Aletheia n°63 - 3 octobre 2004
Jacques Duquesne, lecteur du R.P. Cerbelaud
Il y a dix ans, Jacques Duquesne publiait un Jésus qui balayait nombre de dogmes et de croyances avec un aplomb paré d’un vernis pseudo scientifique. “ Les théologiens se sont gentiment moqués de cette entreprise vulgaire qui ressemblait à une arnaque ” rappelle le R.P. Verdin o.p.[1]. L’ouvrage, servi par un battage médiatique doublé d’une campagne publicitaire, s’était vendu à 400.000 exemplaires.
Aujourd’hui, Jacques Duquesne récidive avec un ouvrage consacré à la Mère de Dieu[2]. Il a l’ambition d’aller “ à l’encontre de ce qui a été présenté des siècles durant comme des vérités absolues ” (p. 13), en l’occurrence : l’Immaculée Conception de Marie, l’Annonciation, la conception virginale de Jésus, l’Assomption. Avec, en point d’orgue, un chapitre 6 intitulé “ Marie, mère de famille nombreuse ”. Jacques Duquesne entend démontrer que Jésus eut des frères et des sœurs. Il affirme : “ Que Marie ait été mère de famille nombreuse, voilà une affirmation qui ne pose plus de problème aux historiens, ni aux exégètes (même si tous ne l’avouent pas nettement) ”[3].
Ce Marie, achevé d’imprimer en juin, a été diffusé cet été pour faire l’objet de recensions et être présent dans toutes les librairies avant la venue du Pape à Lourdes, le 15 août. Jacques Duquesne, homme de presse, savait que le voyage de Jean-Paul II allait susciter, dans tous les journaux et toutes les revues, des articles sur Lourdes et sur la Vierge Marie et que les télévisions et les radios consacreraient des reportages à l’événement. En effet, pas un organe d’informations n’a manqué et presque tous ont signalé ou recensé l’ouvrage de Jacques Duquesne. Cette manœuvre habile et réussie a été prolongée par une campagne de publicité coûteuse (presse et radio) qui dure encore. Jacques Duquesne est en passe de connaître à nouveau un énorme succès de librairie.
Il se défend d’avoir voulu réaliser un “ coup marketing ”. Il affirme avoir travaillé à ce livre depuis trois ans. Pourtant, en bien des endroits, ce livre sent la précipitation. Il a été sinon conçu du moins achevé à la va-vite et très mal relu. On passera sur les nombreuses fautes de frappe : “ Assises ” (p. 132), “ Nicolas de Talentino ” pour Tolentino (p. 141), “ 1975 ” pour 1935, date d’un message de Pie XI (p. 163), “ Cenetto ” pour Ceretto, lieu d’apparition de la Vierge (p. 220), d’autres encore.
Moins excusables sont les bourdes ou erreurs de copie qui témoignent d’un savoir approximatif. Comment Jacques Duquesne peut-il écrire “ hécharitomène ” (p. 33) pour le célèbre “ kecharitômêne ” de l’Annonciation ? N’est-ce pas une lecture trop rapide qui lui fait appeler “ Gui François ” (p. 139) le languedocien Gui Foucois (le pape Clément IV) ? Et que dire de ce “ Paul Newman, le célèbre théologien catholique britannique ” (p. 212).
Outre ces erreurs factuelles, on reste ébahi par l’embrouillamini des références (par exemple, page 221, sur la question des révélations privées, Jacques Duquesne cite de seconde main, sans le dire). Pour détruire toutes les croyances et dogmes relatifs à Marie, il n’hésite pas à faire flèche de tout bois. Il utilise et cite les travaux dévastateurs des historiens juifs récents de Jésus. Il cite Pères de l’Eglise et théologiens. Mais les a-t-il bien lus et compris ? Par exemple, il cite saint Thomas d’Aquin de la manière suivante : “ l’Esprit-Saint n’a pas produit la nature humaine dans le Christ à propos de sa propre substance ” (p. 57), il faut lire, bien sûr : “ à partir de sa propre substance… ”.
Ailleurs, il fait référence à un sermon de saint Augustin (Sermo de tempore XXII) pour se moquer de l’explication de la conception virginale qui y est donnée : “ la fécondation se serait faite par l’oreille ” (p. 55) commente-t-il. Voltaire déjà s’était saisi de ce texte y trouvant du “ ridicule divin ”. Or, c’est un sermon apocryphe. On le sait depuis longtemps[4].
Au-delà de la “ bêtise ergotante ” de Jacques Duquesne[5], ce livre est révélateur de la vulgarisation (au sens littéral comme au sens figuré) d’une certaine exégèse critique. À plusieurs reprises dans son livre, Jacques Duquesne dénonce la “ surenchère ” qui se serait fait jour dans le domaine de la mariologie à partir du concile d’Ephèse (celui où a été donné à Marie le titre de “ Mère de Dieu ”).
