SOURCE - Claire Thomas - Monde&Vie - 16 octobre 2009
Alors que la première séance de débats doctrinaux aura lieu le 26 octobre, après avoir exhorté la FSSPX à la clarté dans un post précédent, on peut se demander ce que cherche Rome de son côté.
Parfaitement informés, connaissant personnellement les principaux protagonistes de la mouvance traditionnelle, sachant combien une part importante d'entre eux est peu encline à des accords, aussi bien dans l'ordre doctrinal que dans l'ordre pratique, les prélats vaticans, sous l'autorité patiente et intelligente de Benoît XVI, ne partent pas à l'aventure dans ce genre de négociations. Les experts, côté Vatican, ont été très rapidement nommés. La presse a été prévenue et les autorités romaines se réservent de diffuser un communiqué de presse après chaque séance.
On peut penser que l'affaire Williamson a définitivement contraint le pape à la transparence la plus totale dans cette affaire, la mouvance "progressiste" gardant toujours un oeil sur tout ce qui peut mener à un rapprochement. Reconnaissons que la période Castrillon, celle de la diplomatie secrète, est passée. On peut ajouter à cette analyse des circonstances que c'est l'intérêt du Vatican de publier le résultat de débats, dont elle énonce l'ordre du jour (le thème des débats du 26 a déjà été retenu... par Rome) et dont elle programme le dénouement. Dénouement à long terme dans des négociations prêtes à s'ensabler ? C'est ce qu'aimerait Mgr Fellay, qui a annoncé le probable ensablement des débats. Mais quand on regarde l'affaire de près, rien n'est moins sûr. Benoît XVI qui a ouvert le dossier à la face de l'Eglise souhaite certainement le refermer lui-même. Il ne dispose pas forcément de beaucoup de temps... Et la culture de l'indétermination n'est gère dans le caractère de celui que ses ennemis n'ont pas surnommé pour rien le Panzer Kardinal.
Où donc Rome veut-elle aller ?
Ce genre de dialogue n'est pas une première pour les autorités romaines. L'accord différencié avec les luthériens, qui a donné lieu à des rencontres multiples, orchestrées, côté Rome par un certain cardinal Ratzinger, peut représenter ce que cette méthode éprouvée est capable de produire de plus irénique. Un texte précis comme une horloge, qui permet aux uns et aux autres de comprendre pourquoi l'accord était possible et pourquoi il n'a pas eu lieu.
Le père Morerod, dominicain, a fait la théorie de ce genre de débat dans un livre paru en juin 2005, qui, sous le titre prémonitoire en quelque sorte Tradition et unité des chrétiens, entend placer "le dogme comme condition de possibilité de l'oecuménisme". Les années 60 ont été les années du grand dégivrage, où l'on a cultivé les formules floues pour faire croire à la possibilité d'un accord entre chrétiens qui se ferait au-dessus du dogme, dans la sphère fuligineuse d'une charité de commande. Il fallait "faire évoluer les positions des uns et des autres de quelques centimètres", comme disait le Père Congar. Dans la conclusion d'un autre ouvrage, oecuménisme et philosophie, le Père Morerod est particulièrement clair : "Dans un premier temps, [il y a 50 ans] l'accent a été mis sur la recherche des points communs entre chrétiens. (...) Le dialogue a commencé, depuis un quart de siècle, à développer la recherche des différences, voire "des différences fondamentales". (...) Une fois admis le désir d'unité, la recherche des différences devient un instrument nécessaire au service de l'unité. Comment pourrait-on surmonter des différences que l'on ne connaît pas ? Identifier les différences fournit la carte du voyage oecuménique, une liste des points à surmonter sur la route vers l'unité".
Il me semble que c'est cette méthode que le Père Morerod entend appliquer aux traditionalistes : découvrir les vrais points de rupture, pour voir à quelle échéance l'unité est réalisable. D'après quelques fuites autorisées, le premier sujet de débat sera : le pape peut-il donner une nourriture empoisonnée à ses fidèles ? Le sujet est donc d'emblée l'indéfectibilité de l'Eglise. Que de nuances en perspective, si l'on veut un vrai débat...
Il me semble encore, je l'ai écrit dans le post précédent, que cette méthode toute de clarté et de rupture, était aussi la méthode utilisée par les dominicains d'Avrillé au cours des Symposiums qui ont marqué, entre 2002 et 2005, le quarantième anniversaire du Concile. Cette clarté, que cultive le Père Morerod dans son oeuvre de théologien, est la condition de possibilité d'un accord véritable. Ce n'est pas en cachant l'objet du débat que l'on parviendra à faire avancer la longue contestation inaugurée, avec quelle clairvoyance, par Mgr Lefebvre lui-même dans l'aula conciliaire. Et lorsqu'il envoya à Rome ses "Questions" (dubia) sur la liberté religieuse, le fondateur de la Fraternité Saint Pie X montrait la voie à ses disciples d'aujourd'hui.
La vraie question qui plane autour de ces débats peut surprendre. Je la pose néanmoins : pourquoi la FSSPX ne reprendrait pas la méthode du Père Morerod au Père Morerod. Tout le monde aurait tout à y gagner.
