SOURCE - Paix Liturgique, lettre 228 - 2 mai 2010
Personne n’a oublié le rôle historique décisif que Jean Madiran a assumé avec sa revue Itinéraires lorsque la réforme liturgique s’est mise en place, à la fin des années 60. Lui-même et tous les auteurs ecclésiastiques et laïcs qu’il a regroupé autour de lui sont largement à l’origine en France du « grand refus » théologique et pratique qui a permis à la messe traditionnelle de subsister, jusqu’à ce que, 40 ans après, le Pape Benoît XVI vienne sanctionner dans son Motu Proprio de 2007 ces voix et cette voix qui alors criaient sinon dans le désert, du moins à une contre mille ou contre dix mille. Cette messe, disaient Jean Madiran et les siens, cette messe, dit aujourd’hui le Pape, n’a jamais été abolie. Elle ne l’a pas été, parce qu’elle ne le pouvait pas, et cela vient de Dieu. Mais encore fallait-il qu’on le dise haut et fort, et cela revenait aux hommes.
INTRODUCTION : Des dégâts dans la transmission de la foi pour longtemps irréparables
Or, Jean Madiran n’a pas parlé qu’en faveur de la messe. Les nombreuses études – les siennes, celles qu’il a suscitées, celles qu’il a publiées – dans les années 60-70 (avec le mot d’ordre : « Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe ») font aujourd'hui figure de références. « Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe » : il faut en effet citer sa lettre à Paul VI du 27 octobre 1972, qui bien plus efficacement que tant de brulots tapageurs de l’époque a calmement et respectueusement posé des bornes pour le futur. Elle disait : « Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe (...). Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V. Vous laissez dire que vous l'auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Église catholique, canonisé par le concile de Trente. L'obéissance à Dieu et à l'Église serait de résister à un tel abus de pouvoir, s'il s'était effectivement produit, et non pas de le subir en silence (...). Très Saint Père, confirmez dans leur foi et leur bon droit les prêtres et les laïcs qui, malgré l'occupation étrangère de l'Église par le parti de l'apostasie, gardent fidèlement l'Écriture sainte, le catéchisme romain, la messe catholique (...). Laissez venir jusqu'à vous la détresse spirituelle des petits enfants : rendez-leur, Très Saint Père, rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain, la version et l'interprétation traditionnelles de l'Écriture. Si vous ne les leur rendez pas en ce monde, ils vous les réclameront dans l'éternité... »
Ils sont nombreux aujourd’hui les prêtres qui s’employant à dire désormais quelques fois ou tous les jours la messe selon la « forme extraordinaire », affirment qu’ils découvrent par la même occasion que le problème liturgique ne fait qu’un avec le problème catéchétique. La crise catéchétique est l’autre face de la crise liturgique. Il s’est creusé un trou noir de deux générations qui n’auront pas été catéchisés, sinon par des occupations ludiques et des gentils découpages organisées par des dames pleines de bonne volonté mais incompétentes, s’appuyant sur des « parcours » au mieux totalement insipides. Les dégâts aujourd’hui sont d’une telle ampleur que les évêques n’osent plus parler de la nullité totale de la transmission (que l’on découvre, par exemple, lorsque quelques « catéchisés » se présentent à une préparation au mariage), ni de l’effondrement des effectifs. Il avait été catastrophique durant les années 70. Il a continué sans arrêt dans les années 80. Et voilà que de 2000 à 2007, le nombre des enfants catéchisés dans les paroisses de France serait encore tombé de… 70%.
Ce que vous découvrez aujourd’hui atterrés, Messeigneurs, on vous l’avait pourtant dit clairement et distinctement – du moins à vos prédécesseurs, qui n’en avaient cure – il y a près de quarante-cinq ans. Et très spécialement Jean Madiran. Sa publication de l'Histoire du catéchisme, qui fait suite à de nombreuses publications antérieures (dont sa publication du Catéchisme du Concile de Trente et du grand et du petit Catéchisme de Saint Pie X), nous montrent clairement que les problématiques soulevées au sujet de cette question sont loin d'être réglées malgré la publication du Catéchisme de l'Église catholique. Voilà pourquoi nous avons voulu vous présenter les grandes lignes d'un ouvrage qui, nous le pensons, devrait devenir le livre de chevet des mères de familles et des catéchistes pour que jamais ils n'oublient l'essentiel : ce qu'il faut croire, ce qu'il faut demander et les moyens d'y parvenir.
I - Notre compte-rendu de lecture de l'Histoire du catéchisme, 1955-2005* : une interruption volontaire de tradition !
Qu’est-ce que le catéchisme ? Pourquoi et comment le catéchisme ? Pourquoi telle catéchèse et non pas une autre ? Nous n’allons pas refaire ici l’histoire du catéchisme, ni celle, particulière, de ce récent demi-siècle dont traite excellemment Jean Madiran dans son livre. Nous voudrions simplement lancer brièvement quelques pistes de réflexion à partir de la lecture de cet ouvrage fondamental.
