Patrice Lestrohan - Le Canard Enchaîné - 14 septembre 2005
S'ils veulent revenir dans le giron papal, comme semble le souhaiter leur chef de file reçu par Benoît XVI (qui n'est pas très éloigné de leurs idées), les intégristes ont apparemment plus à craindre de leurs ouailles que de leurs adversaires.
Ça ne s'annonce pas comme une affaire commode, ce possible retour au bercail du Vatican des fidèles intégristes - qualificatif qu'ils contestent - de feu Mgr Lefebvre. Une perspective ouverte par le tête-à-tête de trente-cinq minutes accordé à Castel Gandolfo le 29 août par Benoît XVI à l'évêque schismatique suisse romand Bertrand Fellay, 48 ans, successeur de Lefebvre. Dans un communiqué qu'il a publié après la rencontre, l'assez peu rigolard prélat parle de « consensus sur le fait de procéder par étapes dans la résolution des problèmes ». C'est à voir...
« Ne vous faites pas beaucoup d'illusions », a même lancé à ses ouailles, dimanche dernier (11/9), son disciple le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (vingt-huit années d'occupation illégale), fief parisien de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, du nom de l'obédience lefebvriste, plus redoutée sans doute pour son prosélytisme bruyant que pour ses effectifs. Basée à Ecône (Suisse) et forte de 440 prêtres dont 120 en France, où elle dispose aussi d'un séminaire et, notamment, d'une dizaine d'écoles secondaires, la Fraternité ne règne au mieux que sur 200 000 fidèles dans le monde. Par surcroît, elle compte elle-même ses propres dissidents remuants comme l'abbé Philippe Laguérie, ancien de Saint-Nicolas aujourd'hui replié à Bordeaux, ou bien encore une autre ex-figure parisienne, Guillaume de Tanhouarn, lequel désormais se présente comme « le Canal historique » du mouvement. Ça se corse!
Au lendemain de la disparition de Jean-Paul II, que Lefebvre accusait sans rire d'être « le pape qui répand partout les idées de la Révolution française », Fellay et ses amis ont aperçu « une lueur d'espérance » dans l'élection de Benoît XVI. L'ex-cardinal Ratzinger est une vieille connaissance de la Fraternité. En juin 88, à la veille de la consécration illégale de quatre évêques, l'acte fondateur du schisme, il avait en vain tenté jusqu'aux dernières heures de retenir Lefebvre dans l'Eglise. Surtout, l'excellent mais pas trop gauchisant Bavarois a aussi développé dans un récent passé des considérations qui l'amenaient plus du côté de la Tradition - le maître mot intégriste - que dans les parages de la théologie sud-américaine de la Libération.
Qu'on se le dise, la rébellion ne porte en apparence que sur des symboles, genre port obligé de la soutane, ou des rites. « La nouvelle messe », que le concile Vatican II a substituée à l'admirable, l'unique messe en latin de Pie V, n'a pas fini de révulser du côté d'Ecône ou de Saint- Nicolas: « Une messe œcuménique, ambiguë, protestantisée et maçonnique », selon un dignitaire accrédité. Mais l'aversion des lefebvristes pour le concile Vatican II, c'est, d'abord, ils le répètent assez, que ce concile d' « apostats », au lieu de prêcher, comme de juste, la nécessaire conversion des Infidèles, a multiplié les inepties : il a reconnu la liberté de religion, prôné l'œcuménisme (disons, le rapprochement avec les diverses Eglises chrétiennes) et « le dialogue » entre les religions, c'est-à-dire entre les tenants de la Vérité et les Hérétiques! Et pourquoi pas le mariage homosexuel des nonnes? Ça tombe bien. Ratzinger, qui en son temps (1986) avait boudé les premières « rencontres interreligieuses d'Assise », organisées par son prédécesseur, s'est aussi fendu, voilà cinq ans, d'une longue déclaration sur l'œcuménisme, où il qualifiait d'« indigents » (intellectuellement) le protestantisme et l'orthodoxie. De quoi pavoiser à la Frater? C'est selon.
« Evidemment, à titre personnel, Benoît XVI ne regarde pas la Fraternité d'un mauvais œil, estime un spécialiste du Vatican. Il ne devrait d'ailleurs pas trop faire d'histoires pour la messe en latin, à charge pour les évêques de tolérer les deux messes dans leur diocèse. D'ailleurs Jean-Paul II était déjà prêt à quelques concessions dans ce sens. Mais, pour des raisons de politique intérieure de l'Eglise, le pape ne peut pas re- venir sur les grands acquis de Vatican II, dont il a d'ailleurs été l'une des éminences grises. Il est vrai qu'il était à l'époque nettement plus progressiste. En tout cas, tout le monde a remarqué que, pour sa première visite à l'étranger (Cologne), il a tenu à rencontrer et la communauté juive et la communauté musulmane. »
Ce n'est pas tout. Outre la question de leur statut (il est vaguement question d'un « diocèse sans frontière », façon Opus Dei), le retour des intégristes dans le giron de Rome suppose une délicate formalité: une demande officielle de « pardon » qu'ils ne sont peut-être pas décidés à formuler expressément. Le tout pour ne rien dire d'un péril autrement plus sérieux : initialement secret, le tête-à-tête de Castel Gandolfo n'a pas été révélé par une fuite du Vatican, mais par un évêque intégriste, le Britannique Williamson, réputé autant pour son tempérament bon vivant que pour son hostilité définitive au Vatican. De là à penser qu'avec quelques amis il se ferait une joie toute « fraternelle » de torpiller le « consensus »...
