SOURCE - Abbé Philippe Laguérie, ibp - 3 avril 2007
Bien cher monsieur Balter,
Vous me demandez, en sorte, quelle est la position de la Fraternité saint Pie X sur les espèces eucharistiques. Ma première réaction est tout naturellement de vous conseiller de le leur demander. Je n’ai évidemment aucun mandat pour répondre au nom de la Fraternité, même si les journalistes, depuis quatre ans, continuent de me solliciter comme « porte-parole » de ladite Fraternité. Mais avant qu’un journaliste comprenne une situation religieuse, comme dit l’autre, les poules auront des dents !
Pour vous faire rire : une anecdote. En 1995, au pèlerinage de Chartes, le journaliste de FR3 m’aborde et me demande s’il pouvait rencontrer Mgr Lefebvre (décédé en 91 comme chacun sait, à l’exception de ce spécialiste). Je me suis contenté de répondre que Mgr était un peu fatigué ; mais que, s’il voulait bien, je pouvais lui ménager une interview avec le vieux Pie V, encore plus prestigieux, qui se trouvait là. Il m’a suivi de chapitre en chapitre pendant un petit moment, jusqu’à ce que je me retourne pour lui dire que l’un était mort depuis quatre ans et l’autre depuis quatre siècles.
Du temps, pas si lointain, où je servais Dieu dans la Fraternité on enseignait ceci (et il n’y a aucune raison pour que les choses aient changé depuis). La nouvelle messe, célébrée selon les rubriques du missel de Paul VI, mises de côté les aberrations de célébrants fantaisistes et impies, est valide. Dès lors le respect et l’adoration dûs aux espèces eucharistiques est en tout point semblable à celui du fruit de la messe grégorienne. Sans préjudice de l’analyse théologique fort différente portée sur les rites eux-mêmes.
Vous me direz qu’on ne sait jamais ce qu’un prêtre a pu inventer dans sa dernière célébration, (il est vrai, hélas) étant présumée totalement bonne son intention ; là-dessus je suis résolument thomiste, c’est-à-dire externiste, un homme ayant l’intention de faire tout bonnement ce qu’il fait. Nous n’avons pas, salvo meliore judicio, à juger de cette hypothèse qui ne tient compte que de la circonstance invérifiable pour nous en tenir à la règle moralement probable. Je vous rappelle qu’une probabilité, au sens thomiste, est largement suffisante et même contraignante de l’agir moral. La conclusion est claire et sans discussion possible, mis de côté les simples états d’âmes : la vénération et l’utilisation des espèces eucharistiques est équivalente eu égard à leur consécration dans l’ancien ou le nouveau rite. Ce qui, encore une fois, ne dit rien sur la différence théologique profonde des deux rites eux-mêmes. Je suis prêt à me rétracter sur ce point si quelqu’un parvient à me démonter le contraire, à savoir que : la nouvelle messe étant reconnue comme valide et compte tenu des règles de la morale ci-dessus rappelées, il faille vouer aux espèces eucharistiques un culte (de latrie) différent selon le rite de la messe qui les confectionnent.
Vous noterez au passage que vous ne pouvez soupçonner l’intention du célébrant qu’en cas de difformité du rite lui-même (toujours la thèse thomiste). Ceci valant pour tout rite. Dès lors, si vous affirmez que le rite, quel qu’il soit, est valide, vous vous interdisez de juger de l’intention du célébrant au regard de la confection véritable de la présence réelle et du renouvellement du sacrifice du Seigneur, accomplis dans le même acte, comme on sait. C’est la validité du rite qui est ici seule en jeu. La perversité de l’intention (qui peut aller jusqu’aux messes noires !) n’a rien à voir avec notre débat. Que cela vous plaise ou non, vous devriez adorer le Seigneur dans le fruit eucharistique d’une messe noire célébrée par un prêtre validement ordonné, ayant l’intention de faire ce que fait l’Eglise et qui, évidemment, utilise un rite valide.
Vous pouvez constater que l’I.B.P, la Fraternité saint Pie X et tous les théologiens catholiques tiennent et doivent tenir le même langage qui est celui de la théologie catholique et de son Docteur Commun : Saint Thomas d’Aquin. Il n’y a que ceux qui tiennent la nouvelle messe pour invalide qui peuvent avoir un comportement différent. Mais nous embarquerions là, cher ami, sur une nouvelle galaxie qui a ceci de particulier que ses habitants, extra-terrestres inavoués et crypto-sedevacantistes notoires n’osent plus, Dieu merci, soutenir leur thèse. Quand j’étais plus jeune quelques- uns s’y risquaient fièrement, comme cette femme courageuse qui en fit une brochure, Maria Davidoglou, ou encore le père Barbara. Ils sont excusables car, à l’époque, on pouvait sérieusement se demander ce qui pouvait se passer dans la tête des curés. Que Dieu ait leurs âmes !
Vous avez la position du bon sens et de la Théologie catholique : gardez-là.