La même idée a été exprimée, il y a un an, de manière plus savante et moins provocatrice, par un théologien dominicain, le R.P. Dominique Cerbelaud. Il parlait, lui, d’ “ inflation dogmatique ” et d’ “ inflation mariale ”[6]. Son ouvrage a été largement utilisé et cité par Jacques Duquesne.
Le théologien dominicain, professeur à l’université catholique de Lyon, n’a pas la brutalité du journaliste, mais son travail, articulé en douze thèses, tend à montrer que toute la dogmatique mariale repose sur l’affirmation de la conception virginale et que c’est “ l’article qui fait tenir ou tomber toute la mariologie ” (p. 293). Sous couvert de questions, le théologien dominicain en arrive à remettre en cause tout l’édifice doctrinal sur la Vierge Marie : “ la relativisation de l’aspect physiologique de la virginité in partu, fréquente chez les théologiens catholiques contemporains, peut conduire à se poser des questions analogues sur la virginité ante partum, c’est-à-dire sur la conception virginale : ne convient-il pas de l’entendre, elle aussi, au sens “symbolique“ ? Mais dans ce cas, c’est tout l’ensemble du réseau dogmatique qui va subir les contrecoups d’une telle “relecture“.
Dans l’élaboration plus récente, les incertitudes concernant le dogme du péché originel retentissent directement sur celui de l’Immaculée Conception. Quelle signification ce dernier peut-il conserver, si la notion même de péché originel se dilue ? ” (p. 298).
Entre le R.P. Cerbelaud et Jacques Duquesne, il y a la différence entre un théologien érudit et un journaliste vulgarisateur, mais il y a une identité dans la volonté de “ déconstruire ” la dogmatique mariale.
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De l’affaire Laguérie à l’affaire Sernine : allers et retours
. Mascaret (19 avenue de Gaulle, 33520 Bruges, 1,50 ¤ le numéro), le “ Bulletin mensuel des catholiques girondins ”, consacre les seize pages de son numéro 265, septembre-octobre 2004, à ce qu’il est convenu d’appeler désormais “ l’affaire Laguérie ”. L’abbé Laguérie, directeur du bulletin, y signe l’éditorial et un “ Ephéméride de l’été 2004 ”, tandis que d’autres collaborateurs abordent la question sous d’autres aspects (juridique mais aussi humoristique). On lira ces pages comme un plaidoyer pro domo de l’abbé Laguérie, sûr de son droit : “ rien ne sera comme avant, les remises en question vont bon train. (…) Saint-Eloi vit, prospère, et la Fraternité peut et doit suivre. ”
. Dans ce numéro de Mascaret, de façon incidente, l’abbé Laguérie dit de l’abbé Celier : “ [sa] tête est réclamée par Chiré-en-Montreuil, ce qui explique son zèle soudain à me pourfendre… ”. Jean Auguy, directeur de la S.A. D.P.F. sise à Chiré-en-Montreuil, a fait paraître aussitôt un communiqué où il affirme notamment : “ Nous posons ici publiquement une question précise à M. l’abbé Laguérie : où, quand, à qui, sous quelle forme et de quelle manière aurions-nous “réclamé la tête“ de M. l’abbé Celier ? Nous attendons une réponse explicite et étayée de preuves… lesquelles seront d’ailleurs difficiles à fournir, car cette accusation —est-il besoin de le préciser ? —relève de la plus haute fantaisie. […] M. l’abbé Laguérie a peut-être été abusé par une rumeur calomnieuse qui circule en ce moment à Paris dans les milieux de la Tradition, rumeur selon laquelle Jean Auguy et Etienne Couvert seraient récemment allés voir Mgr Fellay pour lui “réclamer“ la tête de M. l’abbé Celier. Cette rumeur est absolument fausse et aussi absurde que fausse, mais il serait intéressant de savoir qui l’a lancée, qui la fait circuler et dans quel but ! ”
. Jean Auguy a raison de démentir cette rumeur qui le concerne, lui et son équipe. La “ tête ” de l’abbé Celier n’a été réclamée, publiquement, que par des feuilles comme celles de Louis-Hubert Rémy et de Philippe Ploncard d’Assac, et aussi par un nouveau site internet qui réclame la “ purification ” de la FSSPX. La “ tête ” de Celier/Sernine est réclamée en même temps que celle de l’abbé de Tanoüarn, le directeur de Pacte et de Certitudes et l’éditeur de Celier/Sernine. Bien que l’affaire Laguérie ait dissocié les deux accusés de l’affaire Sernine, la controverse a rebondi sous des oripeaux nouveaux.
. Plus qu’à ce nouvel épisode de ce que j’ai appelé la guerre picrocholine, on sera attentif au dernier numéro de Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 2,50 euros le numéro).Ce numéro daté du 15 septembre 2004 était attendu. L’abbé de Tanoüarn n’avait pas, à ce jour, exprimé de position publique sur l’affaire Laguérie, bien qu’il ait soutenu son confrère dès le départ.