Claire Thomas
Alors que la première séance de débats doctrinaux aura lieu le 26 octobre, après avoir exhorté la FSSPX à la clarté dans un post précédent, on peut se demander ce que cherche Rome de son côté.
Parfaitement informés, connaissant personnellement les principaux protagonistes de la mouvance traditionnelle, sachant combien une part importante d'entre eux est peu encline à des accords, aussi bien dans l'ordre doctrinal que dans l'ordre pratique, les prélats vaticans, sous l'autorité patiente et intelligente de Benoît XVI, ne partent pas à l'aventure dans ce genre de négociations. Les experts, côté Vatican, ont été très rapidement nommés. La presse a été prévenue et les autorités romaines se réservent de diffuser un communiqué de presse après chaque séance.
On peut penser que l'affaire Williamson a définitivement contraint le pape à la transparence la plus totale dans cette affaire, la mouvance "progressiste" gardant toujours un oeil sur tout ce qui peut mener à un rapprochement. Reconnaissons que la période Castrillon, celle de la diplomatie secrète, est passée. On peut ajouter à cette analyse des circonstances que c'est l'intérêt du Vatican de publier le résultat de débats, dont elle énonce l'ordre du jour (le thème des débats du 26 a déjà été retenu... par Rome) et dont elle programme le dénouement. Dénouement à long terme dans des négociations prêtes à s'ensabler ? C'est ce qu'aimerait Mgr Fellay, qui a annoncé le probable ensablement des débats. Mais quand on regarde l'affaire de près, rien n'est moins sûr. Benoît XVI qui a ouvert le dossier à la face de l'Eglise souhaite certainement le refermer lui-même. Il ne dispose pas forcément de beaucoup de temps... Et la culture de l'indétermination n'est gère dans le caractère de celui que ses ennemis n'ont pas surnommé pour rien le Panzer Kardinal.
Où donc Rome veut-elle aller ?
Ce genre de dialogue n'est pas une première pour les autorités romaines. L'accord différencié avec les luthériens, qui a donné lieu à des rencontres multiples, orchestrées, côté Rome par un certain cardinal Ratzinger, peut représenter ce que cette méthode éprouvée est capable de produire de plus irénique. Un texte précis comme une horloge, qui permet aux uns et aux autres de comprendre pourquoi l'accord était possible et pourquoi il n'a pas eu lieu.
Le père Morerod, dominicain, a fait la théorie de ce genre de débat dans un livre paru en juin 2005, qui, sous le titre prémonitoire en quelque sorte Tradition et unité des chrétiens, entend placer "le dogme comme condition de possibilité de l'oecuménisme". Les années 60 ont été les années du grand dégivrage, où l'on a cultivé les formules floues pour faire croire à la possibilité d'un accord entre chrétiens qui se ferait au-dessus du dogme, dans la sphère fuligineuse d'une charité de commande. Il fallait "faire évoluer les positions des uns et des autres de quelques centimètres", comme disait le Père Congar. Dans la conclusion d'un autre ouvrage, oecuménisme et philosophie, le Père Morerod est particulièrement clair : "Dans un premier temps, [il y a 50 ans] l'accent a été mis sur la recherche des points communs entre chrétiens. (...) Le dialogue a commencé, depuis un quart de siècle, à développer la recherche des différences, voire "des différences fondamentales". (...) Une fois admis le désir d'unité, la recherche des différences devient un instrument nécessaire au service de l'unité. Comment pourrait-on surmonter des différences que l'on ne connaît pas ? Identifier les différences fournit la carte du voyage oecuménique, une liste des points à surmonter sur la route vers l'unité".
Il me semble que c'est cette méthode que le Père Morerod entend appliquer aux traditionalistes : découvrir les vrais points de rupture, pour voir à quelle échéance l'unité est réalisable. D'après quelques fuites autorisées, le premier sujet de débat sera : le pape peut-il donner une nourriture empoisonnée à ses fidèles ? Le sujet est donc d'emblée l'indéfectibilité de l'Eglise. Que de nuances en perspective, si l'on veut un vrai débat...
Il me semble encore, je l'ai écrit dans le post précédent, que cette méthode toute de clarté et de rupture, était aussi la méthode utilisée par les dominicains d'Avrillé au cours des Symposiums qui ont marqué, entre 2002 et 2005, le quarantième anniversaire du Concile. Cette clarté, que cultive le Père Morerod dans son oeuvre de théologien, est la condition de possibilité d'un accord véritable. Ce n'est pas en cachant l'objet du débat que l'on parviendra à faire avancer la longue contestation inaugurée, avec quelle clairvoyance, par Mgr Lefebvre lui-même dans l'aula conciliaire. Et lorsqu'il envoya à Rome ses "Questions" (dubia) sur la liberté religieuse, le fondateur de la Fraternité Saint Pie X montrait la voie à ses disciples d'aujourd'hui.
La vraie question qui plane autour de ces débats peut surprendre. Je la pose néanmoins : pourquoi la FSSPX ne reprendrait pas la méthode du Père Morerod au Père Morerod. Tout le monde aurait tout à y gagner.
Claire Thomas