Le catéchisme, c’est (génériquement) l’enseignement des vérités révélées nécessaires au salut. La catéchèse est la manière de les enseigner. L'Église, objectera t-on d’emblée, a changé plusieurs fois sa manière d’enseigner. Après la catéchèse mystagogique de l’Antiquité chrétienne, Jean de Viguerie ne parle t-il pas pour le Moyen Age d’un millénaire sans catéchèse ? « Cela ne veut pas dire que les enfants n’apprennent pas la religion. Mais ils ne l’apprennent pas dans le cadre d’une méthode didactique uniforme réservée à l’usage des enfants et de toutes les personnes ignorantes, et appliquée par l’ensemble du clergé », écrit-il dans L’Église et l’éducation (DMM, 2e édition augmentée). L’historien explique très bien les raisons pour lesquelles l’Église, dans sa tradition de sagesse pédagogique et doctrinale, a adopté une nouvelle méthode à partir du seizième siècle, celle précisément du catéchisme livresque, sous la forme d’un abrégé authentique et complet de la religion chrétienne, le plus souvent par questions et réponses. On y apprend concrètement l’essentiel de ce que la petite Jeanne d’Arc avait appris par sa mère (le Notre Père, l’Ave, le Credo, le Décalogue…), par les sermons et les conseils du curé, par la liturgie, par le livre ouvert et imagé des églises, tout le contexte d’une chrétienté où l’éducation religieuse était d’abord domestique…
Comme saint Pie V codifiera le rite romain de la messe, le Concile de Trente codifiera le catéchisme romain avec les trois connaissances nécessaires au salut et les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique :
- La connaissance de ce qu’il faut croire : instruction de la vertu théologale de foi par l’explication du Je crois en Dieu ou « Symbole des Apôtres » qui est le résumé de la doctrine chrétienne composé par les premiers Apôtres.
- La connaissance de ce qu’il faut désirer : instruction de la vertu théologale de l’espérance par l’explication du Notre Père, qui est la prière révélée par Jésus.
- La connaissance de ce qu’il faut faire : instruction de la vertu théologale de charité par l’explication des Commandements, qui est la loi révélé par Dieu.
- L’explication des sacrements, sans le secours desquels les trois connaissances nécessaires au salut demeurent ordinairement inefficaces (c’est le quatrième point obligatoire de tout catéchisme catholique).
A l’explication de textes (Credo, Pater, commandements) qu’on commente donc, l’instruction religieuse ajoute bien sûr les récits historiques qu’on raconte donc : la vie de Jésus, l’histoire sainte et l’histoire de l’Église (avec le Nouveau et l’Ancien Testament), les vies de saints. Tandis que l’explication de la liturgie (avec le Missel) permet souvent d’unir le récit historique et le commentaire de textes.
« Faire le catéchisme », consistera alors principalement à expliquer et faire expliquer des textes, raconter et faire raconter des histoires. Et, finalement, faire réciter par cœur les questions et les réponses relatives à l’essentiel de cet enseignement. Petits et grands catéchismes s’inspirèrent tous du catéchisme du Concile de Tente. Il y eut « le trésor des catéchismes diocésains » pour reprendre le titre du bel ouvrage de l’abbé Jean-Pierre Putois (Via Romana, 2009). Le(s) catéchisme(s) de saint Pie X. Et aussi (après le premier essai d’unification du « catéchisme napoléonien ») le catéchisme français (national) à l’usage des diocèses de France, qui apportait déjà (à partir de 1937, puis 1947) une modification discutable à l’ordre tridentin.
Ce catéchisme traditionnel formera des générations de chrétiens jusqu’à sa remise en cause progressive à la fin des années cinquante puis sa disparition assumée (la vacatio catechismi) et carrément son interdiction, analogue à celle de la messe dite de saint Pie V. Jean Madiran en retrace les jalons, du catéchisme progressif (1957) à Pierres Vivantes et les « parcours » (à partir de 1982), en passant par le « fonds obligatoire » (1967-1968), le « texte de référence » (1980). Sans oublier les vaines tentatives romaines pour stopper ou limiter ce processus, spécialement celles du cardinal Ratzinger.
Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
« On s’est trop occupé dans la grande Église d’essayer de répondre aux attentes de ce monde moderne qui, c’est sûr, se fait ou se défait sans ressentir un besoin vital du Notre Père, du Je crois en Dieu, du Décalogue, des sacrements. » Dans sa conclusion, Jean Madiran résume ainsi la tentation sous l’apparence de bien qui a conduit à la révolution copernicienne dans l’Église, avec pour effets (postconciliaires) trois crises majeures : celle de la messe, celle du catéchisme et celle de l'Écriture.
Un incongru primat de la pastorale (toujours le discours sur la méthode !) sur le doctrinal a prétendu étudier et exposer la doctrine de l’Église suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne pour mieux soi-disant la convaincre. Oubliant ainsi un peu vite la fameuse formule de sainte Bernadette qu’on devrait transposer à tout catéchiste et qui est pour ainsi dire la devise des témoins, des prophètes et des martyrs : - Je ne suis pas chargée de vous le faire croire mais de vous le dire.
Car la foi est un don de Dieu, une vertu surnaturelle qu’on reçoit, dans une rencontre de la grâce et de la liberté, sur la base de vérités révélées, fondamentales, que le catéchiste se doit d’enseigner objectivement. Non pas sans pédagogie bien sûr, voire charisme, mais sans inverser les priorités et les causes. Il y a ce qui dépend de nous comme cause instrumentale : enseigner et commenter toutes les vérités nécessaires au salut et dont l’enfant a besoin dès son jeune âge pour étayer son comportement chrétien. Il y a ce qui dépend de Dieu comme Cause efficiente et finale donnant la vie surnaturelle dans laquelle l’enfant va grandir lui-même à certaines conditions qu’il lui faut bien connaître.
La catéchèse des novateurs devient une catéchèse sans catéchisme, marquée au contraire par deux mouvements intimement liés, que nous résume Romano Ameirio dans Iota Unum (NEL, 1987) :
« - Un mouvement méthodique qui est l’abandon de la pédagogie catholique de la transcendance du vrai sur l’intelligence qui la reçoit.
