31 juillet 2010

[Mgr Williamson] Utilité des discussions II

SOURCE - Mgr Williamson - Commentaire Eleison CLIX - 31 juillet 2010

Certaines personnes se sont demandé si l'auteur du « Commentaire Eleison » a subi quelque pression pour avoir cité il y a trois semaines (EC 154) les arguments de Mgr de Galarreta qui plaidaient en faveur des discussions doctrinales actuellement en cours entre Rome et la Fraternité St Pie X. Il faut répondre qu'il n'y a eu aucune pression de cette sorte. Alors est-ce que cet auteur perd la tête ?  Il faut répondre, pas plus que d'habitude.

La raison pour laquelle on s'est posé la question, bien sûr, c'est que plus d'une fois le « Commentaire » a soutenu qu'il y a peu d'espoir qu'un accord puisse sortir des discussions, vu qu'il est impossible de mélanger l'huile et l'eau. A force de secouer furieusement une bouteille qui contient les deux, on fera que l'huile et l'eau se mêleront, mais dès que l'on cesse de secouer, elles se sépareront immédiatement. C'est dans leur nature. Etant plus légère, l'huile flotte nécessairement au-dessus de l'eau.

C'est également dans la nature de la doctrine divine de la vraie Eglise et de la doctrine humaine du néo-modernisme de pouvoir se mêler mais pas se mélanger. La « lettre », c'est-à-dire les documents de Vatican II, les ont fait se mêler, mais pas même les chefs d'œuvre de confusion de Vatican II, tel « Dignitatis Humanae » sur la liberté religieuse, n'ont réussi à faire qu'elles se mélangent. L'après-Concile qui a suivi « l'esprit » du Concile en est la preuve, car cet « esprit du Concile » ne cesse de déchiqueter l'Eglise depuis. Quant à « l'herméneutique de la continuité » de Benoît XVI, elle est une recette pour ne pas cesser de secouer furieusement, disons plutôt résolument, la religion de Dieu avec la religion de l'homme, mais elles ne se mélangent pas pour autant. Elles se repoussent toujours.

Mais pourquoi alors le « Commentaire » a-t-il cité les arguments de Mgr. de Galarreta en faveur des discussions ?  Pour deux raisons. D'abord quant à l'effet principal des discussions, remarquez qu'aucun de ses arguments, si on les lit attentivement, n'exprime l'attente ni l'espoir que l'huile et l'eau se mélangeront. Au contraire, lorsqu'il a dit qu'il entendait que les discussions prennent fin au printemps de l'année prochaine, il semblait bien indiquer qu'on ne doit pas secouer indéfiniment la bouteille, surtout pas si cela devait favoriser chez les fidèles l'illusion que l'huile et l'eau peuvent à la longue se mélanger. Deuxièmement, c'est à partir des effets secondaires des discussions que Monseigneur arguait que les contacts qu'elles provoquent entre Rome et la FSSPX agissent comme de l'antigel dans le radiateur de tout Romain qui veut abhorrer la FSSPX, comme dans celui de tout fidèle de la FSSPX qui veut abhorrer Rome.

L'auteur du « Commentaire » a l'honneur d'être d'accord avec son confrère sur le fait que ces contacts entre Rome et la FSSPX sont bons pour l'Eglise Universelle, tant qu'il n'est pas question pour la FSSPX de manquer à sa mission providentielle de contribuer à protéger de la Rome d'aujourd'hui le Dépôt de la Foi pour la Rome de demain, dès qu'elle reviendra à elle-même et à la Foi. « Le ciel et la terre passeront, dit Notre Seigneur, mais mes paroles ne passeront pas » (Lc.XXI, 33).  A Dieu ne plaise que la FSSPX rallie cette Rome qui brasse ensemble l'huile de Dieu avec l'eau de l'homme !

Mère de Dieu, gardez-nous fidèles à notre mission !

Kyrie eleison.

30 juillet 2010

[Paix Liturgique] Le sens de l'élection de Benoït XVI

SOURCE - Paix Liturgique, lettre 241 - 30 juillet 2010

Nous remercions la rédaction de l'excellent bi-mensuel catholique "L'Homme Nouveau" de nous avoir donné l'autorisation de reproduire cet excellent article de l'Abbé Claude Barthe.

L’Homme nouveau, 24 avril 2010 – l’abbé Claude Barthe

Le sens de l’élection de Benoît XVI

Vatican II : « Oui, mais… »

« D’une fois à l’autre à mes retours de Rome, je trouvais l’atmosphère de plus en plus effervescente dans l’Église et parmi les théologiens. On avait l’impression que rien n’était stable dans l’Église, que tout était à revoir », se souvenait Joseph Ratzinger, qui avait été conseiller théologique du cardinal Frings, archevêque de Cologne, un des ténors de la majorité conciliaire (Ma vie, Fayard, 1998). C’est à l’intérieur des débats propres à la majorité conciliaire que le futur Benoît XVI, alors jeune théologien allemand renommé, a fait alors entendre une voix prudente, très vite inquiète, globalement réformiste.

Le cardinal Frings l’avait fait nommer expert dès la fin de la première session, en 1962. Il n’était nullement de l’école romaine – le personnel théologique de Pie XII – mais s’il était un homme du monde théologique nouveau, c’était avec nuance de « oui, mais… » Ce « mais », il l’exprima très vite à sa manière propre, celle de conférences professorales : il donna un premier signal d’alarme, à Münster, en 1963, sur « le vrai et le faux renouveau dans l’Église » ; mais surtout, il intervint au Katholikentag de Bamberg, en 1966, de manière si alarmiste, au sujet de la nouvelle théologie et de la nouvelle liturgie, qu’un soupçon de « conservatisme » pèsera désormais sur lui.

Professeur à Ratisbonne en 1969, il était nommé à la Commission théologique internationale, en même temps qu’il participait au lancement de la revue internationale elle aussi, Communio, avec ses amis Balthasar, Lubac, Bouyer, Medina, Le Guillou. Ces deux instances, la Commission et la revue, en soi tout à fait distinctes, mais très proches en réalité, très proches en tout cas à l’origine, devaient servir de barrage à la « mauvaise interprétation » du Concile. Ce combat contre le « faux esprit du Concile » va dès lors devenir le combat essentiel, pour ainsi dire substantiel, de Joseph Ratzinger, comme théologien, comme cardinal, comme pape. Il est d’ailleurs très important de retenir que par Hans Urs von Balthasar, il a connu dès l’origine l’un de ces nombreux mouvements qui, sous des aspects divers, vont représenter une réaction à la crise de l’Église, le mouvement Communion et Libération, fondé par l’Italien Don Giussani. Proche de CL, mais avec des amitiés allemandes plus traditionnelles encore, celle du philosophe Robert Spaemann, par exemple. A Ratisbonne, très proche de Mgr Gamber, il vécut très mal la réforme liturgique : « On démolit le vieil édifice pour en construire un autre… »

C’est ce Joseph Ratzinger-là, une des personnalités les plus marquantes, et les plus marquées « à droite », à l’intérieur de la tendance que représentait la revue Communio et annexes, qui fut appelé par Paul VI à devenir archevêque de Munich en 1977. Consacré le 28 mai, il devint cardinal le 27 juin 1977, un an avant la mort de Paul VI (le 6 août 1978). Il avait connu au Concile l’évêque auxiliaire puis archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla, autre personnalité marquante de sa tendance. Lors du premier conclave de l’été 1978, qui devait élire l’éphémère pape Luciani, Jean-Paul Ier, le cardinal Ratzinger fit partie de ceux qui lancèrent « l’hypothèse Wojtyla », avec les cardinaux Koenig, de Vienne, et Hoeffner, de Cologne. Et lors du conclave d’octobre, ils repassèrent les plats, cette fois avec succès.

Tout naturellement, Jean-Paul II appela près de lui celui qui était devenu son ami. Il lui confia le poste de confiance par excellence, celui de Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, le 25 novembre 1981. Dès lors, durant pratiquement un quart de siècle, ce Préfet, du fait de sa personnalité et de l’épais brouillard doctrinal qui s’était abattu sur l’Église, fut le véritable numéro deux de l’Église romaine, ayant de fait plus d’importance morale que le Secrétaire d’État, Casaroli puis Sodano. Il orchestra, Jean-Paul II régnant (et participant, surtout dans le domaine moral), une colossale tentative de « bonne interprétation » de Vatican II : dans le domaine moral, avec l’instruction Donum vitae, du 22 février 1987, l’encyclique Veritatis splendor, du 6 août 1993, sur les fondements de la morale catholique, l’encyclique Evangelium vitae, du 25 mars 1995 ; dans le domaine de l’œcuménisme, avec l’encyclique Ut unum sint, du 25 mai 1995 ; mais aussi, l’encyclique Fides et Ratio, du 14 septembre 1998, sur les rapports de la foi et de la raison ; et encore l’encyclique Ecclesia de Eucharistia, du 17 avril 2003. Sans parler d’une série d’instructions « restauratrices » publiées par la Congrégation de la Doctrine de la foi ou en collaboration avec d’autres congrégations, comme l’instruction sur les synodes diocésains (1997), l’instruction « sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres » (1997), le motu proprio Apostolos suos sur la nature théologique et juridique des conférences épiscopales (21 mai 1998).

Il mena en première ligne la bataille doctrinale – car il y eut aussi une bataille « politique » - avec la théologie de la libération, qui de 1968 à la Chute du Mur fut très virulente en Amérique latine (« Instruction sur la liberté chrétienne et la libération », du 22 mars 1986 ; « Instruction sur quelques aspects de la théologie de la libération », du 6 août 1984). Il y eut aussi la guerre d’usure avec les revendications ultralibérales en faveur de la structure démocratique de l’Église, du sacerdoce des femmes, de la libéralisation morale, scandées de « sanctions » nouveau style, c'est-à-dire fort bénignes, contre Drewermann, Curran, Knitter, Guindon, Küng, Schillebeecks, etc. D’où la Profession de foi et le Serment de fidélité (25 février 1989), l’« instruction sur la vocation ecclésiale du théologien » (24 mai 1990), et la lettre apostolique Ad tuendam fidem (1998), qui insère dans le Code de Droit canonique des précisions concernant l’autorité des actes magistériels.

Et au sommet de cette tentative – une utopie, au meilleur sens – de remise en ordre : la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, du 22 mai 1994, sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes, le Catéchisme de l’Église catholique, promulgué le 11 octobre 1992, et l’instruction Dominus Jesus, sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, du 6 septembre 2000.

Devant une telle masse de documents, dont la note dominante est indubitablement la volonté d’encadrer l’interprétation du Concile, ne peut-on pas parler de pré-pontificat ratzinguérien.

Le recours

Mais c’est avec l’Entretien sur la foi, en 1985, qu’a commencé le chemin qui l’a mené à l’élection de 2005 : « Si par restauration on entend la recherche d’un nouvel équilibre, après les interprétations trop positives d’un monde agnostique et athée, eh bien alors, une restauration entendue en ce sens-là, c'est-à-dire un équilibre renouvelé des orientations et des valeurs à l’intérieur de la catholicité tout entière, serait tout à fait souhaitable ». Concrètement, cet ouvrage est devenu le vecteur du projet de « remontée de l’intérieur », selon une expression très ratzinguérienne.

Lequel va s’appuyer sur et être appuyé par – c’est ce qui l’a distingué des Lubac, Baltasar – le monde traditionaliste, héritier de la minorité conciliaire, et dont le refus s’était cristallisé dès la fin des années soixante en un rejet de la réforme liturgique de Paul VI. On sait aujourd’hui que le nouveau Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi avait organisé dès 1982 (le 16 novembre) une réunion au Palais du Saint-Office « au sujet des questions liturgiques », c'est-à-dire portant à la fois sur la question liturgique en elle-même et sur la question lefebvriste. Le cardinal Ratzinger avait obtenu que tous les participants sans exception (le cardinal Baggio, Préfet de la Congrégation des Évêques, le cardinal Baum, archevêque de Washington, le cardinal Casaroli, Secrétaire d’État, le cardinal Oddi, Préfet de la Congrégation du Clergé, Mgr Casoria, pro-Préfet de la Congrégation pour le Culte et les Sacrements) affirment que le missel romain « ancien » devait être « admis par le Saint Siège dans toute l’Église pour les messes célébrées en langue latine ». 25 ans exactement avant le Motu Proprio Summorum Pontificum : ce long temps pour parvenir au but, c’est tout Joseph Ratzinger.

La suite de ce grand projet concernant la liturgie ancienne et ses pratiquants, dans les deux domaines distincts et imbriqués, est connue : d’une part, la lettre circulaire Quattuor abhinc annos, de la Congrégation pour le Culte divin, dite « indult » du 3 octobre 1984, permettra la célébration du missel ancien ; elle sera suivie, en 1988, du Motu Proprio Ecclesia Dei qui l’amplifiera. Entre temps, le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre étaient parvenus à un accord, le 5 mai 1988, lequel fut dénoncé après bien des hésitations par Mgr Lefebvre qui procéda à la consécration autonome de quatre évêques, à Écône, le 30 juin 1988, suivie d’une sentence d’excommunication.

En vérité, à partir de 1988, c’est le Préfet de l’ex-Saint-Office qui supervisa la Commission Ecclesia Dei, créée à cette occasion pour prendre en charge l’ensemble de ce problème, moins directement après 2000, lorsqu’il lui fit donner pour Président son ami le très actif cardinal Castrillón, Préfet de la Congrégation du Clergé. Dans le même temps, ses critiques plus ou moins frontales de la nouvelle liturgie se multiplient : La célébration de la foi (Téqui, 1985), Ma vie (Fayard, 1998) ; L'Esprit de la liturgie (Ad Solem, 2001) ; Un chant nouveau pour le Seigneur (Desclée, 2002).

En fait, c’est bien au-delà des cercles traditionnels proprement dits que l’ensemble de cette posture – résumée par le Catéchisme de l’Église Catholique et la critique des abus liturgiques et même d’une liturgie abusive – va accroître la popularité du cardinal en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, et dans le reste du monde. Ainsi à Paris, la foule se pressait, le 6 novembre 1992, autour de l’Institut lors de la réception du cardinal à l’Académie des sciences morales et politiques, à l’initiative de Jean Foyer. Et lorsque le 23 janvier 1995, il revint y prononcer une conférence sur « La théologie de l’Alliance dans le Nouveau Testament », assurément bien bâtie mais dont le sujet restait très académique, on entendit Jean Guitton résumer l’étonnante émotion de ses confères : « Nunc dimittis... J’ai vécu aujourd’hui le plus beau jour de ma vie ».

En Italie, où il n’existait pas de mouvement traditionaliste au sens strict, le cardinal se montrait à l’unisson des prêtres et laïcs du mouvement Communion et Libération. Je citerai deux moments particulièrement intenses de cette fusion autour du Préfet de la Foi. Le 1er septembre 1990, lors du meeting annuel grandiose organisé par CL à Rimini, devant une foule chauffée à blanc par son propre enthousiasme, Joseph Ratzinger avait prononcé un étonnant « discours programme » sur l’Église « toujours à réformer », dans lequel, sans évoquer une seule fois Vatican II, il avait traité de la réforme, non pas à continuer, non pas à appliquer, non pas à réactiver, mais de la réforme à faire, et même « à découvrir », stigmatisant « la réforme inutile » - suivez son regard –, celle intégrant le modèle de la liberté des Lumières et dont la liturgie est refabriquée en permanence par les communautés vivantes, etc.

