15 décembre 2009

[Kenneth Baker - Daniel Hamiche] Effondrement du latin : le constat lucide et le vœu du directeur de Homiletic & Pastoral Review

SOURCE - Kenneth Baker / Daniel Hamiche - 15 décembre 2009

Attention ! Texte très important. Le P. Kenneth Baker, S.J., est le directeur depuis avril 1971 de Homiletic & Pastoral Review (ici), le plus ancien et le plus influent périodique mensuel – il fut créé en 1900 – destiné au clergé américain, et qui bénéficie de collaborations prestigieuses. La dernière livraison de l’année, décembre 2009, contient un article du professeur Mark J. Clark, « Faire revenir le latin » que le père jésuite Baker a trouvé suffisamment important pour en faire une ample et roborative présentation, et en faire “l’appel” de la couverture de ce numéro. C’est son texte dont vous allez pouvoir lire ci-dessous la traduction que je viens d’achever. Vous devriez le lire “crayon en main” : pas de gras, rien que du muscle ! Et plein de petits détails “qui font sens” (comme disent les cuistres modernistes) et qui devraient vous réjouir… Enjoy !

« Il est indubitable que nous avons constaté un déclin extrême de la connaissance du latin dans l’Église catholique depuis Vatican II. Il n’est sans doute pas venu à l’esprit de la plupart des évêques présents au Concile que leur approbation de l’utilisation du vernaculaire dans la liturgie de l’Église aboutirait à la quasi disparition du latin chez les évêques comme chez les prêtres.

Voici quelques exemples de ce que je veux dire. La plupart des prêtres désormais ordonnés ne connaissent pas assez de latin pour célébrer la Messe selon la forme extraordinaire. La plupart des évêques désignés pour se rendre aux synodes à Rome sont incapables de comprendre le latin quand il est utilisé. Ils ne savent pas davantage le lire ou le parler. J’ai été personnellement le témoin de cela depuis trente-cinq ans. Et cela se passe dans une Église dont la
langue officielle est le latin ! De très importants documents du Vatican, qui pendant plus de 1 500 ans étaient écrits en latin, le sont désormais en langues vernaculaires puis ensuite traduits en latin. Un bon exemple de cela est celui du Catéchisme de l’Église catholique qui a d’abord été rédigé en français puis ultérieurement traduit en latin.

L’indifférence au latin dans les séminaires a commencé vers 1960. Le pape Jean XXIII tenta d’arrêter le déclin du latin en promulguant sa constitution apostolique
Veterum Sapientia en 1962. Mais les évêques comme les supérieurs religieux n’appliquèrent pas le souhait du Pontife et n’y obligèrent pas, si bien qu’elle resta lettre morte [1]. Je me souviens avoir demandé à un séminariste jésuite au début des années 1970, s’il connaissait le latin. Il me répondit : “Non, et on n’en a plus besoin ? Tout ce qu’il nous faut savoir est disponible en traductions anglaises”.

Je voudrais attirer votre attention sur un article de cette livraison : “Faire revenir le latin” du professeur Mark Clark qui enseigne le latin au Christendom College à Front Royal, Viriginie. Le professeur Clark souligne que près de deux mille ans d’histoire, de théologie et de culture catholiques sont en langue latine. Ceux qui ne connaissent pas la latin n’ont accès à ce trésor qu’en traductions vernaculaires, mais aucune traduction ne peut donner totalement les nuances et le sens de ce qu’on trouve dans les originaux. Dès lors, quand évêques et prêtres ignorent le latin ils sont privés à l’accès direct aux sources de la culture catholique. C’est une catastrophe de première grandeur et il faut absolument faire quelque chose. On m’a dit qu’il n’y a avait plus que cinq ou six spécialistes du latin à Rome même qui soient capables de traduire en latin des documents comme le Catéchisme
[voir ici].

Les Pères de Vatican II ont pensé que le latin continuerait à être la langue commune des prêtres dans le monde entier. Dans leur toute première constitution sur la liturgie, ils déclarèrent : “L'usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins.” (n. 36, § 1). Mais, ce faisant, ils ne comprirent pas qu’ils allaient approuver l’usage du vernaculaire qui “peut être souvent très utile pour le peuple”
[id. § 2]. C’était là une de ces “bombe à retardement” dissimulées dans les documents de Vatican II que la plupart des évêques qui les avaient votées n’avaient pas vues.

Est-il trop tard pour que le latin redevienne une langue vivante parmi les clercs et les universitaires laïcs catholiques ? Le professeur Clark voit des signes certains d’un retour possible du latin. L’un d’entre eux est sans conteste la popularité sans cesse grandissante de la Messe traditionnelle latine et le fait qu’elle soit de plus en plus acceptée dans tout le pays. Le fait que le pape Benoît XVI ait promulgué en 2007 le
motu proprio Summorum Pontificum, constitue un autre signe. Beaucoup de jeunes prêtres sont en train d’apprendre le latin afin de pouvoir célébrer la Messe selon la forme extraordinaire qu’on trouve dans le Missel romain de 1962. À la basilique Saint-Pierre on constate actuellement un renouveau du chant grégorien.

Ce serait un signal fort pour le retour du latin si le pape ordonnait à tous les séminaristes se formant au sacerdoce catholique de devoir apprendre à célébrer la Messe en latin. Il y a une rumeur selon laquelle la chose serait étudiée à Rome. Cela voudrait dire que tous les séminaires devraient de nouveau enseigner le latin et exiger qu’on sache au moins le lire pour être autorisé à être ordonné. Quand j’ai fait mon apprentissage de jésuite dans les années 1950, des cours étaient donnés en latin, nos manuels étaient en latin et l’examen oral de fin d’année était conduit en latin. Lors de notre ordination, nous pouvions lire, écrire et parler en latin.

Le latin est un facteur d’unité pour tous les catholiques romains. J’espère et je prie pour que le Saint Esprit inspire notre pape et nos évêques afin qu’il fasse revenir le latin comme signe de l’unicité de l’Église. »


1. Je souligne, au passage, que beaucoup de successeurs des apôtres se moquent comme d’une guigne des constitutions apostoliques des papes… À plus forte raison des motu proprio… Suivez mon regard (en tous cas en France).