SOURCE - Tugdual Denis - francesoir.fr - 14 janvier 2011
Longtemps très influents à l’extrême droite, les adeptes de la messe en latin se disent « désabusés » devant ce qui se passe au FN. Surtout si, en plus, c’est la fille du fondateur qui doit lui succéder.
Dimanche 9 janvier, 13 heures. Après deux heures d’une longue messe en latin, les paroissiens de l’église Saint-Eugène-Sainte-Cécile (Paris, IXe) se retrouvent comme chaque dimanche, la messe terminée, sur le parvis. Ils aiment ce rendez-vous dominical. Ce sont des catholiques traditionalistes, très à droite, minoritaires au sein de l’Eglise, très organisés dans leur communauté. Alors, sur cette petite place, à deux pas des Folies-Bergères, comme d’habitude, des petits groupes se forment. On échange des cigarettes et des nouvelles. On discute. Tous – ou presque – se connaissent : ils se côtoient dans le cadre du scoutisme, des conférences sur la bioéthique organisées par la paroisse. Parfois aussi lors de manifestations politiques.
Sur les 220 personnes présentes à cette messe, « au moins 60 » appartiennent à la « droite dure », confie un familier des lieux, qui veille au choix des mots : « droite dure » plutôt qu’extrême droite. Au début un peu méfiants, ces fidèles acceptent assez vite de parler du Front national, à l’approche du Congrès qui marquera la fin de la très longue carrière politique de Jean-Marie Le Pen. Un leader auquel, ils l’admettent, ils ont « cru », qu’ils ont longtemps soutenu mais qui, selon eux, a… « mal fini ».
« Nous sommes les éternels cocus »
Aujourd’hui, il est vrai, le FN ne semble plus être « la » réponse politique qu’ils espéraient, et qu’ils attendent. Le vote interne visant à départager Bruno Gollnisch de Marine Le Pen pour la présidence du parti ? Cela ne les intéresse pas vraiment, disent-ils. « Avant, on avait l’impression que le FN était un parti de propositions, pouvant séduire une certaine élite », avance cet étudiant au cou protégé par un foulard de soie et qui se dit « encarté à l’UMP ». Il s’explique : « C’est devenu un parti populiste, à la recherche du vote ouvrier. » « Il y a chez nous comme un dégoût de la politique renchérit, à quelques pas de là, un père de famille très désabusé. Nous sommes les éternels cocus : même au Front national, on n’entend plus beaucoup parler de la famille, du travail dominical ou de la défense de la vie (comprendre : de la lutte contre l’avortement). En 2012, moi qui ai toujours voté Le Pen, il est probable que, cette fois, je ne voterai pas… »
Bruno Gollnisch apparaît comme le candidat le plus proche des « valeurs » chères à ces catholiques-là. « Bruno est pratiquant, et a un frère prêtre », aime d’ailleurs à rappeler Jean-Marie Le Pen. Et « Bruno », comme l’appellent ses amis, reste, lui, très ferme sur la question de l’avortement. L’autre jeudi, à Nanterre, lors des vœux du FN, il confiait, pas mécontent de se démarquer de sa rivale, sa volonté de « changer cette loi pour une autre législation ». De fait, Marine Le Pen privilégie, elle, le principe d’un « accompagnement » des femmes. Pour le reste, elle fait remarquer que « beaucoup de catholiques ne demandent pas l’abrogation de la loi Veil ».
Pourtant, chez les « tradis » – selon l’expression qu’ils revendiquent – il s’agit là d’un point capital. Michel Janva, administrateur d’un blog très connu de ce milieu-là (le Salon beige, 15.000 visiteurs quotidiens revendiqués), assure que Benoît XVI a fixé « trois points non négociables » : le respect de la vie, la défense de la famille, la liberté scolaire (défense de l’école privée). « Le premier point, dit-il, a soulevé beaucoup de débat sur notre site. Marine Le Pen a, sur ce sujet, des déclarations ambiguës. On sent qu’en tant que femme médiatique, elle ne veut pas trop insister sur un thème qu’elle juge peu porteur. » De fait, Bernard Anthony, longtemps chef de file de la branche « catho tradi » du FN (avant de quitter le mouvement), ne cache pas sa préférence : Gollnisch, d’abord.
