31 janvier 2017

[Agence I.Media - via Famille Chrétienne] Fraternité Saint-Pie-X : vers une prélature personnelle

SOURCE - Agence I.Media - via Famille Chrétienne - 31 janvier 2017

La réconciliation avec les lefebvristes se fait plus proche, titre le 30 janvier 2017 le site Vatican Insider. Mgr Guido Pozzo, secrétaire de la commission pontificale Ecclesia Dei, chargée du dialogue avec la Fraternité Saint-Pie-X (FSSPX), confirme notamment que la commission travaille sur la “forme juridique“ pour accueillir la FSSPX. 

“En ce moment, nous travaillons sur le perfectionnement de quelques aspects de la forme canonique (pour accueillir la FSSPX ndlr), qui sera une prélature personnelle“, explique ainsi Mgr Pozzo à Vatican Insider, un site proche du Vatican.

La forme d’une prélature personnelle a été introduite en 1983 dans le droit canon. Elle s’applique aujourd’hui uniquement à l’Opus Dei.
Le pape attentif aux “périphéries” 
Dans un entretien du 29 janvier avec la chaîne TV Libertés, Mgr Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité fondée par Mgr Marcel Lefebvre, affirme qu’un accord est “possible“. Selon le prélat, il n’est pas “nécessaire“ d’attendre que la situation interne dans l’Eglise soit devenue “totalement satisfaisante“ aux yeux de la Fraternité Saint-Pie X.

Dans cet entretien, Mgr Fellay explique également la sollicitude du pape François pour la FSSPX par son attention aux “périphéries“, et affiche son souhait de mettre fin à la séparation d’avec Rome. “Il ne manque plus qu’un ‘tampon’ pour conclure un accord“, a-t-il même exprimé.

Depuis les quatre ordinations épiscopales illégitimes célébrées par Mgr Lefebvre en 1988, plaçant sa Fraternité dans une situation d’excommunication de fait, les discussions en vue d’une réconciliation avaient repris en 2000, au cours du pèlerinage à Rome des lefebvristes.

Les contacts se sont ensuite intensifiés avec Benoît XVI, avec l’examen des différends doctrinaux. Les excommunications à l’encontre des quatre évêques lefebvristes avaient alors été levées. A la fin de l’Année de la miséricorde, le pape François avait pour sa part concédé aux prêtres de la Fraternité la faculté de pouvoir licitement absoudre les fidèles en confession.

Le mandat de Mgr Bernard Fellay comme supérieur de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X s’achèvera en 2018.

[Isabellet Cousturié - Aleteia] Les lefebvristes de retour dans la barque de Pierre ?

SOURCE - Isabellet Cousturié - Aleteia - 31 janvier 2017

Il faudra encore du temps mais la réconciliation avec les lefebvristes se fait plus proche, nous apprend l’entretien accordé à Vatican Insider par Mgr Guido Pozzo, secrétaire de la commission pontificale Ecclesia Dei, chargée du dialogue avec la Fraternité Saint-Pie-X (FSSPX). Ce dernier confirme que la commission travaille sur la « forme juridique » pour accueillir la FSSPX. La veille, le supérieur de la Fraternité, Mgr Bernard Fellay, dans un entretien avec la chaîne TV Libertés (voir au bas de cet article), avait lui-même souligné que « l’accord est en marche » et qu’aux yeux de la Fraternité, « il n’est pas nécessaire d’attendre que la situation au sein de l’Église soit totalement satisfaisante pour arriver à une solution canonique ».
Situation complexe
Invité dans le cadre de l’émission Terres de mission, Mgr Fellay expose dans cet entretien la spiritualité propre de la Fraternité Saint Pie X et fait un point sur les relations avec le Saint-Siège, suite aux dernières rencontres avec le Pape, et aux nouvelles propositions qui lui ont été faites. Après un rappel des dispositions prises par le Saint-Père à l’occasion du jubilé de la miséricorde – puis étendu « sans limites temporelles » dans la lettre Misericordia et misera – sur le sacrement de réconciliation et l’onction des malades – vu à ses yeux comme « le signe de la volonté du Saint-Père de favoriser le chemin vers une reconnaissance canonique complète et stable » – le supérieur général a évoqué la question des ordinations sacerdotales de la Fraternité qui, a-t-il affirmé, « ont lieu sous autorisation du Saint-Siège, sans que l’évêque local ait à donner son consentement».
     
Sur ce point, Mgr Guido Pozzo, a parlé de son côté, d’une situation « “un peu plus complexe” qui remonte à une décision prise par Benoît XVI et par la Congrégation pour la doctrine de la foi, il y a quelques années : le Saint-Siège, explique-t-il à Vatican Insider, permet et tolère les ordinations sacerdotales de la Fraternité Saint Pie X, les considérant néanmoins toujours valables mais pas licites, à condition que l’évêque local ait reçu communication au préalable des noms des futurs prêtres. Le pape François, lui, n’a légitimé que l’administration des sacrements et de l’onction des malades. Ainsi, pour que tous les autres actes sacramentaux soit non seulement “valides” mais “légitimes” il faut arriver à une solution canonique qui donne à la Fraternité sa forme », a précisé Mgr Pozzo.
Vers la seconde prélature de l’Histoire ?
Et la solution envisagée pourrait être celle de la « Prélature personnelle », un statut introduit dans le nouveau code de droit canon en 1983, jusqu’ici appliqué uniquement à l’Opus Dei. Cette possibilité pour la Fraternité Saint-Pie X a été proposée par la Congrégation pour la doctrine de la foi, en 2015, accompagnée d’une proposition de déclaration doctrinale, sur lesquels tous les supérieurs majeurs et quelques théologiens de la Fraternité, ainsi que les évêques ont été invités à se pencher pour donner leur avis. La majorité a reconnu « les effets bénéfiques » que celle-ci pourrait avoir et ont salué la proposition comme « une ouverture apostolique assez extraordinaire ». Mais la méfiance est toujours de mise – des deux côtés – et les échanges se sont poursuivis « sans précipitation ».
Après le « couac » de 2016
Début avril 2016, le pape François avait tendu la main aux lefebvristes, recevant pour la première fois officiellement Mgr Fellay. Une rencontre décrite comme « cordiale et constructive » et comme « un pas supplémentaire sur le chemin de la réconciliation » entre Rome et la Fraternité. Mais, trois mois plus tard, fin juin 2016, c’était à nouveau la confusion. La Fraternité faisait savoir – après une série de discussions avec les supérieurs de la FSSPX – qu’elle ne recherchait pas « avant tout la reconnaissance canonique (…) à laquelle elle a droit en tant qu’œuvre catholique (…) mais porter fidèlement la lumière de la Tradition bimillénaire (…) la seule route à suivre en cette époque de ténèbres où le culte de l’homme se substitue au culte de Dieu, dans la société comme dans l’Église ». À ceux qui voyaient en ces propos la fermeture d’une porte à peine ouverte, les lefebvristes ont préféré parler d’une attitude « attentiste » face à une « grande et douloureuse confusion dans l’Église».
Entre lueurs et entraves…
Les obstacles qui empêchent une réconciliation définitive sont de deux ordres : « doctrinal » ; et « mental ou psychologique », expliquait le secrétaire de la commission pontificale Ecclesia Dei, dans un entretien réalisé, l’année dernière, par l’agence Zenit, et traduit en français et rapporté sur le site de la Fraternité.
     
Concernant les problèmes doctrinaux, relève aujourd’hui Vatican Insider, « l’essentiel semble surmonté en vue de l’accord ». Il aurait été demandé aux membres de la FSSPX « »ce qui est nécessaire » pour être catholiques », soit reconnaître la « professio fidei », c’est-à-dire la validité des sacrements célébrés avec le Novus Ordo (la liturgie issue de la réforme post-conciliaire, contestée par les lefebvristes sur pas mal de points), et l’obéissance au Pape. Des discussions sur les rapports entre « magistère » et « tradition » auraient pris un tournant positif, en revanche des questions liées à l’œcuménisme, à la liberté religieuse et aux relations Église-monde feraient encore l’objet d’un approfondissement, voire « d’un profond désaccord ».
     
Concernant le changement « d’attitude morale et psychologique » souhaité par les deux parties, il y a eu des progrès. Il s’agissait « de passer d’une position de confrontation polémique et antagoniste à une position d’écoute et de respect mutuel, d’estime et de confiance, comme cela doit être le cas entre membres du même Corps du Christ, qui est l’Église », expliquait Mgr Pozzo il y a un an. Aujourd’hui, c’est sur cette ligne, avec des hauts et des bas, que semblent naviguer les discussions. Et les derniers propos de Mgr Felay – dont le mandat à la tête de la Fraternité prend fin en 2018 – semblent le confirmer : « Un accord est possible , a-t-il confié sur les antennes de la chaine TV Libertés. Pas besoin « d’attendre que la situation interne dans l’Eglise soit totalement satisfaisante », il ne manque plus qu’un » tampon » pour conclure cet accord, a-t-il déclaré.
Plus qu’un « tampon » pour conclure
Aux yeux de plusieurs médias, la position actuelle semble de plus en plus en phase avec celle de leur fondateur, Mgr Lefebvre, qui était arrivé en 1988 à deux doigts d’un accord avec Josef Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, avant que tout ne saute au dernier moment.

[Abbé Philippe Bourrat, fsspx - ] L'illusion fatale du monde numérique

SOURCE - Abbé Philippe Bourrat, fsspx - janvier 2017

Alors que les rapports internationaux s’accumulent pour souligner l’échec global du système scolaire français à l’école primaire et au collège, le débat sur la responsabilité des nouvelles technologies dans l’affaiblissement des niveaux scolaires se pose et se fait plus urgent.
     
