SOURCE - Romano Libero - Golias - 9 février 2007
Philippe Laguérie, 55 ans, est un jeune homme natif de Sceaux déçu par l’évolution postconciliaire de l’Église qui trouvera auprès de Mgr Lefebvre un chef et un modèle.En 1979, il devient prêtre à Ecône. Très vite, il s’improvise curé de Saint Nicolas du Chardonnet. Homme d’action au verbe efficace, il emporte une certaine adhésion : même si ses prêches sont davantage des harangues politiques d’extrême droite que des réflexions spirituelles.
L’abbé Laguérie est un homme d’action et de stratégie : il s’épanouit au combat. Trop indépendant, il se heurte vivement aux ecclésiastiques de la très étroite Fraternité Saint Pie X. Exilé à Bordeaux , il devait être muté plus loin, mais son ralliement à Rome le sauve de l’éloignement.
Le 16 septembre 2004, l’abbé avait d’ailleurs été déjà exclu de cette Fraternité peu disposée à l’échange par Mgr Bernard Fellay, son zélé supérieur général.
Personnage impulsif, l’abbé Laguérie se veut un franc-tireur. Pour l’anecdote, il avait été flashé en 1999 roulant à 190 kilomètres heures sur l’autoroute.
Habile homme au demeurant, l’abbé Laguérie sut négocier ferme avec Rome. Il dispose de relais très efficaces comme l’abbé Claude Barthe, théologien et cheville ouvrière de la revue " Catholica " ainsi que Mgr Gilles Wach, le très baroque fondateur de l’Institut du Christ Roi de Gricigliano.
Le 8 septembre 2006 est érigé l’Institut du Bon Pasteur, dont Philippe Laguérie devient le Supérieur Général. A l’évidence, Rome avait forcé la main au cardinal Jean-Pierre Ricard, alors archevêque de Bordeaux, diocèse dans lequel s’établit l’Institut.
Font partie de l’Institut, outre l’abbé Laguérie : l’abbé Paul Aulagnier, un auvergnat très pugnace, l’abbé Christophe Héry, l’abbé Guillaume de Tanoüarn (un intellectuel, théoricien politique d’extrême droite, fondateur à Paris de deux centres culturels intégristes), l’abbé Henri Forestier et un diacre, Claude Prieur.
Cet Institut entend essaimer et se diffuser ailleurs. Il s’agit toujours pour l’abbé de mener un combat. Comme si son groupuscule se présentait comme le prototype de la chrétienté reconstruite en France. Il entend se livrer à une critique constructive du Concile et des réformes qui ont suivi. Il continue à célébrer la liturgie à l’ancienne, sans faire aucun compromis.
L’Institut compte déjà si prêtres et une petite dizaine de séminaristes. Une dizaine de prêtres sud-américains devraient la rejoindre prochainement. L’Institut semble jouir de la protection du cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Commission Ecclesia Dei et du Cardinal Jorge Arturo Medina Estevez, ancien préfet de la congrégation pour le culte divin et ...ami de feu le général Pinochet.
Le mardi 6 février, l’abbé Laguérie et Mgr Ricard annoncent l’érection canonique officielle de la paroisse de Saint Eloi. Cette "paroisse personnelle" (sic) (1) constitue à bien des égards un scandale. Elle fait injure à l’unité de l’Église en marche. L’abbé Laguérie devient curé d’une Église qu’il a lui-même envahi en dénigrant l’évêque du lieu et le clergé local. Le brave cardinal Ricard devrait être de plus en plus sur la sellette vis-à-vis de son presbyterium.
A Courtalain , dans le diocèse de Chartres , sans l’accord de l’évêque, Mgr Michel Pansard, et à son plus vif déplaisir, l’Institut a ouvert un séminaire. Dirigé par l’abbé Aulagnier, un autre ténor de l’intégrisme français, il est destiné à devenir une pépinière de l’intégrisme en France.
L’Institut peut incardiner des prêtres venus d’ailleurs et ordonner dans son sein. Dans certains cas délicats, comme celui de l’abbé Fournié, il a préfère renvoyer le postulant ailleurs. Le dit abbé Fournié est accueilli dans le diocèse de Vaduz, par l’archevêque Wolfgang Haas, avant de rejoindre plus tard l’Institut du Bon Pasteur.
L’Institut semble avoir le vent en poupe : l’abbé Laguérie qui tire beaucoup la couverture à lui vient d’ouvrir un blog. Il entend distiller sa bonne parole intégriste un peu partout.
Le 3 mars prochain, deux nouveaux prêtres seront ordonnés ; les abbés Belon et Prieur. Au départ, le Pontife devait être soit le cardinal Castrillon, soit le cardinal Medina. L’un et l’autre étaient jugés indésirables. Leur présence aurait été saluée par les intégristes comme signes de leur éclatante victoire. Finalement, Rome a choisi de mandater un inconnu, l’archevêque Luigi De Magistris, un sarde de 81 ans, jadis collaborateur et ami du Cardinal Ottaviani, qui fut un temps Pro-Pénitencier apostolique mais ne fut pas élevé à la pourpre cardinalice en raison de son hostilité trop visible à la réforme liturgique et...à Mgr Piero Marini, le cérémoniaire pontifical. Il était un temps question que l’ordination soit célébrée par Mgr Pansard, lequel aurait fort judicieusement refusé.
La Fraternité Saint Pie X tire à boulets rouges contre ce qu’elle estime être une entreprise de récupération. Elle dénonce aussi à Lyon et à Versailles, l’OPA des ordinaires, le cardinal Philippe Barbarin et Mgr Eric Aumônier, qui ont, si l’on ose dire, débaucher des prêtres de la fraternité Saint Pierre pour les intégrer dans leur presbyterium, ce qui les privait de leur autonomie et en faisait leurs sujets obligés. Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, se refuse pour sa part d’accueillir dans son diocèse la Fraternité Saint Pierre.
D’un point de vue stratégique, il est clair que Rome entend faire d’une pierre deux coups : d’une part diviser la fronde intégriste en récupérant un certain nombre de dissidents ; d’autre part, infiltrer dans l’Eglise les alliés objectifs fiables quoique sans doute outranciers d’un projet de restauration déjà entamée.
Dans l’esprit de Benoît XVI il s’agit bel et bien d’un recentrage : pour aboutir à moyen terme à une nouvelle unité disciplinaire et liturgique, en quelque sorte à mi chemin entre les options intégristes et la ligne conciliaire. Une stratégie bien plus habile qu’on ne le penserait d’emblée.
(1) "paroisse personnelle déterminée par l’usage des livres liturgiques en vigueur en 1962". Convention signée en réalité le 1er février mais annoncé le 6 février.
(1) "paroisse personnelle déterminée par l’usage des livres liturgiques en vigueur en 1962". Convention signée en réalité le 1er février mais annoncé le 6 février.