« Elle est deux fois divorcée »
Vite, on passe, chez certains, de la « théorie » aux attaques en piqué contre la vie privée : « Marine Le Pen a divorcé deux fois. L’affect joue toujours », insiste Janva, l’air de rien. Une frange du FN continue d’ailleurs à la prendre à partie en brocardant « la night-clubbeuse ». N’a-telle pas, à sa façon, une image de femme libérée, loin des canons en vigueur chez les afficionados de la messe à l’ancienne ? Elle-même se dit « très déçue » par les commentaires de ces traditionalistes, estimant leurs procès d’intention « idiots, absurdes et blessants ». Et de rappeler que ses trois enfants ont été baptisés à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, place forte intégriste du Ve arrondissement de Paris.
Il reste que ces catholiques-là n’intéressent plus vraiment le FN, en tout cas beaucoup moins qu’autrefois. A France-Soir, Marine Le Pen soutient : « Je ne fixe pas mon projet politique en fonction de telle ou telle demande religieuse. » En coulisses, son équipe sort la calculette : « Notre électorat, à 95 %, n’est ni bourgeois ni catholique. Les catholiques conservateurs représentent le passé et s’opposent à notre stratégie de modernisation. On ne rappellera jamais des gens comme Bernard Anthony. Ils nous sont nuisibles », lâche un conseiller de la fille de Jean-Marie Le Pen.
Marine Le Pen, pendant ce temps, se tait. Elle qui a baigné toute sa vie dans un catholicisme vague, presque du terroir, qu’elle a hérité de son père : « Mon mari ne prie pas le soir en se couchant, confie Jany Le Pen, l’épouse (protestante) du fondateur du FN. De même qu’il a le respect du paysan, il a le respect du curé : la population regroupée autour de son église, dans un village, c’est apaisant… »
Longtemps très influents à l’extrême droite, les adeptes de la messe en latin se disent « désabusés » devant ce qui se passe au FN. Surtout si, en plus, c’est la fille du fondateur qui doit lui succéder.
Dimanche 9 janvier, 13 heures. Après deux heures d’une longue messe en latin, les paroissiens de l’église Saint-Eugène-Sainte-Cécile (Paris, IXe) se retrouvent comme chaque dimanche, la messe terminée, sur le parvis. Ils aiment ce rendez-vous dominical. Ce sont des catholiques traditionalistes, très à droite, minoritaires au sein de l’Eglise, très organisés dans leur communauté. Alors, sur cette petite place, à deux pas des Folies-Bergères, comme d’habitude, des petits groupes se forment. On échange des cigarettes et des nouvelles. On discute. Tous – ou presque – se connaissent : ils se côtoient dans le cadre du scoutisme, des conférences sur la bioéthique organisées par la paroisse. Parfois aussi lors de manifestations politiques.
Sur les 220 personnes présentes à cette messe, « au moins 60 » appartiennent à la « droite dure », confie un familier des lieux, qui veille au choix des mots : « droite dure » plutôt qu’extrême droite. Au début un peu méfiants, ces fidèles acceptent assez vite de parler du Front national, à l’approche du Congrès qui marquera la fin de la très longue carrière politique de Jean-Marie Le Pen. Un leader auquel, ils l’admettent, ils ont « cru », qu’ils ont longtemps soutenu mais qui, selon eux, a… « mal fini ».