L’autre grand moment fut lors des obsèques de Don Giussani, qui eurent lieu le 24 février 2005, très peu avant la mort de Jean-Paul II (2 avril), dans la cathédrale de Milan : le cardinal Ratzinger présidait aux côtés du cardinal Tettamanzi, archevêque de la ville. Il se trouvait que, notoirement, l’un et l’autre étaient les deux premiers « papables » (du moins Tettamanzi le croyait-il de lui-même). Chacun prononça une homélie. La foule des ciellini acclama Ratzinger à tout rompre et resta de glace pour Tettamanzi.

Entre-temps, il m’avait été donné d’assister, en prima fila, à une conférence donnée par le Préfet de la Congrégation de la Doctrine de la foi, le 15 décembre 1998, dans un amphithéâtre de l’Institut Jean-Paul II, à l’Université du Latran, sur « la fin du monde ». Le sujet était certes intéressant, mais il n’expliquait pas que l’aula Paolo VI fût pleine à craquer, et que la conférence fût suivie grâce à un circuit interne de télévision dans un autre grand amphithéâtre tout aussi rempli, et fût en outre retransmise en direct au Chili, en Argentine, à Madrid. La conférence follement applaudie s’acheva par une indescriptible bousculade, chacun voulant obtenir un baciomano ou à tout le moins toucher la frange de la soutane du Cardinal Salut de l’Eglise…

Ce qui explique que, m’accueillant au Saint-Office, en novembre 2000, où je venais recueillir de lui un entretien pour Spectacle du Monde, il me prévenait en souriant : « Monsieur l’Abbé, nous ne parlerons pas de "programme de pontificat" » (le thème d’un de mes précédents articles dans la revue Catholica avait été : à la différence du cardinal Martini, les ratzinguériens ne proposent pas de « programme de pontificat »). Et d’ajouter splendidement : « Notre programme, c’est le magistère ! » En fin d’entretien, lui posant ma dernière question, très journalistique j’en conviens : « Vous savez, Eminence, que vous êtes un cardinal très populaire : un sondage Internet vous donne, sur cinquante sept mille réponses, 28 % d’opinions favorables, etc. », je commis un fâcheux lapsus : « Vous savez Eminence que vous êtes un candidat très populaire… ». Le cardinal-candidat éclata de rire, mais sa réponse fut celle d’un homme prêt très modestement à répondre à l’appel de Dieu : « Pour ce qui est de ces candidatures et de ces sondages, je trouve cela tout à fait ridicule : nous avons un pape et c’est le Seigneur qui décide en tout du quand, du comment. Mais c’est vrai qu’être pasteur aujourd’hui dans l’Eglise exige un grand courage. Avec notre faiblesse – je suis un homme faible – nous pourrons tout de même prendre le risque de faire notre devoir de pasteurs. Parce que c’est le Seigneur qui agit et qu’il a dit à ses apôtres qu’à l’heure de la confrontation ils ne réfléchissent pas avec inquiétude comment se défendre et que dire, mais que l’Esprit leur enseignera ce qu’il faut dire. Cela aussi est pour moi une chose très réaliste. Même avec mon peu de force, et je dirais même à cause de cela, le Seigneur pourra faire en moi ce qu’il voudra ». 

Le seul pape possible

Cinq années passèrent, ou presque. Tel prélat de Curie, qui avait imaginé une élection presque par acclamation – un cardinal se lèverait dans le Conclave, et dirait : « Je propose d’élever le cardinal Ratzinger au trône de Pierre » – n’y croyait plus. Le fidèle secrétaire, Mgr Clemens, non plus semble-t-il, qui demanda un autre poste, en prévision de la retraite définitive du cardinal.

Au reste, la faveur de l’ensemble du catholicisme « identitaire » ne pouvait pas suffire à faire un pape. Les élections pontificales nécessitent les deux tiers des voix du collège des cardinaux électeurs (ceux de moins de 80 ans), et comme toutes les élections du monde, celles de la Sixtine se jouent au centre. Le centre du collège s’était, il est vrai, considérablement déplacé vers la droite au cours du pontificat de Jean-Paul II. Et la signification de l’élection pontificale s’était modifiée. Celle de 1963 (Paul VI), la première de 1978 (Jean-Paul Ier) et la deuxième de 1978 (Jean-Paul II) avaient vu, en effet, s’opposer trois tendances : d’un côté, les traditionalistes issus de la minorité conciliaire (Siri en 1963 et 1978) ; de l’autre, le centre gauche (Lercaro en 1963, Pignedoli en 1978) ; et le centre droit qui l’avait emporté à chaque élection (Montini en 1963 ; Luciani en 1978, puis Wojtyla, toujours en 1978 en raison de l’échec de Benelli). Autrement dit, pour sauver le « vrai » Concile tant contre les « progressistes » que contre les « intégristes », les cardinaux de centre-droit avaient choisi des « hypothèses » toujours plus conservatrices (Montini, Luciani, Wojtyla). Mais en 2005, le traditionalisme (Siri, Oddi, Palazzini, etc.) n’étant plus représenté chez les cardinaux électeurs, et les « progressistes » étant de poids négligeable, c’était l’explosion de l’Église qu’on veut éviter et non plus celle du Concile.

Le samedi 16 avril, deux jours avant l’ouverture du conclave, avant l’heure du pranzo, je me suis faufilé pour saluer le cardinal doyen du Sacré-Collège, Joseph Ratzinger, qui rentrait à son domicile, place Ste-Anne, escorté d’un appareil policier de chef d’État, car je voulais « prendre la température » de son entourage. Les « aides de camp » ecclésiastiques étaient d’ores et déjà jubilants : tous les comptes de voix faits et refaits par les spécialistes donnaient à Joseph Ratzinger une très large avance (on racontait que l’austère cardinal Ruini, le principal grand électeur de Joseph Ratzinger, était rentré dans ses appartements du Vicariat, au Latran, en esquissant des pas de danse…). La tension qui persistait venait du fait qu’on savait aussi que Joseph Ratzinger se désisterait si l’élection n’était pas très rapide, à défaut de quoi l’Église serait encore plus ingouvernable qu’elle n’était. Il fallait donc qu’en quelques tours de scrutin, 77 voix se portent sur son nom. Or, il n’était pas exclu que les opposants cimentent durant un certain temps la fameuse « minorité de blocage » (39 voix pour cette fois), pour obliger ensuite les partisans du cardinal Ratzinger à transiger sur un nom de compromis, comme par exemple celui du cardinal Antonelli, archevêque de Florence.

La force des ratzinguériens était dans les personnalités restauratrices qui entouraient le Préfet de la Congrégation de la Foi : Ruini, le cardinal vicaire de Rome, Scola, patriarche de Venise, Biffi, ancien cardinal de Bologne, Bertone de Gênes, le pieux Herranz de l’Opus Dei qui s’était chargé de lancer la « candidature », etc. S’ajoutaient des grands électeurs qui dépassaient ce cercle restaurationiste : le cardinal Lustiger de Paris, le mouvant cardinal Schönborn de Vienne.

En face, les libéraux (des libéraux très modérés, mais qui avaient l’appui de la « gauche », notamment celle du clan Silvestrini, qui ne votait pas en raison de l’âge tout en conservant une grande influence) ont été pris de court par la montée de Ratzinger, ou plus exactement par le fait que le cardinal jésuite Martini, ancien archevêque de Milan, était devenu trop malade pour prétendre au Souverain Pontificat. Les prétendants de remplacement ne pesaient pas, loin de là, le même poids : Dionigi Tettamanzi, archevêque du plus gros diocèse de la chrétienté, Milan, dont tout le monde savait qu’il « en voulait » parce qu’il l’avait dit à tout le monde ; Angelo Sodano, 77 ans, Secrétaire d’État de Jean-Paul II, de couleur plus conservatrice que le précédent, qui s’imaginait curieusement être populaire ; Giovanni Battista Re, 71 ans, qui d’abord à la Secrétairerie d’État, puis comme Préfet de la Congrégation des Évêques, s’était imposé (avec le cardinal Sepe, préfet de l’Évangélisation des peuples) comme l’un des personnages indispensables et incontournables de la fin du pontificat précédent, faiseur d’évêques, de nonces, de cardinaux.

Mais pendant ce temps, les millions de pèlerins venus à Rome pour saluer la dépouille de Jean-Paul II désignaient en quelque sorte aux cardinaux électeurs par leurs acclamations le doyen du Sacré Collège qui présidait les funérailles. Le climat émotionnel aidant, il apparaissait comme le seul possible. Le seul qui semblait apte à « faire du ménage », alors que les rapports plus qu’alarmants sur l’état du sacerdoce circulaient entre cardinaux, cristallisant une formidable et très légitime inquiétude. Lors du Chemin de Croix au Colisée qui avait précédé la mort de Jean-Paul II, le 25 mars 2005, il avait dit : « Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! Combien d’orgueil et d’autosuffisance ! » (méditation de la 9ème station). Le seul qui paraissait capable de prendre en main une Église exsangue, qui malgré le formidable charisme de Jean-Paul II, voyait s’accélérer, se nourrissant lui-même, l’effondrement historique du catholicisme d’Occident (vocations, fidèles, catéchismes, etc.) Toujours, lors du Chemin de Croix du 25 mars : « Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part. Et dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Église nous effraient. Mais c’est nous-mêmes qui les salissons ! » (prière de la 9ème station). Le seul dont on pouvait croire qu’il avait des chances de redresser l’image morale et ecclésiale du prêtre en Amérique, en Afrique, aux Philippines, et de réchauffer peut-être un peu la foi refroidie de l’Occident. « Comme s’il n’y avait plus eu d’autres candidats envisageables ! », s’exclamera plus tard le cardinal anonyme interrogé par Olivier Le Gendre dans la Confession d’un cardinal (J.C. Lattès, 2007).

En fait c’est sur le cardinal jésuite Bergoglio, archevêque de Buenos-Aires – beaucoup plus « progressiste » qu’il n’y paraissait et véritable continuateur du cardinal Martini –, et non sur les Italiens balayés au premier scrutin, que se reportèrent les voix opposées. Les voix de Bergoglio montèrent à 40 voix au 3ème vote, mais Joseph Ratzinger dépassait déjà les 70 voix. Dans l’après-midi du deuxième jour, le 19 avril, au 4ème vote, quand à 17h 30, le scrutateur annonça pour la 77ème fois : « Ratzinger », l’assemblée, tendue comme un arc, éclata en applaudissements qui se prolongèrent durant toute la fin du dépouillement, lequel donnait à l’élu 84 voix. Peu après, la fumée blanche s’élevait sur l’angle droit de la Place Saint-Pierre et la grosse cloche de bronze de l’Arco della campana commençait à s’ébranler : Il papa e fatto ! 

L’annonce de la « conclusion » du Concile

Peut-on tenter d’imaginer, cinq ans plus tard, les jugements que porteront les historiens du futur ? On a parlé, en 2005 d’élection d’un pape de transition, comme en 1958, lors de celle de Jean XXIII, non seulement à cause de l’âge avancé de l’un et l’autre pontifes, mais aussi parce ce que l’on sentait, dans les deux cas, que se préparait une évolution importante.

En sens inverse ? Inverse sans aucun doute était le contexte. En 1958, l’Église entrait dans une espèce de bulle d’optimisme, dans laquelle elle allait vivre jusqu’en 68, malgré de nombreux signes annonciateurs d’une déferlante de sécularisation avec ses conséquences internes gravissimes. En 2005 – et aujourd’hui plus encore – le contexte, surtout en Occident, est celui de la continuation de l’effondrement pastoral, sacerdotal, catéchétique, mémoriel diraient aussi les sociologues, auquel personne ne sait vraiment quelle réponse donner. Le long trou noir de l’enseignement catéchétique inexistant, ou tout comme, depuis le Concile, fait que cette tendance ne pourra être inversée de longtemps.

Un point de convergence cependant étonne. Le cardinal Roncalli avait été élu, grosso modo parce qu’une part des cardinaux voulaient sortir du « trop de doctrine » du règne de Pie XII. Or, le pape Ratzinger, déjà maître d’œuvre d’une avalanche de textes doctrinaux de « restauration » lorsqu’intervint son élévation au Souverain Pontificat, a semblé s’autocensurer lui-même : depuis son élection, pratiquement plus aucun texte de ce type n’est publié (une encyclique sur la charité, une autre sur l’espérance, une troisième sur les principes les plus élevés de la « doctrine sociale »).

Mais dans cet espèce de grand silence– tout relatif, bien sûr – sont intervenus quelques textes et quelques actes d’apparence modeste, mais cependant possiblement « prophétiques » d’importants ébranlements et développements futurs : le discours à la Curie romaine du 22 décembre 2005, qui tout en privilégiant une interprétation de Vatican II (l’herméneutique de continuité) dit en définitive officiellement que 40 ans après, la signification de Vatican II est encore à débattre ; la conférence de Ratisbonne, du 17 septembre 2006, qui ébranle les certitudes en matière de dialogue interreligieux ; le Motu Proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, dont la portée dépasse de la même manière son objet propre (affirmer que la messe ancienne n’est pas abolie) en ce qu’il pousse à un remodelage du culte des paroisses ; l’ouverture enfin d’un processus d’« uniatisme » en direction des anglicans qui rebat les cartes en matière d’œcuménisme.

Au fond, l’acte principal du pontificat de Jean XXIII aura été l’annonce de l’ouverture du Concile, faisant de son règne un préalable à la formidable mutation que cette assemblée allait engendrer sous son successeur. L’initiative historique principale de Benoît XVI ne sera-t-elle pas d’annoncer en quelque sorte la « conclusion » à venir de l’événement de Vatican II et de ses suites ?


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25 juillet 2010

[Le Point] Musique: des soeurs françaises dans les traces de Lady Gaga

SOURCE - Le Point - 25 juillet 2010
Des religieuses cloîtrées du sud de la France ont signé un contrat en vue de l'enregistrement d'un disque avec la maison Decca, label de la pop star américaine Lady Gaga, a annoncé dimanche la société britannique.

Des religieuses cloîtrées du sud de la France ont signé un contrat en vue de l'enregistrement d'un disque avec la maison Decca, label de la pop star américaine Lady Gaga, a annoncé dimanche la société britannique.

Les soeurs bénédictines de l'Abbaye de Notre-Dame de l'Annonciation, située à Barroux, dans le Vaucluse (sud de la France), ont remporté un concours international de voix féminines interprétant des chants grégoriens et organisé entre 70 couvents en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique.

"Nous n'avons pas couru après, ça nous est tombé dessus", a expliqué la Très Révérente Mère Placide Devillers.

"Au début, nous avions peur que cela puisse remettre en cause notre vie cloîtrée. Nous en avons parlé à Saint Joseph dans nos prières et elles ont été exaucées. Nous avons pensé que cet album pourrait être une bonne chose s'il touche les gens dans leur vie et les aide à trouver la paix", a-t-elle ajouté, citée dans un communiqué du label Decca.