« - Un mouvement dogmatique qui est l’abandon de la certitude de la foi, remplacée par l’examen et l’option subjectives. »
Oui, c’est bien une révolution copernicienne (idéaliste), par laquelle on est passé du théocentrisme à un anthropocentrisme, à une sorte d’immanentisme plus protestant que catholique. Ce n’est plus la Réalité surnaturelle de la Révélation (enseignée par l’éducateur soumis au magistère de l’Église) qui informe l’intelligence et le cœur du catéchisé, c’est son intelligence et son cœur (dûment aidés par un éducateur à la manière rousseauiste de l’Émile !) qui informent ce qu’il doit croire dans cette Révélation ! Extrait révélateur d’un document officiel de la catéchèse en 1970 : « La valeur pédagogique d’un programme, d’une parole, ne réside pas d’abord dans sa richesse de vérité, mais dans le fait qu’ils sont adaptés à l’expérience religieuse de l’enfant, au moins à ses possibilités actuelles d’expérience » (Doctrines de vie au catéchisme).
Sous l’inspiration des « pédagogies nouvelles » qui ont fait tant de ravages après 68, la religion est « proposée » et agrée seulement dans la mesure où elle renvoie l’enfant à son « vécu », répond à ses besoins vitaux, sans contraintes et sans cadre, dans la mesure où l’on croit qu’elle lui apporte quelque chose pour son épanouissement. Sous prétexte d’adapter la religion à l’enfant et au monde, on a abouti à une manière d’enseigner totalement inadaptée au catéchisme, par son infidélité et son ignorance. D’où un catéchisme sans Pater ni Credo et finalement ce tour de force d’une catéchèse sans catéchisme : la vacatio catéchismi !
La manière d’enseigner est devenue dogmatiquement prioritaire, s’affranchissant de sa subordination au contenu, à l’objet de la foi, au dogme précisément. Avec le primat de la méthode (de connaissance) depuis Descartes jusqu’à Kant et ses successeurs, c’est finalement le propre de toute pensée idéaliste toujours subjectiviste : confondre et réduire l’idée que j’ai (ce par quoi je connais) avec la réalité objective (ce que je connais)… En théorie et même en pratique (au moins partiellement, on l’a vu, dans l’histoire de l’Église) il n’est pas impensable d’enseigner le catéchisme autrement, même si cela apparaît aujourd’hui plutôt infondé. Mais si la réforme de la catéchèse s’est libérée des trois connaissances et quatre points, ce n’est pas pour enseigner d’une autre manière la religion chrétienne : c’est pour ne plus l’enseigner en tant que telle. « C’est la première fois qu’en changeant sa manière d’enseigner, l’Église, par révolution idéaliste et culturelle, changeait aussi le fond de son enseignement, le dépôt de la foi. C’est l’événement le plus important de l’histoire religieuse au XXe siècle », disait Etienne Gilson qui pouvait en juger.
« Il y a une “catéchèse” obnubilée par le dessein de traduire dans la vie, mais d’y traduire quoi ? D’y traduire ce que l’on a de moins en moins appris ; d’y traduire ce que l’on a insuffisamment appris ; d’y traduire ce que l’on n’a pas appris », écrivait Madiran dans Itinéraires n° V du printemps 1991.
Il est vrai que l’instruction religieuse n’est pas suffisante, qu’il faut la « traduire dans la vie » par une « expérience religieuse » et qu’il peut être parfois nocif de forcer des consciences toujours mystérieuses. Le problème est que, sous prétexte de cela, au nom du pédagogisme, la nécessaire instruction religieuse est passée à la trappe, avec armes et bagages. On a jeté le bébé avec l’eau du bain, comme on dit familièrement. On a jeté le catéchisme !
Dans son Histoire du catéchisme, Madiran revient sur une autre raison capitale de cette monstrueuse dérive : « On s’est trop exclusivement occupé de la catéchèse des adultes au détriment de celle des enfants baptisés. » On s’est trop désintéressé aussi des enfants baptisés et des familles pratiquantes pour « toucher » prétendument ceux de tout le monde et des familles non pratiquantes, par mode d’édulcoration laïciste, sous prétexte d’ouverture à ce monde. En témoigne particulièrement l’Enseignement catholique, dont le P. Coudreau définissait ainsi (par la négative) le projet soi-disant spécifique (en 1989 dans un document officiel) :
« Cette proposition n’est pas l’enseignement de la religion chrétienne. D’une part l’enseignement religieux s’adresse à des baptisés catholiques, explicitement candidats à l’initiation chrétienne, or ce n’est pas le cas d’une école ouverte à tous. D’autre part, cet enseignement religieux suppose résolue l’adhésion des jeunes à la religion, mieux encore leur appartenance à cette religion, alors que l’Église catholique veut promouvoir ce libre débat et le libre choix d’un Sauveur. Etc… » (Cf. La laïcité dans tous ses débats, éditions de Paris, 2004).
Cet Enseignement catholique devenu « non confessionnel » participe de la même hérésie que la catéchèse sans catéchisme, incapables tous les deux de transmettre la foi dans un pédagogisme et un laïcisme dissolvants. Là encore, on a inversé les priorités. La finalité première d’une école catholique n’est pas de permettre un choix démocratique, mais d’assumer un choix chrétien (des parents et des maîtres). Elle est d’élever des chrétiens, c’est-à-dire, selon le résumé d’Henri Charlier, de « faire fructifier et croître les grâces du baptême chez de jeunes baptisés : par l’enseignement, mais aussi par l’exemple d’un vie chrétienne, d’une charité non feinte, dans le respect des consciences et non de l’erreur ».
