SOURCE - Lettre de Paix Liturgique n°222 - 21 mars 2010
Le congrès théologique “Fidélité du Christ, fidélité du prêtre” organisé à Rome les 11 et 12 mars 2010 par la Congrégation pour le Clergé à l'Université pontificale du Latran a été riche en interventions de qualité. Le Saint Père y a lui-même prononcé un discours plaidant pour une herméneutique de “la continuité sacerdotale” depuis “Jésus de Nazareth, Seigneur et Christ” et rappelant “la valeur du célibat sacré”.
Pour sa part, le professeur Massimo Introvigne, sociologue italien spécialisé dans l'étude des religions - dont on n’est pas obligé de partager toutes les orientations -, est intervenu de manière très pointue sur le thème des “récentes” mutations anthropologiques qui pèsent sur le sacerdoce catholique. En fait, c'est une approche scientifique de la crise post-conciliaire que nous propose le sociologue. Et le fait qu'une telle contribution figure au programme d'un des temps forts de l'année sacerdotale voulue par le Souverain Pontife est à souligner. En voici donc le résumé (1), précédé de nos remarques.
I – Nos remarques préliminaires :
Avant de vous livrer la traduction la plus fidèle possible du résumé de l’intervention du sociologue des religions, nous vous proposons quelques remarques préliminaires :
a) Le Professeur Introvigne parle d’« orthodoxie » comme moyen d’inverser l’effondrement des vocations. Il convient bien entendu d’entendre le terme au sens large, à savoir orthodoxie doctrinale et orthodoxie liturgique, comme le montrent d’ailleurs clairement les séminaires où vont aujourd’hui les vocations.
b) Il convient de souligner le cadre dans lequel a été prononcée cette conférence : le congrès théologique international organisé par la Congrégation pour le Clergé dans le cadre de l'Annus Sacerdotalis. Un congrès on ne peut plus officiel, suivi par plus de 70 évêques et des centaines de prêtres, et conclu par le Saint Père.
c) Si l'application de la méthodologie sociologique à la religion peut sembler déroutante et ne saurait tout expliquer dans un domaine où le spirituel a par définition la première place, ses résultats en sont néanmoins très intéressants : plus “l'offre” est faible – moins elle est caractérisée, moins elle se distingue de ses concurrents – plus le “client” s'en détourne. En revanche, plus l'offre est forte – clairement identifiée et porteuse de sens – plus elle attire. Si, en plus, elle est proche de ses clients, alors elle fait un tabac.
En termes religieux, voici ce que cela signifie : si le catholicisme n'est qu'un engagement social parmi d'autres, alors il est soumis à la concurrence non seulement des autres religions mais aussi des autres types d'activité associative - de l'action humanitaire au syndicalisme en passant par le cyclotourisme du dimanche matin - et les “resquilleurs” se multiplient (voir notre sondage en partenariat avec Harris Interactive du mois de février qui révèle que seulement 9,9% des catholiques parisiens vont à la messe tous les dimanches).
Si, en revanche, le catholicisme redevient exigeant – aussi bien en termes de doctrine que de liturgie – et que les relations évêque-prêtres et curé-fidèles se raccourcissent au lieu de se distendre comme c'est le cas à mesure que les séminaires diocésains ferment et les paroisses disparaissent, alors la pratique religieuse repart et les vocations renaissent.
d) Pour illustrer concrètement la réflexion proposée par le Professeur Introvigne, il n'y a qu'à songer à l'affaire de Thiberville qui regroupe tous les éléments ici évoqués : rigueur doctrinale et liturgique du curé + proximité avec ses paroissiens = église comble, communauté soudée autour du prêtre et... participation notable des heureux fidèles au financement de la paroisse et du diocèse (les comptes du diocèse d'Évreux révèlent en effet que la paroisse de Thiberville est celle où le don moyen par habitant est le plus élevé du diocèse : de quoi faire réfléchir en ces temps de banqueroute financière de nombre de diocèses...). Mais, d'une manière plus large encore, l'on pourrait-dire que partout où le curé n'est plus le curé de tous, mais seulement celui d'un groupuscule dont il incarne les orientations, les fidèles expriment leurs réserves en s'abstenant de participer au financement de ce qu'ils considèrent comme une dérive sectaire qui ne représente plus la richesse de la pluralité ecclésiale.
e) Enfin, pour ceux qui s'interrogent encore sur les motivations tant du Motu Proprio Summorum Pontificum que de la “réforme de la réforme” engagée par Benoît XVI, il n'est pas exagéré de dire qu'elles répondent précisément aux défis indiqués par les analyses sociologiques évoquées ici : réinsuffler du sens et de la solennité à l'Église pour la rendre de nouveau rayonnante.