Afin de respecter l'intimité des soeurs, le contrat a été remis et signé entre un représentant de Decca et les moniales à travers une grille de barreaux de bois qui sépare les religieuses du monde extérieur.

"J'ai remis le contrat à travers la grille. Elles l'ont signé et me l'ont rendu", a expliqué le directeur général de Decca Records, Dickon Stainer.

Les soeurs ne pouvant sortir de leur couvent, les chants ont dû être enregistrés dans leur chapelle, le son étant transmis aux studios de Decca. Les ingénieurs n'ont été autorisés à entrer dans le couvent, pour installer les équipements, qu'après que les soeurs s'isolent dans d'autres pièces, a expliqué à l'AFP une porte-parole de Decca.

Les chants religieux connaissent un regain d'intérêt musical, comme le prouve notamment le succès mondial rencontré par les moines cisterciens de Stift Heiligenkreuz, en Autriche, qui ont écoulé plus d'un million d'exemplaires de leur album.

Decca Records, basé à Londres, fait partie du groupe Universal Music qui compte parmi ses stars Lady Gaga, U2 et Amy Winehouse. L'album s'intitulera "Voice: Chant From Avignon" et sortira en novembre.

23 juillet 2010

[Paix Liturgique] un autre regard sur le bilan du Motu proprio: 2 - l'Italie, une application qui avec le temps pourrait devenir exemplaire

SOURCE - Paix Liturgique, lettre 240 - 23 juillet 2010

Dans notre lettre 237 du 2 juillet dernier, nous avons publié le premier volet de notre enquête sur la mise en application de la forme extraordinaire du rite romain introduite par le Motu Proprio Summorum Pontificum.

En préambule de cette première lettre, consacrée à l'Allemagne, nous présentions les raisons de notre enquête dont voici une synthèse :

Trop de nos pasteurs ne voulant pas admettre qu’il existe bien de nombreux groupes de demandeurs de célébrations extraordinaires dans leurs paroisses, nous voulons simplement démontrer qu’indépendamment des demandeurs mis à l’écart, il existe aujourd’hui, et ce partout à travers le monde, des centaines de cas où la simple application partielle du Motu Proprio permet de constater l’existence de demandes à satisfaire avec bonté et charité (et, s’agissant d’un droit, en justice).
Notre attention se portera en particulier sur les fidèles qui tout en bénéficiant d’une application partielle du Motu Proprio sont néanmoins privés de messe dominicale hebdomadaire ou de messe dominicale tout court.

Ceux qui le désirent peuvent se reporter à notre lettre 237 pour l'explication de notre méthodologie.

Cette semaine, notre regard se porte sur l'Italie, pays qui a vu, entre 2007 et 2010, le nombre de messes célébrées selon le missel du Bienheureux Jean XXIII multiplié par 4 (d'une trentaine en 2007 à 120 aujourd’hui, sans compter toutes les messes célébrées par la FSSPX).

Un grand nombre de ces nouvelles célébrations, il est bon de le signaler, car cela distingue l'Italie de la France, sont le fait non pas d'un groupe de laïcs mais de la propre initiative du curé du lieu. 

I – LE BILAN ITALIEN

En octobre 2009, en partenariat avec l'institut Doxa, Paix Liturgique publiait le premier de ses sondages internationaux (voir lettre de Paix Liturgique n°200). Réalisé en Italie, celui-ci révélait que 1 catholique transalpin sur 3 assisterait volontiers, au moins une fois par mois, à la forme extraordinaire de la messe si celle-ci était célébrée dans sa paroisse sans se substituer à la forme ordinaire. Un chiffre qui s'accroissait jusqu'à 63% chez les pratiquants réguliers.

Pourtant, jusqu'au Motu Proprio Summorum Pontificum, la célébration de la liturgie traditionnelle était plus que marginale au pays de Dante : une trentaine de messes (pour plus de 200 diocèses). Ce qui démontrait que dans un pays sociologiquement encore très catholique, les fidèles préféraient garder le silence et subir la situation plutôt que de montrer leur insatisfaction, par « légitimisme » vis-à-vis du clergé, ce que la faible implantation de la FSSPX dans le pays confirme d'ailleurs.

Les sites messainlatino.it et unavox.it constituent les sources principales de nos informations italiennes.

A – Nombre de lieux où la forme extraordinaire n'est proposée qu'en semaine et pas le dimanche :
39 sur un total de 120 célébrations, soit 32,5%.

B – Nombre de lieux où le Motu Proprio n'est offert qu'un dimanche de temps à autre et pas tous les dimanches :
17 sur un total de 120 célébrations, soit 14,1%.

C – Nombre de lieux où la messe est dominicale et hebdomadaire mais à un horaire non familial (avant 9h30 et après 12h le matin, avant 18h et après 18h45 le soir) :22 sur un total de 120 célébrations, soit 18,3%.

D – Nombre de lieux où la messe est dominicale, hebdomadaire et à un horaire familial, donc où le Motu Proprio est appliqué avec Amour et Charité :42 sur un total de 120 célébrations, soit 35%.

E - Nombre de lieux où la messe est célébrée par la FSSPX :25 mais 8 seulement où la messe est dominicale, hebdomadaire et à un horaire familial. 

II – LES REFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Avec 42 messes dominicales hebdomadaires célébrées à des horaires familiaux (soit 35%), l'Italie fait mieux que l'Allemagne (30 pour 22,5%).
Le fait que l’application du Motu Proprio soit souvent de l’initiative du curé y est sans doute pour quelque chose. On touche là à l’une des difficultés du Motu Proprio, lequel demande l’existence et la « prise de parole » d’un groupe stable pour qu’une célébration soit organisée. C’était de la part du Saint-Père une manière très pragmatique de légitimer et d’encourager ce qui avait lieu précédemment, spécialement en France. Mais en soi, dans une situation redevenue normale, c’est le curé qui devrait prendre l’initiative pastorale et faire en sorte que le groupe se déclare, car sans cela souvent il n'ose entamer une démarche qui trop souvent apparaitrait comme "revendicative".
Quand le curé ne se contente pas de répondre positivement à la demande des fidèles (ce qui est déjà beaucoup) mais souhaite de lui-même célébrer la forme extraordinaire, on peut imaginer qu'il se mette dans les conditions les meilleures pour que l’application soit une réussite (information des fidèles sur l’existence de cette célébration, horaire familial, formation à cette forme liturgique…).
Toutefois ce chiffre reste encore faible. Seule 1 messe traditionnelle sur 3 est célébrée chaque dimanche à un horaire familial. Or, c’est bien ce type de célébrations qu’il faut prendre en compte pour mesurer la réelle application du Motu proprio dans les diocèses…

2) Le fait qu'il n'y ait qu'une messe FSSPX pour 5 messes "forme extraordinaire" montre que le désir de liturgie traditionnelle dépasse largement le cercle des « suiveurs » de Mgr Lefebvre, comme on dit en Italie, et même des fidèles des messes célébrées par des prêtres Ecclesia Dei. Plus encore qu’en France, le « légitimisme » des catholiques italiens fait qu’ils pratiquent beaucoup moins que les catholiques français la « pratique élective » et qu’ils attendent la célébration traditionnelle dans leur paroisse propre. C'est d'ailleurs cet attachement que le sondage Doxa pour Paix Liturgique avait mesuré l'an dernier.

3) 78 messes sur 120 ne sont pas encore des messes dominicales hebdomadaires à un horaire commode pour les familles. La marge de progression existe donc puisqu'il s'agit de 2 messes sur 3 (65% précisément). Et comme un bon nombre de ces messes sont le fait de curés introduisant prudemment la liturgie ancienne dans leur paroisse, on ne peut qu'être confiant dans le fait qu'elles seront d'ici peu transformées en célébrations dominicales régulières.

4) Ces 78 célébrations démontrent bien l'existence de groupes de fidèles, et de prêtres pour célébrer, dans quasiment tous les diocèses du pays.
L'on touche ici à ce qui devrait être au cœur des rapports adressés à Rome par les évêques : la non-satisfaction de demandes réelles et stables puisque les fidèles répondent présents, que la messe soit dite en semaine ou un dimanche de temps à autre. Un moyen simple de "porter remède" - comme le souhaitait le Saint-Père dans sa lettre aux évêques du 7 juillet 2007 - aux difficultés rencontrées par les fidèles concernés par ces messes serait tout simplement de leur octroyer la messe dominicale hebdomadaire.
À la différence des sondages – pourtant réalisés par des organismes professionnels et indépendants – les demandes insatisfaites mises en lumière par ce type de célébrations est incontestable : il y a bien un prêtre qui sait, qui peut et qui accepte de célébrer cette messe de semaine ou cette messe dominicale occasionnelle ; il y a des fidèles qui y assistent (fidèles qui seraient naturellement plus nombreux si la messe était célébrée le dimanche plutôt qu’en semaine et chaque dimanche plutôt que de temps en temps…). Toutes les conditions sont donc réunies pour appliquer dans ces endroits le Motu proprio honnêtement et charitablement.
À moins que le fait de mettre en place des célébrations de messes en semaine constitue une manœuvre visant à gonfler les statistiques et dire que l'on applique le Motu Proprio tout en le neutralisant ? Rappelons en effet que 99 % des fidèles pratiquants ne vont à la messe que le dimanche et pas en semaine.

5) La résolution de la difficulté énoncée précédemment marquerait une étape décisive dans la longue marche vers l'établissement d'une paix liturgique durable dans les diocèses en ne faisant plus des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle des fidèles de seconde zone. Ce serait un signe fort de vraie charité chrétienne de la part des curés et des prélats concernés que de transformer les nombreuses célébrations "ad experimentum" ou non hebdomadaires en célébrations dominicales de plein droit. Aucune tension n'est à craindre puisqu'il s'agit de paroisses où la cohabitation des deux formes liturgiques est en place depuis des mois et où leur "enrichissement mutuel" s'est manifesté peu à peu le plus souvent dans la paix et la charité.

6) Si la situation italienne est, de par l'accroissement des célébrations, fortement encourageante, il faut néanmoins tenir compte, pour bien analyser cette photographie, de la situation à l'été 2010, du fait que dans un pays qui compte 26 000 paroisses, moins de 42 d'entre elles appliquent sereinement le Motu Proprio Summorum Pontificum, soit 0,16% alors que les sites italiens démontrent que des demandes sérieuses se sont faites connaître dans plus de 100 autres paroisses urbaines. La route vers l'enrichissement mutuel des deux formes de l'unique rite romain, comme souhaité par le Saint-Père, est encore longue... Nous continuerons à nous en faire l’écho.

[Présent - Jean Madiran] Le rendez-vous de septembre

SOURCE - Présent n° 7141 - Jean Madiran - 23 juillet 2010

Le Motu proprio du 07.07.07, libérant la messe catholique traditionnelle de l’interdiction invalide qui pesait sur elle, avait fixé son entrée en vigueur au mois de septembre 2007. La lettre l’accompagnant annonçait que l’on ferait le point dans trois ans. Nous y voici, en septembre prochain. Les criminels eux aussi seront au rendez-vous.

Un journaliste allemand du Tagepost a récemment interrogé à ce sujet le cardinal Canizarès, préfet de la Congrégation du culte divin. Il lui a demandé si, au cours de ces trois années, l’ambiance dans l’Eglise s’était améliorée depuis que le Motu proprio avait rencontré l’« accueil enthousiaste » d’une petite minorité et la « dure opposition » d’une majorité. Le Cardinal a répondu :

— Dans les grandes lignes, le climat est resté le même.

L’opposition reste dure, de la dureté qui est celle du crime.

Car l’interdiction, dans l’Eglise catholique, de la messe catholique traditionnelle, n’a pas été une sorte d’inadvertance accidentelle. Elle a été un abus de pouvoir gravement criminel, qui s’est imposé dans l’Eglise avec une assurance insolente. Un seul cardinal a publiquement déclaré en 1971 : « Le rite traditionnel de la messe selon l’Ordo de saint Pie V n’est pas, que je sache, aboli. » Il s’appelait Alfredo Ottaviani (1890-1979). Honneur à lui.

Quelqu’un avait averti, dans la revue Itinéraires de janvier 1970 : « Qu’on n’imagine pas que l’on pourra aisément faire l’aller et retour d’une messe à l’autre. Ce qui est interrompu sera perdu pour longtemps. Ce qui est brisé ne se raccommodera pas au commandement. » On le vérifie aujourd’hui.

L’interdiction criminelle a été officiellement reconnue comme invalide par Benoît XVI, sans expliquer en quoi le crime a consisté. Cette discrétion était pour permettre de tourner pacifiquement la page. Mais les responsables du crime et leurs héritiers n’ont pas désarmé. Ils ont poursuivi leur persécution des prêtres et des laïcs fidèles à la messe catholique traditionnelle. Ils ont réussi à faire qu’aujourd’hui la majorité des fidèles et des prêtres ayant moins de quarante-cinq ans n’ont jamais vu une messe traditionnelle et ne savent même pas de quoi il s’agit. La plupart des évêques et des prêtres ont été, à un degré plus ou moins grand, responsables d’une telle situation. Ils ne se sont jamais entendu dire publiquement que cette situation est le résultat épouvantable d’un crime, le leur. Cette impunité morale est devenue trop nuisible, elle doit cesser.

Pour la plupart, ils sont morts sans doute, les auteurs de l’ordonnance du 12 novembre 1969, de la notification du 28 octobre 1974, de l’ordonnance du 14 novembre 1974, de l’allocution du 24 mai 1976 et de tous autres documents criminels. Mais leurs héritiers ont assumé et entretenu l’héritage du forfait. Encore aujourd’hui, la plupart des épiscopats, ou de leurs noyaux dirigeants, continuent d’organiser leur « dure opposition » au sein même de la curie romaine et même, semble-t-il, jusqu’au cœur de la secrétairerie d’Etat. Halte au crime !

L’état général du clergé (et de sa hiérarchie) est tellement dégradé, avec sa déstructuration mentale, sa foi anémiée, sa charité refroidie, qu’il faut sans doute prendre beaucoup de précautions dans le gouvernement de l’Eglise. Jean-Paul II a préféré temporiser sur la messe. Benoît XVI a temporisé deux ans avant de publier le Motu proprio déjà prêt sous Jean-Paul II. Peut-être choisira-t-il en septembre de temporiser encore, comme il a temporisé pour le curé d’Ars. Il ne convient pas de le lui reprocher. Le Pape est seul juge en la matière. Mais la libre parole du simple laïc dit en face aux héritiers et complices de la malfaisante interdiction que leur abus de pouvoir a été et demeure un crime.


Article extrait du n° 7141 de Présent du Vendredi 23 juillet 2010

20 juillet 2010

[Joël Cerutti - Le Matin] Pas de messe pour le mort

SOURCE - Joël Cerutti - Le Matin - 20 juillet 2010

L'église de Troistorrents a refusé de célébrer une messe d'enterrement pour un habitant de la commune. Motif? C'était un fidèle d'Ecône
Cet avis mortuaire dans les pages de 24 heures ne ressemble pas aux autres. En lisant ses dernières lignes, on découvre que le défunt a été interdit dans l'église de Troistorrents, commune où il a passé toute sa vie. La famille le souligne avec une certaine véhémence (voir ci-dessous).