Le dernier rapport, en date du 29 novembre 2016, s’est intéressé aux capacités des élèves de CM1 et de Terminale S, en mathématiques et en sciences. L’enquête internationale Timss (Trends in International Mathematics and Science Study), révèle Le Monde, pointe du doigt la faiblesse des Français : « Les 4 870 élèves de l’échantillon français ont obtenu un score moyen de 488 points en mathématiques et de 487 points en sciences. C’est en deçà de la moyenne internationale (500) et européenne (525) (1). » Des résultats qu’il peut être utile de relativiser, les programmes n’étant pas identiques d’un pays à l’autre. Mais le détail des tests proposés aux élèves de CM1 laisse songeur : « Donnez-leur une suite chiffrée, « 6, 13, 20, 27… » ; demandez-leur de la poursuivre, ils sont seulement 59 % à avoir su répondre « 34 ». Ils sèchent encore plus sur les fractions : 15 % sont capables d’identifier, parmi quatre camemberts découpés en parts, celui correspondant à la fraction « 3/8 ». En sciences, 53 % parviennent à identifier, sur des images, un canard et une grenouille comme ovipares et non comme mammifères.(2)»
     
On ne peut cependant même pas se consoler de ces piètres résultats par une éventuelle maîtrise de la langue française. Là encore, la chute est impressionnante. La même dictée réalisée en 1987 et en 2007 sur des milliers d’enfants de CM2 révèle que 46 % d’entre eux faisaient 15 fautes et plus en 2007, contre 26 % en 1987. La solution apportée ? Il fallait y penser : une simplification de l’orthographe datant de 1990, réactivée à grand renfort de publicité et de polémiques stupides ! En grammaire, les conjugaisons sont massacrées, les accords grammaticaux deviennent aléatoires. On voit dans cette dérive les conséquences de l’abandon des apprentissages systématiques de ces disciplines.
      
Alors, à qui la faute ? Plusieurs facteurs se conjuguent sans doute pour expliquer la chute du niveau scolaire des Français. Mais la surconsommation des écrans (téléphone, réseaux sociaux, internet, vidéo, télévision) est de plus en plus souvent montrée du doigt. Les alertes se multiplient venant des milieux les plus divers : médicaux et paramédicaux, enseignants libres de leur parole et milieux favorables à une sortie du monde ultralibéral et consumériste, pour une vie humaine plus respectueuse des ressources de la planète, vision de type écologiste et volontiers panthéiste, qui recherche une nouvelle sagesse humaine de vie, avec ou sans dieu.
     
De fait, les jeunes possèdent presque tous un ordinateur ou y ont un accès facile à la maison (99% des élèves de 15 ans en 2012), sans compter les téléphones portables, les tablettes.
      
Soucieuse de produire de plus en plus de consommateurs qui fourniront des débouchés aux sociétés d’informatique, l’Education nationale a lancé un énième plan numérique, faisant le pari de donner une tablette à 175 000 élèves et collégiens à la rentrée de septembre 2016. L’objectif annoncé est de permettre à tous les élèves d’accéder aux prétendus avantages pédagogiques des outils numériques.
      
Mais de plus en plus de chercheurs tirent la sonnette d’alarme.La technologie induit une modification de notre cerveau qui sait s’adapter aux pratiques auxquelles on le soumet. L’usage régulier d’internet et de la communication numérique modifie le cerveau et dérègle bien des équilibres physiques et psychiques. Pour l’écriture, par exemple, les enfants écrivent finalement beaucoup, mais mal, avec les messageries électroniques. Les abréviations, les expressions codées du langage de messagerie constituent un ersatz de langue et appauvrissent la pensée. Les logiciels d’écriture réduisent la créativité de la production elle-même puisqu’ils forcent le cerveau à réagir aux suggestions proposées. On accepte ou l’on refuse le mot ou l’expression que la machine suggère. Cela fait appel à la partie du cerveau qui gère la réactivité et toutes stimulations de la sensibilité, et non à celle qui crée, qui synthétise, qui fait mémoriser à long terme. On ne réfléchit pas, on réagit. Au fond, la correction orthographique du logiciel suppose, pour être efficace, une connaissance préalable des règles orthographiques et grammaticales, d’autant plus que les correcteurs intégrés sont plus ou moins fiables. S’ils peuvent repérer un certain nombre de fautes, ils ne font pas pour autant assimiler les règles et leur application à leurs utilisateurs. Dans les programmes scolaires d’aide destinés à améliorer l’orthographe des élèves, les exercices proposés privilégient l’aspect ludique sur la réflexion et bloquent finalement les processus d’assimilation à long terme des savoirs, au profit d’un jeu aléatoire et binaire (vrai/faux).
     
Passer de plus en plus d’heures devant un écran n’est donc pas sans risque. Philippe Bihouix et Karine Mauvilly viennent de publier Le désastre de l’école numérique – Plaidoyer pour une école sans écrans(3). L’essai annonce la couleur dans son titre. Reprenant les clichés servis par les défenseurs de l’utilisation massive des outils numériques, les auteurs démontrent la réalité souvent opposée, d’après des études récentes, et relèvent la faiblesse des arguments qui sont avancés pour justifier la politique gouvernementale en la matière.
     
La corrélation entre le temps d’exposition d’un enfant aux écrans et ses difficultés scolaires est mise en lumière par un certain nombre d’études, sans oublier les risques sanitaires (activité physique insuffisante et risque d’obésité, sommeil perturbé, troubles récurrents de la vue, etc.) et les perturbations psychiques que l’addiction aux technologies entraîne (manque de confiance en soi, stress, dépression, perte de concentration, impatience croissante, incapacité de lire et de comprendre des textes de plus de vingt lignes). Enfin, l’individualisme induit par ces pratiques coupe du réel et fait perdre le contact avec un prochain en chair et en os.
     
Autrement dit, un enfant qui joue (sans écran !) en plein air et fréquente d’autres enfants se portera mieux et réussira mieux que celui qui vit sans cesse connecté. Un enfant qui observe la nature ou la réalité qu’il découvre, apprend à la commenter et à décrire ce qu’il voit, la transcrit par un dessin ou un texte, que l’on interroge et qui assimile le savoir par le discours oral, se révèle plus apte à réussir scolairement que celui qui clique ou agite ses doigts à longueur de temps sur un écran numérique.
     
Ainsi, contrairement à ce que martèlent ses partisans, le numérique ne permet pas de mieux apprendre. Le rapport PISA 2015 (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) de l’OCDE est formel : « En moyenne, au cours des 10 dernières années, les pays qui ont consenti d'importants investissements dans les technologies de l'information et de la communication dans le domaine de l'éducation n'ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l'écrit, en mathématiques et en sciences. » Les capacités de compréhension d’un enfant face à lecture d’un texte et même la qualité d’utilisation de sa navigation sur internet sont inversement proportionnelles à la fréquence de l’utilisation de l’ordinateur à l’école.
     
Même si d’autres facteurs entrent en ligne de compte pour la réussite scolaire d’un enfant (attention et soutien apportés par les parents à sa scolarité, mise en valeur de l’effort et du travail dans la famille, accès aux livres, niveau culturel des conversations dans lequel il baigne depuis son plus jeune âge et fréquence des échanges oraux qu’il aura avec ses proches, lesquels structurent la syntaxe et enrichissent le lexique disponible, nature des loisirs mis à sa disposition, contact in situ avec d’autres enfants, etc.), l’intrusion massive des pratiques numériques montre à quel point cette technologie, entrée précocement dans les processus d’apprentissage, révolutionne, perturbe et finalement met en péril la vie des enfants et leurs capacités intellectuelles profondes.
     
C’est sans doute pourquoi, en Californie de nombreux parents qui travaillent dans les nouvelles technologies, dans la Silicon Valley mettent leurs enfants dans des écoles… sans écran ou en usage tardif et faible dans la scolarité. Philippe Bihouix rapporte dans son essai le fait suivant : « Dans un reportage de NBC, on découvre l’un des parents d’élèves, un vice-président de Google, « connecté 24 heures sur 24 » mais « qui ne veut pas cela pour ses enfants. » « Je crois que nous leur offrons une enfance créative, qui n’est pas contrainte pas la technologie, et où nous faisons confiance aux enfants », témoigne ce parent. Plus étrange encore, dans un classement des dix lycées les plus connectés des Etats-Unis, on ne trouve pas un seul établissement californien. Ces dirigeants qui inondent le monde d’objets connectés auraient-ils compris quelque chose qui nous échappe ? (4)»
     
La dénonciation de l’essai se prolonge également pour souligner le désastre écologique que représente l’explosion de la consommation de matériaux rares qui entrent dans les processus de fabrication des objets numériques et dont certains sont objectivement dangereux pour la santé. Enfin, l’essai propose un certain nombre de solutions alternatives pour une école sans écran. Les mesures de bon sens côtoient quelques préconisations démagogiques et politiquement correctes mais l’essai n’en demeure pas moins utile à lire.
     
Comme on le voit, toutes ces considérations font abstraction de la dimension morale des usages numériques et de leurs contenus. Mais même dans une perspective naturaliste et libérale qui caractérise la plupart de ces alertes, on trouve une dénonciation intéressante de la dérive actuelle du « tout numérique ». Le manque de réflexion éducative peut malheureusement compromettre dans certaines familles catholiques l’avenir de leurs enfants. Influencés par les modes et les slogans consuméristes ambiants, les parents ne perçoivent pas toujours l’enjeu à moyen terme de leurs pratiques familiales en matière technologique.
     
Il peut être encore temps de prendre en main son avenir et celui de ses enfants pour éviter un désastre éducatif et social à long terme (5).
     
Abbé Philippe BOURRAT, prêtre de la FSSPX, Directeur de l'enseignement du District de France
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Notes
(1) Le Monde du 29/11/16
(2) ibidem
(3) Editions du Seuil, 2016
(4) Ph. Bihouix, K. Mauvilly, Le désastre de l’école numérique, p.47-48
(5 Autres ouvrages intéressants sur cette question :
- Franck Amadieu et André Tricot, Apprendre avec le numérique. Mythes et réalités, Retz, 2014
- Cédric Biagini, L'emprise numérique, Editions L'Echappée, 2012
- Nicholas Carr, Internet rend-il bête ?, Robert Laffont, 2011
- Michel Desmurget, TV Lobotomie : La vérité scientifique sur les effets de la télévision, Max Milo, 2011, Edition de poche : J'ai lu, 2013

[Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - Courrier de Rome] François hérétique?

