SOURCE - Joséphine Bataille - La Vie - 11 mars 2009
DOCTRINE. Obsession du péché et de l’Apocalypse, culpabilité et diabolisation du monde. Telle est la forteresse mentale des intégristes.
Richard Williamson, devenu par ses propos négationnistes le plus célèbre des quatre évêques intégristes récemment « réincommuniés », parle toujours « études » à l’appui. Le 16 avril 2008, pour une célébration de confirmations, il a construit son homélie à partir d’une référence de choix : les Preuves irréfutables de la création et du déluge, œuvre du chef de file du créationnisme, le protestant américain Walter Brown. Les « preuves géologiques » de l’histoire de Noé qui y sont avancées ont comblé l’évêque lefebvriste, toujours très soucieux d’apporter son éclairage à l’Histoire. Comme, « bien sûr, le déluge est un fait historique, car personne dans l’assemblée ne croit qu’il y a des mensonges dans les Écritures », les jeunes confirmands sont invités à s’imaginer la scène : « Premier craquement », cris, fuites, ascension des collines, et tandis que l’eau continue de monter, gens qui se « battent comme des tigres » pour atteindre le point le plus haut, mais qui, finalement, « coulent et meurent ».
Le décor est planté. À dessein, car la suite arrive : « Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation exactement similaire à celle qui a précédé le déluge. À voir où va l’humanité, Dieu ne peut être qu’extrêmement en colère. Et cela fait déjà une centaine d’années que l’esprit libertaire se déchaîne et que la race humaine mérite d’être exterminée », avertit Richard Williamson. Alors, l’évêque prophétise : « Un jour, le Fils va dire à sa Mère : tu ne peux pas retenir mon bras plus longtemps ; car toutes les âmes ou presque tombent en enfer. Et elle reconnaîtra qu’Il a raison, et cessera de retenir son bras. Ce ne sera pas comme le déluge, car Dieu a promis qu’il ne nettoierait plus la surface de la Terre par les eaux. Il n’a pas dit, en revanche, qu’il ne le ferait pas par le feu… » Pour tous ceux qui, malgré les avertissements, auront refusé de monter dans « l’arche de la tradition », s’ouvrira alors « une inimaginable éternité d’horreur et de peines ».
La scène est frappante, mais le procédé ne date pas d’hier. La prédication qui a cours au sein de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X réactive tous les codes et les thèmes de ce que l’historien Jean Delumeau a appelé « la pastorale de la peur », et qui a caractérisé l’Église jusqu’à ce que le concile Vatican II entende y mettre un terme. Si Williamson pense avoir de bonnes raisons de croire que, cette fois, la fin du monde est proche, son ressenti n’en ressort pas moins d’une constante de l’histoire chrétienne. « Le Moyen âge mais aussi la Renaissance ont été très fortement marqués par cette attente eschatologique, explique ainsi Jean Delumeau. À ces époques, les nombreux malheurs collectifs qui survenaient étaient interprétés comme des avertissements donnés par Dieu à une société encore largement – contrairement à l’idée qu’on s’en fait – sous-christianisée. »
Le thème de l’imminence de l’Apocalypse repose sur l’idée qu’un point de non-retour a été atteint en matière d’immoralité. « Luther, déjà, jugeait que le péché était à son comble, et que Dieu ne manquerait pas d’intervenir très vite », rappelle l’historien. Les intégristes n’innovent donc pas en décrivant à leurs fidèles, à longueur de sermon, la façon dont notre monde court à sa perte. Ainsi, la « grande malade » que l’abbé de Cacqueray, supérieur du District de France de la FSSPX, choisit en 2005 de confier à Notre-Dame de Lourdes, c’est « la société dans laquelle nous vivons ».
Alors que le thème du péché originel redonne lieu à des interprétations littérales, on poursuit de façon obsessionnelle le péché que constitue toute collusion avec le monde d’ici-bas. « Nous mourons en effet de cette hégémonie de la jouissance. Nos âmes s’étiolent. Et nous sombrons imperceptiblement dans un catholicisme mondain. Nous sommes dans un univers des âmes blasées. De ces âmes qui ne craignent pas de composer avec le monde. Et parce qu’elles composent avec le monde, ces âmes sont en danger de se décomposer », tance, en 2008, le recteur du séminaire de Winona, l’abbé Yves Le Roux.