Avec l’acribie coutumière qui est la sienne, Jean Madiran raconte, pour ce qui est ici du catéchisme, l’histoire de cette catastrophe, celle d’une inversion et même d’une rupture, dont on peut constater objectivement les funestes effets en termes de statistiques et de sondages. Là comme ailleurs, il y a eu véritablement rupture, ce que j’appelle une « IVT » : interruption volontaire de tradition ! Une rupture non pas accidentelle mais bien volontaire dans la continuité de la tradition. Une interruption cependant et non pas une cessation – comme l’est en réalité l’ « IVG » - car l’Église, qui a les paroles de la Vie éternelle, ne peut (heureusement !) connaître en définitive la rupture complète de sa tradition et de son magistère vivant. Reste qu’en cherchant à gagner le monde, à épouser la modernité, l’Église a perdu son catéchisme (comme sa messe et ses Écritures), au risque d’y perdre son âme : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à y perdre son âme ? »
Reste que des « plombs » ont bien sauté quelque part, plongeant dans une certaine obscurité l’ensemble des fidèles. Et en redressant les « interrupteurs » (comme il a fait, par exemple, avec le Motu proprio du 07-07-07), Benoît XVI remet peu à peu le courant dans l’Église, si l’on peut dire, comme après la tempête et ses vastes dégâts. C’est, par son herméneutique déclarée (cf. son discours à la Curie romaine de décembre 2005) ce qu’on pourrait appeler la rupture de la rupture, qui se conjugue avec sa réforme de la réforme et qui apparaît comme une véritable libération. Il y a déjà eu, réclamé par Jean-Paul II, et réalisé par le cardinal Ratzinger, le Catéchisme de l’Église catholique (CEC), puis son compendium, dont nous reparlerons probablement. Mais, comme pour la messe, demeurent largement les mauvaises habitudes de nos diocèses et de nos églises, les mauvais choix, les empêchements, voire les interdictions abusives. Et manque toujours en l’occurrence la référence indiscutable, émise officiellement par l’Église d’aujourd’hui, d’un petit catéchisme destiné aux enfants…
Contre la praxis prétentieuse de cette nouvelle catéchèse de l’ « écoute » et du « dialogue », qui voudrait en somme (avec l’Enseignement catholique) subordonner l’acquisition des vérités que Dieu enseigne au subjectivisme du monde moderne, « éduquer sans contraindre », faire aimer sans faire (bien) connaître, conduire à la religion en en taisant les exigences et en l’adaptant aux mœurs du temps par sa morale de l’ « ouverture », Jean Madiran rappelle en substance le secret (oublié) de la Mission : l’agir suit l’être et non pas l’inverse. On n’aime bien que ce qu’on connaît bien. Comme tu pries tu crois, comme tu crois tu agis et construis, selon le vieil adage monastique. Primauté de la contemplation sur l’action. C’est ainsi qu’ont procédé toutes les véritables écoles d’évangélisation des premiers chrétiens aux petites communautés traditionnelles d’aujourd’hui en passant par les monastères du Moyen Age qui ont formé la Chrétienté.
Comme un leitmotiv indispensable à notre renaissance catholique, Jean Madiran le répète aujourd’hui, avec et sous Benoît XVI, ce secret à ciel ouvert, partout visible mais partout inaperçu : « C’est le secret perdu de la loi (morale) naturelle, c’est aussi le secret surnaturel du catéchisme romain, conservés l’un et l’autre dans l’intimité des familles, de quelques monastères, de quelques écoles » (avant-propos au livre de Marcel De Corte L’homme contre lui-même). Le flambeau sera transmis, nous en avons l’espérance !
II - Nos remarques conclusives
- On parle ces derniers jours à Rome de créer un Conseil Pontifical pour la Nouvelle Évangélisation. Nous nous en réjouissons beaucoup. Mais, que ce Conseil Pontifical voit ou non le jour, n’est-il pas évident que l'existence et le rétablissement d'un enseignement totalement catholique qui réponde aux besoins des âmes est indispensable pour faire des âmes chrétiennes, des familles chrétiennes, des sociétés chrétiennes ? Si les fidèles de demain ne sont pas instruits correctement des vérités de foi et de salut (ce qu'il faut croire : le Credo ; ce qu'il faut désirer : le Pater ; ce qu'il faut faire : les Commandements) la survie de la foi deviendrait problématique.
- Le combat en faveur du rétablissement d'un catéchisme pleinement catholique est donc inséparable de notre effort en faveur d’une liturgie « extraordinairement » catholique. L’adage lex orandi, lex credendi se vérifie, pour reprendre une expression des prêtres soixante-huitards, « au niveau du vécu » : l’assistance à la messe/la connaissance du catéchisme. La messe enseigne à bien croire, le catéchisme aide à bien prier, et inversement.
- C’est donc un devoir pour nous tous, qui consacrons notre énergie au rétablissement de la forme extraordinaire du rite romain dans les paroisses, et donc un devoir tout spécial pour Paix liturgique d’y incorporer ce qui, depuis 40 ans, « va avec » dans les messes traditionnelles non paroissiales, à savoir la prédication catholique, l’enseignement d’écoles catholiques, et LE CATÉCHISME CATHOLIQUE.
*Histoire du catéchisme, 1955-2005 de Jean Madiran.
Editeur : CONSEP, Versailles, 2005
ISBN 2-85162-083-5
160 pages.