Que s'est-il passé? A la cure de Troistorrents, l'abbé Philippe Aymon ne cache rien. «Les fidèles d'Ecône ne peuvent pas utiliser une église catholique, précise-t-il immédiatement. Ce n'est pas moi qui l'ai décidé. Il s'agit d'une directive diocésaine!» A-t-il ressenti une aigreur de la part de la famille? «Non, pas du tout, j'ai eu le fils du défunt au téléphone. Il a été tout à fait correct.» L'abbé Philippe Aymon a suivi des consignes venues de Sion. A quand remonte cette directive?

Interdiction rarissime

L'évêché étant en vacances jusqu'au 7 août, l'abbé Robert Zuber, de la paroisse de Sierre, sonde sa mémoire à la recherche d'une explication: «Au début des années 1990, lorsque j'étais dans le val d'Anniviers, je me souviens qu'il y a eu deux enterrements de fidèles d'Ecône. Ils se sont très mal comportés dans les églises, en n'ayant aucun respect du matériel et des lieux. Je crois que la directive est partie de là.»

Un épisode de plus dans les relations houleuses entre le Vatican et la Fraternité Saint-Pie X basée à Ecône (VS). Depuis lors, l'interdiction est totale mais rarissime. «En 23 ans, c'est la seconde fois que je suis confronté à ce problème», nous dit l'abbé Philippe Aymon. «Cela fait 31 ans que je suis prêtre, jamais je n'ai rencontré ce type de situation», reprend l'abbé Bernard de Chastonay à Sion. Zéro cas également du côté de Martigny où le chanoine François Lamon officie depuis six ans.

Comment Ecône vit cette exclusion? La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X ne répond pas à la presse. Selon nos interlocuteurs, elle possède ses propres lieux de culte dans tout le Valais pour accompagner ses fidèles dans leur dernière demeure.

17 juillet 2010

[Paix Liturgique] Le ministre de la liturgie du pape: "Il faut un virage à 180°!"

SOURCE - Paix Liturgique, lettre 239 - 17 juillet 2010

À l'occasion des trois ans du motu proprio Summorum Pontificum, le quotidien catholique allemand Die Tagespost a publié le 12 juillet un entretien avec le Cardinal Cañizares, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements.

Paix Liturgique vous en livre une traduction exclusive, accompagnée de ses réflexions.

I - LE DOCUMENT "IL FAUT UN VIRAGE À CENT QUATRE-VINGT DEGRÉS"

Entretien réalisé par Regina Einig,publié dans Die Tagespost du 12/07/2010.

Éminence, dans sa Lettre aux évêques accompagnant le MP Summorum Pontificum, le Saint Père parlait de réactions allant "de l'acceptation joyeuse à une dure opposition" : le climat a-t-il changé depuis ?

Cardinal Cañizares: Dans les grandes lignes, le climat est resté le même. Je crois toutefois qu'un mouvement s'est mis en marche. L'on comprend désormais beaucoup mieux de quoi il s'agit dans ce motu proprio. Il y a une meilleure compréhension de la liturgie, et ce dans la tradition de l'Église. Il en va de même pour l'herméneutique de la continuité. Tout cela non seulement est favorable à l'acceptation et à l'application du motu proprio, mais permet aussi d'enrichir le renouvellement liturgique et de le faire progresser dans la mesure où l'esprit de la liturgie s'en trouve revivifié.

En France, deux séminaires diocésains initient leurs séminaristes aux deux formes du rite romain. Que pensez-vous de ce modèle ?

Cardinal Cañizares : Il n'existe qu'une seule liturgie. En conséquence, les deux formes de célébration du rite romain s'inscrivent aisément dans un même enseignement - justement parce qu'il s'agit d'une seule et même liturgie. Il faut observer en outre, en raison de l'herméneutique de la continuité, que si l'Église n'en est pas restée au Missel de Jean XXIII, elle n'a pas non plus rompu avec lui. La tradition de l'Église continue d'être intégrée dans l'évolution du concile Vatican II. C'est pourquoi la formation liturgique doit toujours demeurer fondée, pour tout le monde, sur la constitution Sacrosanctum Concilium. Compte tenu de la richesse du rite romain dans l'ensemble de sa tradition – dont font partie le Missel de Jean XXIII et la réforme liturgique qui a fait suite au Concile - les deux formes de célébration ne peuvent s'opposer. Elles sont l'expression de la même richesse liturgique.

Partagez-vous l'opinion de l'évêque de Toulon qui considère comme idéal de former ses séminaristes aux deux formes de célébration ?

Cardinal Cañizares : L'évêque de Toulon, qui est un homme remarquable, s'efforce de voir toute la tradition de l'Église à la lumière de l'herméneutique de la continuité. Et comme la constitution Sacrosanctum Concilium reste valide, il dispense une unique formation, qui intègre la célébration selon les deux formes du rite romain. Il est évident que cette formation donne de bons résultats à Toulon.

Quels éléments de la forme extraordinaire pourrait-on intégrer dans la forme ordinaire du rite?

Cardinal Cañizares : Le sens du Mystère et du Sacré et surtout le sens profond de la toute-puissance de Dieu. Il s'agit de la grandeur et du mystère de Dieu. En fait, l'Homme est toujours indigne de participer à ce don de Dieu qu'est la liturgie. Nous devons à nouveau reconnaître le droit divin, le "ius divinum" - et le plus tôt sera le mieux. Aujourd'hui, la liturgie apparaît souvent comme une chose sur laquelle l'homme a un droit et dans laquelle il se fait acteur, attitude qui reflète la sécularisation de notre société, tandis que d'autres aspects sont éclipsés. Il en résulte que la réforme de Vatican II n'a pas déployé toute la richesse et toute la grandeur espérées.

Que conseillez-vous aux prêtres ? Par quoi doivent-ils commencer ?

Cardinal Cañizares : Dans la forme extraordinaire, comme c'est prévu, les prêtres doivent se préparer à la célébration de la messe. Il en va ainsi pour l'acte pénitentiel et la conscience du fait que, dans le fond, nous ne sommes pas dignes de la célébration, mais que nous mettons notre confiance dans la miséricorde et le pardon de Dieu pour nous approcher ainsi à la présence de Dieu dans la célébration. L'offertoire, tel qu'il est décrit dans les textes des prières, est un trésor que nous ne devons pas oublier. Il est l'expression d'une attitude profonde que nous devrions intérioriser.

Dans sa Lettre aux évêques, le Saint Père a souligné que le motu proprio est un acte de réconciliation interne à l'Église. Comment jugez-vous le débat sur les ordinations non autorisées de la Fraternité Saint Pie X ?

Cardinal Cañizares : Les ordinations constituent un moment sensible dans une époque de décisions difficiles. Il aurait été très souhaitable d'attendre avant d'ordonner des prêtres, car s'il existe un jour, une occasion concrète d'ouverture et une possibilité de s'entendre, cette chance peut se trouver gâchée du fait des ordinations.

Un mot-clé : Les Journées Mondiales de la Jeunesse à Madrid en 2011 : que conseillez-vous aux jeunes qui ont la curiosité de s'intéresser à la messe d'autrefois ?

Cardinal Cañizares : Les jeunes doivent être élevés dans l'esprit de la liturgie. Les cantonner à l'une ou l'autre forme sur fond de polémique serait une erreur. Ils doivent être amenés à l'adoration et à l'esprit du Mystère. Il s'agit de leur transmettre le sens de la louange et de l'action de grâce - et tout ce qui a fait la célébration liturgique de l'Église à travers les âges. Aujourd'hui, c'est surtout la formation liturgique qui manque aux jeunes - indépendamment de la forme qu'ils défendent en particulier. C'est le grand défi pour l'Église de demain, y compris pour la Congrégation pour le Culte Divin. Nous avons besoin aujourd'hui, d'un nouveau mouvement liturgique semblable à celui qui existait aux XIXème et XXème siècles. Il ne s'agit pas de l'une ou l'autre forme, mais de la liturgie en tant que telle.

Et comment ce nouveau mouvement liturgique peut-il devenir réalité ?

Cardinal Cañizares : Nous avons besoin d'une nouvelle initiation au Christianisme. Y compris pour les enfants et les jeunes. Une initiation à la liturgie ne consiste pas à savoir quelque chose sur la célébration, bien que cela soit, bien entendu indispensable, au sens théologique et doctrinal. Les jeunes et les enfants doivent assister à des liturgies célébrées très dignement et qui soient totalement empreintes du mystère de Dieu et dans lesquelles chacun se sache impliqué. Participer activement ne signifie pas faire quelque chose, mais entrer dans l'adoration et dans le silence, dans l'écoute et dans la demande et dans tout ce qui constitue vraiment la liturgie. Tant que cela ne se fera pas, il n'y aura pas de renouvellement liturgique. Nous devons opérer un virage à cent quatre-vingts degrés. La pastorale des jeunes doit être un lieu où se produit une rencontre avec le Christ vivant dans l'Église. Là où Jésus Christ apparaît comme un personnage d'hier, il ne peut y avoir de formation liturgique ni de participation active. Tant que l'on n'aura pas repris conscience de la présence du Christ vivant, ce renouveau si impératif ne se produira pas. 

II - LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Le Cardinal Antonio Cañizares Llovera est Préfet de la Commission pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements. Autrement dit, c'est le numéro 1 de la Curie pour tout ce qui concerne l'ars celebrandi.
Par sa fonction, il est celui qui dans l’Eglise, en dehors des signes donnés par le Pape lui-même lors des célébrations pontificales, est responsable de l’application de la norme en matière de liturgie. Entré en fonction en 2008, le cardinal Cañizares a d'ores et déjà amplement démontré sa disposition personnelle à obéir au Saint Père et à célébrer, quand cela lui est demandé, la forme extraordinaire du rite romain. Il l'a notamment célébrée dans la basilique Saint Jean de Latran pour les Franciscains de l'Immaculée l'an dernier et vient de procéder à l'ordination de 5 nouveaux prêtres de la Fraternité Saint Pierre.
Ses propos ne sont donc pas ceux d'un ecclésiastique de second rang mais bien d'un prélat de premier plan. Ils sont à considérer avec d'autant plus d'attention que le cardinal espagnol n'est pas réputé pour pratiquer la langue de buis.

2) En affirmant que le climat vis-à-vis du Motu Proprio Summorum Pontificum est "resté le même" depuis 2007, le cardinal confirme ce que tout un chacun peut encore constater au niveau paroissial et diocésain, en France comme à l'étranger. A l’heure des bilans des trois premières années d’application du Motu Proprio à travers le monde, la clairvoyance et la maîtrise de son sujet de ce très proche collaborateur du Saint Père sont particulièrement rassurants. Le climat est resté le même et l’on constate toujours aussi peu d’empressement de la plupart des évêques à suivre le Saint Père dans son œuvre de restauration et de pacification. Voilà un élément important dont Rome tiendra compte lors de l’appréciation des bilans officiels des différentes commissions épiscopales.
Cependant, par-delà les résistances idéologiques et le conservatisme postconciliaire, un mouvement se dessine comme en témoigne l'intérêt croissant des jeunes prêtres pour les trésors de la liturgie traditionnelle. Le cardinal Cañizares le sait bien et souligne, comme d'autres avant lui (Monseigneur Nicola Bux par exemple), combien le sens du Sacré et du Mystère Divin peut se renforcer et grandir au contact de la forme extraordinaire.

3) Tout en précisant que la forme extraordinaire n'est en réalité pas (encore ?) enseignée au sein même du séminaire de Fréjus-Toulon mais que les séminaristes sont libres de s'y former au sein de leur communauté d'origine si celle-ci le permet, il faut s'arrêter un instant sur le jugement porté par le "ministre de la liturgie" du Saint Père sur Mgr Rey. En qualifiant l'évêque de Fréjus-Toulon d'homme "remarquable", le cardinal Cañizares signifie clairement que l'action entreprise à Toulon est suivie de près à Rome. Nous ne pouvons que nous féliciter d'une telle indication car si les laïcs ont un grand rôle à jouer dans le nouveau mouvement liturgique engagé par le Souverain Pontife, il est essentiel que l'élan romain soit répercuté et décuplé par nos pasteurs, diocésains comme paroissiaux.
On se souviendra au passage, de manière anecdotique, que l’évêque français que le Cardinal prend en exemple et qualifie d’homme remarquable est celui dont Mgr Philippe Gueneley, évêque de Langres (seulement 3 séminaristes en formation pour tout le diocèse), critiquait publiquement l’action le 23 août 2009, à la sortie d’une messe.
D’autres évêques, et non des moindres, avaient quelque peu dénigré l’évêque de Fréjus-Toulon.
L’entretien qui précède insiste à juste titre sur l’éducation dans les séminaires à la forme extraordinaire. En vérité, il importerait beaucoup que les organismes romains en charge de la liturgie, la Congrégation pour le Culte divin et la Commission Ecclesia Dei, puissent s’appuyer avec confiance sur un certain nombre d’évêques français. Compte tenu de l’évolution notable d’une partie des séminaristes français, cette question de l’éducation à la forme extraordinaire à l’intérieur des séminaires de France ne peut en effet que devenir un élément décisif dans les temps à venir de la syntonie qui doit s’établir entre un nombre important d’évêques de France et le Saint-Siège. Le Motu Proprio concerne les paroisses, mais son application se prépare dans les séminaires : or les difficultés restent grandes, et rien n’est encore joué de ce point de vue.

4) Enfin, et c'est l'essentiel peut-être de cet entretien qui respire la franchise et la vérité, pour donner vie à un nouveau mouvement liturgique, au sens que ce terme a eu dans les siècles précédents, il convient d'opérer "un virage à 180°".

Soit un demi-tour, comme celui qui permettrait au célébrant de la liturgie postconciliaire de se retrouver, de nouveau, tourné vers le Seigneur.

[Eric Chopin - Ouest France] Un prêtre du Christ-Roi pour la messe en latin - Saint-Brieuc

SOURCE - Eric Chopin - Ouest France - 17 juillet 2010

Chaque dimanche, à 10 h 30, l'Institut du Christ-Roi célèbre, à la basilique Notre-Dame-d'Espérance, la messe selon la liturgie romaine antérieure au concile Vatican II. En latin.

Depuis 2007 déjà...

Depuis septembre 2007, la basilique Notre-Dame-d'Espérance accueille chaque dimanche, à 10 h 30, une messe célébrée selon la liturgie romaine antérieure au concile Vatican II. Appelée messe de Pie V, pape qui a promulgué ce missel en écho aux orientations du concile de Trente (1546-1563), cette messe est dite en latin, avec un célébrant en chasuble le dos tourné au peuple. Pour la communion, les fidèles se présentent à genoux, l'hostie est déposée sur la langue. Entre soixante et quatre-vingt personnes assistent en moyenne à cette messe.

Pourquoi ?