Si les hommes qui « utilisent le monde pour en tirer le maximum de plaisir » sont voués « à mourir comme des bêtes », dixit Richard Williamson (avril 2008), la jouissance reste un péché sans âge. Or, en ce XXIe siècle, le diable use aussi de moyens propres à l’époque pour détourner de Dieu. Ils ont pour nom « tee-shirts, jeans, fast-food, musique rock », et tout ce qui, loin de mettre les jeunes âmes « sur la route du paradis », les conduit plutôt « à se détruire et à se clochardiser » (Williamson). Plus encore si l’époque est inédite, c’est que le diable a parfait sa stratégie jusqu’à agir au sein même de l’Église catholique – dite conciliaire. « Aujourd’hui, l’ennemi n’est pas visible ; il agit comme ces gaz qui vous tuent sans qu’on les ait sentis. Nous vivons des temps dangereux ; nous nous trouvons en zone gazée... », avertit Bernard Fellay, qui en 2007 commente un texte émanant rien moins que du Vatican, et qu’il estime conçu pour détourner « par la ruse » les fidèles de la juste foi.
Par voie de conséquence, la « pastorale de la peur » se constitue sur les bases d’un appel à la mortification, à la pénitence et au contemptus mundi – mépris d’un monde qu’il ne reste qu’à fuir –, la vie religieuse étant donnée comme « modèle de l’existence parfaite ». Et les intégristes ne dérogent pas à cette loi de l’histoire de la prédication chrétienne. « La Croix. Le sacrifice. Le renoncement. Voilà la splendeur de la vie chrétienne. Ne l’édulcorons pas. Sans sacrifice, la vie chrétienne n’est qu’une coquille vide », s’exclame l’abbé Le Roux. La prière pour les âmes du purgatoire est présentée comme exemplaire, et l’existence, comme une lutte perpétuelle contre la tentation : « “La vie est faite pour être vaincue, non pour être vécue” (citation de René Bazin, ndlr). C’est un rude combat, nous avons le devoir d’y entraîner nos enfants. Leur tenir cachée cette réalité est un crime odieux, car à la première escarmouche ils rendront les armes avant d’avoir livré bataille », ajoute-t-il.
En creux se construit ainsi l’image d’un Dieu vengeur, voire pervers, dont le principe de satisfaction est la souffrance des hommes. « Non que le Dieu amour et pardon soit une nouveauté de Vatican II, mais les prédicateurs ont dû essayer de tenir à la fois l’exigence d’un Dieu bon et celle d’un Dieu juste, or, s’Il est juste, il punit nécessairement les méchants, et c’est cela qui domine les esprits », souligne Jean Delumeau. L’amour, d’ailleurs, se voit taxé de mièvrerie, tout du moins chez les intégristes du XXIe siècle – si l’on en croit les railleries de Bernard Tissier de Mallerais, parlant de l’après-Vatican II comme d’« une religion sans sacrifice, ni expiation, ni satisfaction, ni justice divine, ni pénitence, ni abnégation, ni ascétisme », c’est-à-dire « la religion du soi-disant amour-amour-amour, ce qui n’est rien d’autre que des mots ».
Quant à la notion de miséricorde, elle est rattrapée par les cheveux par Richard Williamson : « Dieu est bon, car il nous donne des avertissements. Et quand son châtiment arrivera, ce sera un acte de pitié, car il aura pour fonction d’empêcher beaucoup d’âmes de tomber encore plus bas. »
Établie sur de telles bases, la foi devient un cocktail psychologique détonant. « Dans l’Histoire, cela s’est soldé par de véritables névroses de culpabilité. Scruter le péché en soi à tout instant développe un narcissisme exacerbé », renchérit Jean Delumeau. Pour le chercheur, la « surculpabilisation des fidèles » a été l’un des facteurs du processus de déchristianisation qui s’est mis en place à partir du XVIIIe siècle. Que la « pastorale de la peur » fasse son retour, voilà qui ne laisse pas de l’étonner, et lui fait craindre que l’Église ne s’éloigne encore du monde : « Vatican II, qui est venu théoriser un regard plus optimiste sur ce qui fait l’essentiel du message chrétien, avait précisément pour objectif de lutter contre la déchristianisation. Ceux qui exploitent la peur, même s’ils recrutent des prêtres, resteront toujours minoritaires, car ils développent une mentalité de citadelle assiégée. Ce n’est pas sur ce principe qu’on rechristianise une société. »
Richard Williamson, devenu par ses propos négationnistes le plus célèbre des quatre évêques intégristes récemment « réincommuniés », parle toujours « études » à l’appui. Le 16 avril 2008, pour une célébration de confirmations, il a construit son homélie à partir d’une référence de choix : les Preuves irréfutables de la création et du déluge, œuvre du chef de file du créationnisme, le protestant américain Walter Brown. Les « preuves géologiques » de l’histoire de Noé qui y sont avancées ont comblé l’évêque lefebvriste, toujours très soucieux d’apporter son éclairage à l’Histoire. Comme, « bien sûr, le déluge est un fait historique, car personne dans l’assemblée ne croit qu’il y a des mensonges dans les Écritures », les jeunes confirmands sont invités à s’imaginer la scène : « Premier craquement », cris, fuites, ascension des collines, et tandis que l’eau continue de monter, gens qui se « battent comme des tigres » pour atteindre le point le plus haut, mais qui, finalement, « coulent et meurent ».