SOURCE - Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - Courrier de Rome - n° 595 - janvier 2017

1. Traiter son adversaire « d’hérétique » pouvait être de bon ton dans un certain contexte ecclésial désormais révolu. Plus précisément, les hommes d’Église, qu’ils fussent ou non théologiens, ont eu, eux aussi, leur répertoire d’injures. L’invective est de tous les temps et de toutes les professions. On en trouve déjà de bonnes traces dans l’Évangile, jusque dans la bouche du Verbe Incarné. On peut en regretter la raréfaction, depuis le dernier concile, et déplorer le ton feutré et sucré qui règne désormais dans les dialogues interconfessionnels. L’usage de l’injure devrait rester légitime, mais à condition que l’on ne se méprît pas sur sa portée, qui sera toujours limitée. Bien souvent, elle déchoit en effet de sa valeur d’origine et ne représente plus que le dernier recours de ceux qui ont perdu tous leurs arguments et veulent seulement éviter de perdre la face. Et nous ne parlons pas de la diabolisation, qui est une forme de manipulation, à grande échelle. Bref, nous serions ici en pleine rhétorique et, si l’on veut, en dehors du terrain proprement théologique. La rhétorique peut éventuellement servir d’appoint à la théologie, et c’est justement là ce qui fonde sa légitimité, mais elle ne saurait la remplacer, encore moins en masquer la vacuité.
  
2. Il en va autrement de la censure doctrinale : celle-ci est une expression technique, elle fait partie de celles auxquelles recourent les spécialistes pour donner une évaluation aussi précise que possible. La qualification « d’hérétique » correspond à ce langage de précision dont use le théologien ; elle s’applique en ce sens à une personne dont les faits et les dires manifestent suffisamment un refus ou une mise en doute de la proposition du donné révélé, faite par le Magistère infaillible de l’Église. Elle s’applique aussi, par voie de conséquence, ou par extension de sens, à une proposition qui est en contradiction avérée avec le dogme.
  
3. Appliquer ce genre de qualificatif à une personne ou à une proposition implique donc que l’on ait préalablement vérifié le refus ou la contradiction en cause. Il ne s’agit pas seulement de savoir s’il y a ou non un refus ou une contradiction. Il s’agit aussi de vérifier si ce refus ou cette contradiction porte précisément sur un dogme, c’est-à-dire sur une vérité non seulement révélée, mais encore proposée comme telle par un acte infaillible de Magistère ecclésiastique. C’est dire toute la complexité de la chose qui se cache derrière le mot.
  
4. La question que nous nous posons ici est extrêmement précise : le Pape François mérite-t-il pareille qualification aux yeux de la simple théologie, telle que peut l’exercer, en raison de ses compétences réelles et reconnues, n’importe quel membre de l’Église enseignante ? Et la mérite-t-il à cause de ce qu’il affirme dans l’Exhortation apostolique Amoris lætitia? Quarante-cinq théologiens ont cru devoir l’affirmer. Quatre cardinaux laissent assez clairement entendre que, faute d’avoir donné une réponse satisfaisante à leurs dubia, le Souverain Pontife pourrait mériter l’attribution d’une telle censure. Que dire ? Jetons simplement un coup d’oeil sur les cinq dubia présentés par les quatre cardinaux ainsi que sur les passages correspondants d’Amoris lætitia, ceux dont la signification est l’objet du doute. Pour faire bref, et pour être aussi clair que possible, nous formulerons l’idée substantielle de chaque dubium.
5. Le premier dubium pose la question à propos des § 300-305 de Amoris lætitia : est-il possible de donner l’absolution et la communion sacramentelles à des personnes divorcées remariées qui vivent dans l’adultère impénitent ? Pour qui s’en tient à la doctrine catholique, la réponse est non. Que dit précisément Amoris lætitia ? Le passage suivant du n° 305 dit ceci : « À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église. » [On lit en note : « Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, " aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur" (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n° 44). Je souligne également que l’Eucharistie "n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles" (Ibidem, n° 47) . »] Le doute surgit ici avec la note. Il est hors de doute que l’ignorance non coupable du péché excuse du péché. Mais à ceux qui sont victimes de cette ignorance et bénéficient pour autant de cette excuse, l’Église apporte d’abord l’aide de sa prédication et de ses avertissements, l’Église commence par mettre un terme à l’ignorance, en ouvrant les yeux des ignorants sur la réalité de leur péché. L’aide des sacrements ne peut venir qu’ensuite, si et seulement si les anciens ignorants désormais instruits de la gravité de leur état sont décidés à prendre les moyens de leur conversion et s’ils ont ce que l’on appelle le ferme propos. Faute de quoi, l’aide des sacrements serait inopérante, et représenterait, elle aussi, une situation objective de péché. Nous avons donc affaire ici à un doute au sens le plus strict du terme, c’est-à-dire à un passage susceptible d’une double interprétation. Et ce doute surgit précisément à la faveur de l’expression indécise de la note : « dans certains cas ». Pour dissiper ce doute, il est indispensable d’indiquer clairement quels sont les cas où l’aide sacramentelle de l’Église s’avère possible et de dire qu’il s’agit des situations où les pécheurs suffisamment éclairés sont déjà décidés à sortir de la situation objective de péché.
  
6. Le deuxième dubium pose la question à propos du §304 : existe-t-il des actes intrinsèquement mauvais d’un point de vue moral, que la loi réprouve sans aucune exception possible ? Pour qui s’en tient à la doctrine catholique, la réponse est oui. Que dit précisément Amoris lætitia ? Le n° 304, citant la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin (1a2æ, question 94, article 4), insiste sur l’application de la loi, plutôt que sur la loi elle-même, et met en évidence la part qui revient au jugement de la prudence, lequel ne saurait s’exercer qu’au cas par cas, en dépendance étroite des circonstances uniques et singulières. « Les normes générales présentent un bien qu’on ne doit jamais ignorer ni négliger, mais dans leur formulation, elles ne peuvent pas embrasser dans l’absolu toutes les situations particulières. En même temps, il faut dire que, précisément pour cette raison, ce qui fait partie d’un discernement pratique face à une situation particulière ne peut être élevé à la catégorie d’une norme. » Ce passage n’introduit pas une ambivalence, à proprement parler. Il insiste seulement trop sur une partie de la vérité (l’application prudente de la loi), au point de laisser dans l’ombre l’autre partie de la même vérité (la valeur nécessaire de la loi), tout aussi importante que la première. Le texte pèche donc ici par omission, occasionnant ainsi une mauvaise lecture.
  
7. Le troisième dubium pose la question à propos du §301 : peut-on dire que les personnes vivant habituellement en contradiction avec un commandement de la loi de Dieu (comme par exemple celui qui interdit l’adultère) sont dans une situation objective de péché grave habituel ? La réponse catholique est oui. Amoris lætitia dit ici : « Par conséquent, il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite irrégulière vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. » Deux points sont à mettre en évidence. Premier point, la phrase citée pose en principe l’impossibilité d’une affirmation universelle. Elle ne nie pas la possibilité de dire que les pécheurs publics sont privés de la grâce, elle nie seulement la possibilité de dire que les pécheurs publics le sont tous. Pareille négation a toujours été enseignée par l’Église. Il y a en effet, dans le concret des actes humains, ce que l’on appelle des causes (ou des conditionnements) excusantes. En raison de celles-ci, le pécheur peut ne pas être moralement responsable de la situation objective du péché. Ces causes sont non seulement l’ignorance, mais aussi des carences de type émotionnel, affectif ou psychique et le §302 en donne le détail en s’appuyant pour cela sur l’enseignement du nouveau Catéchisme de l’Église catholique de 1992. Cependant, ces motifs disculpants (quand bien même ils seraient fréquents, ce qui reste à prouver) disculpent la personne mais ne font pas cesser pour autant la situation objective de péché : le pécheur disculpé subjectivement ne cesse pas de s’y trouver objectivement. C’est pour omettre cette distinction capitale que le passage d’Amoris lætitia introduit encore ici le doute.
  
8. Le quatrième dubium pose la question à propos du §302 : peut-on encore dire que, du point de vue moral, un acte déjà intrinsèquement mauvais en raison de son objet ne peut jamais devenir bon en raison des circonstances ou de l’intention de celui qui l’accomplit ? La réponse catholique est oui. Amoris lætitia dit : « Un jugement négatif sur une situation objective n’implique pas un jugement sur l’imputabilité ou la culpabilité de la personne impliquée. » Cela est vrai, mais la réciproque ne l’est pas, et c’est pour omettre de le dire que ce passage introduit encore le doute. Si un divorcé remarié pèche, il pèche en tant que tel, précisément parce qu’il vit dans une situation objective de divorcé remarié, qui est la situation objective d’un péché grave, appelant comme telle un jugement négatif. Si le divorcé remarié ne pèche pas, ce n’est pas en tant que tel, précisément pour d’autres raisons que sa situation objective de divorcé remarié, laquelle conduit de soi au péché. La confusion a lieu ici entre la malice intrinsèquement mauvaise d’un acte et l’imputabilité de cette malice à celui qui commet l’acte. Les circonstances de l’acte et l’intention de celui qui commet l’acte peuvent avoir pour effet d’annuler l’imputabilité de la malice de l’acte, mais non d’annuler la malice de l’acte. Ce quatrième doute procède de la même omission que le troisième.
  
9. Le cinquième dubium pose la question à propos du §303 : peut-on dire que la conscience doit toujours rester soumise, sans aucune exception possible, à la loi morale absolue qui interdit les actes intrinsèquement mauvais en raison de leur objet ? La réponse catholique est oui. Amoris lætitia répète ici la confusion fausse déjà introduite par François dans son entretien avec le journaliste Eugenio Scalfari (1). Nul ne peut agir contre sa conscience, même erronée. Cependant, dire que la conscience, même erronée oblige, signifie directement qu’il est mal de la transgresser ; mais cela n’implique pas du tout qu’il soit bon de la suivre. Si la conscience est dans l’erreur, parce qu’elle n’est pas conforme à la loi de Dieu, il suffit de ne pas la suivre pour que la volonté soit mauvaise, mais il ne suffit pas de la suivre pour que la volonté soit bonne. Saint Thomas (2) remarque que la volonté de ceux qui tuaient les Apôtres était mauvaise. Pourtant, elle s’accordait avec leur raison erronée, selon ce que dit Notre Seigneur, dans l’Évangile (Jn, 16, 2) : « L’heure vient où quiconque vous mettra à mort, croira obéir à Dieu. » C’est donc bien la preuve qu’une volonté conforme à une conscience erronée peut être mauvaise. Et voilà justement ce que Amoris lætitia ne précise pas, introduisant ici un cinquième doute.
  