L’abbé de Tanoüarn estime que “ la Fraternité Saint-Pie X se trouve déchirée par une des crises les plus graves de son histoire ”. Il estime aussi que les enjeux sont doctrinaux et que deux “ questions gravissimes ” sont posées par l’affaire Laguérie.
La première est celle de la formation des séminaristes dans la FSSPX et des critères de la vocation. Le directeur de Pacte estime que de “ nouveaux critères ” de discernement de la vocation ont été introduits dans la FSSPX : “ les directeurs demandent aux candidats d’autres aptitudes, non révélées, malgré les demandes faites par différents prieurs ou directeurs d’école, qui ont besoin de connaître ces critères pour orienter les jeunes ”. Ces “ nouveaux critères ” expliqueraient des renvois incompréhensibles des séminaires de la FSSPX et des “ départs mal gérés ”.
La deuxième question de fond, selon l’abbé de Tanoüarn, est celle de l’exercice de l’autorité dans la FSSPX. L’abbé Laguérie n’a pas obtenu, dit-il, le droit de faire appel de la mutation/sanction qui l’envoyait de Bordeaux au Mexique. “ Une deuxième instance, ajoute-t-il, pourrait donner du poids aux sentences du supérieur ”.
Les deux questions — critères de la vocation sacerdotale et exercice de l’autorité — seraient donc révélatrices d’une crise d’identité qui frappe la FSSPX. Une crise de la maturité estime Maxence Hecquard dans ce même numéro de Pacte, qui souhaite aussi qu’ “ un débat serein peut et doit s’instaurer ”[7].
. Les fines analyses de l’abbé de Tanoüarn ont le mérite de vouloir dépassionner le débat et de ne pas le réduire à une querelle de personnes. Mais on ne saurait minimiser, dans les décisions prises par les autorités de la FSSPX, la question de Saint-Eloi, l’église acquise à Bordeaux par l’abbé Laguérie, et sa situation juridique (l’abbé Laguérie étant président de l’association propriétaire des lieux, ce qu’ignoraient ses supérieurs).
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Courrier des lecteurs
Un éminent lecteur de mon Pie XI (Perrin, 2004) m’écrit à propos de l’Action Catholique :
“ Pie XI ne reprend pas la distinction pourtant si indispensable de saint Pie X dans Il fermo proposito (11 juin 1905) entre deux types d’action catholique (en minuscules) : d’une part l’action des laïcs catholiques dans la cité pour en convertir les institutions au règne social du Christ, d’autre part l’apostolat au sens propre (même si le 1er type est un “apostolat“ au sens large) pour convertir les âmes. Et le saint pape précisait les différents degrés de dépendance de ces deux types d’action à l’égard de la hiérarchie.
L’absence de cette distinction chez Pie XI a causé les désastres bien connus, après la guerre. ”
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Annonce
L’Ecole Saint-Louis, à Nantes (8, rue de la Sirène), organise le samedi 16 octobre, de 14 à 19 h, sa IVe Journée du Livre. Yves Amiot, Jean-Luc Cherrier, Yves Chiron, Daniel Hamiche, Claude Mahy, Jean-Louis Picoche, Philippe Prévost et Henri Servien y signeront leurs ouvrages. Le rédacteur d’Aletheia sera heureux d’y rencontrer ses lecteurs de la région nantaise.
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[1] Père Philippe Verdin o.p., “ Notre-Dame des Poncifs ”, Le Figaro, 12 août 2004.
[2] Marie, Plon, 230 pages, 18,50 euros.
[3] Cette pseudo démonstration de l’existence de “ frères et de sœurs ” de Jésus était déjà au centre de son précédent livre. L’épiscopat français avait fait rédiger une réponse, en forme de mise au point, par l’exégète Pierre Grelot : “ La conception virginale de Jésus et sa famille ”, Esprit et Vie, 104/46, 1996, p. 629-631.
[4] Goulven Madec, “ Marie, Vierge et Mère, selon saint Ambroise et saint Augustin ”, in La Virginité de Marie, 53e session de la Société Française d’Etudes Mariales, Médiaspaul, 1998, p. 71-83.
[5] L’expression est du R.P. Verdin, art. cité.
[6] Dominique Cerbelaud o.p., Marie un parcours dogmatique, Editions du Cerf, 2003.
[7] On retrouve aussi, sous la plume de Maxence Hecquard, la vieille prétention de la FSSPX à représenter à elle seule “ la Tradition catholique ”. Quand il évoque “ les diverses tendances de la Tradition ” et “ les congrégations amies ”, il limite le périmètre de la Tradition à ceux qui reconnaissent la légitimité des sacres de 1988.