II – Résumé de l'intervention du Professeur Introvigne
Cette étude se propose d'analyser certaines des mutations anthropologiques qui influencent le sacerdoce catholique à la lumière de la théorie sociologique dite de “l'économie religieuse”. Le point de départ de cette théorie est l'idée que peuvent être utilement appliqués à la sociologie de la religion des modèles, utilisés bien entendu comme simples métaphores, provenant des études faites dans le domaine économique. Le champ religieux est étudié comme une forme de “marché” au sein duquel des organisations sont en concurrence les unes avec les autres pour s'assurer la fidélité des “consommateurs religieux”.
Les théories de l'économie religieuse ont porté entre autres choses sur le sacerdoce catholique et la vie consacrée. Il y a dix ans, en 2000, deux des pères de l'économie religieuse, Rodney Stark et Roger Finke, ont publié une étude célèbre intitulée “La vocation religieuse catholique : déclin et renaissance.” Les deux sociologues y prenaient en considération la chute libre des vocations au sacerdoce et à la vie religieuse, masculine comme féminine, dans six pays - États-Unis d'Amérique, Canada, France, Allemagne, Grande-Bretagne et Hollande - dans les décennies suivant le Concile Vatican II.
Du point de vue quantitatif, la chute a été spectaculaire, en particulier parmi les candidats au sacerdoce (de -81% en Hollande à -54% en Grande-Bretagne) mais aussi parmi les vocations religieuses masculines (de -82% en Grande-Bretagne à -68% en France) et, dans une moindre mesure, parmi les vocations féminines (de -51% aux Pays-Bas à -43% en Grande-Bretagne).
Entre autres choses, la chute impressionnante des vocations masculines aux États-Unis commence dès la fin des annés 1960 et enregistre son taux le plus fort à une époque antérieure aux incidents de pédophilie attribués à des prêtres. Ces incidents, s'ils ont contribué à la crise des vocations, n'en sont donc pas la cause principale.
Pour Stark et Finke, la chute du nombre des vocations est brutale et discontinue : elle se produit principalement dans les quatre années qui vont de 1966 à 1969, avec une stabilisation successive au moins jusqu'à la fin du XXe siècle. Finke et Stark en concluent qu'il faut rechercher la cause principale de la baisse des vocations parmi une série d'évènements qui ont eu lieu de manière impromptue dans la seconde moitié des années 60. Selon les deux sociologues américains, il ne peut s'agir que de l'ensemble des facteurs liés à la crise postérieure au Concile Vatican II, dont on sait qu'elle a été particulièrement grave aux États-Unis.
Appliquant le modèle de l'économie religieuse, Stark et Finke font valoir que, avec ces événements, le “coût” que représente le choix de la prêtrise ou de la vie religieuse n'a baissé que marginalement – la discipline est certes plus détendue, mais la structure de base marquée par le renoncement au mariage, la pauvreté et l'obéissance a subsisté - tandis que les “bénéfices” ont diminué de façon soudaine et considérable. La crise post-conciliaire a rendu moins vive aussi bien la “communitas” au sein des presbytères et des couvents que l'estime dont jouissaient les figures du prêtre et du religieux ou de la religieuse dans le monde catholique.
Une contre-argumentation empirique est possible. Si l'on compare la situation dans les six pays étudiés par Stark et Finke à celle du Portugal, de l'Espagne et de l'Italie, on observera que, dans ces pays, si le nombre des vocations se réduit après 1965, il ne le fait pas au même rythme effréné. Dans ces pays-ci, les figures du prêtre et du religieux continuent à être crédibles et estimées, ce que confiment aussi bien de multiples enquêtes statistiques que la culture populaire. Il n'y a qu'à voir comment, en Italie, dans les films et les fictions de télévision, les prêtres et les religieuses sont généralement représentés d'une manière plus favorable que dans les productions hollywoodiennes. Mais il est vrai aussi que, en Italie ou dans la péninsule ibérique, la crise et la contestation postconciliaires n'ont pas atteint le degré de virulence qu'elles ont connu aux États-Unis.