10. Les cinq doutes sont donc parfaitement fondés. La racine en est toujours la même, et c’est la confusion entre la valeur morale de l’acte, valeur strictement objective, et son imputabilité à celui qui l’accomplit, imputabilité strictement subjective. Même s’il peut arriver que la malice morale ne soit pas imputable subjectivement, parce que la personne qui accomplit l’acte en est excusée (ce qui reste à vérifier, autant que possible, dans chaque cas), l’acte correspond toujours et partout à une malice objective et se trouve pour autant à la racine d’une situation objective de péché, qu’elle soit de fait imputée ou non à celui qui s’y trouve. La doctrine traditionnelle de l’Église donne la primauté à cet ordre objectif de la moralité de l’acte, qui découle de son objet et de sa fin. Amoris lætitia, en reversant cet ordre, introduit le subjectivisme dans la morale.
  
11. Pareil subjectivisme, tel que pris dans son principe ainsi que dans les cinq conclusions qui en découlent ici, représente-t-il la négation d’une vérité divinement révélée et proposée comme telle par un acte infaillible du Magistère ecclésiastique ? Il faudrait pouvoir répondre oui, pour pouvoir conclure que Amoris lætitia représente autant d’hérésies que de points signalés et que François mérite la qualification théologique équivalente.
  
12. Et pour établir cette conclusion, il faudrait vérifier deux choses. Premièrement, les cinq vérités battues en brèche par ces cinq doutes sont-elles autant de dogmes ? Deuxièmement, Amoris lætitia représente-t-elle la négation, ou du moins la mise en doute formelle et suffisamment explicite de ces dogmes ? La réponse à ces deux questions est loin d’être évidente et certaine. Car la nouvelle théologie de François, qui prolonge celle de Vatican II, évite ce genre d’opposition formelle vis-à-vis des vérités déjà proposées infailliblement par le Magistère antérieur à Vatican II. Elle pèche le plus souvent par omission ou par ambivalence. Elle est donc douteuse, dans sa substance même. Et elle l’est dans la mesure même où elle est moderniste, ou plus précisément néomoderniste. Le chapitre huitième d’Amoris lætitia se définit, comme les autres, par l’intention fondamentale assignée par le Pape à tout le texte de l’Exhortation, et qui est de « recueillir les apports des deux Synodes récents sur la famille, en intégrant d’autres considérations qui pourront orienter la réflexion, le dialogue ou bien la praxis pastorale » (3). Il y a donc ici ni plus ni moins que matière à réflexion, dialogue ou praxis. Telle n’est point la matière de la négation franche et nette ou de la mise en doute. Ou plutôt, si Amoris lætitia se faisait le facteur de l’hérésie, ce serait d’une manière absolument unique, sournoise et larvée comme le modernisme même, c’est-à-dire par le biais d’une pratique et d’une accoutumance, beaucoup plus que dans le cadre d’un enseignement formel. L’hérésie (s’il en est une) du pape François est celle d’une subversion pratique, d’une révolution dans les faits, et nous dirions volontiers que c’est elle qui était demeurée jusqu’ici cachée derrière le nouveau concept du « Magistère pastoral ». Or, en ce domaine, les censures doctrinales ont difficilement prises. Les censures établissent en effet un rapport de contrariété logique entre une proposition donnée et le dogme préalablement défini. Et ce rapport ne saurait avoir lieu qu’entre deux vérités spéculatives, relevant du même ordre de la connaissance. La subversion consiste quant à elle à susciter chez les catholiques des comportements découlant de principes opposés à la doctrine de l’Église. C’est ainsi qu’Amoris lætitia, tout en réaffirmant le principe de l’indissolubilité de mariage (au n° 52-53, 62, 77, 86, 123, 178) légitime une manière de vivre ecclésialement qui découle du principe opposé à cette indissolubilité (243, 298-299, 301-303) : le Magistère néomoderniste réaffirme le principe catholique du mariage, tout en autorisant qu’en pratique tout se passe comme si le principe opposé était vrai. Comment censurer cela? La note d’hérésie (entendue au sens strict d’une évaluation doctrinale) y garderait-elle encore son sens?
  
13. En matière de censures, il est difficile de trouver l’expression la mieux appropriée, et il n’est pas rare que les théologiens divergent dans leurs appréciations. Sans vouloir affirmer que leurs intuitions soient fausses, ni que les appréciations contraires aux leurs soient vraies, nous voudrions attirer l’attention des catholiques perplexes sur une difficulté dont on ne tient peut-être pas toujours suffisamment compte. Difficulté de ce néomodernisme propre à Vatican II, qui procède beaucoup plus à la façon d’une subversion dans les faits, qu’au sens d’une hérésie doctrinale dans les textes. La preuve de cette difficulté vient d’ailleurs de nous être donnée, comme malgré lui, par le préfet de la Sacré Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Interrogé le samedi 7 janvier sur une chaîne italienne d’information, le cardinal Müller a déclaré que l’Exhortation apostolique Amoris lætitia « est très claire dans sa doctrine » et que l’on peut l’interpréter de façon à y retrouver « toute la doctrine de Jésus sur le mariage, toute la doctrine de l’Église en 2000 ans d’histoire ». Selon lui, le Pape François « demande de discerner la situation de ces personnes qui vivent une union irrégulière, c’est-à-dire qui ne respectent pas la doctrine de l’Église sur le mariage, et demande que l’on vienne en aide à ces personnes pour qu’elles puissent trouver un chemin en vue d’une nouvelle intégration dans Église ». En conséquence de quoi, le cardinal estime qu’il ne serait pas possible de procéder à la correction fraternelle évoquée par le cardinal Burke, étant donné qu’il n’y a dans Amoris lætitia « aucun danger pour la foi » (4). En réalité, le danger est bien réel, et le cardinal Burke a justement réagi à cette déclaration du cardinal Müller, en maintenant la nécessité d’une correction pontificale. Le débat est donc loin d’être vain, mais ne perdons pas de vue son objet : ce n’est pas le scandale d’une hérésie formulée doctrinalement ; c’est celui d’une praxis, frayant la voie à la remise en cause de la vérité catholique sur l’indissolubilité du mariage.
  
14. Pour reprendre les termes mêmes de saint Pie X, les tenants de la nouvelle théologie morale procèdent avec un tel raffinement d’habileté qu’ils abusent facilement les esprits mal avertis (5). Ils favorisent l’hérésie, tout en ayant l’air de demeurer catholiques. Favoriser l’hérésie : voilà qui correspond à la note théologique que Mgr Lefebvre crut devoir utiliser pour caractériser la nocivité du Novus Ordo Missae (6). Tout autre avis meilleur restant sauf, nous y recourions volontiers pour qualifier la difficulté majeure posée aujourd’hui à la conscience des catholiques par l’Exhortation apostolique Amoris laetitia.
  
Abbé Jean-Michel GLEIZE, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
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(1). François, « Interview avec le fondateur du quotidien italien La Repubblica » dans L’Osservatore romano, édition hebdomadaire française (ORF) du 4 octobre 2013. Voir à ce sujet dans le numéro de décembre 2013 du Courrier de Rome l’article intitulé « Pour un Magistère de la conscience ? ».
(2). Somme théologique, 1a2æ, question 19, article 6, Sed contra.
(3). Amoris laetitia, n° 4.
(4). Propos reproduits par Nicolas Senèze dans La Croix du 9 janvier 2017.
(5). SAINT PIE X, Encyclique Pascendi.
(6). « Mgr Lefebvre et le Saint-Office », Itinéraires n° 233 de mai 1979, p. 146-147.

[Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - Courrier de Rome] Le Pape peut-il tomber dans l'hérésie ? La matière d'un débat

SOURCE - Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - Courrier de Rome - n° 595 - janvier 2017

1. À première vue, il semblerait bien que ce fût là une chose improbable. En effet, la réponse négative à cette question représente l’opinion commune des théologiens de l’époque moderne. Ceux-ci disent en effet que le pape ne pourrait pas devenir hérétique formel et pertinace, c’est-à-dire hérétique conscient et coupable, bien qu’il pût devenir hérétique matériel, par ignorance non coupable ou en raison d’une simple erreur, et non en raison d’une mauvaise volonté. Les principaux partisans de cette thèse sont le théologien hollandais Albert Pighi (1490-1542) (1), saint Robert Bellarmin (1542-1621) (2), François Suarez (1548- 1617) (3). Juste avant le concile Vatican I, cette opinion est encore suivie par le canoniste français Marie-Dominique Bouix (1808-1870). Lors du concile, Mgr Zinelli, parlant au nom de la Députation de la foi, loue cette opinion de Bellarmin et de Suarez : il est selon lui probable que jamais le pape ne sera hérétique formel (4). Au lendemain du concile, le cardinal Billot (1846-1931) (5) reprenait la même opinion. Le père Dublanchy l’adopte encore après lui (6). Enfin, sous Pie XII, le manuel classique du père Salaverri (7) mentionne cette question de l’hérésie personnelle du pape comme une matière à controverse théologique et présente comme probable l’opinion de Bellarmin et Suarez, louée par Mgr Zinelli.

2. L’argument de cette explication est double, et il reste invariable chez tous les auteurs qui adoptent cette position. Il y a un premier argument théorique qui est présenté comme une convenance : l’infaillibilité de la fonction promise en Lc, XXII, 32 rendrait moralement nécessaire l’indéfectibilité personnelle dans la foi. En effet, remarque saint Robert Bellarmin (8), l’ordre établi par Dieu exige absolument que la personne privée du souverain pontife ne puisse pas tomber dans l’hérésie, pas même en perdant la foi de manière purement interne. « Car non seulement le pape ne doit pas et ne peut pas prêcher l’hérésie, mais il doit aussi toujours enseigner la vérité, et il est hors de doute qu’il le fera toujours, puisque le Seigneur lui a commandé de confirmer ses frères. Mais comment un pape hérétique pourra-t-il confirmer ses frères dans la foi, comment prêchera-t-il toujours la vraie foi ? Sans doute, Dieu reste capable d’arracher au cœur d’un hérétique la profession de la vraie foi, tout comme jadis il fit parler l’ânesse de Balaam. Mais il y aura là une violence, et non une action conforme à la divine providence, qui dispose tout avec suavité. » Il y a aussi un deuxième argument de fait, conséquent au premier, qui conduit logiquement tous les partisans de la thèse à prouver que jamais dans toute l’histoire de l’Église aucun pape n’a été formellement
hérétique (9).