« Nous sommes les éternels cocus »
Aujourd’hui, il est vrai, le FN ne semble plus être « la » réponse politique qu’ils espéraient, et qu’ils attendent. Le vote interne visant à départager Bruno Gollnisch de Marine Le Pen pour la présidence du parti ? Cela ne les intéresse pas vraiment, disent-ils. « Avant, on avait l’impression que le FN était un parti de propositions, pouvant séduire une certaine élite », avance cet étudiant au cou protégé par un foulard de soie et qui se dit « encarté à l’UMP ». Il s’explique : « C’est devenu un parti populiste, à la recherche du vote ouvrier. » « Il y a chez nous comme un dégoût de la politique renchérit, à quelques pas de là, un père de famille très désabusé. Nous sommes les éternels cocus : même au Front national, on n’entend plus beaucoup parler de la famille, du travail dominical ou de la défense de la vie (comprendre : de la lutte contre l’avortement). En 2012, moi qui ai toujours voté Le Pen, il est probable que, cette fois, je ne voterai pas… »
Bruno Gollnisch apparaît comme le candidat le plus proche des « valeurs » chères à ces catholiques-là. « Bruno est pratiquant, et a un frère prêtre », aime d’ailleurs à rappeler Jean-Marie Le Pen. Et « Bruno », comme l’appellent ses amis, reste, lui, très ferme sur la question de l’avortement. L’autre jeudi, à Nanterre, lors des vœux du FN, il confiait, pas mécontent de se démarquer de sa rivale, sa volonté de « changer cette loi pour une autre législation ». De fait, Marine Le Pen privilégie, elle, le principe d’un « accompagnement » des femmes. Pour le reste, elle fait remarquer que « beaucoup de catholiques ne demandent pas l’abrogation de la loi Veil ».
Pourtant, chez les « tradis » – selon l’expression qu’ils revendiquent – il s’agit là d’un point capital. Michel Janva, administrateur d’un blog très connu de ce milieu-là (le Salon beige, 15.000 visiteurs quotidiens revendiqués), assure que Benoît XVI a fixé « trois points non négociables » : le respect de la vie, la défense de la famille, la liberté scolaire (défense de l’école privée). « Le premier point, dit-il, a soulevé beaucoup de débat sur notre site. Marine Le Pen a, sur ce sujet, des déclarations ambiguës. On sent qu’en tant que femme médiatique, elle ne veut pas trop insister sur un thème qu’elle juge peu porteur. » De fait, Bernard Anthony, longtemps chef de file de la branche « catho tradi » du FN (avant de quitter le mouvement), ne cache pas sa préférence : Gollnisch, d’abord.
« Elle est deux fois divorcée »
Vite, on passe, chez certains, de la « théorie » aux attaques en piqué contre la vie privée : « Marine Le Pen a divorcé deux fois. L’affect joue toujours », insiste Janva, l’air de rien. Une frange du FN continue d’ailleurs à la prendre à partie en brocardant « la night-clubbeuse ». N’a-telle pas, à sa façon, une image de femme libérée, loin des canons en vigueur chez les afficionados de la messe à l’ancienne ? Elle-même se dit « très déçue » par les commentaires de ces traditionalistes, estimant leurs procès d’intention « idiots, absurdes et blessants ». Et de rappeler que ses trois enfants ont été baptisés à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, place forte intégriste du Ve arrondissement de Paris.
Il reste que ces catholiques-là n’intéressent plus vraiment le FN, en tout cas beaucoup moins qu’autrefois. A France-Soir, Marine Le Pen soutient : « Je ne fixe pas mon projet politique en fonction de telle ou telle demande religieuse. » En coulisses, son équipe sort la calculette : « Notre électorat, à 95 %, n’est ni bourgeois ni catholique. Les catholiques conservateurs représentent le passé et s’opposent à notre stratégie de modernisation. On ne rappellera jamais des gens comme Bernard Anthony. Ils nous sont nuisibles », lâche un conseiller de la fille de Jean-Marie Le Pen.
Marine Le Pen, pendant ce temps, se tait. Elle qui a baigné toute sa vie dans un catholicisme vague, presque du terroir, qu’elle a hérité de son père : « Mon mari ne prie pas le soir en se couchant, confie Jany Le Pen, l’épouse (protestante) du fondateur du FN. De même qu’il a le respect du paysan, il a le respect du curé : la population regroupée autour de son église, dans un village, c’est apaisant… »