc les té­moins de ce pas de clerc sous le coude. Ces témoins étaient plusieurs. Ils sont scandalisés des démentis que l’évêque Gueneley a osé demander de produire à Véronique Gallissot, déléguée épiscopale à l’information, qui n’était évidemment pas sur place et s’est contentée de dire ce qu’on lui a demandé de dire. Le fait est en tout cas, brut, incontournable : devant de simples fidèles, un évêque français s’est abaissé à prendre pour cible trois de ses confrères dans l’épiscopat. Entouré de sa garde rapprochée, rassemblée autour de lui, face à quelques tracteurs pétrifiés, qui cherchaient seulement à obtenir une messe traditionnelle selon le Motu proprio (ce qui n’existe pas encore dans le diocèse) et qui donnaient l’exemple de quelques évêques compréhensifs, le Successeur des apôtres à Chaumont, Langres, Joinville et autres lieux s’est écrié : « Mgr Centène, on l’a fait plier. Mgr Aillet, on lui donne trois ans. Après, nous verrons. Dominique Rey, son diocèse finira par couler ».

Notons que le premier cité, Mgr Centène est actuellement évêque du diocèse de Vannes ; je pense qu’il appréciera d’être considéré par son confrère comme un évêque « plié ». Mgr Aillet est le jeune et fougueux évêque de Bayonne : dans trois ans, aura-t-il tellement vieilli ? Quant à Mgr Dominique Rey, évêque de Toulon, c’est lui qui possède, depuis au moins deux ans maintenant, le plus grand nombre de séminaristes. Il y a plus de jeunes qui se préparent à devenir prêtre à Toulon qu’à Paris… S’il coule un jour, ce sera de surcharge ! Mais je crois qu’en ce domaine comme en beaucoup d’autres, abondance de biens ne nuit pas… Le naufrage de Mgr Rey est simplement un vilain fantasme auquel publiquement cède son confrère Mgr Guéneley, avec une de ces délectations qu’autrefois, non sans raison, on appelait moroses.

Oh ! Ces mots doux ne seraient rien. On est tellement habitué au mépris des évêques français pour leurs fidèles que l’on n’est guère surpris de constater qu’ils se méprisent aussi entre eux. Mgr Guéneley fait partie de ces évêques de l’Est de la France qui s’appuient les uns sur les autres (voir p. préc.) pour refuser a priori toute idée de réforme de la réforme de Vatican II. Les derniers idéologues ? C’est eux ! Cela signifie de leur part des prises de position qui ne sont pas seulement religieuses, mais aussi politiques. Ainsi, dès les premiers numéros de son Bulletin diocésain, Mgr Gueneley a-t-il éprouvé le besoin de faire savoir à ses diocésains qu’il participait à certaines réunions du Cercle Condorcet, un groupe de réflexion dont on ne peut pas douter de l’orientation quand on considère le patronage sous lequel il est établi et quand on se souvient de la généalogie qui est la sienne et qui le fait remonter à la Ligue française de l’enseignement, qui a créé ce Cercle en 1987 pour prendre la suite des Cercles Jean Macé. Voilà pour la politique. Mais du point de vue religieux qu’en est-il ? En écoutant Mgr Gueneley en podcast sur RCF, on se rend compte par exemple qu’il n’a aucune prévention contre les protestants. Il explique que le dimanche de la Mission est marqué dans son diocèse par l’arrivée de deux Pasteurs protestants « qui sont là pour plusieurs années » et qui vont « parler avec les gens et les rencontrer » (sic). C’est une des deux initiatives dont l’évêque impavide crédite sa « semaine de la mission ». Vis-à-vis des protestants, il est vraiment très ouvert ! Mais à quoi n’est-il pas ouvert ? Aux catholiques de Tradition.