3. Cependant, les théologiens de l’époque moderne sont des tard venus. Et l’on pourrait objecter qu’avant eux les théologiens ont communément estimé, du XIIe au XVIe siècle, que le pape peut tomber dans l’hérésie. On rencontre cette idée au XIIe siècle dans le Décret de Gratien (10). Gratien dit que le pape ne peut être jugé par personne, sauf dans le cas où il s’écarterait de la foi (11). Ce texte servira de base à toute la réflexion des canonistes du Moyen Âge et appuiera une opinion désormais commune : « Les canonistes des XIIe et XIIIe siècles », dit le père Dublanchy, « connaissent et commentent le texte de Gratien. Tous admettent sans difficulté que le pape peut tomber dans l’hérésie comme dans toute autre faute grave ; ils se préoccupent seulement de rechercher pourquoi et dans quelles conditions il peut dans ce cas être jugé par l’Église (12). » Cajetan soutient cette thèse. Albert Pighi sera au XVIe siècle le premier à rompre une tradition théologique et canonique jusque-là unanime. Mais même à l’époque moderne, l’opinion nouvelle introduite par Pighi ne fera pas absolument l’unanimité. En effet, Pighi est assez vite réfuté par Melchior Cano (1509-1560) (13) et Dominique Banez (1528-1604) (14). Le dominicain Charles-René Billuart (1685- 1757) (15) partage le même avis que ces deux théologiens. Enfin, au lendemain du concile du Vatican, le père Palmieri (16) défend cette thèse.

4. Songeons aussi que les faits de l’histoire sont indéniables. Il y a eu dans l’Église un ou deux papes fauteurs d’hérésie et il y a aujourd’hui, depuis Vatican II, des papes qui posent de graves problèmes à la conscience des catholiques, justement perplexes. Le pape Honorius I (625-640) a été anathématisé par ses successeurs saint Agathon (678-681) et saint Léon II (682-684) lors du 3e concile de Constantinople de 681, comme fauteur de l’hérésie monothélite (17). D’autre part, il est clair que depuis Vatican II les papes Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI ont enseigné et que le pape François enseigne encore une théologie qu’il serait difficile d’accommoder avec la substance du dogme catholique (18). Les faits récents sont sans doute plus graves que les faits anciens (19). Mais dans les deux cas, la portée est substantiellement la même. Et ces faits ont été constatés par des personnes dont le jugement présente une certaine autorité morale, à défaut d’être juridique.

5. Tout cela nous conduit à estimer, ni plus ni moins, que la première opinion qui regarde comme improbable la chute d’un Pape dans l’hérésie est elle-même… improbable. Autrement dit, les arguments d’autorité théologique qui iraient dans le sens d’une réponse négative à la question posée ne suffisent pas à emporter l’adhésion. Reste alors à montrer en quoi la droite raison, éclairée par la foi, pourrait justifier une réponse affirmative.

Abbé Jean-Michel GLEIZE, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
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(1). On lui doit un traité sur l’Église hiérarchique (Hierarchiæ ecclesiasticæ assertio) où il examine la question du papehérétique dans le chapitre VIII du livre IV.
(2). De Romano Pontifice, livre IV, chapitres 6-14.
(3). De fide, disputatio 10, sectio 6, § 11, Opera omnia, tome XII, p. 319.
(4). « Hæc Providentiæ supernaturali confisi, satis probabiliter existimamus nunquam eventura » (Mansi, tome 52, col. 1 109).
(5). LOUIS BILLOT, L’Église. II – Sa constitution intime, question 14, thèse 29, 2e partie, n° 940-949, Courrier de Rome, 2010, p. 449-457.
(6). DUBLANCHY, « Infaillibilité du pape » dans Dictionnaire de théologie catholique, t. VII, 2e partie, col. 1716-1717.
(7). JOACHIM SALAVERRI, De Ecclesia Christi, thèse 14, § 657.
(8). SAINT ROBERT BELLARMIN, De Romano Pontifice, livre IV, chapitre VI, p. 484 des Opera omnia.
(9). ID., Ibidem, chapitres 7-14, p. 484-506.
(10). C’est le fameux passage du livre I, distinction 40, chapitre VI intitulé Si papa.
(11). «… cunctos ipse judicaturus a nemine est judicandus, nisi deprehendatur a fide devius. » Cette affirmation est attribuée à saint Boniface, l’archevêque de Mayence et elle est citée sous son nom, avant Gratien, par le cardinal Deusdedit et par Yves de Chartres. Voir l’article déjà cité de Dublanchy, dans le Dictionnaire de théologie catholique, col 1714-1715.
(12). DUBLANCHY, Ibidem, col 1 715.
(13). De locis theologicis, livre VI, chapitre VIII, § 21-23.
(14). Commentaire sur 2a2æ, q 1, art 10, folios 183-212 de l’édition de Venise de 1587.
(15). De fide, dissertatio 5, art 3, § 3, objection 2 ; De regulis fidei, dissertatio 4, art 8, § 2, objections 2 et 6 ; De incarnatione, dissertatio 9, art 2, § 2, objection 2.
(16). Tractatus de romano pontifice, thèse 32, scholion, p. 630-633
(17). Voir l’article « Une crise sans précédents ? » paru dans la revue de l’Institut Universitaire saint Pie X Vu de haut n° 14 (automne 2008), p. 78-95.
(18). « Car enfin, depuis le concile, ce que nous [les Papes d’avant 1962] avons condamné, voici que les autorités romaines l’adoptent et le professent. Comment est-ce possible ? Nous avons condamné le libéralisme ; nous avons condamné le communisme, le socialisme, le modernisme, le sillonnisme, toutes ces erreurs que nous avons condamnées, voilà maintenant qu’elles sont professées, soutenues, par les autorités de l’Église. Est-ce possible ! » (Mgr Lefebvre, Sermon de la consécration épiscopale du 30 juin 1988 à Écône.
(19). « Nous nous trouvons devant un dilemme grave, excessivement grave, qui je crois n’a jamais existé dans l’Église : que celui qui est assis sur le siège de Pierre, participe à des cultes de faux dieux. Je ne pense pas que ce ne soit jamais arrivé dans l'histoire de l'Église. » (Mgr Lefebvre, Homélie à Écône pour le dimanche de Pâques, 30 mars 1986) ; « La chose est très grave. Nous sommes dans le chemin d’une nouvelle Église. C’est Rome qui pousse les âmes dans l’hérésie. Il me semble que nous ne pouvons pas accepter tous les documents de Vatican II. Il y en a qui ne peuvent pas être interprétés selon Trente et Vatican I. Qu’en pensez-vous ? » (Mgr de Castro-Mayer, Lettre du 8 décembre 1969 à Mgr Lefebvre, conservée dans les archives personnelle de Mgr Lefebvre, en dépôt à Écône).

30 janvier 2017

[Andrea Tornielli - La Stampa] Fraternité Saint Pie X, la réconciliation toujours plus proche

SOURCE - Andrea Tornielli - La Stampa - 30 janvier 2017

Le Secrétaire d'Ecclesia Dei, Mgr Pozzo, déclare: «Nous travaillons à perfectionner la forme juridique.»
"En ce moment, nous travaillons à l'amélioration de certains aspects de la structure canonique, qui sera une prélature personnelle." L'archevêque Guido Pozzo, secrétaire de la Commission «Ecclesia Dei» en charge du dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X, confirme également à Vatican Insider que l’étape de la pleine communion avec les lefébvristes approche. La finalité de l'accord est désormais en vue, même s’il faudra encore un certain temps.

Le supérieur de la Fraternité Saint-Pie X, Mgr Bernard Fellay, le 29 Janvier, 2017, a participé en tant qu'invité à l’émission "Terres de Mission" de TV Liberté". Il a confirmé dans cet entretien que l'accord avance et que pour arriver à la solution canonique il ne sera pas nécessaire d’attendre jusqu'à ce que la situation de l'Eglise soit redevenue «totalement satisfaisante» aux yeux de la Fraternité Saint-Pie X, qui n’a également, durant toutes ces années [de crise], jamais manqué de mentionner le nom du pape, et de prier pour lui lors de la célébration des messes. Mgr Fellay a situé l'attitude du pape François envers la FSSPX par son intérêt pour les fidèles qu’il considère être à la périphérie [de l’Eglise] et a expliqué l'importance de mettre fin à la séparation d’avec Rome.

Le cheminement vers le rapprochement, après le mini-schisme provoqué par les quatre ordinations épiscopales illégales célébrées par Mgr Marcel Lefebvre en 1988, a commencé en 2000, lorsque les lefebvristes sont venus en pèlerinage à Rome pour le Jubilé. Jean-Paul II a donné son assentiment à de nouvelles discussions doctrinales. Les contacts se sont intensifiés avec Benoît XVI, avec l'examen sans tabou des questions doctrinales. Le pape Ratzinger avait d'abord libéralisé l'utilisation du missel pré-conciliaire puis levé les excommunications des quatre évêques de la Fraternité. Avec François, en plus de la poursuite des contacts, un pas de plus a été franchi avec l'octroi aux prêtres de la Fraternité de confesser non seulement validement mais aussi licitement les fidèles pendant le jubilé de la miséricorde. Une concession qui a ensuite été étendue sans limite de temps dans la lettre «Misericordia et misera».

