SOURCE - Abbé Christian Laffargue - libertepolitique.com - 9 septembre 2005
Benoît XVI a reçu en audience lundi 29 août à Castel Gandolfo l'évêque dissident Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX). Malgré ce signal de mutuelle bienveillance, les chances de rapprochement et de retour à l'unité de l'Église paraissent faibles, du fait de la “longueur” et de la “profondeur" de l'opposition de la FSSPX à l'Église catholique (dite en son sein "officielle").
N'oublions pas qu'à Ecône, depuis sa fondation en 1970, et dans les autres séminaires de la Fraternité, l'enseignement des futurs prêtres s'arrête au magistère de Pie XII inclus (mort en 1958) ; le magistère des papes qui lui ont succédé, du bienheureux Jean XXIII jusqu'à Jean Paul II, y est clairement ignoré, concile Vatican II compris, naturellement, mais aussi le Catéchisme de l'Église catholique (publiquement critiqué en 1993).
Pourtant, les discussions n'ont pas manqué depuis le sacre des évêques de 1988. Le cardinal Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé, a échoué dans ses tentatives de conciliation (2000-2002), malgré son optimisme initial et les propositions très généreuses du pape Jean Paul II. Des conversations théologiques discrètes ont eu lieu entre Dom de Lesquen (alors abbé de Randol, o.s.b.), le Père Bonino o.p. et l'abbé Aulagnier, assistant général de la Fraternité. Après deux années d'échanges, ils n'ont pu que constater leurs profonds désaccords.
Il y eut une exception, cependant, à cette fermeture quasi systématique, quand parut l'encyclique de Jean Paul II sur l'Eucharistie (Ecclesia de eucharistia, Jeudi saint 2003). Pour la première fois, la Fraternité St-Pie-X se félicitait du contenu d'un document du magistère pontifical "post-conciliaire". Mais cette ouverture n'eut pas de lendemain. Après quelques hésitations, les responsables de la Fraternité renoncèrent à emprunter la voie de la réconciliation.
Si la fraternité a résisté au saint pape Jean Paul II, cèdera-t-elle à son successeur Benoît XVI, c'est la question qui se pose aujourd'hui.
Il est vrai qu'a priori, il n'y a pas de meilleur pontife pour reprendre la question du schisme, et le résoudre. Joseph Ratzinger connaît bien le dossier et c'est l'un des rares cardinaux à comprendre la "question liturgique". Il s'est exprimé souvent sur la messe de saint Pie V, sur la réforme liturgique et l'opportunité d'une “réforme de la réforme”. C'est lui qui, au nom du pape, avait signé l'accord de mai 1988 avec Mgr Lefebvre. Mieux qu'un autre, il saurait resituer le conflit au niveau théologique et mettre les lefebvristes au pied du mur... Et s'il libéralise la célébration de l'ancien rite de la messe, il satisferait la condition préalable réclamée par la FSSPX.
Mais il ne s'agit pas seulement de la messe, loin de là !
Mes confrères prêtres de la fraternité ne veulent pas suivre intellectuellement et spirituellement "l'évolution homogène du dogme" depuis Vatican II, ils ne voient ni n'admettent le renouveau théologique et mystique qui a resplendi — à mon avis — sous le pontificat du pape défunt, surtout depuis les années 90. Disons-le nettement, ces prêtres ont su conserver courageusement le dépôt de la foi, mais ils se sont arrêtés de vivre, au sens ecclesial de grandir intérieurement, à la fin d'un Ancien Régime improprement idéalisé.
Il y a autre chose. La FSSPX traverse une grave crise interne. Beaucoup au sein de la Fraternité seraient heureux d'un accord, mais il y a comme partout des durs et des modérés. Dès que l'abbé Aulagnier, lefevriste historique, et partisan d'un accord avec Rome à l'image des prêtres de Campos (Brésil), s'est opposé aux autres membres du Conseil général, il a été déplacé, puis exilé et enfin exclu. De même pour l'abbé Philippe Laguérie à Bordeaux qui avait émis des critiques sur le raidissement des séminaires de la Fraternité.