Nous ne devons pas exagérer l'interprétation de la bonne résistance quantitative du clergé et des communautés catholiques dans les pays comme l'Italie. En particulier, les données sur la participation à la messe dominicale devraient tenir compte de ce qu'on appelle l'”over-reporting”, la sur-déclaration : l'écart entre ceux qui indiquent aller à la messe dans les enquêtes, téléphoniques ou autres, et ceux qui sont réellement dénombrés à l'entrée des églises au cours d'un week-end défini. Je peux anticiper les résultats non encore publiés d'une étude que j'ai dirigée en 2009 dans le diocèse de Piazza Armerina, en Sicile. Ce diocèse compte, outre le siège épiscopal, plusieurs grands centres urbains comme Enna et Gela. Dans le cadre de l'enquête, 30,1% de la population a déclaré aller à la messe chaque dimanche tandis que le recensement aux portes des églises a donné un résultat de 18,3%. Sans faire dire à la statistique plus que ce qu'elle ne dit effectivement, ces chiffres méritent toutefois réflexion.
Un autre contre-argument de Stark et Finke, sur la piste duquel nous mettait leurs recherches dès 2000, est que là où a été promue au cours des dernières années une vie religieuse et sacerdotale plus à l'abri des contestations, plus vivante et plus chaleureuse mais aussi plus fidèle au Magistère de l'Église, on assiste à une reprise des vocations. Sur la base de certains paramètres, Stark et Finke avaient à l'époque élaboré deux listes, l'une des diocèses des États-Unis considérés - au moins par la presse – comme plus “orthodoxes” et l'autre des diocèses les plus touchés par les protestations et la dissidence du Magistère. Le nombre de vocations et de séminaristes, rapporté au nombre des catholiques diocésains, était trois fois plus élevé dans les diocèses “orthodoxes” que dans ceux marqués par une contestation forte.
Le travail de Stark et Finke va lui dans un cadre sociologique encore plus large, appliquant aux organismes religieux la théorie du “resquilleur” (“free rider”). Le resquilleur est l'individu “qui ne paie pas le billet”, celui qui participe à une activité sociale et cherche à en tirer un profit sans en assumer les frais. Même parmi ceux qui fréquentent les prêtres et assistent à la messe, beaucoup veulent seulement assister et non participer ou contribuer. En demandant “plus” à leurs ouailles, les organisations, les communautés et les paroisses les plus rigoureuses et “orthodoxes” voient diminuer le nombre de resquilleurs. On pourrait penser que, quand on “demande plus”, aussi bien les fidèles que les vocations diminuent. En réalité, c'est souvent le contraire qui se produit. Les “consommateurs religieux” sont prêts à payer plus, dans certaines limites, s'ils pensent pouvoir obtenir davantage.
Bien sûr, pour qu'une congrégation catholique ne soit pas composée principalement de resquilleurs, ait de bonnes relations avec ses prêtres et génère des vocations, la logique du rendement ne suffit pas. Il convient que chacun soit impliqué et pas seulement spectateur et se sente personnellement pris en charge par le prêtre pour mieux pouvoir apporter ensuite sa contribution. Si l'on veut réduire le nombre de resquilleurs, il faut veiller à ce que le contact personnel et confiant entre le prêtre - en particulier, le curé - et les fidèles soit toujours garanti. Et l'on peut se demander s'il est juste de passer du cadre paroissial à celui des regroupements pastoraux quand cela a pour conséquence d'allonger les rapports alors que la sociologie nous enseigne précisément que plus les relations sont étroites, personnelles et directes, plus la prolifération des resquilleurs est limitée.
Bien sûr, la sociologie en elle-même ne saurait résoudre les problèmes pastoraux et ne peut se révéler une contribution utile que si elle fait preuve de l'humilité méthodologique nécessaire. S'applique d'ailleurs aussi aux sociologues le rappel fait par Benoît XVI lors de l'audience générale du 1er juillet 2009, en ouverture de l'Année sacerdotale : “Face à tant d'incertitudes et de difficultés, notamment dans l'exercice du ministère sacerdotal, il est urgent de retrouver un jugement clair et sans équivoque sur le primat absolu de la grâce divine, en rappelant ce qu'écrit saint Thomas d'Aquin: "Le plus petit don de la grâce dépasse le bien naturel de tout l'univers" (Summa Theologiae, I-II, Q113, a 9, sol 2)”
(1) Source : http://www.cesnur.org/2010/mi_ascrs.html
Le congrès théologique “Fidélité du Christ, fidélité du prêtre” organisé à Rome les 11 et 12 mars 2010 par la Congrégation pour le Clergé à l'Université pontificale du Latran a été riche en interventions de qualité. Le Saint Père y a lui-même prononcé un discours plaidant pour une herméneutique de “la continuité sacerdotale” depuis “Jésus de Nazareth, Seigneur et Christ” et rappelant “la valeur du célibat sacré”.