En ce qui concerne les problèmes doctrinaux, l'essentiel semble dépassé en vue de l’accord. Il serait demandé aux membres de la Fraternité Saint-Pie X ce qui est nécessaire pour être catholiques, à savoir la "professio fidei", la croyance en la validité des sacrements célébrés avec le Novus Ordo (la liturgie issue de la réforme post-conciliaire), et l'obéissance au pape. Il y a eu un dialogue et une confrontation sur le rapport entre le Magistère et la tradition, tandis que sont l'objet d’approfondissement - et même d’un désaccord qui pourrait perdurer - les sujets liés à l'oecuménisme, à la liberté religieuse et à la relation Église-monde.

Dans l'entretien télévisé Mgr Fellay, en plus de rappeler l'octroi de François concernant les sacrements de la réconciliation et de l'onction des malades, a aussi cité les ordinations sacerdotales de la Fraternité, déclarant qu'elles ont lieu avec la permission du Saint-Siègeet sans la nécessité d'obtenir le consentement de l'évêque local. L'état des faits, précise Mgr Pozzo, est plus complexe et remonte à une décision prise par Benoît XVI et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi il y a quelques années. "Le Saint-Siège - explique le secrétaire d'Ecclesia Dei - permet et tolère les ordinations sacerdotales de la FSSPX, tout en continuant à les dire valides mais pas licites, à condition de communiquer les noms des ordinands à l'évêque de leur diocèse d’origine. Le pape François a accordé la légitimité seulement à l'administration des sacrements de la pénitence et de l'onction des malades. Mais pour que les autres sacrements, outre que valides deviennent aussi légitimes, il est nécessaire d’arriver à une solution canonique pour la Fraternité."

La voie choisie pour la solution canonique, comme chacun sait, est celle de la prélature personnelle, figure inédite introduite dans le nouveau Code de droit canonique de 1983, et jusqu'à présent appliquée seulement à l'Opus Dei. Au cours de ces quelques dernières années les voix de ceux qui s’opposent à l'accord se sont multipliées. L'un des quatre évêques pour lequel le pape Ratzinger avait levé l'excommunication, Richard Williamson, a quitté la Fraternité, a fondé un groupe plus extrême et a procédé à de nouvelles ordinations épiscopales. La position de Mgr Fellay apparaît être plus en phase avec celle du fondateur, Mgr Lefebvre, qui en 1988 était presque parvenu à un accord avec le Cardinal Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, accord qui a capoté à la dernière minute.

Andrea Tornielli

[Nicolas Senèze - La Croix] Pour Rome, un accord est en vue avec la Fraternité Saint-Pie-X

SOURCE - Nicolas Senèze - La Croix - 30 janvier 2017

« Nous travaillons à perfectionner certains aspects de la forme canonique qui sera celle d’une prélature personnelle », explique le responsable des discussions avec les lefebvristes.

Mgr Guido Pozzo, secrétaire de la Commission pontificale « Ecclesia Dei », chargée à Rome des relations avec les lefebvristes, a assuré lundi 30 janvier au site Internet Vatican Insider que les discussions avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X étaient sur le point d’aboutir à un accord.

« En ce moment, nous travaillons à perfectionner certains aspects de la forme canonique qui sera celle d’une prélature personnelle », assure l’archevêque italien, en charge depuis 2009 des relations avec la FSSPX.

Selon lui l’accord est en vue, même si cela devrait prendre encore un peu de temps.

La veille, dans un entretien à la Web-télévision d’extrême droite TV Libertés, le supérieur général de la FSSPX, Mgr Bernard Fellay, confirmait qu’un accord était proche et que, pour parvenir à un accord canonique, il ne lui semblait pas nécessaire que la situation dans l’Église catholique soit « totalement satisfaisante ».

Selon lui, l’attitude du pape François vis-à-vis des intégristes catholiques doit être comprise dans sa volonté plus globale d’être proche des « périphéries ».
« Il est nécessaire d’arriver à une solution canonique qui reconnaisse la Fraternité »
C’est de cette manière qu’il explique, par exemple, le fait pour le pape d’avoir prolongé, au-delà de l’année jubilaire la faculté pour les prêtres de la FSSPX de confesser validement et licitement mais aussi d’ordonner licitement des prêtres avec l’accord de l’évêque du lieu.

La situation est toutefois un peu plus complexe, tempère Mgr Pozzo : « Le Saint-Siège permet et tolère les ordinations de la FSSPX, tout en continuant à les considérer valides mais non licites, après communication des noms des ordinands à l’évêque du lieu », explique-t-il, se référant à une décision de Benoît XVI.

« Le pape François a concédé seulement la légitimité de l’administration du sacrement de pénitence et de l’onction des malades, continue-t-il. C’est justement pour que tous les autres sacrements, quoique déjà valides, deviennent licites, qu’il est nécessaire d’arriver à une solution canonique qui reconnaisse la Fraternité. »
Approfondissements et désaccords
Selon Vatican Insider, l’essentiel des problèmes doctrinaux avec Écône a été résolu, Rome demandant aux membres de la FSSPX ce qui est nécessaire pour être catholique : dire la profession de foi, croire en la validité des sacrements célébrés selon le Novus Ordo (la liturgie post-conciliaire) et l’obéissance au pape.

« Il y a eu un dialogue et une explication sur les rapports entre magistère et tradition, souligne Vatican Insider. Restent objets d’approfondissement – et aussi de désaccords qui peuvent continuer : les questions liées à l’œcuménisme, à la liberté religieuse et aux rapports entre l’Église et le monde. »

Ce rapprochement intervient alors que le site Internet du district de France de la FSSPX vient de publier un article de l’abbé Jean-Michel Gleize, professeur d’ecclésiologie au Séminaire Saint-Pie-X d’Écône, qui juge « improbable » la théorie selon laquelle un pape ne peut devenir hérétique. Il déclare que, « depuis Vatican II, les papes Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI ont enseigné et le pape François enseigne encore une théologie qu’il serait difficile d’accommoder avec la substance du dogme catholique »

29 janvier 2017

[DICI] Transcription de l’entretien de Mgr Fellay à Terres de mission (29 janvier 2017)

SOURCE - DICI - Mgr Fellay - Terres de mission - 29 janvier 2017

Le 29 janvier 2017, Mgr Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, répondait aux questions de Jean-Pierre Maugendre, en une quinzaine de minutes, dans le cadre de l’émission de TV Libertés, Terres de mission. Voici la transcription intégrale de ses propos qui sont éclairés et complétés par les réponses qu’il donnait à l’abbé Alain Lorans, le 26 janvier, lors d’un entretien d’une heure sur Radio Courtoisie, et dont la transcription intégrale est également disponible sur dici.org.
Jean-Pierre Maugendre : Excellence, vous êtes depuis 1994 Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, fondée en 1970 par Mgr Marcel Lefebvre, à Fribourg en Suisse, pays dont vous êtes originaire. La Fraternité compte aujourd’hui 613 prêtres, 117 frères, 80 oblates, 215 séminaristes. Dans l’Eglise chaque société religieuse a sa vocation propre liée à ses charismes de fondation. Citons la pauvreté pour les fils de saint François ou le zèle missionnaire pour les fils de saint Dominique. Quelle est la spiritualité propre de la Fraternité Saint-Pie X ?
Mgr Bernard Fellay : La spiritualité propre de la Fraternité Saint-Pie X, c’est de ne pas en avoir ! Il faut quand même préciser : elle en a une, mais elle n’est pas propre. Ou plutôt : elle s’est appropriée la spiritualité de l’Eglise. Donc elle est beaucoup plus universelle. Alors c’est quoi ? C’est le salut qui nous vient par la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Donc ce sera le sacerdoce car Notre Seigneur nous sauve par son sacerdoce et par l’acte sacerdotal qui est la Croix, la messe. C’est cela la spiritualité de la Fraternité. Nous nous occupons des prêtres, de former les prêtres, de les sanctifier et puis nous espérons qu’ils feront leur travail pour toute l’Eglise.
J.-P. M. Donc une spiritualité centrée sur le sacerdoce et la sainte messe ?
Mgr F. Parfaitement.
J.-P. M. Le 21 novembre dernier, par la lettre apostolique Misericordia et Misera, le pape François a renouvelé pour les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X les pouvoirs de donner validement et licitement les absolutions sacramentelles. Dans le même temps la déclaration post-synodale Amoris lætitia, accordant sous certaines conditions la possibilité aux divorcés-remariés d’accéder à la sainte communion n’est certainement pas un texte qui vous satisfait. Comment interprétez-vous ces actes a priori contradictoires ?
Mgr F. Je risque de me tromper, mais je pense qu’ils viennent d’un même mouvement. Et ce mouvement c’est un souci du Saint-Père pour les rejetés de tous bords.
J.-P. M. Pour les périphéries ?
Mgr F. Voilà, pour les périphéries. Et, bien sûr nous ne sommes pas des périphéries matérielles, nous ne sommes pas en prison, mais nous sommes quand même rejetés par, disons, le grand courant de l’Eglise. Et dans ce sens-là, nous sommes des marginalisés. Je crois, je peux me tromper, que cela vient de ce souci de s’occuper de ces gens que le pape reproche à l’Eglise, disons dans son ensemble, d’avoir oubliés ou mis de côté.
J.-P. M. A propos de ce texte Amoris lætitia dont nous venons de parler, un certain nombre de cardinaux, les cardinaux Burke, Brandmüller, Caffarra et Meisner ont adressé au pape ce qu’on appelle en termes techniques des dubia, c’est-à-dire qu’ils ont posé des questions, plusieurs questions, demandant des éclaircissements sur ce texte. Il y a bien longtemps que cela ne s’était produit dans l’Eglise, c’est-à-dire que des évêques interpellent publiquement le pape sur des actes de son magistère. En 1969 la réforme liturgique marqua également une rupture avec la tradition antérieure. Seuls deux cardinaux, les cardinaux Ottaviani et Bacci firent part au souverain pontife de leur perplexité. Puis ils rentrèrent dans le rang. Il ne semble pas avoir existé depuis 50 ans une résistance organisée de cardinaux ou d’évêques par exemple à propos de dérives doctrinales comme celles des nouveaux catéchismes. Les temps auraient-ils changé ?
Mgr F. Il y a quelque chose qui est en train de changer, c’est vrai. Et c’est, je crois, le fait que les choses se soient aggravées. Pas tellement au niveau des principes, mais ces principes portent maintenant leurs fruits, leurs conséquences. Je ne crois pas que nous sommes arrivés aux conséquences ultimes, mais cela devient grave et même très grave. Tellement grave qu’un certain nombre d’évêques, de cardinaux estiment en conscience devoir dire : « cela suffit ». Ils ne sont pas nombreux à se manifester en public. Ils sont plus nombreux, on peut dire, en privé. Est-ce que ce mouvement va s’amplifier, c’est encore trop tôt pour le dire. Je pense qu’il faut espérer et j’ose croire que cela va continuer dans ce sens-là, parce que vraiment cela va mal. Et le fait qu’on commence enfin à le dire, ce sera l’ouverture pour réfléchir, sérieusement cette fois-ci, sur les causes et donc les vrais remèdes.
J.-P. M. Dans votre conférence lors des Journées de la Tradition, le 8 octobre dernier à Port-Marly, vous avez évoqué un flot croissant de contacts entre la Fraternité Saint-Pie X et un certain nombre de prêtres et d’évêques. Malgré cela on ne peut pas dire qu’en France les évêques se montrent très ouverts aux demandes de célébrations selon la forme extraordinaire du rite romain, conformément au Motu proprio Summorum Pontificum. Y a-t-il, selon vous qui avez l’expérience des voyages, une particularité de la situation ecclésiale française ?
Mgr F. Franchement, je ne crois pas. Il y a quelque chose bien sûr, le Français reste le Français. Il aime beaucoup discuter et donc poser des questions. Et disputer aussi. Mais, si vous voulez, au niveau de la crise de l’Eglise, de ce qui se passe, je crois qu’elle est vraiment générale. Et pour les réactions, franchement, sur toute l’Eglise, elles sont encore mineures, mais générales, et elles se manifestent aussi en France. Alors, certainement il n’y a pas beaucoup d’évêques qui nous ont contacté ou qui nous ont dit « nous sommes avec vous ». Mais cela vient… Cela vient gentiment…
J.-P. M. Dans cette réflexion de vos relations avec Rome, le pape François vous a fait la proposition d’une prélature personnelle pour la Fraternité Saint-Pie X. Cette situation canonique vous conserverait une indépendance totale vis-à-vis des évêques. Mgr Schneider, qui a visité plusieurs de vos séminaires, vous exhorte à accepter cette proposition même ou parce qu’il est conscient que la situation de l’Eglise n’est pas encore satisfaisante à 100%. N’y a-t-il pas, à terme, un risque de création d’une Eglise plus ou moins autonome, autocéphale, si devait perdurer cette situation, disons, de distanciation constante vis-à-vis de Rome, du pape, de la curie, des évêques, etc. Attendez-vous pour signer un accord avec le Saint-Siège l’élection d’un Pie XIII, auquel nous aspirons mais qui n’est qu’une hypothèse de travail ?
Mgr F. Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’attendre que tout soit réglé dans l’Eglise, que tous les problèmes soient réglés. Il y a cependant un certain nombre de conditions qui sont nécessaires et pour nous la condition essentielle, c’est la condition de la survie. Donc, j’ai fait savoir à Rome, sans aucune ambiguïté, de la même manière que Mgr Lefebvre l’avait déjà dit en son temps, il y a une condition sine qua non. C’est-à-dire que si cette condition n’est pas remplie, nous ne bougeons pas. Et cette condition est le fait que nous puissions rester tels que nous sommes. Cela veut dire : garder tous les principes qui nous ont maintenus en vie, maintenus comme catholiques. Nous avons effectivement des reproches graves par rapport à ce qui s’est passé depuis le Concile : la manière dont est conduit l’œcuménisme, par exemple ; ce qu’on appelle la liberté religieuse qui est un terme assez compliqué, qui règle la question des relations entre l’Eglise et l’Etat, la liberté ou non à donner et à quel titre donner à chacun, la liberté d’exercer sa religion. Autrefois l’Eglise expliquait que dans certaines circonstances, il fallait tolérer, et on peut dire qu’aujourd’hui, vu la situation, les mélanges…, cette tolérance doit être très grande, mais quand on tolère, on tolère un mal. On ne peut pas dire que c’est un bien. Et pour une certaine religion, nous n’avons pas besoin de dire laquelle, quand elle commence à foisonner, cela devient un argument de terreur. Donc, il faut bien voir tout cela.
     