Personne n’a oublié le rôle historique décisif que Jean Madiran a assumé avec sa revue Itinéraires lorsque la réforme liturgique s’est mise en place, à la fin des années 60. Lui-même et tous les auteurs ecclésiastiques et laïcs qu’il a regroupé autour de lui sont largement à l’origine en France du « grand refus » théologique et pratique qui a permis à la messe traditionnelle de subsister, jusqu’à ce que, 40 ans après, le Pape Benoît XVI vienne sanctionner dans son Motu Proprio de 2007 ces voix et cette voix qui alors criaient sinon dans le désert, du moins à une contre mille ou contre dix mille. Cette messe, disaient Jean Madiran et les siens, cette messe, dit aujourd’hui le Pape, n’a jamais été abolie. Elle ne l’a pas été, parce qu’elle ne le pouvait pas, et cela vient de Dieu. Mais encore fallait-il qu’on le dise haut et fort, et cela revenait aux hommes.
INTRODUCTION : Des dégâts dans la transmission de la foi pour longtemps irréparables
Or, Jean Madiran n’a pas parlé qu’en faveur de la messe. Les nombreuses études – les siennes, celles qu’il a suscitées, celles qu’il a publiées – dans les années 60-70 (avec le mot d’ordre : « Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe ») font aujourd'hui figure de références. « Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe » : il faut en effet citer sa lettre à Paul VI du 27 octobre 1972, qui bien plus efficacement que tant de brulots tapageurs de l’époque a calmement et respectueusement posé des bornes pour le futur. Elle disait : « Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe (...). Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V. Vous laissez dire que vous l'auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Église catholique, canonisé par le concile de Trente. L'obéissance à Dieu et à l'Église serait de résister à un tel abus de pouvoir, s'il s'était effectivement produit, et non pas de le subir en silence (...). Très Saint Père, confirmez dans leur foi et leur bon droit les prêtres et les laïcs qui, malgré l'occupation étrangère de l'Église par le parti de l'apostasie, gardent fidèlement l'Écriture sainte, le catéchisme romain, la messe catholique (...). Laissez venir jusqu'à vous la détresse spirituelle des petits enfants : rendez-leur, Très Saint Père, rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain, la version et l'interprétation traditionnelles de l'Écriture. Si vous ne les leur rendez pas en ce monde, ils vous les réclameront dans l'éternité... »
Ils sont nombreux aujourd’hui les prêtres qui s’employant à dire désormais quelques fois ou tous les jours la messe selon la « forme extraordinaire », affirment qu’ils découvrent par la même occasion que le problème liturgique ne fait qu’un avec le problème catéchétique. La crise catéchétique est l’autre face de la crise liturgique. Il s’est creusé un trou noir de deux générations qui n’auront pas été catéchisés, sinon par des occupations ludiques et des gentils découpages organisées par des dames pleines de bonne volonté mais incompétentes, s’appuyant sur des « parcours » au mieux totalement insipides. Les dégâts aujourd’hui sont d’une telle ampleur que les évêques n’osent plus parler de la nullité totale de la transmission (que l’on découvre, par exemple, lorsque quelques « catéchisés » se présentent à une préparation au mariage), ni de l’effondrement des effectifs. Il avait été catastrophique durant les années 70. Il a continué sans arrêt dans les années 80. Et voilà que de 2000 à 2007, le nombre des enfants catéchisés dans les paroisses de France serait encore tombé de… 70%.
Ce que vous découvrez aujourd’hui atterrés, Messeigneurs, on vous l’avait pourtant dit clairement et distinctement – du moins à vos prédécesseurs, qui n’en avaient cure – il y a près de quarante-cinq ans. Et très spécialement Jean Madiran. Sa publication de l'Histoire du catéchisme, qui fait suite à de nombreuses publications antérieures (dont sa publication du Catéchisme du Concile de Trente et du grand et du petit Catéchisme de Saint Pie X), nous montrent clairement que les problématiques soulevées au sujet de cette question sont loin d'être réglées malgré la publication du Catéchisme de l'Église catholique. Voilà pourquoi nous avons voulu vous présenter les grandes lignes d'un ouvrage qui, nous le pensons, devrait devenir le livre de chevet des mères de familles et des catéchistes pour que jamais ils n'oublient l'essentiel : ce qu'il faut croire, ce qu'il faut demander et les moyens d'y parvenir.
I - Notre compte-rendu de lecture de l'Histoire du catéchisme, 1955-2005* : une interruption volontaire de tradition !
Qu’est-ce que le catéchisme ? Pourquoi et comment le catéchisme ? Pourquoi telle catéchèse et non pas une autre ? Nous n’allons pas refaire ici l’histoire du catéchisme, ni celle, particulière, de ce récent demi-siècle dont traite excellemment Jean Madiran dans son livre. Nous voudrions simplement lancer brièvement quelques pistes de réflexion à partir de la lecture de cet ouvrage fondamental.