Pour sa part, le professeur Massimo Introvigne, sociologue italien spécialisé dans l'étude des religions - dont on n’est pas obligé de partager toutes les orientations -, est intervenu de manière très pointue sur le thème des “récentes” mutations anthropologiques qui pèsent sur le sacerdoce catholique. En fait, c'est une approche scientifique de la crise post-conciliaire que nous propose le sociologue. Et le fait qu'une telle contribution figure au programme d'un des temps forts de l'année sacerdotale voulue par le Souverain Pontife est à souligner. En voici donc le résumé (1), précédé de nos remarques.
I – Nos remarques préliminaires :
Avant de vous livrer la traduction la plus fidèle possible du résumé de l’intervention du sociologue des religions, nous vous proposons quelques remarques préliminaires :
a) Le Professeur Introvigne parle d’« orthodoxie » comme moyen d’inverser l’effondrement des vocations. Il convient bien entendu d’entendre le terme au sens large, à savoir orthodoxie doctrinale et orthodoxie liturgique, comme le montrent d’ailleurs clairement les séminaires où vont aujourd’hui les vocations.
b) Il convient de souligner le cadre dans lequel a été prononcée cette conférence : le congrès théologique international organisé par la Congrégation pour le Clergé dans le cadre de l'Annus Sacerdotalis. Un congrès on ne peut plus officiel, suivi par plus de 70 évêques et des centaines de prêtres, et conclu par le Saint Père.
c) Si l'application de la méthodologie sociologique à la religion peut sembler déroutante et ne saurait tout expliquer dans un domaine où le spirituel a par définition la première place, ses résultats en sont néanmoins très intéressants : plus “l'offre” est faible – moins elle est caractérisée, moins elle se distingue de ses concurrents – plus le “client” s'en détourne. En revanche, plus l'offre est forte – clairement identifiée et porteuse de sens – plus elle attire. Si, en plus, elle est proche de ses clients, alors elle fait un tabac.
En termes religieux, voici ce que cela signifie : si le catholicisme n'est qu'un engagement social parmi d'autres, alors il est soumis à la concurrence non seulement des autres religions mais aussi des autres types d'activité associative - de l'action humanitaire au syndicalisme en passant par le cyclotourisme du dimanche matin - et les “resquilleurs” se multiplient (voir notre sondage en partenariat avec Harris Interactive du mois de février qui révèle que seulement 9,9% des catholiques parisiens vont à la messe tous les dimanches).
Si, en revanche, le catholicisme redevient exigeant – aussi bien en termes de doctrine que de liturgie – et que les relations évêque-prêtres et curé-fidèles se raccourcissent au lieu de se distendre comme c'est le cas à mesure que les séminaires diocésains ferment et les paroisses disparaissent, alors la pratique religieuse repart et les vocations renaissent.
d) Pour illustrer concrètement la réflexion proposée par le Professeur Introvigne, il n'y a qu'à songer à l'affaire de Thiberville qui regroupe tous les éléments ici évoqués : rigueur doctrinale et liturgique du curé + proximité avec ses paroissiens = église comble, communauté soudée autour du prêtre et... participation notable des heureux fidèles au financement de la paroisse et du diocèse (les comptes du diocèse d'Évreux révèlent en effet que la paroisse de Thiberville est celle où le don moyen par habitant est le plus élevé du diocèse : de quoi faire réfléchir en ces temps de banqueroute financière de nombre de diocèses...). Mais, d'une manière plus large encore, l'on pourrait-dire que partout où le curé n'est plus le curé de tous, mais seulement celui d'un groupuscule dont il incarne les orientations, les fidèles expriment leurs réserves en s'abstenant de participer au financement de ce qu'ils considèrent comme une dérive sectaire qui ne représente plus la richesse de la pluralité ecclésiale.
e) Enfin, pour ceux qui s'interrogent encore sur les motivations tant du Motu Proprio Summorum Pontificum que de la “réforme de la réforme” engagée par Benoît XVI, il n'est pas exagéré de dire qu'elles répondent précisément aux défis indiqués par les analyses sociologiques évoquées ici : réinsuffler du sens et de la solennité à l'Église pour la rendre de nouveau rayonnante.