Et je pense qu’on avance de ce côté-là, dans la bonne direction. Rome est en train de lever le pied. C’est quelque chose d’assez récent, depuis deux ans maintenant. On nous dit qu’il y a des questions, pas seulement des questions mais aussi des propositions énoncées par le Concile, qui ne sont pas des critères de catholicité. Cela veut dire qu’on a le droit de ne pas être d’accord et cependant d’être considérés comme catholiques. Et c’est précisément cet ensemble de questions sur lesquelles nous nous disputons.
     
Alors, y a-t-il un schisme ou un risque d’établissement d’une Eglise parallèle ? Nous luttons contre, et j’ai évoqué ce problème avec le pape lui-même. Et nous sommes tous les deux d’accord. Il y a déjà maintenant un certain nombre de dispositions pratiques qui rendent pratiquement impossible le schisme. C’est-à-dire que, dans la pratique, dans les actes de tous les jours, nous exprimons à Rome, nous montrons notre soumission, nous reconnaissons l’autorité, et pas seulement à la messe en disant le nom du pape et celui de l’évêque du lieu dans le canon de la messe. Vous avez l’exemple du pape qui nous donne le pouvoir de confesser. Il y a aussi des actes juridiques. C’est un peu compliqué, mais il peut arriver qu’un prêtre commette des actes délictueux, et nous avons des rapports avec Rome qui nous demande de juger ces cas. Ce sont vraiment des relations normales. Il n’y a pas que la confession. Cet été, il a été confirmé que le Supérieur général peut librement ordonner les prêtres de la Fraternité, sans avoir à demander la permission à l’évêque du lieu. C’est un texte de Rome, il n’est pas publié sur les toits, mais qui permet à la Fraternité d’ordonner licitement. Ce sont des actes posés, juridiques, qui sont canoniques, qui sont déjà en place. Et qui déjà, à mon avis, suppriment la possibilité du schisme. Evidemment, il faut toujours veiller, c’est sûr.
J.-P. M. Alors aujourd’hui concrètement, qu’est-ce qui manque ?
Mgr F. Il manque le tampon. Et puis aussi justement, l’affirmation claire et nette qu’on respectera ces garanties.
J.-P. M. Il n’y a que le pape qui peut donner ce tampon et cette garantie ?
Mgr F. C’est au pape de le faire, oui.
J.-P. M. Pour conclure cet entretien et peut-être donner un signe d’espérance. Nous célèbrerons cette année le centenaire des apparitions de Fatima. Quelle est, selon vous, l’actualité de ces événements pour l’Eglise et pour la Fraternité Saint-Pie X ?
Mgr F. Plus que pour la Fraternité. Pour la Fraternité, on dirait que c’est par voie de conséquence. De Fatima, nous savons qu’il y a un secret, il y avait un message et ce message de Fatima annonce des choses difficiles, peut-être terribles. Une partie est connue, une partie n’est pas trop connue. De toute façon « à la fin », dit la Sainte Vierge, « mon Cœur immaculé triomphera », donc il y a l’annonce d’une victoire du Ciel, du Cœur immaculé de Marie, et qui sera conditionnée à une consécration de la Russie, qui verra la Russie se convertir, donc redeviendra catholique, sera réunifiée, réintègrera l’Eglise catholique. Il y aura un temps de paix qui sera donné à l’Eglise. On en conclut donc que le temps de crise dans lequel se trouve l’Eglise aujourd’hui sera terminé. Maintenant, les détails, nous ne les connaissons pas. Mais évidemment, si nous disons, et nous ne sommes pas les seuls, qu’il y a une crise dans l’Eglise, nous espérons bien qu’au moment du triomphe, le temps de crise sera dépassé. Jusqu’où devons-nous aller dans ce désordre, je n’en sais rien. Mais nous avons cette assurance qu’à la fin, il y aura un triomphe. Eh bien, nous le hâtons par nos prières.
J.-P. M. Vous avez lancé en particulier une croisade du Rosaire à cette occasion ?
Mgr F. Tout à fait. Nous avons demandé à nos fidèles et à tous ceux qui veulent bien, de prier la prière que la Sainte Vierge nous a recommandée, en lui demandant que précisément ce qu’elle a demandé soit accompli. C’est-à-dire que ce triomphe arrive, que cette consécration soit faite comme elle l’a demandée. Car il y a déjà eu des consécrations, avec quelques effets. Et surtout, ce qu’on remarque, je ne peux pas trop m’étendre, mais les événements historiques, pas seulement de l’Eglise mais même du monde, sont liés à Notre Dame. Par exemple, les grands événements de la Seconde Guerre mondiale sont des dates de Marie, la Sainte Vierge qui disait que la paix des nations avait été remise par le bon Dieu entre ses mains. Il y a une intervention divine ; le gouvernement du bon Dieu sur les hommes est réel. Et donc demander au bon Dieu que, dans sa bienveillance, Il veuille bien l’exercer d’une manière telle que les hommes arrêtent de tout démolir et se soumettent à son joug, cela ne peut être qu’une bonne chose.

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] L'acte du pardon

SOURCE - Le Seignadou - février 2017 

J’ai enfin reçu une lettre de contradiction ! Je croyais qu’elle était personnelle, mais voilà qu’elle a été publiée sur le « net », et donc je n’y répondrai pas…et ce, d’autant plus qu’elle est une suite de reproches sans véritables arguments : je suis un Judas, mais je ne sais pas pourquoi ! Donc, nous ferons une pause dans nos considérations sur l’actualité pour revenir à des choses plus « éternelles ». Et qu’y a-t-il de plus éternel que la charité, devenue miséricorde depuis le péché. Et puisque l’année de la miséricorde conciliaire est enfin derrière nous, il peut être bon d’en parler selon les données de l’Evangile, et non selon des sentiments dévoyés. L’acte moral le plus difficile est sans doute celui du pardon, et pourtant, c’est sans doute le plus nécessaire de façon quasi quotidienne. La patience, par exemple, n’est-elle pas un pardon immédiat, spontané…?