Le catéchisme, c’est (génériquement) l’enseignement des vérités révélées nécessaires au salut. La catéchèse est la manière de les enseigner. L'Église, objectera t-on d’emblée, a changé plusieurs fois sa manière d’enseigner. Après la catéchèse mystagogique de l’Antiquité chrétienne, Jean de Viguerie ne parle t-il pas pour le Moyen Age d’un millénaire sans catéchèse ? « Cela ne veut pas dire que les enfants n’apprennent pas la religion. Mais ils ne l’apprennent pas dans le cadre d’une méthode didactique uniforme réservée à l’usage des enfants et de toutes les personnes ignorantes, et appliquée par l’ensemble du clergé », écrit-il dans L’Église et l’éducation (DMM, 2e édition augmentée). L’historien explique très bien les raisons pour lesquelles l’Église, dans sa tradition de sagesse pédagogique et doctrinale, a adopté une nouvelle méthode à partir du seizième siècle, celle précisément du catéchisme livresque, sous la forme d’un abrégé authentique et complet de la religion chrétienne, le plus souvent par questions et réponses. On y apprend concrètement l’essentiel de ce que la petite Jeanne d’Arc avait appris par sa mère (le Notre Père, l’Ave, le Credo, le Décalogue…), par les sermons et les conseils du curé, par la liturgie, par le livre ouvert et imagé des églises, tout le contexte d’une chrétienté où l’éducation religieuse était d’abord domestique…
Comme saint Pie V codifiera le rite romain de la messe, le Concile de Trente codifiera le catéchisme romain avec les trois connaissances nécessaires au salut et les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique :
- La connaissance de ce qu’il faut croire : instruction de la vertu théologale de foi par l’explication du Je crois en Dieu ou « Symbole des Apôtres » qui est le résumé de la doctrine chrétienne composé par les premiers Apôtres.
- La connaissance de ce qu’il faut désirer : instruction de la vertu théologale de l’espérance par l’explication du Notre Père, qui est la prière révélée par Jésus.
- La connaissance de ce qu’il faut faire : instruction de la vertu théologale de charité par l’explication des Commandements, qui est la loi révélé par Dieu.
- L’explication des sacrements, sans le secours desquels les trois connaissances nécessaires au salut demeurent ordinairement inefficaces (c’est le quatrième point obligatoire de tout catéchisme catholique).
A l’explication de textes (Credo, Pater, commandements) qu’on commente donc, l’instruction religieuse ajoute bien sûr les récits historiques qu’on raconte donc : la vie de Jésus, l’histoire sainte et l’histoire de l’Église (avec le Nouveau et l’Ancien Testament), les vies de saints. Tandis que l’explication de la liturgie (avec le Missel) permet souvent d’unir le récit historique et le commentaire de textes.
« Faire le catéchisme », consistera alors principalement à expliquer et faire expliquer des textes, raconter et faire raconter des histoires. Et, finalement, faire réciter par cœur les questions et les réponses relatives à l’essentiel de cet enseignement. Petits et grands catéchismes s’inspirèrent tous du catéchisme du Concile de Tente. Il y eut « le trésor des catéchismes diocésains » pour reprendre le titre du bel ouvrage de l’abbé Jean-Pierre Putois (Via Romana, 2009). Le(s) catéchisme(s) de saint Pie X. Et aussi (après le premier essai d’unification du « catéchisme napoléonien ») le catéchisme français (national) à l’usage des diocèses de France, qui apportait déjà (à partir de 1937, puis 1947) une modification discutable à l’ordre tridentin.
Ce catéchisme traditionnel formera des générations de chrétiens jusqu’à sa remise en cause progressive à la fin des années cinquante puis sa disparition assumée (la vacatio catechismi) et carrément son interdiction, analogue à celle de la messe dite de saint Pie V. Jean Madiran en retrace les jalons, du catéchisme progressif (1957) à Pierres Vivantes et les « parcours » (à partir de 1982), en passant par le « fonds obligatoire » (1967-1968), le « texte de référence » (1980). Sans oublier les vaines tentatives romaines pour stopper ou limiter ce processus, spécialement celles du cardinal Ratzinger.
Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
« On s’est trop occupé dans la grande Église d’essayer de répondre aux attentes de ce monde moderne qui, c’est sûr, se fait ou se défait sans ressentir un besoin vital du Notre Père, du Je crois en Dieu, du Décalogue, des sacrements. » Dans sa conclusion, Jean Madiran résume ainsi la tentation sous l’apparence de bien qui a conduit à la révolution copernicienne dans l’Église, avec pour effets (postconciliaires) trois crises majeures : celle de la messe, celle du catéchisme et celle de l'Écriture.
Un incongru primat de la pastorale (toujours le discours sur la méthode !) sur le doctrinal a prétendu étudier et exposer la doctrine de l’Église suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne pour mieux soi-disant la convaincre. Oubliant ainsi un peu vite la fameuse formule de sainte Bernadette qu’on devrait transposer à tout catéchiste et qui est pour ainsi dire la devise des témoins, des prophètes et des martyrs : - Je ne suis pas chargée de vous le faire croire mais de vous le dire.
Car la foi est un don de Dieu, une vertu surnaturelle qu’on reçoit, dans une rencontre de la grâce et de la liberté, sur la base de vérités révélées, fondamentales, que le catéchiste se doit d’enseigner objectivement. Non pas sans pédagogie bien sûr, voire charisme, mais sans inverser les priorités et les causes. Il y a ce qui dépend de nous comme cause instrumentale : enseigner et commenter toutes les vérités nécessaires au salut et dont l’enfant a besoin dès son jeune âge pour étayer son comportement chrétien. Il y a ce qui dépend de Dieu comme Cause efficiente et finale donnant la vie surnaturelle dans laquelle l’enfant va grandir lui-même à certaines conditions qu’il lui faut bien connaître.
La catéchèse des novateurs devient une catéchèse sans catéchisme, marquée au contraire par deux mouvements intimement liés, que nous résume Romano Ameirio dans Iota Unum (NEL, 1987) :
« - Un mouvement méthodique qui est l’abandon de la pédagogie catholique de la transcendance du vrai sur l’intelligence qui la reçoit.