II – Résumé de l'intervention du Professeur Introvigne
Cette étude se propose d'analyser certaines des mutations anthropologiques qui influencent le sacerdoce catholique à la lumière de la théorie sociologique dite de “l'économie religieuse”. Le point de départ de cette théorie est l'idée que peuvent être utilement appliqués à la sociologie de la religion des modèles, utilisés bien entendu comme simples métaphores, provenant des études faites dans le domaine économique. Le champ religieux est étudié comme une forme de “marché” au sein duquel des organisations sont en concurrence les unes avec les autres pour s'assurer la fidélité des “consommateurs religieux”.
Les théories de l'économie religieuse ont porté entre autres choses sur le sacerdoce catholique et la vie consacrée. Il y a dix ans, en 2000, deux des pères de l'économie religieuse, Rodney Stark et Roger Finke, ont publié une étude célèbre intitulée “La vocation religieuse catholique : déclin et renaissance.” Les deux sociologues y prenaient en considération la chute libre des vocations au sacerdoce et à la vie religieuse, masculine comme féminine, dans six pays - États-Unis d'Amérique, Canada, France, Allemagne, Grande-Bretagne et Hollande - dans les décennies suivant le Concile Vatican II.
Du point de vue quantitatif, la chute a été spectaculaire, en particulier parmi les candidats au sacerdoce (de -81% en Hollande à -54% en Grande-Bretagne) mais aussi parmi les vocations religieuses masculines (de -82% en Grande-Bretagne à -68% en France) et, dans une moindre mesure, parmi les vocations féminines (de -51% aux Pays-Bas à -43% en Grande-Bretagne).
Entre autres choses, la chute impressionnante des vocations masculines aux États-Unis commence dès la fin des annés 1960 et enregistre son taux le plus fort à une époque antérieure aux incidents de pédophilie attribués à des prêtres. Ces incidents, s'ils ont contribué à la crise des vocations, n'en sont donc pas la cause principale.
Pour Stark et Finke, la chute du nombre des vocations est brutale et discontinue : elle se produit principalement dans les quatre années qui vont de 1966 à 1969, avec une stabilisation successive au moins jusqu'à la fin du XXe siècle. Finke et Stark en concluent qu'il faut rechercher la cause principale de la baisse des vocations parmi une série d'évènements qui ont eu lieu de manière impromptue dans la seconde moitié des années 60. Selon les deux sociologues américains, il ne peut s'agir que de l'ensemble des facteurs liés à la crise postérieure au Concile Vatican II, dont on sait qu'elle a été particulièrement grave aux États-Unis.
Appliquant le modèle de l'économie religieuse, Stark et Finke font valoir que, avec ces événements, le “coût” que représente le choix de la prêtrise ou de la vie religieuse n'a baissé que marginalement – la discipline est certes plus détendue, mais la structure de base marquée par le renoncement au mariage, la pauvreté et l'obéissance a subsisté - tandis que les “bénéfices” ont diminué de façon soudaine et considérable. La crise post-conciliaire a rendu moins vive aussi bien la “communitas” au sein des presbytères et des couvents que l'estime dont jouissaient les figures du prêtre et du religieux ou de la religieuse dans le monde catholique.
Une contre-argumentation empirique est possible. Si l'on compare la situation dans les six pays étudiés par Stark et Finke à celle du Portugal, de l'Espagne et de l'Italie, on observera que, dans ces pays, si le nombre des vocations se réduit après 1965, il ne le fait pas au même rythme effréné. Dans ces pays-ci, les figures du prêtre et du religieux continuent à être crédibles et estimées, ce que confiment aussi bien de multiples enquêtes statistiques que la culture populaire. Il n'y a qu'à voir comment, en Italie, dans les films et les fictions de télévision, les prêtres et les religieuses sont généralement représentés d'une manière plus favorable que dans les productions hollywoodiennes. Mais il est vrai aussi que, en Italie ou dans la péninsule ibérique, la crise et la contestation postconciliaires n'ont pas atteint le degré de virulence qu'elles ont connu aux États-Unis.