La plus belle histoire, car elle est vraie, est peut-être celle d’Alessandro, l’assassin de Ste Maria Goretti, le 5 juillet 1902. 
Avant de mourir, deux grandes grâces sont accordées à Maria Goretti: elle est inscrite dans la "Congrégation des enfants de Marie", et on en dépose la médaille sur sa poitrine haletante. La seconde grâce, c'est la Sainte communion avec l'Extrême Onction. Avant de lui donner l'hostie, le prêtre demande à la victime si elle pardonne à son agresseur comme Jésus a pardonné sur la croix à ses bourreaux. Surmontant un mouvement de répulsion, elle déclare: "Oui, pour l'amour de Jésus je pardonne. Je veux qu'il vienne lui aussi avec moi au Paradis. Que Dieu lui pardonne, car moi je lui ai déjà pardonné." Puis vient l'agonie. Elle meurt le 6 juillet à 3 heures de l'après-midi, premier samedi du mois.
Nous allons voir maintenant Assunta, la maman de Maria, compléter en son cœur de chair ce qui manquait à la Passion de Maria. Et ce sont ces deux âmes n’en faisant plus qu’une qui opéreront le miracle de la conversion d’Alessandro. 
Ce fut d’abord le pardon prononcé dans la salle d’audience, au terme du procès:
«En ce qui me concerne, Monsieur le président, je lui pardonne du fond du cœur.»
Mais il fallut encore qu’Assunta impose ce pardon à la foule exaspérée:
«Et alors, si Jésus-Christ ne vous pardonnait pas non plus?»
Quant à Alessandro, l’assassin, il ne manifeste aucun repentir. Il est condamné à 30 ans de travaux forcés. Il est dans une prison en Sicile. Après un an, Mgr Blandini, l'évêque du lieu, vient le visiter. Le gardien lui dit: "Vous perdez votre temps. C'est un dur, vous verrez!" Effectivement, il est mal reçu, mais quand il lui parle de Maria et de son pardon, Alessandro se met à pleurer et il écrit une lettre de pardon à l'évêque.
Une nuit, en 1910, Maria lui apparaît en songe. Lui-même a raconté le fait: «Je me voyais dans un jardin plein de lys blancs. Je vis apparaitre Marietta, belle et vêtue de blanc, qui commença à cueillir des lis et à les déposer dans mes bras, souriant comme un ange, jusqu'à ce que mes bras fussent chargés. Bientôt, cependant, je me rendis compte que les lis que je tenais se transformaient en torches. Marietta me sourit de nouveau et disparut. Je me réveillai en sursaut, et je me dis : maintenant je suis sauvé parce que j'ai la certitude que Marietta est venue me voir et m'a accordé son pardon. À partir de ce jour, je ne me sentis plus l'horreur d'auparavant dans ma vie. »
Alessandro est libéré plus tôt, pour bonne conduite, après 27 ans de détention tout de même. Et c’est Assunta, qui nous raconte la visite qu’il lui fit pour la Noël 1934 :
«Un jour, au cœur de l’hiver 1934, on le vit tourner dans les rues du pays, s’asseoir en solitaire sur le petit mur qui entourait le parvis de Saint-Augustin, puis venir à la cure de l’archiprêtre et toquer à la porte. J’allais ouvrir : c’était lui.»
 Le cœur miséricordieux d'Assunta s'était laissé toucher...
 -  Assunta, dit-il, les yeux baissés, me reconnaissez-vous?
 -  Oui, mon enfant.
 -  Me pardonnez-vous ?
 - Mon fils, Dieu t’a pardonné, Marietta t’a pardonné... comment ne te pardonnerais-je pas à mon tour? je te pardonne, moi aussi !...»
 «Et je lui entourai le cou de mes bras...
 «Une fois monté dans la maison, il demanda pardon aussi à mes enfants. C’était Noël. Nous allâmes recevoir la Communion ensemble, l’un à côté de l’autre.»
 «J’étais heureux, dira Alessandro, il me semblait, après tant de temps écoulé, avoir retrouvé ici sur terre l’affection de ma pauvre maman.»
Par la suite Alessandro entre comme jardinier chez les Franciscains. Et c'est sous l'habit de religieux tertiaire franciscain qu'en 1947 il participe à la béatification de Maria, aux côtés d'Assunta et de la famille. Et de même pour la canonisation le 24 juin 1950. Retiré au couvent de Macerata où il passa le reste de sa vie au service des moines, il y mourut le 6 mai 1970, à l'âge de 88 ans, après avoir rédigé un testament dont nous parlerons une autre fois.

Alessandro était-il excusable? Certainement non: Il entretenait son désir mauvais depuis longtemps… il avait prémédité son geste, etc.… on ne peut lui trouver aucune excuse !

Mais c’est précisément lorsqu’une faute n’est pas excusable qu’elle est pardonnable. On ne peut pas excuser le péché… mais on peut pardonner. Et c’est précisément celui qui n’a pas d’excuse qui a besoin du pardon.

Pardonner, ce n’est ni minimiser ni effacer ce qui a été fait ! Jésus le montre bien face à la femme adultère : il ne lui dit pas qu’elle n’a rien fait de mal et ne lui cherche pas non plus des excuses ; il lui dit « Va et ne pèche plus. » Ce que Jésus nomme péché n’est ni une faute contre sa propre conscience, ni une faute contre la loi – il peut y avoir des lois qui ne sont pas justes – mais c’est ce que Padre Pio nommera « une trahison de l’amour ».  Pardonner, c’est aller au-delà, c’est trouver le moyen de vivre avec le mal qui a été fait en le dépassant.

On croit souvent aussi que pardonner signifie se réconcilier avec l’offenseur…

Non, on peut vouloir pardonner sans pouvoir se réconcilier, ne serait-ce que parce qu’il faut être deux pour cela. Quand l’offenseur reste dans le déni et ne reconnaît pas ses actes, il n’y a pas de réconciliation possible, mais le pardon peut être donné par l’offensé. Ainsi, Jésus n’est pas mort réconcilié avec les autorités juives qui l’avaient condamné à mort, mais il leur avait pardonné.

Le P. de Chivré, quant à lui, analyse la chose en termes très simples et très humains pour nous aider à vivre cette miséricorde dans notre vie quotidienne. 
Un homme hésite à pardonner à son ami dont il a reçu une indiscutable blessure d’amour propre. Ce refus de pardonner se présente à sa raison d‘homme comme une justice légitime à l’égard d’une amitié coupable. Il prie. Il en résulte en son jugement une certitude confuse et indéfinissable que cette justice qui sanctionne est une vérité boiteuse et partielle; il s’efforce de maintenir sa décision mais, désormais, elle est accompagnée d’une sourde conviction qu’il agit mal en exerçant ce genre de justice; et d’une conviction, non moins consistante, que la vérité se trouve dans un pardon méritoire. Fortifié par cet état d’âme, il pardonne, à la grande colère de son entourage critique et orgueilleux. Au lieu de s’émouvoir, la calme certitude d’avoir bien agi lui fait affronter avec paix le mécontentement ambiant. L‘ami lui-même n’en revient pas, et pense que leurs relations ne seront plus comme par le passé. L’offensé sent sourdement, avec une certitude inexplicable, qu’il en sera encore mieux que par le passé; et tout se réalise ainsi.
Le Don de Conseil a mené le jeu à contre-courant de l’orgueil, de la rancune, des convictions mondaines et de la logique naturelle en créant un état d’âme de certitude, au cours des différentes phases de la crise.
Toute crise est un ébranlement, et tout ébranlement appelle la Certitude de l’Esprit d’Amour pour ne pas devenir une catastrophe. Admirable réédition du “noli timere” de Jésus, le “n’ayez donc pas peur” écrit lentement dans nos réflexions priantes par le Conseil qui n’a jamais trompé et que personne n’a jamais pu prendre en défaut.
«Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé!»
ANNEXE
( Jésus, Roi d’Amour. Ch. IV. P. Mateo.)  
Ecoutez maintenant une belle histoire ou légende :
Dans une église d'Espagne, on vénère un crucifix ancien, dont le bras droit, décloué, est abaissé. Ce crucifix a une histoire, la voici:
A ses pieds, un jour, un grand pécheur se confessait et donnait des marques de contrition sincère. Cependant, au moment de l'absoudre, le confesseur hésitait.., si grandes, si nombreuses étaient ses fautes! Le pécheur implorait son pardon: «Je vous absous, dit le prêtre, mais ne retombez pas, » Le pénitent promit, et se retira.
Il demeura assez longtemps fidèle à sa promesse, mais il était faible, il retomba,
Le repentir cependant le ramena aux pieds du confesseur: «Pas d'absolution, cette fois », dit celui-ci, et le pénitent de répondre: «Je me repens, j'étais sincère quand j'ai promis; je suis un convalescent, je suis faible; pardon, pardon!» Et le confesseur pardonna, ajoutant: «C'est la dernière fois!»
Un temps plus long s'écoula. Mais l'habitude d'une part, la faiblesse de l'autre, le pécheur retomba: «Cette fois, c'est fini, dit le prêtre ; vous retombez toujours, votre repentir n'est pas véritable.  «C'est vrai, mon Père, je retombe parce que je suis faible : je suis sincère, mais je suis malade... je cherche ici la force qui me manque, ayez pitié de moi. Non, il n'y a pas de pardon, pour vous », dit le prêtre, en se levant pour partir...
On entendit alors un sanglot, il partait du crucifix. La poitrine du Christ se soulevait comme dans son agonie; sa main se détacha de la Croix et, l'élevant, Il traça dans l'air sur la tête du coupable, le signe du pardon, tandis qu'une voix disait: «Moi, je te pardonne, tu M'as coûté si cher!»
Je n'ai pas besoin de savoir si c'est une véritable histoire ou simplement une légende, cela m'importe peu. Ce qui me touche, c'est la doctrine, la leçon qui s'en dégage pour tant de «trembleurs», si peu confiants, esclaves et non pas enfants du Père qui est dans le ciel et qui nous livre son Fils pour notre bien.
«Celui qui refuse un pardon demandé semble livrer son prochain au remords, et celui qui pardonne le livre au repentir.» (E. Hello)