« - Un mouvement dogmatique qui est l’abandon de la certitude de la foi, remplacée par l’examen et l’option subjectives. »
Oui, c’est bien une révolution copernicienne (idéaliste), par laquelle on est passé du théocentrisme à un anthropocentrisme, à une sorte d’immanentisme plus protestant que catholique. Ce n’est plus la Réalité surnaturelle de la Révélation (enseignée par l’éducateur soumis au magistère de l’Église) qui informe l’intelligence et le cœur du catéchisé, c’est son intelligence et son cœur (dûment aidés par un éducateur à la manière rousseauiste de l’Émile !) qui informent ce qu’il doit croire dans cette Révélation ! Extrait révélateur d’un document officiel de la catéchèse en 1970 : « La valeur pédagogique d’un programme, d’une parole, ne réside pas d’abord dans sa richesse de vérité, mais dans le fait qu’ils sont adaptés à l’expérience religieuse de l’enfant, au moins à ses possibilités actuelles d’expérience » (Doctrines de vie au catéchisme).
Sous l’inspiration des « pédagogies nouvelles » qui ont fait tant de ravages après 68, la religion est « proposée » et agrée seulement dans la mesure où elle renvoie l’enfant à son « vécu », répond à ses besoins vitaux, sans contraintes et sans cadre, dans la mesure où l’on croit qu’elle lui apporte quelque chose pour son épanouissement. Sous prétexte d’adapter la religion à l’enfant et au monde, on a abouti à une manière d’enseigner totalement inadaptée au catéchisme, par son infidélité et son ignorance. D’où un catéchisme sans Pater ni Credo et finalement ce tour de force d’une catéchèse sans catéchisme : la vacatio catéchismi !
La manière d’enseigner est devenue dogmatiquement prioritaire, s’affranchissant de sa subordination au contenu, à l’objet de la foi, au dogme précisément. Avec le primat de la méthode (de connaissance) depuis Descartes jusqu’à Kant et ses successeurs, c’est finalement le propre de toute pensée idéaliste toujours subjectiviste : confondre et réduire l’idée que j’ai (ce par quoi je connais) avec la réalité objective (ce que je connais)… En théorie et même en pratique (au moins partiellement, on l’a vu, dans l’histoire de l’Église) il n’est pas impensable d’enseigner le catéchisme autrement, même si cela apparaît aujourd’hui plutôt infondé. Mais si la réforme de la catéchèse s’est libérée des trois connaissances et quatre points, ce n’est pas pour enseigner d’une autre manière la religion chrétienne : c’est pour ne plus l’enseigner en tant que telle. « C’est la première fois qu’en changeant sa manière d’enseigner, l’Église, par révolution idéaliste et culturelle, changeait aussi le fond de son enseignement, le dépôt de la foi. C’est l’événement le plus important de l’histoire religieuse au XXe siècle », disait Etienne Gilson qui pouvait en juger.
« Il y a une “catéchèse” obnubilée par le dessein de traduire dans la vie, mais d’y traduire quoi ? D’y traduire ce que l’on a de moins en moins appris ; d’y traduire ce que l’on a insuffisamment appris ; d’y traduire ce que l’on n’a pas appris », écrivait Madiran dans Itinéraires n° V du printemps 1991.
Il est vrai que l’instruction religieuse n’est pas suffisante, qu’il faut la « traduire dans la vie » par une « expérience religieuse » et qu’il peut être parfois nocif de forcer des consciences toujours mystérieuses. Le problème est que, sous prétexte de cela, au nom du pédagogisme, la nécessaire instruction religieuse est passée à la trappe, avec armes et bagages. On a jeté le bébé avec l’eau du bain, comme on dit familièrement. On a jeté le catéchisme !
Dans son Histoire du catéchisme, Madiran revient sur une autre raison capitale de cette monstrueuse dérive : « On s’est trop exclusivement occupé de la catéchèse des adultes au détriment de celle des enfants baptisés. » On s’est trop désintéressé aussi des enfants baptisés et des familles pratiquantes pour « toucher » prétendument ceux de tout le monde et des familles non pratiquantes, par mode d’édulcoration laïciste, sous prétexte d’ouverture à ce monde. En témoigne particulièrement l’Enseignement catholique, dont le P. Coudreau définissait ainsi (par la négative) le projet soi-disant spécifique (en 1989 dans un document officiel) :
« Cette proposition n’est pas l’enseignement de la religion chrétienne. D’une part l’enseignement religieux s’adresse à des baptisés catholiques, explicitement candidats à l’initiation chrétienne, or ce n’est pas le cas d’une école ouverte à tous. D’autre part, cet enseignement religieux suppose résolue l’adhésion des jeunes à la religion, mieux encore leur appartenance à cette religion, alors que l’Église catholique veut promouvoir ce libre débat et le libre choix d’un Sauveur. Etc… » (Cf. La laïcité dans tous ses débats, éditions de Paris, 2004).
Cet Enseignement catholique devenu « non confessionnel » participe de la même hérésie que la catéchèse sans catéchisme, incapables tous les deux de transmettre la foi dans un pédagogisme et un laïcisme dissolvants. Là encore, on a inversé les priorités. La finalité première d’une école catholique n’est pas de permettre un choix démocratique, mais d’assumer un choix chrétien (des parents et des maîtres). Elle est d’élever des chrétiens, c’est-à-dire, selon le résumé d’Henri Charlier, de « faire fructifier et croître les grâces du baptême chez de jeunes baptisés : par l’enseignement, mais aussi par l’exemple d’un vie chrétienne, d’une charité non feinte, dans le respect des consciences et non de l’erreur ».