Le décor est planté. À dessein, car la suite arrive : « Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation exactement similaire à celle qui a précédé le déluge. À voir où va l’humanité, Dieu ne peut être qu’extrêmement en colère. Et cela fait déjà une centaine d’années que l’esprit libertaire se déchaîne et que la race humaine mérite d’être exterminée », avertit Richard Williamson. Alors, l’évêque prophétise : « Un jour, le Fils va dire à sa Mère : tu ne peux pas retenir mon bras plus longtemps ; car toutes les âmes ou presque tombent en enfer. Et elle reconnaîtra qu’Il a raison, et cessera de retenir son bras. Ce ne sera pas comme le déluge, car Dieu a promis qu’il ne nettoierait plus la surface de la Terre par les eaux. Il n’a pas dit, en revanche, qu’il ne le ferait pas par le feu… » Pour tous ceux qui, malgré les avertissements, auront refusé de monter dans « l’arche de la tradition », s’ouvrira alors « une inimaginable éternité d’horreur et de peines ».
La scène est frappante, mais le procédé ne date pas d’hier. La prédication qui a cours au sein de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X réactive tous les codes et les thèmes de ce que l’historien Jean Delumeau a appelé « la pastorale de la peur », et qui a caractérisé l’Église jusqu’à ce que le concile Vatican II entende y mettre un terme. Si Williamson pense avoir de bonnes raisons de croire que, cette fois, la fin du monde est proche, son ressenti n’en ressort pas moins d’une constante de l’histoire chrétienne. « Le Moyen âge mais aussi la Renaissance ont été très fortement marqués par cette attente eschatologique, explique ainsi Jean Delumeau. À ces époques, les nombreux malheurs collectifs qui survenaient étaient interprétés comme des avertissements donnés par Dieu à une société encore largement – contrairement à l’idée qu’on s’en fait – sous-christianisée. »
Le thème de l’imminence de l’Apocalypse repose sur l’idée qu’un point de non-retour a été atteint en matière d’immoralité. « Luther, déjà, jugeait que le péché était à son comble, et que Dieu ne manquerait pas d’intervenir très vite », rappelle l’historien. Les intégristes n’innovent donc pas en décrivant à leurs fidèles, à longueur de sermon, la façon dont notre monde court à sa perte. Ainsi, la « grande malade » que l’abbé de Cacqueray, supérieur du District de France de la FSSPX, choisit en 2005 de confier à Notre-Dame de Lourdes, c’est « la société dans laquelle nous vivons ».
Alors que le thème du péché originel redonne lieu à des interprétations littérales, on poursuit de façon obsessionnelle le péché que constitue toute collusion avec le monde d’ici-bas. « Nous mourons en effet de cette hégémonie de la jouissance. Nos âmes s’étiolent. Et nous sombrons imperceptiblement dans un catholicisme mondain. Nous sommes dans un univers des âmes blasées. De ces âmes qui ne craignent pas de composer avec le monde. Et parce qu’elles composent avec le monde, ces âmes sont en danger de se décomposer », tance, en 2008, le recteur du séminaire de Winona, l’abbé Yves Le Roux.