Nous ne devons pas exagérer l'interprétation de la bonne résistance quantitative du clergé et des communautés catholiques dans les pays comme l'Italie. En particulier, les données sur la participation à la messe dominicale devraient tenir compte de ce qu'on appelle l'”over-reporting”, la sur-déclaration : l'écart entre ceux qui indiquent aller à la messe dans les enquêtes, téléphoniques ou autres, et ceux qui sont réellement dénombrés à l'entrée des églises au cours d'un week-end défini. Je peux anticiper les résultats non encore publiés d'une étude que j'ai dirigée en 2009 dans le diocèse de Piazza Armerina, en Sicile. Ce diocèse compte, outre le siège épiscopal, plusieurs grands centres urbains comme Enna et Gela. Dans le cadre de l'enquête, 30,1% de la population a déclaré aller à la messe chaque dimanche tandis que le recensement aux portes des églises a donné un résultat de 18,3%. Sans faire dire à la statistique plus que ce qu'elle ne dit effectivement, ces chiffres méritent toutefois réflexion.
Un autre contre-argument de Stark et Finke, sur la piste duquel nous mettait leurs recherches dès 2000, est que là où a été promue au cours des dernières années une vie religieuse et sacerdotale plus à l'abri des contestations, plus vivante et plus chaleureuse mais aussi plus fidèle au Magistère de l'Église, on assiste à une reprise des vocations. Sur la base de certains paramètres, Stark et Finke avaient à l'époque élaboré deux listes, l'une des diocèses des États-Unis considérés - au moins par la presse – comme plus “orthodoxes” et l'autre des diocèses les plus touchés par les protestations et la dissidence du Magistère. Le nombre de vocations et de séminaristes, rapporté au nombre des catholiques diocésains, était trois fois plus élevé dans les diocèses “orthodoxes” que dans ceux marqués par une contestation forte.
Le travail de Stark et Finke va lui dans un cadre sociologique encore plus large, appliquant aux organismes religieux la théorie du “resquilleur” (“free rider”). Le resquilleur est l'individu “qui ne paie pas le billet”, celui qui participe à une activité sociale et cherche à en tirer un profit sans en assumer les frais. Même parmi ceux qui fréquentent les prêtres et assistent à la messe, beaucoup veulent seulement assister et non participer ou contribuer. En demandant “plus” à leurs ouailles, les organisations, les communautés et les paroisses les plus rigoureuses et “orthodoxes” voient diminuer le nombre de resquilleurs. On pourrait penser que, quand on “demande plus”, aussi bien les fidèles que les vocations diminuent. En réalité, c'est souvent le contraire qui se produit. Les “consommateurs religieux” sont prêts à payer plus, dans certaines limites, s'ils pensent pouvoir obtenir davantage.
Bien sûr, pour qu'une congrégation catholique ne soit pas composée principalement de resquilleurs, ait de bonnes relations avec ses prêtres et génère des vocations, la logique du rendement ne suffit pas. Il convient que chacun soit impliqué et pas seulement spectateur et se sente personnellement pris en charge par le prêtre pour mieux pouvoir apporter ensuite sa contribution. Si l'on veut réduire le nombre de resquilleurs, il faut veiller à ce que le contact personnel et confiant entre le prêtre - en particulier, le curé - et les fidèles soit toujours garanti. Et l'on peut se demander s'il est juste de passer du cadre paroissial à celui des regroupements pastoraux quand cela a pour conséquence d'allonger les rapports alors que la sociologie nous enseigne précisément que plus les relations sont étroites, personnelles et directes, plus la prolifération des resquilleurs est limitée.
Bien sûr, la sociologie en elle-même ne saurait résoudre les problèmes pastoraux et ne peut se révéler une contribution utile que si elle fait preuve de l'humilité méthodologique nécessaire. S'applique d'ailleurs aussi aux sociologues le rappel fait par Benoît XVI lors de l'audience générale du 1er juillet 2009, en ouverture de l'Année sacerdotale : “Face à tant d'incertitudes et de difficultés, notamment dans l'exercice du ministère sacerdotal, il est urgent de retrouver un jugement clair et sans équivoque sur le primat absolu de la grâce divine, en rappelant ce qu'écrit saint Thomas d'Aquin: "Le plus petit don de la grâce dépasse le bien naturel de tout l'univers" (Summa Theologiae, I-II, Q113, a 9, sol 2)”
(1) Source : http://www.cesnur.org/2010/mi_ascrs.html