Patrice Lestrohan
S'ils veulent revenir dans le giron papal, comme semble le souhaiter leur chef de file reçu par Benoît XVI (qui n'est pas très éloigné de leurs idées), les intégristes ont apparemment plus à craindre de leurs ouailles que de leurs adversaires.
Ça ne s'annonce pas comme une affaire commode, ce possible retour au bercail du Vatican des fidèles intégristes - qualificatif qu'ils contestent - de feu Mgr Lefebvre. Une perspective ouverte par le tête-à-tête de trente-cinq minutes accordé à Castel Gandolfo le 29 août par Benoît XVI à l'évêque schismatique suisse romand Bertrand Fellay, 48 ans, successeur de Lefebvre. Dans un communiqué qu'il a publié après la rencontre, l'assez peu rigolard prélat parle de « consensus sur le fait de procéder par étapes dans la résolution des problèmes ». C'est à voir...
« Ne vous faites pas beaucoup d'illusions », a même lancé à ses ouailles, dimanche dernier (11/9), son disciple le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (vingt-huit années d'occupation illégale), fief parisien de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, du nom de l'obédience lefebvriste, plus redoutée sans doute pour son prosélytisme bruyant que pour ses effectifs. Basée à Ecône (Suisse) et forte de 440 prêtres dont 120 en France, où elle dispose aussi d'un séminaire et, notamment, d'une dizaine d'écoles secondaires, la Fraternité ne règne au mieux que sur 200 000 fidèles dans le monde. Par surcroît, elle compte elle-même ses propres dissidents remuants comme l'abbé Philippe Laguérie, ancien de Saint-Nicolas aujourd'hui replié à Bordeaux, ou bien encore une autre ex-figure parisienne, Guillaume de Tanhouarn, lequel désormais se présente comme « le Canal historique » du mouvement. Ça se corse!
Au lendemain de la disparition de Jean-Paul II, que Lefebvre accusait sans rire d'être « le pape qui répand partout les idées de la Révolution française », Fellay et ses amis ont aperçu « une lueur d'espérance » dans l'élection de Benoît XVI. L'ex-cardinal Ratzinger est une vieille connaissance de la Fraternité. En juin 88, à la veille de la consécration illégale de quatre évêques, l'acte fondateur du schisme, il avait en vain tenté jusqu'aux dernières heures de retenir Lefebvre dans l'Eglise. Surtout, l'excellent mais pas trop gauchisant Bavarois a aussi développé dans un récent passé des considérations qui l'amenaient plus du côté de la Tradition - le maître mot intégriste - que dans les parages de la théologie sud-américaine de la Libération.
Qu'on se le dise, la rébellion ne porte en apparence que sur des symboles, genre port obligé de la soutane, ou des rites. « La nouvelle messe », que le concile Vatican II a substituée à l'admirable, l'unique messe en latin de Pie V, n'a pas fini de révulser du côté d'Ecône ou de Saint- Nicolas: « Une messe œcuménique, ambiguë, protestantisée et maçonnique », selon un dignitaire accrédité. Mais l'aversion des lefebvristes pour le concile Vatican II, c'est, d'abord, ils le répètent assez, que ce concile d' « apostats », au lieu de prêcher, comme de juste, la nécessaire conversion des Infidèles, a multiplié les inepties : il a reconnu la liberté de religion, prôné l'œcuménisme (disons, le rapprochement avec les diverses Eglises chrétiennes) et « le dialogue » entre les religions, c'est-à-dire entre les tenants de la Vérité et les Hérétiques! Et pourquoi pas le mariage homosexuel des nonnes? Ça tombe bien. Ratzinger, qui en son temps (1986) avait boudé les premières « rencontres interreligieuses d'Assise », organisées par son prédécesseur, s'est aussi fendu, voilà cinq ans, d'une longue déclaration sur l'œcuménisme, où il qualifiait d'« indigents » (intellectuellement) le protestantisme et l'orthodoxie. De quoi pavoiser à la Frater? C'est selon.
« Evidemment, à titre personnel, Benoît XVI ne regarde pas la Fraternité d'un mauvais œil, estime un spécialiste du Vatican. Il ne devrait d'ailleurs pas trop faire d'histoires pour la messe en latin, à charge pour les évêques de tolérer les deux messes dans leur diocèse. D'ailleurs Jean-Paul II était déjà prêt à quelques concessions dans ce sens. Mais, pour des raisons de politique intérieure de l'Eglise, le pape ne peut pas re- venir sur les grands acquis de Vatican II, dont il a d'ailleurs été l'une des éminences grises. Il est vrai qu'il était à l'époque nettement plus progressiste. En tout cas, tout le monde a remarqué que, pour sa première visite à l'étranger (Cologne), il a tenu à rencontrer et la communauté juive et la communauté musulmane. »
Ce n'est pas tout. Outre la question de leur statut (il est vaguement question d'un « diocèse sans frontière », façon Opus Dei), le retour des intégristes dans le giron de Rome suppose une délicate formalité: une demande officielle de « pardon » qu'ils ne sont peut-être pas décidés à formuler expressément. Le tout pour ne rien dire d'un péril autrement plus sérieux : initialement secret, le tête-à-tête de Castel Gandolfo n'a pas été révélé par une fuite du Vatican, mais par un évêque intégriste, le Britannique Williamson, réputé autant pour son tempérament bon vivant que pour son hostilité définitive au Vatican. De là à penser qu'avec quelques amis il se ferait une joie toute « fraternelle » de torpiller le « consensus »...
Patrice Lestrohan