Si les hommes qui « utilisent le monde pour en tirer le maximum de plaisir » sont voués « à mourir comme des bêtes », dixit Richard Williamson (avril 2008), la jouissance reste un péché sans âge. Or, en ce XXIe siècle, le diable use aussi de moyens propres à l’époque pour détourner de Dieu. Ils ont pour nom « tee-shirts, jeans, fast-food, musique rock », et tout ce qui, loin de mettre les jeunes âmes « sur la route du paradis », les conduit plutôt « à se détruire et à se clochardiser » (Williamson). Plus encore si l’époque est inédite, c’est que le diable a parfait sa stratégie jusqu’à agir au sein même de l’Église catholique – dite conciliaire. « Aujourd’hui, l’ennemi n’est pas visible ; il agit comme ces gaz qui vous tuent sans qu’on les ait sentis. Nous vivons des temps dangereux ; nous nous trouvons en zone gazée... », avertit Bernard Fellay, qui en 2007 commente un texte émanant rien moins que du Vatican, et qu’il estime conçu pour détourner « par la ruse » les fidèles de la juste foi.
Par voie de conséquence, la « pastorale de la peur » se constitue sur les bases d’un appel à la mortification, à la pénitence et au contemptus mundi – mépris d’un monde qu’il ne reste qu’à fuir –, la vie religieuse étant donnée comme « modèle de l’existence parfaite ». Et les intégristes ne dérogent pas à cette loi de l’histoire de la prédication chrétienne. « La Croix. Le sacrifice. Le renoncement. Voilà la splendeur de la vie chrétienne. Ne l’édulcorons pas. Sans sacrifice, la vie chrétienne n’est qu’une coquille vide », s’exclame l’abbé Le Roux. La prière pour les âmes du purgatoire est présentée comme exemplaire, et l’existence, comme une lutte perpétuelle contre la tentation : « “La vie est faite pour être vaincue, non pour être vécue” (citation de René Bazin, ndlr). C’est un rude combat, nous avons le devoir d’y entraîner nos enfants. Leur tenir cachée cette réalité est un crime odieux, car à la première escarmouche ils rendront les armes avant d’avoir livré bataille », ajoute-t-il.
En creux se construit ainsi l’image d’un Dieu vengeur, voire pervers, dont le principe de satisfaction est la souffrance des hommes. « Non que le Dieu amour et pardon soit une nouveauté de Vatican II, mais les prédicateurs ont dû essayer de tenir à la fois l’exigence d’un Dieu bon et celle d’un Dieu juste, or, s’Il est juste, il punit nécessairement les méchants, et c’est cela qui domine les esprits », souligne Jean Delumeau. L’amour, d’ailleurs, se voit taxé de mièvrerie, tout du moins chez les intégristes du XXIe siècle – si l’on en croit les railleries de Bernard Tissier de Mallerais, parlant de l’après-Vatican II comme d’« une religion sans sacrifice, ni expiation, ni satisfaction, ni justice divine, ni pénitence, ni abnégation, ni ascétisme », c’est-à-dire « la religion du soi-disant amour-amour-amour, ce qui n’est rien d’autre que des mots ».
Quant à la notion de miséricorde, elle est rattrapée par les cheveux par Richard Williamson : « Dieu est bon, car il nous donne des avertissements. Et quand son châtiment arrivera, ce sera un acte de pitié, car il aura pour fonction d’empêcher beaucoup d’âmes de tomber encore plus bas. »
Établie sur de telles bases, la foi devient un cocktail psychologique détonant. « Dans l’Histoire, cela s’est soldé par de véritables névroses de culpabilité. Scruter le péché en soi à tout instant développe un narcissisme exacerbé », renchérit Jean Delumeau. Pour le chercheur, la « surculpabilisation des fidèles » a été l’un des facteurs du processus de déchristianisation qui s’est mis en place à partir du XVIIIe siècle. Que la « pastorale de la peur » fasse son retour, voilà qui ne laisse pas de l’étonner, et lui fait craindre que l’Église ne s’éloigne encore du monde : « Vatican II, qui est venu théoriser un regard plus optimiste sur ce qui fait l’essentiel du message chrétien, avait précisément pour objectif de lutter contre la déchristianisation. Ceux qui exploitent la peur, même s’ils recrutent des prêtres, resteront toujours minoritaires, car ils développent une mentalité de citadelle assiégée. Ce n’est pas sur ce principe qu’on rechristianise une société. »