En 1988, la majorité des prêtres était favorable aux accords, de même que les laïcs. Mais presque tous ont suivi Mgr Lefebvre ! Par fidélité et par suspicion à l'égard de l'Église "officielle"… En fait, la Fraternité ne tient que par la radicalité d'une opposition devenue simpliste et absolue. Ses responsables savent ou croient que ce n'est qu'à cette condition que les fidèles-militants qui la suivent continueront à la soutenir et à la soutenir financièrement avec une grande générosité.
On peut donc s'interroger sur leur réelle volonté d'aboutir. À l'issue de la rencontre avec le Saint-Père, Mgr Fellay s'est félicité de son “climat serein”, et a rappelé l'attachement de la Fraternité au Saint-Siège : “Nous avons abordé les difficultés sérieuses, déjà connues, a déclaré le supérieur général, dans un esprit de grand amour pour l'Église. Nous sommes arrivés à un consensus sur le fait de procéder par étapes dans la résolution des problèmes.” Étrangement, la Fraternité croit devoir prier pour que le Saint-Père puisse “trouver la force de mettre fin à la crise de l'Église”, comme si le pape était d'emblée suspect de faiblesse.
Mais dès le dimanche suivant, au séminaire d'Ecône, l'un des évêques lefebvristes, après un beau sermon sur la Grâce, croyait devoir faire part de ses réserves sur l'avenir des contacts avec Rome, sans espérance ni encouragement pour les fidèles. Et le même jour, dans une chapelle de la Fraternité de la grande région parisienne, le prêtre qui célébrait s'en prenait vertement au Compendium du Catéchisme de l'Église catholique, qui vient de paraître.
Sans l'héroïsme du renoncement, de l'obéissance et de l'humilité... on voit donc mal comment la situation pourrait se débloquer. Évidemment, si les membres de l'Église qui, eux, se veulent pleinement catholiques, en premier lieu les évêques et les prêtres, se montraient concrètement fidèles à la foi de l'Église, au concile Vatican II et aux enseignements précis des papes, l'unité serait rendue davantage possible pour ceux qu'ils ont provoqués et rejetés. Je reste donc pessimiste humainement mais dans l'Espérance — car Dieu peut tout !
Ancien prêtre de la FSSPX, l'abbé Christain Laffargue est incardiné dans le diocèse de Belley-Ars. Il a publié Pour l'amour de l'Église (entretiens avec Annie Laurent, Fayard, 1999).
Benoît XVI a reçu en audience lundi 29 août à Castel Gandolfo l'évêque dissident Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX). Malgré ce signal de mutuelle bienveillance, les chances de rapprochement et de retour à l'unité de l'Église paraissent faibles, du fait de la “longueur” et de la “profondeur" de l'opposition de la FSSPX à l'Église catholique (dite en son sein "officielle").
N'oublions pas qu'à Ecône, depuis sa fondation en 1970, et dans les autres séminaires de la Fraternité, l'enseignement des futurs prêtres s'arrête au magistère de Pie XII inclus (mort en 1958) ; le magistère des papes qui lui ont succédé, du bienheureux Jean XXIII jusqu'à Jean Paul II, y est clairement ignoré, concile Vatican II compris, naturellement, mais aussi le Catéchisme de l'Église catholique (publiquement critiqué en 1993).
Pourtant, les discussions n'ont pas manqué depuis le sacre des évêques de 1988. Le cardinal Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé, a échoué dans ses tentatives de conciliation (2000-2002), malgré son optimisme initial et les propositions très généreuses du pape Jean Paul II. Des conversations théologiques discrètes ont eu lieu entre Dom de Lesquen (alors abbé de Randol, o.s.b.), le Père Bonino o.p. et l'abbé Aulagnier, assistant général de la Fraternité. Après deux années d'échanges, ils n'ont pu que constater leurs profonds désaccords.
Il y eut une exception, cependant, à cette fermeture quasi systématique, quand parut l'encyclique de Jean Paul II sur l'Eucharistie (Ecclesia de eucharistia, Jeudi saint 2003). Pour la première fois, la Fraternité St-Pie-X se félicitait du contenu d'un document du magistère pontifical "post-conciliaire". Mais cette ouverture n'eut pas de lendemain. Après quelques hésitations, les responsables de la Fraternité renoncèrent à emprunter la voie de la réconciliation.
Si la fraternité a résisté au saint pape Jean Paul II, cèdera-t-elle à son successeur Benoît XVI, c'est la question qui se pose aujourd'hui.