Avec l’acribie coutumière qui est la sienne, Jean Madiran raconte, pour ce qui est ici du catéchisme, l’histoire de cette catastrophe, celle d’une inversion et même d’une rupture, dont on peut constater objectivement les funestes effets en termes de statistiques et de sondages. Là comme ailleurs, il y a eu véritablement rupture, ce que j’appelle une « IVT » : interruption volontaire de tradition ! Une rupture non pas accidentelle mais bien volontaire dans la continuité de la tradition. Une interruption cependant et non pas une cessation – comme l’est en réalité l’ « IVG » - car l’Église, qui a les paroles de la Vie éternelle, ne peut (heureusement !) connaître en définitive la rupture complète de sa tradition et de son magistère vivant. Reste qu’en cherchant à gagner le monde, à épouser la modernité, l’Église a perdu son catéchisme (comme sa messe et ses Écritures), au risque d’y perdre son âme : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à y perdre son âme ? »
Reste que des « plombs » ont bien sauté quelque part, plongeant dans une certaine obscurité l’ensemble des fidèles. Et en redressant les « interrupteurs » (comme il a fait, par exemple, avec le Motu proprio du 07-07-07), Benoît XVI remet peu à peu le courant dans l’Église, si l’on peut dire, comme après la tempête et ses vastes dégâts. C’est, par son herméneutique déclarée (cf. son discours à la Curie romaine de décembre 2005) ce qu’on pourrait appeler la rupture de la rupture, qui se conjugue avec sa réforme de la réforme et qui apparaît comme une véritable libération. Il y a déjà eu, réclamé par Jean-Paul II, et réalisé par le cardinal Ratzinger, le Catéchisme de l’Église catholique (CEC), puis son compendium, dont nous reparlerons probablement. Mais, comme pour la messe, demeurent largement les mauvaises habitudes de nos diocèses et de nos églises, les mauvais choix, les empêchements, voire les interdictions abusives. Et manque toujours en l’occurrence la référence indiscutable, émise officiellement par l’Église d’aujourd’hui, d’un petit catéchisme destiné aux enfants…
Contre la praxis prétentieuse de cette nouvelle catéchèse de l’ « écoute » et du « dialogue », qui voudrait en somme (avec l’Enseignement catholique) subordonner l’acquisition des vérités que Dieu enseigne au subjectivisme du monde moderne, « éduquer sans contraindre », faire aimer sans faire (bien) connaître, conduire à la religion en en taisant les exigences et en l’adaptant aux mœurs du temps par sa morale de l’ « ouverture », Jean Madiran rappelle en substance le secret (oublié) de la Mission : l’agir suit l’être et non pas l’inverse. On n’aime bien que ce qu’on connaît bien. Comme tu pries tu crois, comme tu crois tu agis et construis, selon le vieil adage monastique. Primauté de la contemplation sur l’action. C’est ainsi qu’ont procédé toutes les véritables écoles d’évangélisation des premiers chrétiens aux petites communautés traditionnelles d’aujourd’hui en passant par les monastères du Moyen Age qui ont formé la Chrétienté.
Comme un leitmotiv indispensable à notre renaissance catholique, Jean Madiran le répète aujourd’hui, avec et sous Benoît XVI, ce secret à ciel ouvert, partout visible mais partout inaperçu : « C’est le secret perdu de la loi (morale) naturelle, c’est aussi le secret surnaturel du catéchisme romain, conservés l’un et l’autre dans l’intimité des familles, de quelques monastères, de quelques écoles » (avant-propos au livre de Marcel De Corte L’homme contre lui-même). Le flambeau sera transmis, nous en avons l’espérance !
II - Nos remarques conclusives
- On parle ces derniers jours à Rome de créer un Conseil Pontifical pour la Nouvelle Évangélisation. Nous nous en réjouissons beaucoup. Mais, que ce Conseil Pontifical voit ou non le jour, n’est-il pas évident que l'existence et le rétablissement d'un enseignement totalement catholique qui réponde aux besoins des âmes est indispensable pour faire des âmes chrétiennes, des familles chrétiennes, des sociétés chrétiennes ? Si les fidèles de demain ne sont pas instruits correctement des vérités de foi et de salut (ce qu'il faut croire : le Credo ; ce qu'il faut désirer : le Pater ; ce qu'il faut faire : les Commandements) la survie de la foi deviendrait problématique.
- Le combat en faveur du rétablissement d'un catéchisme pleinement catholique est donc inséparable de notre effort en faveur d’une liturgie « extraordinairement » catholique. L’adage lex orandi, lex credendi se vérifie, pour reprendre une expression des prêtres soixante-huitards, « au niveau du vécu » : l’assistance à la messe/la connaissance du catéchisme. La messe enseigne à bien croire, le catéchisme aide à bien prier, et inversement.
- C’est donc un devoir pour nous tous, qui consacrons notre énergie au rétablissement de la forme extraordinaire du rite romain dans les paroisses, et donc un devoir tout spécial pour Paix liturgique d’y incorporer ce qui, depuis 40 ans, « va avec » dans les messes traditionnelles non paroissiales, à savoir la prédication catholique, l’enseignement d’écoles catholiques, et LE CATÉCHISME CATHOLIQUE.
*Histoire du catéchisme, 1955-2005 de Jean Madiran.
Editeur : CONSEP, Versailles, 2005
ISBN 2-85162-083-5
160 pages.