Le diocèse a initié cette messe dans la foulée du « motu proprio » (texte de sa propre initiative) du pape Benoit XVI invitant, le 7 juillet 2007, l'Église à proposer cette liturgie. Pas pour revenir en arrière : le pape réaffirmait son attachement au Concile Vatican II. Mais pour permettre aux fidèles attachés à cette tradition de pouvoir retrouver leur compte au sein de l'Église, sans aller chercher du côté de l'intégrisme. Mgr Fruchaud s'est inscrit dans cette ligne. Redisant son « total engagement » dans le sens du Concile, l'évêque souhaitait ainsi « faire avancer le diocèse sur les chemins de la paix et de l'unité ».

Ce qui change aujourd'hui ?

Jusqu'ici, les célébrations étaient assurées par des prêtres du diocèse. Ceux-ci ont souhaité, en raison de leur âge, en être déchargés. Le diocèse a donc décidé de faire appel à un jeune prêtre ordonné le 30 juin à Florence, membre de l'Institut du Christ-Roi Souverain-Prêtre. Il doit prendre ses fonctions à la rentrée. Mais depuis dimanche dernier, ce sont des prêtres remplaçants, issus de ce même Institut du Christ-Roi qui officient à la basilique. Outre le service liturgique dominical, certains sacrements et les obsèques pourront être assurés dans les paroisses.

Pourquoi le Christ-Roi ?

L'Institut du Christ-Roi Souverain-Prêtre est une société de vie apostolique reconnue par Rome. Elle pratique la liturgie d'avant Vatican II. Si le diocèse a fait appel à elle, c'est parce qu'elle reste ouverte à l'esprit conciliaire. Par exemple, les prêtres du Christ-Roi, bien que célébrant habituellement selon la messe de 1962, acceptent de célébrer la messe avec le missel du Concile Vatican II et du pape Paul VI, et de concélébrer avec l'évêque à l'occasion des grands événements de la vie du diocèse.

Le diocèse rassure

L'appel à l'Institut du Christ-Roi va interroger certains prêtres et laïcs. Le diocèse prend les devants en rappelant que le prêtre sera nommé au sein d'une paroisse (Saint-Guillaume), qu'il sera sous l'autorité du curé de la cathédrale, qu'il assurera un travail de secrétariat au sein de l'évêché. Enfin, ce prêtre sera étudiant à mi-temps à l'Institut Catholique de Paris, lieu emblématique de l'esprit du Concile Vatican II.

Éric CHOPIN

[IBP] Encouragements du Cardinal Canizares

SOURCE - Abbé Philippe Laguérie - IBP - 17 juillet 2010

Le Cardinal Canizares était pressenti pour procéder aux ordinations du 10 juillet à Saint-Eloi (Cf. post précédent). Il en a été empêché. Mais il a tenu à nous faire tenir ce petit mot chaleureux où il annonce même une prochaine visite. Nous l’en remercions très vivement ! Voici son texte.

Chers amis de l’Institut du Bon-Pasteur,

Je regrette de ne pouvoir, cette fois-ci, être présent parmi vous pour présider les Ordinations, comme il était prévu. J’espère pouvoir le faire dans une autre occasion, prochaine. En tous cas, je veux en profiter pour vous exprimer, spécialement à ceux qui seront ordonnés samedi 10 juillet, mes plus vifs sentiments de joie et d’amitié dans le Christ-Prêtre.

Je prie Notre Dame de guider les pas du nouveau prêtre et des nouveaux diacres et sous-diacres, ainsi que tous ceux de l’ Institut du Bon-Pasteur, sur le chemin de la sainteté à l’école du Saint curé d’Ars, pour rendre de plus en plus patent dans notre monde l’amour du Cœur du Christ, la seule force qui peut tout remplir de pardon et d’espérance, d’amour et de miséricorde, de lumière et de vérité.

En vous assurant de ma prière, je supplie pour vous la bénédiction de la Sainte Trinité.

Vatican, le 7 juillet 2010 ;

Antonio, Card. Canizares Llovera

Pref. Congregatio de Cultu Divino et Disciplina Sacramentorum.

[Le Matin Dimanche - Christine Salvadé] Abbé Yannick-Marie Escher: «Monseigneur, à l'heure où vous lirez ces lignes, je serai parti»

SOURCE - Le Matin Dimanche - Christine Salvadé - 17 juillet 2010

Le chanoine Yannick-Marie Escher est né il y a 36 ans à Sion. Il est arrivé à Saint-Maurice après un apprentissage de commerce.

L'abbé Yannick-Marie Escher, 36 ans, a quitté l'Abbaye de Saint-Maurice pour rejoindre Ecône. Il a laissé une lettre de cinq pages à son supérieur, a pris ses livres, désactivé téléphone portable et adresses e-mail, et s'est enfui. Il est actuellement dans un lieu de retraite tenu secret. Peu avant son départ, il avait informé des étudiants dont il était proche. A Saint-Maurice, c'est le choc.

Le soir du 29 juin, Mgr Joseph Roduit a reçu l'un des coups les plus violents de sa longue vie à l'Abbaye de Saint-Maurice. Sur la table de son bureau, le père abbé a trouvé une lettre de cinq pages signée d'un des trois chanoines qui enseignent au collège, l'abbé Yannick-Marie Escher, 36 ans. Le professeur de français et de religion lui signifiait qu'il avait quitté l'Eglise traditionnelle pour rejoindre Ecône: «A l'heure où vous lirez ces lignes, je serai parti.» Quelques jours auparavant, le 7 juin, il avait signé dans le plus grand secret son entrée dans la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X.

Une fugue! Yannick-Marie Escher a soigneusement vidé son bureau, pris les livres, le téléphone portable et quelques affaires. Il a écrit la lettre, envoyé une copie par la poste à chacun de ses quarante-quatre confrères et s'est retiré dans un lieu tenu secret. Quelques jours avant, il avait désactivé son portable et ses adresses e-mail.

«C'est la consternation, raconte Mgr Roduit. Il n'en a pas parlé à ses collègues ni à son directeur de conscience. Il n'a suivi que sa propre conscience.» Le père abbé se retient d'utiliser le mot de «trahison», il veut qu'on respecte la souffrance de la communauté et celle du chanoine qui a fait défection. Mais le sentiment est là. Quand Yannick-Marie Escher est arrivé à l'abbaye, il n'avait fait qu'un apprentissage de commerce. «On lui a donné la possibilité de faire une maturité et une licence en théologie. Quand il est entré au collège comme professeur, on lui a confié énormément de responsabilités. Ce départ, c'est comme quelqu'un qui part sans payer...» Lorsqu'on évoque la défection d'un autre chanoine, qui est devenu bonze il y a quarante ans, monseigneur sourit. Cette fois-ci, ça n'a rien à voir: Ecône renie Vatican II, estime que les papes font fausse route. Entrer à Ecône, c'est changer de confession, renier ses voeux. C'est grave, on ne pouvait pas lui faire plus mal.

Ce que le père abbé redoute le plus, c'est la trace que cet événement va laisser chez les étudiants. Yannick-Marie Escher était un des chanoines qui avaient le plus de contacts avec les 1200 jeunes du collège. On lui avait confié l'aumônerie, un lieu récemment agrandi, où les étudiants venaient parler, lire, regarder des films. Il savait aider ceux qui connaissaient des problèmes scolaires ou familiaux, adorait parler de séries télé. «Il était dynamique et il avait de l'humour», se souvient Valentine, présidente de l'Agaunia, la société d'étudiants qui anime actuellement un camp de vacances où le chanoine Escher aurait dû venir dire la messe dimanche dernier. On a envoyé un remplaçant, sans explication.

Mais que s'est-il vraiment passé? Mgr Roduit ne veut pas dévoiler le contenu de la lettre. Il a rapidement communiqué l'information pour qu'on n'imagine pas «une histoire de pédophilie» ou un amour caché.

Quelques jours avant de fuir, Yannick-Marie Escher s'était confié à deux ou trois étudiants dont il était devenu très proche. «Il m'a lu la lettre dans son bureau, dit Simon*. Yannick, ça a été un prof, puis un proche, et c'est devenu un ami. Il a fait de moi un catholique. Je peux vous assurer que son choix est spirituel, il ne faut pas aller chercher autre chose. C'est une question de fond, il voulait vivre son sacerdoce d'une manière plus authentique, plus conservatrice. Ce n'est qu'une réorientation professionnelle, ça pourrait arriver à un maçon!»

Simon relativise le changement de cap du chanoine

Escher: «Les différences entre Ecône et l'Eglise catholique tendent à disparaître. Ce n'est pas parce qu'on passe à Ecône qu'il faut en faire un «Infrarouge!» dit-il. Yannick-Marie Escher a promis de garder contact avec certains étudiants. Ce que Mgr Roduit voudrait absolument éviter. «En choisissant de se confier aux enfants, il a parlé aux plus faibles et à ceux qu'il pouvait dominer, sans réfléchir aux conséquences désastreuses», déplore le père abbé. Dans sa lettre, Yannick-Marie Escher avouerait avoir déjà hésité entre Ecône et Saint-Maurice au moment où il est entré à l'abbaye. «Il jugeait que nous n'étions pas assez pieux, pas assez prêtres, nous avions des discussions-là dessus, mais jamais auparavant il ne m'a fait part de son admiration pour Mgr Lefebvre.»

Pour fuir sa vie de chanoine, Yannick-Marie Escher a consciencieusement choisi la date de la Saint-Pierre et Saint-Paul, le jour où les prêtres prononcent leurs voeux. Ce jour-là, neuf prêtres étaient ordonnés à Ecône. «Celui qui fait un pas aussi radical doit avoir de forts arguments», observe un abbé catholique de Fribourg.

*Prénom d'emprunt

16 juillet 2010

[summorum-pontificum.fr] Exclusif SPO : un entretien avec l’abbé Guillaume de Tanoüarn (2)

SOURCE - summorum-pontificum.fr - 16 juillet 2010
Comme je l'ai annoncé ce matin (ICI) voici la suite de l'entretien exclusif que l'abbé Guillaume de Tanoüarn a accordé à ce blog. Il s'agit d'un texte important, qui mérite d'être lu attentivement tant il pose les questions importantes pour l'avenir. Même si pour des questions concernant la facilité de lecture j'ai décidé de publier en deux parties cet entretien il convient de ne pas dissocier les deux propos.

Ch. S.P.

Je vous arrête dans votre élan et j’en viens à aujourd’hui. Qu’a donc de spécifique la formation que l’IBP proposait à Rome ?

GdT : Le petit convict romain, dirigé avec l’enthousiasme et l’intelligence des personnes, qu’on lui connaît, par l’abbé René Sébastien Fournié, et dont l’abbé Laguérie m’avait nommé modérateur, offrait le premier avantage évident de se trouver à Rome et de faire chaque jour la démonstration que l’Institut du Bon Pasteur voulait être soluble dans l’Eglise romaine. Il me faut insister sur ce point : aucun groupe ne peut prétendre avoir le monopole de l’Eglise, qui, parce qu’elle est catholique, est véritablement universelle, universelle non seulement en droit mais en fait. C’est cette universalité de l’Eglise, loin de tous les communautarismes, loin de je ne sais quel communautarisme intégriste, que l’on apprend d’abord à Rome.

Concrètement comment cela se passait ? Les séminaristes avaient accompli dans des séminaires à l’ancienne leurs années de philosophie (la première partie du cursus) et ils suivaient à Rome des cours de théologie. L’avantage d’une telle organisation était double. On s’était donné trois ans pour « plier la machine », pour former des jeunes lévites à l’esprit des conseils évangéliques et pour leur donner un « esprit maison ». Et à Rome (ou ailleurs plus tard) on créait (ou on créerait) de la souplesse en réduisant un grand séminaire à de petits effectifs, ce qui permettait d’adapter à chacun la formation reçue. Par ailleurs, les séminaristes étaient intégrés dans une paroisse, dans laquelle, à travers le catéchisme et un contact systématique avec les fidèles, ils apprenaient leur futur état de prêtres de paroisse. Aujourd’hui, qu’on se le dise, on entre au séminaire de plus en plus tard, avec son histoire, les blocages qu’elle a produits, et la culture que l’on a pu édifier. Cette souplesse et cet apprentissage sur le tas sont donc bienvenus. Ajoutons qu’à Rome, les séminaristes avaient aussi la possibilité de choisir, selon les profils, entre des universités différentes : classicisme de la Sainte Croix, ouverture du Latran, tradition thomiste à l’Angélique etc. Vous me direz : le choix ne fait pas tout. Sans doute, mais il offre plus de chance pour qu’un candidat puisse découvrir le modèle qui lui convient.

– N’aviez-vous pas peur de perdre tout caractère propre dans cette possibilité de choix, peut-être trop grande justement ?

GdT : Il faut reconnaître – l’abbé Laguérie l’a souligné et c’est la raison qu’il a apportée pour la fermeture – que la Maison de Rome manquait de moyens humains, pour affirmer ce caractère propre, puisque l’IBP n’avait pu y envoyer qu’un seul prêtre permanent avec les séminaristes. L’abbé Fournié demandait à cor et à cri depuis trois ans d’avoir un assistant. Il sera temps de revenir sur ces opportunités manquées. Mais, en tout état de cause, cette carence était forcément toute provisoire, étant donné la jeunesse de notre Institut : quatre ans d’âge. Il aurait fallu en effet pouvoir proposer à nos étudiants des Travaux Dirigés pour une lecture cursive de la Somme théologique de saint Thomas (avec vérification d’un niveau élémentaire de latin, utile quand on célèbre et quand on prie dans cette langue) en y ajoutant l’étude de certains bons vieux cas de théologie morale, pour former les futurs confesseurs, dans le concret de la vie, à la prudence thomiste plutôt qu’à l’impératif catégorique d’Emmanuel Kant. J’avais personnellement commencé, en venant régulièrement depuis Paris, à donner des cours de pastorale autour d’une lecture critique du concile Vatican II. Avec ces petits effectifs, une telle formation était optimale.

Mais j’en viens au terme que vous utilisez dans votre question, celui de « caractère propre ». Justement, il existe déjà des grands séminaires à l’ancienne. Ecône reste une matrice féconde, comme viennent de le démontrer les dernières ordinations. Wigratzbad, Gricigliano font un travail magnifique. Pourquoi les copier ? Pour moi, il fallait, au sein de la Galaxie Ecclesia Dei, que l’IBP se démarque d’emblée et ne propose pas le même cycle de formation que ces deux séminaires, parfaitement bien huilés, pour ne pas courir le risque d’apparaître comme un concurrent tard venu de deux Maisons bien établies. La spécificité de l’IBP aurait commencé avec sa méthode de formation des clercs et cette spécificité initiale aurait, avec le temps, permis de former des prêtres pour des apostolats spécifiques.

A l’opposé de cette perspective initiale, qui est celle de nos statuts, signifier la fermeture du convict, c’est  affirmer que si la Maison de Rome devait fonctionner aujourd’hui ce serait forcément comme maison de troisième cycle pour la formation de gens qui sont déjà prêtres - autant dire une sorte d’hôtel pour prêtres en court ou long séjour, ce qui existe déjà partout à Rome. Clairement ce projet d’une Maison de troisième cycle (qui ne concernerait pas les séminaristes) ne trouvera certainement aucun financement dans l’état actuel, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises. Et dans ces conditions, il faudra fermer la Maison.