Il est vrai qu'a priori, il n'y a pas de meilleur pontife pour reprendre la question du schisme, et le résoudre. Joseph Ratzinger connaît bien le dossier et c'est l'un des rares cardinaux à comprendre la "question liturgique". Il s'est exprimé souvent sur la messe de saint Pie V, sur la réforme liturgique et l'opportunité d'une “réforme de la réforme”. C'est lui qui, au nom du pape, avait signé l'accord de mai 1988 avec Mgr Lefebvre. Mieux qu'un autre, il saurait resituer le conflit au niveau théologique et mettre les lefebvristes au pied du mur... Et s'il libéralise la célébration de l'ancien rite de la messe, il satisferait la condition préalable réclamée par la FSSPX.
Mais il ne s'agit pas seulement de la messe, loin de là !
Mes confrères prêtres de la fraternité ne veulent pas suivre intellectuellement et spirituellement "l'évolution homogène du dogme" depuis Vatican II, ils ne voient ni n'admettent le renouveau théologique et mystique qui a resplendi — à mon avis — sous le pontificat du pape défunt, surtout depuis les années 90. Disons-le nettement, ces prêtres ont su conserver courageusement le dépôt de la foi, mais ils se sont arrêtés de vivre, au sens ecclesial de grandir intérieurement, à la fin d'un Ancien Régime improprement idéalisé.
Il y a autre chose. La FSSPX traverse une grave crise interne. Beaucoup au sein de la Fraternité seraient heureux d'un accord, mais il y a comme partout des durs et des modérés. Dès que l'abbé Aulagnier, lefevriste historique, et partisan d'un accord avec Rome à l'image des prêtres de Campos (Brésil), s'est opposé aux autres membres du Conseil général, il a été déplacé, puis exilé et enfin exclu. De même pour l'abbé Philippe Laguérie à Bordeaux qui avait émis des critiques sur le raidissement des séminaires de la Fraternité.
En 1988, la majorité des prêtres était favorable aux accords, de même que les laïcs. Mais presque tous ont suivi Mgr Lefebvre ! Par fidélité et par suspicion à l'égard de l'Église "officielle"… En fait, la Fraternité ne tient que par la radicalité d'une opposition devenue simpliste et absolue. Ses responsables savent ou croient que ce n'est qu'à cette condition que les fidèles-militants qui la suivent continueront à la soutenir et à la soutenir financièrement avec une grande générosité.
On peut donc s'interroger sur leur réelle volonté d'aboutir. À l'issue de la rencontre avec le Saint-Père, Mgr Fellay s'est félicité de son “climat serein”, et a rappelé l'attachement de la Fraternité au Saint-Siège : “Nous avons abordé les difficultés sérieuses, déjà connues, a déclaré le supérieur général, dans un esprit de grand amour pour l'Église. Nous sommes arrivés à un consensus sur le fait de procéder par étapes dans la résolution des problèmes.” Étrangement, la Fraternité croit devoir prier pour que le Saint-Père puisse “trouver la force de mettre fin à la crise de l'Église”, comme si le pape était d'emblée suspect de faiblesse.
Mais dès le dimanche suivant, au séminaire d'Ecône, l'un des évêques lefebvristes, après un beau sermon sur la Grâce, croyait devoir faire part de ses réserves sur l'avenir des contacts avec Rome, sans espérance ni encouragement pour les fidèles. Et le même jour, dans une chapelle de la Fraternité de la grande région parisienne, le prêtre qui célébrait s'en prenait vertement au Compendium du Catéchisme de l'Église catholique, qui vient de paraître.
Sans l'héroïsme du renoncement, de l'obéissance et de l'humilité... on voit donc mal comment la situation pourrait se débloquer. Évidemment, si les membres de l'Église qui, eux, se veulent pleinement catholiques, en premier lieu les évêques et les prêtres, se montraient concrètement fidèles à la foi de l'Église, au concile Vatican II et aux enseignements précis des papes, l'unité serait rendue davantage possible pour ceux qu'ils ont provoqués et rejetés. Je reste donc pessimiste humainement mais dans l'Espérance — car Dieu peut tout !
Ancien prêtre de la FSSPX, l'abbé Christain Laffargue est incardiné dans le diocèse de Belley-Ars. Il a publié Pour l'amour de l'Église (entretiens avec Annie Laurent, Fayard, 1999).