On retrouve le même esprit fermé chez son confrère de Metz, Mgr Raffin, qui a donné un entretien au Républicain lorrain le 11 novembre dernier, grâce auquel il s’est mis à peu près tout le monde à dos : les traditionalistes, pour lesquels il éprouve un mépris vertical, les juifs et en particulier le Grand Rabbin de Metz, auquel il reproche d’être « un inconditionnel d’Israël » et les musulmans, à propos desquels il note qu’ils n’ont pas de représentants d’un niveau intellectuel suffisant pour mettre en place le dialogue. Psycho-rigidité quand tu nous tiens !

S’agit-il d’un état d’esprit généralisé ? La déclaration de Mgr Gueneley, à propos de ses confrères, a été abondamment commentée, surtout à cause du « on » qu’il emploie de façon récurrente : « on » l’a fait plier ; « on » lui donne trois ans. Qui, « on » ? En cours moyen, mon institutrice nous disait toujours « on » c’est « Léon », histoire de nous rappeler que « on » s’accorde à la troisième personne du singulier, comme Léon. Mais pour l’évêque de Langres, l’impression qu’il donne, c’est que « on », c’est… légion… L’avis dominant. Le « noyau dirigeant » comme disait Jean Madiran. « Ils » sont les plus nombreux, à la troisième personne du pluriel.

Comme pour confirmer ce diagnostic, le 5 novembre précisément, c’est le président de la Conférence épiscopale, Mgr Vingt-Trois, d’habitude pourtant tellement maître de lui, qui se met à tenir, sur certains confrères dans l’épiscopat qu’il ne nomme d’ailleurs même pas, mais personne n’est dupe… un discours disqualifiant, qui ressemble fort – un zest d’ironie en plus – au discours de Mgr Gueneley. Il n’est pas tendre : « On peut avoir un évêque qui croit aux communautés nouvelles : il sonne la cloche, appelle six communautés nouvelles dans son diocèse et pense que ça va marcher ! Cela va peut-être marcher tant qu’il sera là, mais après ? ». Ce texte hallucinant, paru dans La Croix du 5 novembre, où le premier des évê­ques français rompt publiquement la com­munion de ri­gueur en­tre frères et entre pasteurs en critiquant l’un d’entre eux de toute son autorité, prend un relief fâcheux si on le rapproche des paroles de Mgr Gueneley et du mépris de Mgr Raffin.

Devant de tels écarts de langage, on est en droit, nous autres fidèles du rang, de se demander ce qui a bien pu se passer à Lourdes. Qu’est-ce qu’ils se sont dit pour être si agressifs « après ». C’est l’interview du Républicain Lorrain dont j’ai parlé à l’instant qui nous renseigne sur le véritable enjeu de l’Assemblée épiscopale à Lourdes. « Etes-vous favorable à la désignation de certains chefs de communauté laïcs, comme certains évêques l’ont proposé à Lourdes ? ». Réponse, qui a bien dû être celle de « On », c’est-à-dire de la majorité des évêques : « Il n’y a pas d’objections de principes à cette solution et le droit canon ne s’y oppose pas ». Notons d’ailleurs que le droit canon ne s’oppose pas non plus à ce qu’il y ait des fraises en hiver dans tous les vergers de France… L’évêque fait d’ailleurs un pas en recul concernant son propre diocèse, qui compte encore quelque 300 prêtres : « En Moselle, nous ne sommes pas mûrs pour cela ». Mais c’est pour revenir à la charge immédiatement en proposant le modèle envisagé à Lourdes par les évêques réunis : « L’évêque peut tout à fait confier une paroisse à un fidèle laïc, dès lors qu’un curé modérateur est à ses côtés ».

Je ne vais pas discuter droit canon avec un évêque. En Afrique, de façon classique, le responsable de la mission dans un village s’appelle un catéchiste. Ce que je conteste, c’est le sectarisme de ces évêques, qui n’ont pas de mots trop durs contre « les communautés nouvelles », de quelque forme du rite qu’elles soient, où il y a de jeunes prêtres, mais qui préfèrent remettre les clés de leurs églises à des laïcs plutôt que d’ouvrir leurs diocèses à des prêtres qui n’ont pas le label diocésain. Un tel sectarisme est au fond des déclarations que nous venons de citer. Il est proprement suicidaire.

Alain Hasso