Mais je ne crois pas qu’on en arrivera à cette extrémité. J’ai voulu montrer par ces quelques mots que l’idée de cette Maison n’était pas un simple caprice, qu’elle était « racinée profond » - et dans nos statuts et dans une analyse globale de la situation du sacerdoce et de l’Eglise. Quand les racines sont profondes, un arbre coupé en pleine vigueur peut rejaillir immédiatement, en une nouvelle croissance. C’est ce que j’espère pour notre projet.

– Ne peut-on pas dire que votre approche – et donc votre espérance - reste très intellectuelle, très abstraite ?

GdT : Ecoutez, on ne se refait pas. J’ai beaucoup parlé de la formation intellectuelle pour trois raisons : d’abord parce que c’est mon rayon ; ensuite parce que j’ai réfléchi à la question, ayant rédigé, à la demande de l’abbé Laguérie, un projet complet de Ratio studiorum ; enfin parce que je crois vraiment que le « bon prêtre » à l’ancienne, qui sait un peu de latin pour dire sa messe et qui recrache des sermons tout préparés, en provenance d’officines spécialisées ou de recueils antiques, cela, c’est terminé. L’Eglise a besoin d’une vraie réforme intellectuelle. Benoît XVI en ce moment donne le la à ce sujet. Il me semble que nous autres traditionalistes, au seul motif que nous dirions la messe en latin, nous ne sommes pas dispensés de cet effort intellectuel, qui, à travers des textes comme le catéchisme de l’Eglise catholique, traverse toute la communauté chrétienne.

Mgr Lefebvre avait organisé sa Fraternité Saint-Pie X, en Occident, pour ce que j’appellerais « un public captif » qui se trouvait, avant son action, extraordinairement dépourvu de secours spirituel, à cause de la brutalité des réformes que tout le monde reconnaît aujourd’hui. C’est ce qu’il a appelé lui-même le cas de nécessité.

Mais aujourd’hui deux générations ont passé depuis 1969. Actuellement, le milieu traditionaliste naturel se rétrécit sans cesse. C’est un fait. Du point de vue pastoral, je suis bien placé, à Paris, pour dire qu’il n’y a (pratiquement) plus de public captif. Le public d’aujourd’hui, dans les églises, et je parle ici aussi pour le Centre saint Paul que je dirige, outre quelques familles solides par elles-mêmes, est un public de commençants ou de recommençants, un public qui pose des questions.

Attention cependant à l’usage que vous faites du terme « intellectuel » dans votre question. Je ne parle pas de je ne sais quelle mentalisation du Mystère chrétien. Cette cérébralisation, qui sévit d’ailleurs ici et là, serait absurde, comme a été absurde dans les années 50 - et terrorisant - le culte de l’érudition pour elle-même. L’objectif d’un éducateur du sacerdoce, d’un formateur de prêtre, c’est, par l’exemple personnel comme par l’enseignement, de donner aux jeunes dont il a la charge, un cœur intelligent.

Je crois à la première grâce reçue par l’IBP et si audacieusement exposée dans nos statuts et je sais qu’elle rejaillira sous une forme ou une autre, parce que l’Eglise en a besoin.

[summorum-pontificum.fr] Exclusif SPO : un entretien avec l’abbé Guillaume de Tanoüarn (1)

SOURCE - summorum-pontificum.fr - 16 juillet 2010
La reprise, sur ce blog, des très courts propos “prolégoméniques” de l’abbé Guillaume de Tanoüarn, assistant du supérieur général de l’Institut du Bon Pasteur – l’abbé Philippe Laguérie –, parus sur son MetaBlog le 9 juillet et où l’abbé regrettait la décision de son supérieur général de supprimer « d’un trait de plume » le convict romain de l’IBP, a suscité sur d’autres blogs et forums des commentaires parfois déplacés sur les miens. On n’a pas vu, ou pas voulu voir, que l’abbé posait une question d’une colossale importance pour l’avenir, qui est celle de la formation intellectuelle des futurs lévites et qui constitue aujourd’hui le vrai débat sur l’“affaire” du convict romain de l’IBP. Cela, certes, ne flatte pas le goût de la polémique que cultivent certains. Le problème n’est évidemment pas là. Il est, très exactement, dans l’approfondissement urgent de la réflexion sur la formation intellectuelle et pastorale des futurs prêtres, que l’on qualifiera pour faire simples de “traditionalistes”, dans les conditions vraies de notre temps et non dans un monde rêvé ou fantasmé. Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non, pour ce qui est de la formation intellectuelle, l’abbé de Tanoüarn en connaît « un rayon ». C’est pourquoi j’ai souhaité lui donner la parole pour qu’il puisse s’expliquer en long, en large et en rondeur… Il a accepté, voici quelques jours, de répondre à mes questions et je l’en remercie. Le texte est substantiel et développé, mais un tel débat méritait bien qu’on lui permette un peu de place. Après tout, la pédagogie est pétrie de répétitions et aussi parfois de longueurs… C'est pourquoi je publie cet entretien en deux parties. La première, vous le trouverez ci-dessous et la seconde, ce soir, à 18H00. Bonne lecture.
Ch. S.-P.

M. l’abbé, vous êtes assistant du supérieur général de l’Institut du Bon Pasteur (institut de Droit pontifical créé le 8 septembre 2006) et vous avez tenu à signifier très rapidement et très clairement sur votre metablog votre opposition à la fermeture de la maison romaine de ce même Institut – maison qui avait vocation à former des prêtres , en leur permettant de poursuivre dans les universités romaines la deuxième partie de leur cursus, la partie proprement théologique. Pourquoi ce projet, qui, vu de loin, peut sembler secondaire, vous tient-il tellement à cœur ?

GdT : Il y a d’abord le fait que j’ai porté très tôt cette idée d’une formation des prêtres en convicts, convicts appuyés sur de solides universités. Elle était partie intégrante de l’intuition de départ de l’Institut du Bon Pasteur et l’abbé Laguérie l’avait validée, en introduisant dans nos statuts l’organisation de convicts, constitués d’un petit nombre de candidats dûment préparés aux belles fonctions du sacerdoce. Je cite : « La forme usuelle du séminaire telle que conçue depuis deux siècles, pourra être modifiée, avec beaucoup de prudence, au profit d’unités plus petites (« dites convicts »), plus proches de la vie paroissiale et somme toute plus traditionnelles. Ces convicts formeront un tout organique, conformément au can. 235, § 1 ». « Modifier – avec prudence – la forme usuelle du séminaire ». La perspective était très novatrice, même si le concept est vieux comme l’Eglise. Je dois dire que cette idée m’anime toujours aujourd’hui, comme je vais essayer de vous l’expliquer. Il me semble qu’elle est utile plus que jamais à l’Eglise.

L’année du sacerdoce a été l’occasion de réfléchir sur les problèmes qui se posent non seulement aux prêtres, mais aux futurs prêtres dans un monde qui, a priori, leur devient hostile. Benoît XVI insiste à temps et à contre temps sur le fait qu’une Eglise sans sacerdoce est impossible et que le sacerdoce de demain restera fidèle au sacerdoce tel que l’Eglise latine l’a conçu, avec la charge du célibat, et aussi une exigence particulière de sainteté pour les prêtres, qui ne devront pas être des fonctionnaires de Dieu. Symbole de cette confiance du pape dans le sacerdoce traditionnel : le curé d’Ars, désigné au début de l’année du sacerdoce comme le patron de tous les prêtres du monde. Dans cette perspective, on comprend l’attachement du Saint Père pour la forme extraordinaire du rite romain, sa richesse contemplative et son insistance sur l’action sacrée  du prêtre in persona Christi, dans la personne du Christ.

Il importe de permettre aux candidats de s’approcher de cet idéal difficile, dans des conditions optimales. Il faut qu’il se sentent compris et qu’on leur donne les moyens intellectuels et spirituels de coïncider avec l’appel du Christ.

Que peut-on offrir aux candidats au sacerdoce qui se présentent à l’IBP ? Non pas un séminaire low cost où l’on apprendrait seulement à « plier la machine », comme dit Pascal, à porter la barrette et à acquérir diverses habitudes cléricales. Il fallait inventer autre chose, qui puisse affirmer la spécificité de l’IBP, face aux autres sociétés de prêtres, dépendante de la Commission Ecclesia Dei, autre chose qui participe d’un charisme propre de l’Institut, au service de l’Eglise. C’est dans cette perspective que se sont placés nos statuts. C’est dans cette perspective que l’IBP a été créée. C’est dans cette perspective que je me suis intéressé à l’organisation des études cléricales.

– Vous sortiez de la Fraternité Saint Pie X. D’où vous venait l’idée d’une nouvelle organisation des études ?

GdT : L’une des difficultés principales que j’y rencontrai, malgré tout ce que je lui dois, était celle de la formation des futurs prêtres. Plusieurs candidats qui avaient été envoyés à Ecône, s’étaient fait renvoyer de la Maison sans être vraiment au clair sur leur vocation sacerdotale. L’abbé Laguérie, en 2004, avait d’ailleurs voulu mettre ce problème sur la table d’une manière tout à fait opportune, même si la forme de son intervention auprès de ses confrères de l’époque était un peu cavalière, il faut le reconnaître. Quand je passais des heures au téléphone avec lui, plus tard, pour le convaincre de se lancer dans l’aventure de l’IBP, je pensais avant tout à ces jeunes qui devaient trouver moyen d’éclairer leur chemin personnel dans de bonnes conditions, ces jeunes en particulier que j’avais avec moi au Centre Saint Paul et qui faisaient leurs études de théologie à l’université de Strasbourg : première ébauche des convicts dont parlent nos statuts.
On s’inspire toujours de sa propre expérience. Je suis personnellement l’un des rares séminaristes d’Ecône qui ait été autorisé (par M. l’abbé Tissier de Mallerais à l’époque) à faire des études en parallèle, dans une Faculté qui était une Faculté laïque, la Sorbonne (faute à la dureté des temps et à la marginalisation où se trouvait et où se trouve encore la maison valaisanne). Je dois dire que j’ai beaucoup appris de ce double cursus. Certes cette situation n’est pas reproductible en l’état : un séminariste d’Ecône, formé à la laïque, c’était un peu fort. Mais je crois qu’une université catholique peut apporter beaucoup.

A Ecône, M. l’abbé Lorans insistait sur le fait que nos études au Séminaire devaient être « quasi-universitaire ». Au bout de cinq ans de mandat, il s’était replié davantage sur le « quasi » que sur « l’universitaire ». Qu’est-ce que signifiait initialement ce « quasi » dans l’esprit de l’abbé Lorans ? Il avait été Recteur de l’Institut Universitaire saint Pie X, avant d’être nommé directeur du Séminaire d’Ecône. Lorsqu’il est arrivé, il voulait donner un souffle nouveau à la formation sacerdotale. Mais, au fur et à mesure des années, il avait bien dû tenir compte du défi que portait cet impératif du « quasi-universitaire ». Il fallait à la fois universaliser la formation reçue, ne pas la réduire à la froideur des manuels que tel professeur « répétait » littéralement, sans avoir même lu le texte de son cours de façon un tant soit peu approfondie avant d’entrer dans la salle de classe. Mais il fallait en même temps garder l’architecture exigeante des études cléricales « à l’ancienne », la lumière de saint Thomas d’Aquin lu dans le texte, la précision toute pratique de la casuistique en théologie morale etc. Dans cette double exigence s’est perdu l’esprit de sa réforme et cela a été grand dommage pour Ecône, où l’on a cultivé la théologie comme un savoir insulaire, en oubliant qu’en tant que science rectrice de toutes les sciences, la théologie devait avoir aussi, pour être vivante, un statut inductif comme le pensait déjà le Père Guérard des Lauriers dont je découvris un article remontant aux années 40 dans la très belle bibliothèque du Séminaire d’Ecône.

Il faut bien reconnaître, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, que le problème rencontré dans cette réforme n’était pas vraiment le niveau de réflexion des séminaristes. Un séminariste qui sait pourquoi il est là, se donne… à cœur perdu et il peut rendre des devoirs techniquement médiocres sans doute, mais qui dénotent, du point de vue de ce que Pascal appelait l’esprit de finesse, un excellent niveau. J’ai des exemples précis, des noms en tête lorsque je dis cela. Non le principal problème a été, me semble-t-il, la paresse et la peur d’une partie du corps enseignant que l’on n’a pas pu sortir de ses manuels… Ce sont ceux là qui donnaient aux séminaristes l’impression qu’ils ne pourraient jamais atteindre le niveau quasi universitaire que voulait leur voir cultiver M. l’abbé Lorans et qu’ils devraient se contenter, pour être de bons prêtres, d’une science préfabriquée.

Mais en ce moment, le navire Eglise semble couler sous les critiques… et les scandales. Vous n ‘avez pas un peu l’impression, comme les Byzantins naguère sous la menace turque, de parler du sexe des anges, alors que les grandes marées du matérialisme dans tous ses états menacent toujours plus vos positions ?

GdT : Je pense qu’aujourd’hui, dans une société occidentale qui déteste toutes les valeurs portées par les jeunes prêtres soutanes au vent, soit l’on s’enferme dans son cocon, soit l’on doit affronter la question fondamentale de l’universalité du savoir, pour être capable de rendre le Christ audible, aussi bien au Patron qu’à l’employé, aussi bien au professeur qu’aux enfants (dont nous aurions tort de sous estimer la maturité très précoce et les questions). J’entends d’ici certains confrères de tel ou tel Institut se gausser sur le caractère trop intellectuel de mon approche méthodique. Beaucoup recommandent « la prière » comme la solution à tous les problèmes que peut rencontrer un jeune prêtre. Mais la prière, c’est d’abord l’attention et la méditation, à moins d’imaginer qu’on entre tous de plain pied dans la contemplation.  Cette attention, un bon niveau d’étude nous permet de l’apprendre. Quant à la méditation, elle est nourrie de ce que nous apprenons. Voyez le curé d’Ars, patron de tous les prêtres du monde. Il a beaucoup travaillé, il a potassé ses bouquins, il a lu les Pères de l’Eglise, sans doute beaucoup plus que ne le faisaient la moyenne des séminaristes à son époque… Certes tout le monde ne peut pas tout savoir. Mais on peut au moins - il me semble que c’est le but des études sacerdotales - prendre du plaisir à étudier de près un domaine dans lequel on est bon. Et dans ce domaine, il faudra forcément dépasser le manuel, et donc… avoir au moins un peu appris à dépasser le manuel. Voilà où en étaient mes réflexions dans les dernières années de ma présence à la Fraternité Saint Pie X.

– Je vous arrête dans votre élan et j’en viens à aujourd’hui. Qu’a donc de spécifique la formation que l’IBP proposait à Rome ?


À suivre, ce soir, à 18h00.

15 juillet 2010

[Golias - Romano Libero] Canizares encense l'eveque de Fréjus-Toulon

SOURCE - Golias - Romano Libero - 15 juillet 2010

Il ne faut certes pas sans étonner. La ligne idéologique des deux hommes étant la même. Y compris au plan liturgique. En tout cas le cardinal Antonio Canizarès, ancien archevêque de Tolède et Préfet de la congrégation du Culte divin et de la discipline des sacrements, dans une interview à Die Tagespot revient très largement sur le Motu Proprio de Benoît XVI de 2007 régularisant la célébration de la liturgie selon les anciens livres liturgiques ainsi qu’en latin.

Nous sommes très loin de l’idée d’une simple concession faite aux traditionalistes dans le but d’une réconciliation. De la thèse réductrice d’une simple « parenthèse miséricordieuse » défendue naguère par Mgr Pierre Raffin, l’évêque de Metz. Au contraire, pour Canizarès il s’agit bel et bien de mieux ancrer la célébration liturgique actuelle dans la Tradition. Le porporato espagnol est intimement convaincu que le Pape n’a pas abandonné l’idée d’un mouvement liturgique dont la réforme de la réforme serait un élément. Il est très significatif de noter l’insistance du cardinal sur l’herméneutique de la continuité. La question liturgique n’est en effet pas séparable de l’interprétation de Vatican II et de son interprétation.

On notera que le cardinal fait l’éloge de Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, pour son action de formation des séminaristes aux deux formes du rite latin ! Manifestement l’évêque français modèle pour Canizarès!

[summorum-pontificum.fr] D’après Mgr Fellay, le pape célèbre la messe tridentine en privé

SOURCE - summorum-pontificum.fr - 15 juillet 2010

C’est ce qu’a affirmé le supérieur de la Fraternité Saint-Pie X lors d’une conférence de presse tenue au Brésil. Il a précisé que le secrétaire du pape faisait de même. Non pas habituellement, mais en certaines circonstances. Mgr Fellay définit Benoît XVI comme un pape qui a la tête progressiste mais le cœur catholique, un amoureux de la Tradition.

Concernant la résistance à la messe traditionnelle, il a mis en cause les épiscopats du monde, mais également la Secrétairerie d’État.

On trouvera plus de détails sur le site italien Messainlatino, et notamment l’intervention audio de Mgr Fellay.

[Abbé Francesco Ricossa - Sodalitium] Reconnaissance des traditionalistes (anglicans)

SOURCE - Sodalitium - juillet 2010

Après le motu proprio Summorum Pontificum et la levée des excommunications qui a suivi – étapes fixées en plein accord avec les quatre évêques de la Fraternité Saint Pie-X – tout le monde s’attendait à une rapide solution dudit “cas Lefebvre” au moyen d’un Ordinariat personnel qui aurait permis à la Fraternité Saint Pie-X et aux autres sociétés qui lui sont liées d’exercer leur propre ministère en “pleine communion” avec Benoît XVI et indépendamment des évêques diocésains, tout en maintenant la liturgie et la discipline traditionnelle de l’Église. Les critiques n’ont pas manqué (de la part des ultramodernistes) ou les applaudissements (de la part de nombreux “traditionalistes” catholiques) à Benoît XVI considéré lui même – du fait de ces décisions – comme un “traditionaliste” ou du moins comme un sympathisant de la Tradition.

L’“affaire Williamson”, et les pressions de la communauté juive, ont retardé la réalisation dudit “accord” entre héritiers de Mgr Lefebvre et héritiers de Paul VI, engagés actuellement dans une série de discussions et de rencontres oecuméniques sur les points sensibles de Vatican II. Mais si un Ordinariat “traditionaliste” se fait attendre, un autre, lui aussi “traditionaliste” a abouti. C’est le frère jumeau de l’autre, le modèle est le même, et les deux “Ordinariats personnels” sont consacrés à des traditionalistes: toutefois les premiers arrivés ne sont pas des “traditionalistes catholiques” mais des “traditionalistes”… anglicans !

Par la Constitution Apostolique “Anglicanorum coetibus” (AC), datée du 4 novembre 2009, Benoît XVI a en effet accédé aux demandes que lui adressaient, depuis 2007, les anglicans de la TAC (Traditional anglican Communion) qui désiraient “entrer dans la pleine communion avec l’Église” (sic). Il ne s’agit pas là de la première initiative dans ce domaine: déjà en 1980, sous Jean-Paul II, par exemple, la Congrégation pour la doctrine de la Foi dirigée à l’époque par le cardinal Seper, avait reconnu par un texte communément nommé Pastoral provision, la possibilité d’accueillir des groupes anglicans dans l’Église, en leur accordant le maintien de certains éléments de la liturgie et de la discipline de l’“église” anglicane (1). Mais la confrontation entre Pastoral provision de Jean-Paul II et Anglicanorum coetibus de Benoît XVI met en relief le pas en avant… dans l’oecuménisme réalisé par Joseph Ratzinger, exactement comme le m. p. Summorum Pontificum – toujours de Ratzinger – avait été un pas en avant dans l’oecuménisme avec les lefebvristes par rapport aux premières timides ouvertures de Jean-Paul II avec la concession de l’Indult et la constitution de la commission Ecclesia Dei. Les ouvertures de Benoît XVI aux anglicans – superposables à celles qu’il offre aux lefebvristes – devraient faire mieux comprendre la signification – parfaitement oecuménique et dans la ligne de Vatican II – du motu proprio Summorum Pontificum et des ouvertures ratzingériennes aux “traditionalistes” catholiques. C’est ce que nous allons tenter de mettre en évidence en examinant la constitution apostolique Anglicanorum coetibus.

Une “constitution” fondée sur les “principes ecclésiologiques” de Vatican II

Anglicanorum coetibus commence par rappeler les “principes ecclésiologiques” sur lesquels elle se fonde : il s’agit des principes des rédacteurs de la Constitution, et on suppose que les anglicans qui ont fait appel à Benoît XVI adhèrent à ces principes. Or, ces principes ne sont pas ceux de l’Église catholique, mais les principes erronés de Vatican II.

Le Pape est présenté comme celui qui “a reçu pour mission […] de garantir l’unité de l’épiscopat et de présider et de sauvegarder la communion universelle de toutes les Églises” (LG 23, Communionis notio 12, 13) : aucune mention de sa Primauté de juridiction sur toute l’Église, mais seulement de la Collégialité épiscopale (cf. la critique dans Sodalitium n° 59, pp. 5-38). L’Église elle-même est “le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain.” (LG 1), union dont nous ne voyons pas comment elle se réalise. Même les baptisés sont divisés mais pour AC et le Concile « Toute division parmi ceux qui ont été baptisés en Jésus-Christ blesse ce que l’Église est et ce pour quoi l’Église existe; en fait, “une telle division s’oppose ouvertement à la volonté du Christ.  Elle est pour le monde un objet de scandale et elle fait obstacle à la plus sainte des causes: la prédication de l’Évangile à toute créature”. (UR 1) C’est précisément pour cette raison qu’avant de verser son sang pour le salut du monde, le Seigneur Jésus a prié le Père pour l’unité de ses disciples (UR 2) », AC ne précise pas que la prière du Christ est déjà exaucée, puisque l’Église est une, et que cette unité n’est pas amoindrie par le scandale de la division mais tout au plus combattue par le scandale que sont l’hérésie et le schisme, dont ne sont coupables que les hérétiques et les schismatiques et non génériquement tous les “baptisés”. Selon AC, l’Église du Christ n’est pas l’Église catholique mais subsiste dans l’Église catholique: «Cette unique Église du Christ, dont nous professons dans le Symbole qu’elle est une, sainte, catholique et apostolique, “subsiste dans l’Église catholique gouvernée par le Successeur de Pierre et les Évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de ses structures, éléments qui, appartenant proprement par don de Dieu à l’Église du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique” (LG 8, UR 1,3,4 ; Dominus Jesus 16) » et c’est ainsi que sont renouvelées les erreurs conciliaires que nous avions déjà analysées (cf. Sodalitium n° 61, pp. 28-46). Grâce à ces “éléments de sanctification et de vérité”, les anglicans sont déclarés avoir été en communion imparfaite avec l’Église catholique, selon un autre fondement de l’ecclésiologie conciliaire.

Pour résumer ce chapitre : Benoît XVI est poussé par les “principes ecclésiologiques” oecuménistes de Vatican II ; les anglicans sont invités à adhérer à ces principes, ce qu’ils peuvent faire sans difficulté excessive, puisque lesdits principes viennent de l’oecuménisme de facture protestante. Ce n’est pas à la doctrine de Vatican I qu’ils adhèrent, elle n’est même pas mentionnée, mais à la néo-doctrine oecuménique de Lumen Gentium et d’Unitatis redintegratio.

Ni abjuration ni profession de Foi ; y suffit le catéchisme (de Vatican II)

D’autre part, il ne nous est pas donné de savoir à quoi croient les anglicans de la TAC ou groupes similaires ni à quoi il leur est demandé de croire. Pastoral provision avait été une réponse aux demandes réitérées de quelques groupes épiscopaliens qui, refusant les ordinations féminines, s’étaient séparés en 1976 de l’“église” épiscopalienne. À son tour, Anglicanorum coetibus est une réponse aux anglicans qui n’ont pas accepté les ordinations de femmes et d’homosexuels déclarés faites par leur “église”. En cela, sans aucun doute, leur opinion coïncide avec la Foi catholique ; mais il ne suffit certes pas de refuser l’ordination de femmes ou d’homosexuels déclarés pour être catholique. La conversion à l’Église catholique a toujours impliqué une abjuration des erreurs embrassées jusqu’alors, et la profession de foi catholique. Après Vatican II, et en particulier dans AC, ni l’abjuration ni la profession de foi ne sont demandées.  L’unique allusion à ce sujet se trouve au point I § 5 où il est dit :

“Le Catéchisme de l’Église catholique est l’expression officielle de la foi catholique professée par les membres de l’ordinariat.”

À part la bizarrerie que constitue le fait de transformer un catéchisme – si autorisé soit-il – en “expression authentique de la foi catholique” (2), il ne sera pas inutile de préciser qu’au regard de ce texte (expression lui aussi de la néo-doctrine de Vatican II) il n’est demandé ni serment ni acte public d’adhésion. Et pourtant la TAC dit aussi et écrit que sa propre référence doctrinale se trouve dans les 39 articles de foi de la communion anglicane (39 hérésies) que, comme tous les anglo-catholiques experts en ambiguïté, ladite TAC prétend interpréter en les conciliant avec le catholicisme, et par conséquent, aussi, pour eux, avec le catéchisme post-conciliaire.

Il est donc triste de constater que Benoît XVI et l’AC représentent une aggravation notable même par rapport à la Pastoral provision de Jean-Paul II. Dans ce document il était en effet stipulé que:

[“2) A profession of faith (with appropriate additions to address the points on which there is divergence of teaching between the Anglican Communion and the Catholic Church) is to be made personally by all (ministers and faithful) as a conditio sine qua non”.]

Une profession de Foi (avec additions appropriées concernant les points de divergence entre l’enseignement de la Communion anglicane et celui de l’Église catholique) faite personnellement par tous (ministres du culte et fidèles) est une condition sine qua non.

Or, selon AC, cette profession de Foi n’est plus demandée ni même mentionnée, que ce soit pour les individus ou pour le groupe anglican demandant de bénéficier de AC. Joseph Ratzinger, ancien successeur du cardinal Seper à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, n’ignore certainement pas ce document, il a donc sciemment voulu annuler ce qui, sous son prédécesseur encore, était considéré comme une condition indispensable.

Un Ordinariat personnel (aujourd’hui pour les anglicans, demain pour les lefebvristes)

La structure juridique qu’AC propose et offre aux anglicans est celle de l’Ordinariat personnel. Ce qui veut dire qu’ils auront à leur tête un Ordinaire (évêque ou non) qui de fait (3) exerce une juridiction épiscopale sur les fidèles qui en font partie indépendamment de l’évêque résidentiel. Comme nous le verrons, il est accordé à ces Ordinariats – qui sont l’équivalent des diocèses et peuvent fonder des paroisses, elles aussi “personnelles” – de maintenir leurs propres liturgie et discipline.

On sait que cette solution est exactement celle qui est actuellement proposée à la Fraternité Saint Pie-X, et qu’elle est semblable à celle qui a déjà été réalisée dans le diocèse de Campos pour les héritiers (infidèles) de Mgr De Castro Mayer. Il devrait être pourtant plutôt embarrassant pour celui qui se veut intégralement catholique d’être mis sur le même plan que les anglicans et de penser que dans l’“Église” qui reconnaît Joseph Ratzinger, anglicans et catholiques traditionalistes occuperont deux nefs latérales d’une même cathédrale moderniste.

Une autre comparaison vient immédiatement à l’esprit: celle avec cette “Église anglicane unie mais non absorbée” préconisée par le moine moderniste oecuméniste Lambert Beauduin durant les colloques de Malines entre anglicans et catholiques qui furent désavoués par le Pape Pie XI et menèrent à l’encyclique de condamnation du mouvement oecuménique, Mortalium animos (cf. les Atti della “Giornata di Cristo Re  [Actes de la Journée du Christ-Roi] de Modène pour les années 2008-2009 dans notre maison d’édition). Dom Beauduin projetait une Église anglicane qui serait unie à l’Église catholique sans être absorbée par elle, c’est-à-dire conservant sa propre discipline canonique, sa propre liturgie, son autonomie vis-à-vis de l’épiscopat catholique anglais, sur le modèle des Églises orientales. Il oubliait, ou voulait oublier, que lesdites églises orientales, refusant le schisme, étaient revenues à la situation antérieure au schisme, et donc à une liturgie et une discipline de toute façon catholiques. L’“église” anglicane en tant que telle, est née par contre du schisme et de l’hérésie, et son cas ne peut pas être le moins du monde comparé à     ²celui des églises orientales.

Le “patrimoine spirituel et liturgique” anglican : clergé marié et liturgie protestante

On le sait, le schisme anglican fut imposé à une nation autrefois catholique par le roi Henri VIII pour (entre autres) pouvoir satisfaire ses propres désordres. Bien vite, le schisme devint hérésie en adoptant le calvinisme, sous l’influence de l’archevêque de Canterbury, Cranmer. L’“Église” anglicane naît de l’hérésie et vit dans l’hérésie. Et pourtant, pour les oecuménistes de Vatican II elle porterait en soi des “éléments de sanctification et de vérité”. Il ne s’agit pas seulement de ce qui appartient en propre à l’Église catholique et que les anglicans détiennent illégitimement (comme la Sainte Écriture et le Baptême) : pour les conciliaires certains éléments de sanctification et de vérité sont proprement anglicans et ne sont pas présents dans l’Église catholique , ce pour quoi cette dernière serait enrichie par la “tradition spirituelle” des hérétiques. En somme, les anglicans deviendraient catholiques en demeurant – du moins en partie – anglicans. Mais en quoi consistent au juste ces richesses spirituelles ? Substantiellement ce sont la liturgie anglicane, le gouvernement synodal (et démocratique) de leur “église”, l’abolition du célibat ecclésiastique.  Une bien misérable “richesse” héritée de l’hérésiarque Cranmer !

Cranmer et saint Pie V sur le même plan (un peu au-dessous de Montini et de Bugnini)

On a beaucoup parlé du motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI qui aurait donné la liberté à la Messe romaine (dite de saint Pie V). Que dire alors de la C.Ap. Anglicanorum coetibus qui donne droit de cité au Book of Common Prayer de l’archevêque calviniste Cranmer ? (utilisé aussi par les “traditionalistes”de la TAC). Voici ce qu’écrit l’AC :

“III. Sans exclure les célébrations de la liturgie selon le rite romain, l’ordinariat a la faculté de célébrer l’Eucharistie et les autres sacrements, la liturgie des heures et les autres célébrations liturgiques selon les livres liturgiques propres à la tradition anglicane qui auront été approuvés par le Saint-Siège , de manière à ce que soient maintenues au sein de l’Église catholique les traditions liturgiques, spirituelles et pastorales de la Communion anglicane, comme un don précieux qui nourrit la foi des membres de l’ordinariat et comme un trésor à partager.”

D’innombrables martyrs catholiques ont donné leur vie au milieu d’atroces tortures par fidélité à la Messe et pour refuser le Book of Common Prayer anglican. Et voici que, grâce à Ratzinger, nous découvrons que ce même Book of Common Prayer qui a Cranmer pour origine est “un don précieux qui nourrit la foi” et “un trésor à partager”. L’hérésie anglicane est devenue la “tradition anglicane” ; sa liturgie, qui servait à véhiculer ladite hérésie est “un don précieux qui nourrit la foi” à maintenir vivant… dans l’Église catholique ! La chose n’étonne pas de la part de Ratzinger, lequel célèbre quotidiennement selon le rite de Paul VI qui, comme il a été amplement démontré, est un calque de l’hérésie liturgique anglicane de Cranmer (4). Mais les lefebvristes et encore davantage ces “traditionalistes Ecclesia Dei” qui se disent reconnaissants envers Benoît XVI pour le motu proprio, se rendent-ils compte qu’ils sont mis sur le même plan que les anglicans, et que la Messe romaine, la Messe catholique, la Messe de Saint Léon, de Saint Grégoire, de Saint Pie V est mise sur le même plan que le rite hérétique d’un archevêque apostat mort à juste titre sur le bûcher ? Inutile de le demander, puisqu’ils ne se sont pas rendus compte (ou ont feint de ne pas se rendre compte) que la Messe romaine était déjà mise sur le même plan (et même, à un degré inférieur, en tant que rite “extraordinaire” et occasionnel) que la “messe” oecuménique du Père Bugnini et de Paul VI, dont le rite est probablement moins “catholique”, de toute façon, que certaines liturgies anglicanes.

Un enrichissement spirituel : les prêtres (?) mariés

Mais les richesses spirituelles de l’église anglicane à transplanter absolument dans l’Église catholique (?) (5) ne se limitent pas à un rite liturgique calviniste camouflé en catholique. L’archevêque Cranmer, comme le moine Luther, n’hésita pas à attenter sacrilègement au mariage en violant ses voeux et, fort du bras séculier du Roi divorcé, en imposant en Angleterre le mariage des prêtres (qui cependant, à cause de l’invalidité des ordinations anglicanes, disparurent bientôt laissant place à des simulacres de prêtres et d’évêques). Telle est la (l’in)discipline, inédite dans l’Église latine – demeurée fidèle, au contraire des orientaux, à la Tradition apostolique – (6) que l’on voudrait de nos jours admettre – selon les desiderata des vieux modernistes et des nouveaux, parmi lesquels l’immanquable cardinal Martini et son collègue de Vienne lequel, peut-être par souvenirs ataviques, rêve d’un sacerdoce héréditaire de père en fils – grâce aux richesses de la tradition anglicane.

Avant le Concile, si je ne me trompe, le Saint-Siège avait autorisé – dans des cas particuliers – l’accès au sacerdoce de ministres protestants convertis au catholicisme, même si déjà mariés, les dispensant de l’obligation du célibat ; le cas fut prévu de toute façon par la Sacerdotalis cælibatus de Paul VI (7). Mais il s’agissait de cas isolés et destinés à ne pas se perpétuer. Pastoral Provision (II, 3 et III, 3) en 1980, prévoyait la (ré)ordination du clergé épiscopalien (anglicans des USA) au cas par cas ; pouvaient éventuellement être ordonnés prêtres, mais non évêques, des sujets mariés, et, en cas de veuvage ils ne pouvaient pas se remarier ; enfin et surtout, le futur clergé devait absolument observer la loi du célibat comme dans tout le reste de l’Église latine :

[II.3) Discipline : a) (a) Les stipulations suivantes s’appliqueront aux prêtres épiscopaliens mariés pouvant être ordonnés prêtres catholiques : ils ne peuvent pas devenir évêques ; et ils ne peuvent pas se remarier en cas de veuvage.

(b) Les futurs candidats à la prêtrise doivent suivre la discipline du célibat. (c) Un soin particulier doit être pris au niveau pastoral afin d’éviter toute équivoque concernant la discipline du célibat de l’Église.

Cette dernière disposition est extrêmement importante, car l’exception admise pour faciliter le retour du clergé anglican était destinée à ne pas se perpétuer, et le célibat sacerdotal était, du moins en paroles, sévèrement prescrit, comme le rappelle aussi la Déclaration In June (8).

Dans ce domaine également AC va plus loin. Voici les prescriptions à ce sujet :

VI. § 1 Ceux qui, comme anglicans, exerçaient un ministère de diacre, de prêtre ou d’évêque, et qui remplissent les conditions requises par le droit canonique [13] et ne sont pas empêchés par des irrégularités ou par d’autres empêchements [14], peuvent être acceptés par l’ordinaire comme candidats aux ordres dans l’Église catholique. Dans le cas de ministres mariés, les normes établies par la lettre encyclique du pape Paul VI Sacerdotalis coelibatus, n° 42 [15] et dans la déclaration In June [16] doivent être observées. Les ministres célibataires se soumettront à la règle du célibat clérical (CIC, can. 277, § 1).

§ 2 L’ordinaire, dans le respect de la discipline du célibat du clergé de l’Église latine, n’admettra en règle générale (pro regula) que les hommes célibataires à l’ordre des prêtres. Il pourra également demander au pontife romain, par dérogation au canon 277 § 1, que soient admis à l’ordre des prêtres des hommes mariés, au cas par cas et en fonction de critères objectifs approuvés par le Saint-Siège. Si la porte ouverte avec le § 2 (les nouveaux candidats au sacerdoce en règle générale, pro regula, seront tenus au célibat mais… il est possible de demander une dérogation à cette règle et de continuer à ordonner (?) des personnes mariées) n’est pas grande ouverte, elle l’est ultérieurement au moins par les normes complémentaires : “Article 6 § 1. L’ordinaire, pour admettre des candidats aux ordres sacrés doit obtenir le consentement du conseil de direction. En considération de la tradition et de l’expérience ecclésiale anglicane, l’ordinaire peut présenter au Saint-Père la demande d’admission d’hommes mariés à l’ordination presbytérale dans l’ordinariat, après un processus de discernement fondé sur des critères objectifs et les nécessités de l’ordinariat. Ces critères objectifs sont déterminés par l’ordinaire, après avoir consulté la conférence épiscopale locale, et ils doivent être  approuvés par le Saint-Siège.”

L’“ordination” de nouveaux candidats mariés, qui pro regula était prohibée, devient par contre, dans les normes complémentaires, une mise en pratique “de la tradition et expérience ecclésiale anglicane” (commencée avec le mariage sacrilège et invalide de Cranmer, tradition hérétique, entendons-nous bien) ; or, cette tradition n’est-elle pas un enrichissement ? Pourquoi alors refuser une demande aussi “traditionnelle” ? Si “on trouve toujours le moyen de tourner la loi”, qu’en sera-t-il lorsque la tromperie est dans la loi elle-même ?

Toutefois, puisque les schismatiques orientaux ont maintenu le principe du célibat au moins pour les évêques (outre ceux qui sont encore célibataires au moment de l’ordination) on ne pouvait pas permettre aux anglicans ce qui est sévèrement interdit par les grecs et les moscovites. Les “évêques” anglicans mariés ne pourront pas être consacrés “évêques catholiques”. Mais là aussi, on trouve toujours le moyen de tourner la loi. Rien n’interdit en fait que l’Ordinaire puisse être un simple prêtre, et c’est même ce qui est explicitement prévu. Par conséquent, un individu “déjà évêque anglican” marié peut être nommé Ordinaire, être membre de la Conférence épiscopale, gouverner un diocèse, porter les insignes épiscopaux… en somme, être évêque avec toutes ses prérogatives (3), quand bien même seulement en ce qui concerne la juridiction:

“Article 11 des Normes :

§ 1. Un évêque déjà anglican et marié est éligible pour être nommé ordinaire. Dans ce cas, il est ordonné prêtre dans l’Église catholique et exerce dans l’ordinariat le ministère pastoral et sacramentel avec une pleine autorité juridictionnelle. § 2. Un évêque déjà anglican qui appartient à l’ordinariat peut être appelé à assister l’ordinaire dans l’administration de l’ordinariat.

§ 3. Un évêque déjà anglican qui appartient à l’ordinariat peut être invité à participer à des rencontres de la conférence des évêques du territoire respectif, de la même manière qu’un évêque émérite.

§ 4. Un évêque déjà anglican qui appartient à l’ordinariat et qui n’a pas été ordonné évêque dans l’Église catholique, peut demander au Saint-Siège l’autorisation d’utiliser les insignes épiscopaux”.

L’actuel “Primat” de la TAC, John Hepworth, se trouve cependant en difficulté du fait d’un paragraphe de l’article 6 des Normes :

§ 2. Ceux qui avaient été ordonnés dans l’Église catholique et qui ont ensuite adhéré à la Communion anglicane, ne peuvent pas être admis à l’exercice du ministère sacré dans l’ordinariat. Les clercs anglicans qui se trouvent dans des situations matrimoniales irrégulières ne peuvent pas être admis aux ordres sacrés dans l’ordinariat.”

Pourquoi en difficulté ? Parce que le chef de la TAC, pour laquelle Benoît XVI s’est tant prodigué, entre précisément dans cette catégorie : ancien prêtre catholique, il s’est fait anglican et se trouve de plus, si je ne me trompe, dans une “situation matrimoniale irrégulière”. Comment se fait-il alors qu’il soit si reconnaissant envers Benoît XVI ? On peut raisonnablement craindre qu’on ne trouve pour lui une exception à la règle, on en a trouvé tellement.

Aujourd’hui les anglicans, demain les lefebvristes, les luthériens, les moscovites ? L’oecuménisme traditionaliste de J. Ratzinger va plus loin que celui de K. Wojtyla

Il y aurait encore beaucoup à dire, mais il est temps de conclure. En tant que catholiques nous ne pouvons que souhaiter le retour à l’Église et à la Foi catholique de ceux qui ont le malheur de vivre dans le schisme et dans l’hérésie. Mais ce, à condition toutefois qu’il s’agisse d’une véritable et authentique conversion. L’oecuménisme moderniste – entre autres graves défauts – empêche justement cette possibilité. Les très nombreux anglicans qui se sont convertis dans le passé à l’Église catholique, retournaient vraiment à la maison du Père : ils y trouvaient la vraie Foi, les vrais Sacrements, le Sacrifice, la Hiérarchie, la Primauté papale. Ceux qui aujourd’hui, fuyant les excès toujours plus évidents du protestantisme en voie de décomposition, cherchent refuge auprès de l’Église catholique, ont du mal à la trouver, occupée comme elle l’est par les modernistes et le modernisme : aveugles conduisant d’autres aveugles  et qui tomberont, je crains, les uns après les autres dans la fosse.

Une fois conclu, pour le moment, avec succès, le dossier anglican, J. Ratzinger pourra s’occuper du dossier luthérien (s’appuyant sur la déclaration commune en matière de justification) et moscovite : le climat avec les schismatiques et les hérétiques russes – de froid qu’il était sous le polonais Wojtyla – est devenu chaleureux avec l’allemand – et très collégial – Ratzinger. Puis, à la “Tradition” anglicane, luthérienne et orientale pourra s’ajouter enfin la “Tradition” catholique représentée dans les faits par la Fraternité Saint Pie-X. Les “colloques” vont de l’avant selon la méthode oecuménique désormais expérimentée. Ceux qui aiment les traditions sans plus de précisions, les liturgies suggestives et fastueuses seront satisfaits. Les vrais catholiques qui veulent rester fidèles au dogme, eux, seront encore plus isolés. Humainement parlant, certes, car le Christ n’abandonne pas son Église et ne permettra pas que triomphent sur Elle les portes de l’Enfer.

Notes

1) Le document appelé couramment Pastoral provision consistait en une lettre du 22 juillet 1980 adressée par le cardinal Seper à l’archevêque de San Francisco, John R. Quinn (prot. 66/77), lettre par laquelle le cardinal Seper communiquait à Mgr Quinn les décisions concernant l’accueil de certains groupes d’épiscopaliens (anglicans des États-Unis). Ces décisions avaient été prises par la S.C. pour la Doctrine de la Foi à la session ordinaire du 18 juin 1980 et confirmées par Jean-Paul II à l’audience accordée au Cardinal Préfet le 20 juin suivant. Anglicanorum coetibus fait aussi référence à la Déclaration sur ce sujet de la Congrégation en question, Déclaration In June du 1er avril 1981 (Ench. Vat. 7, 1213, traduction française du texte dans la Documentation catholique n° 1807, p. 433).

2) Ne furent jamais considérés comme tels le Catéchisme de Saint Pie X ou le Catéchisme romain aux curés dit Catéchisme du Concile de Trente.

3) “De fait”, autrement dit dans les intentions de Benoît XVI. Selon la Thèse de Cassiciacum que nous avons faite nôtre, ni Benoît XVI ni les évêques en communion avec lui ne jouissent de la juridiction épiscopale.

4) Cf. M. DAVIES, La réforme liturgique anglicane, Clovis, 2004. L’édition originale en anglais de l’ouvrage de Michael Davies date de 1976.

5) La situation actuelle de l’Église catholique après Vatican II pose des problèmes ecclésiologiques non communs. Le cardinal Benelli, repris polémiquement par Mgr Lefebvre et celui-ci par de nombreux sédévacantistes, parlait d’une “Église conciliaire”. En ce cas, les anglicans de la TAC ne seraient pas entrés dans l’Église catholique mais dans l’Église conciliaire. Le fait est que, du moins juridiquement, l’Église conciliaire n’existe pas, et les modernistes qui occupent les Sièges épiscopaux, y compris le Premier Siège, se trouvent encore, du moins juridiquement et au for externe, “dans le sein même et au coeur de l’Église” selon la célèbre expression de l’encyclique Pascendi. En tout cas, les anglicans de la TAC s’étant mis sous l’obédience de Benoît XVI participent de son “schisme capital”.

6) Sur le célibat ecclésiastique, à propos duquel on dit et écrit d’énormes sottises, je conseille l’ouvrage du cardinal Alphonse Stickler, Il celibato ecclesiastico. La sua storia e i suoi fondamenti teologici, Libreria editrice Vaticana, 1994. [Le célibat ecclésiastique. Son histoire et ses fondements théologiques].