SOURCE - David Briand - sudouest.fr - 16 mai 2010
Le réalisateur saintais Xavier Roujas a filmé durant un an dans l'Indre le quotidien d'une école gérée par la Fraternité Saint-Pie X. Entretien.
Xavier Roujas : « Si l'enseignement reçu est davantage religieux que politique, la frontière est pourtant mince sur le plan idéologique ».
Diffusé sur France 2 le 27 avril dernier, le documentaire « Les Infiltrés » s'attachait à montrer les liens existant à Bordeaux entre le groupuscule Dies Irae, l'école traditionaliste Saint-Projet et la paroisse Saint-Éloi. Si les journalistes ont filmé en caméra cachée ce milieu réputé hermétique aux médias, il est possible de réaliser un film à visage découvert. Un réalisateur saintais raconte son expérience dans une école à Châteauroux, dans l'Indre.
« Sud Ouest Dimanche ». Comment avez-vous procédé pour filmer les traditionalistes de l'école Saint-Michel de Châteauroux ?
Xavier Roujas. Je me suis fait recommander par d'anciens élèves de l'école, dont j'avais gagné la sympathie. J'ai ainsi pu filmer (1) en toute liberté en 2003 et 2004 le quotidien de l'école Saint-Michel, un établissement hors contrat scolarisant environ 150 élèves par an, de la sixième à la terminale.
Mon but était de mettre au jour les tensions existant entre l'Église de France et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), à travers les différences perceptibles dans l'enseignement professé.
Qu'avez-vous découvert ?
Une volonté farouche de redonner à la France ses racines chrétiennes et de lutter contre l'anticatholicité dont ils considèrent la République française être porteuse depuis la Révolution. On perçoit un goût de revanche sur l'air de : « Il faut sauver la France. » Ce qui les amène à être en porte-à-faux avec le monde contemporain, y compris avec les établissements privés sous contrat.
Dans le film, un prêtre indique ainsi « pousser les parents à mettre leurs enfants dans une bonne école, afin de sauver leur âme des écoles publiques et privées ».
Que reprochent-ils aux écoles privées classiques ?
D'être dirigées par des laïcs alors que Saint-Michel est régie par des prêtres. Et, sur le plan de l'enseignement, ils ne se tiennent pas au programme officiel prôné par l'Éducation nationale.
Vous avez des exemples concrets traduisant cette affirmation ?
Les professeurs apprennent aux élèves que Voltaire et Rousseau, et plus généralement les philosophes des Lumières, ont conduit la France à la décadence philosophique, morale et politique. L'égalité politique entre les hommes née de la Révolution n'est pas reconnue car elle est coupable, selon le corps enseignant, de niveler les gens vers le bas. Pour eux, la seule égalité qui existe est celle devant Dieu.
Il faut tout de même souligner que cette dichotomie dans l'enseignement de l'histoire fait l'objet de discussions animées chez certains élèves.
La Seconde Guerre mondiale fait-elle l'objet d'un traitement à part ?
C'est très subtil. Le général de Gaulle est considéré comme un déserteur en 1940, mais il apparaît aussi comme le vainqueur de l'Allemagne aux côtés des Alliés en 1945.
Par ailleurs, je n'ai pas constaté de révisionnisme concernant le génocide juif ni vu d'enfant se vantant de « fêter ses noces à Auschwitz », comme dans le documentaire de France 2.
Quel regard portent les prêtres et les professeurs laïcs sur leur enseignement ?
Le préfet des études dit qu'il existe à Saint-Michel « un suivi propre qui permet aux enfants de comprendre chacune des périodes jusqu'au bout, complètement ».
Un professeur d'économie admet dans le documentaire qu'un double objectif est mis en œuvre : « Former leur esprit, en leur apprenant le véritable rapport à la réalité et à la vérité. » Mais aussi « les préparer à la vie active en faisant en sorte qu'ils connaissent leur environnement ». Et qu'ils obtiennent une bonne copie au bac, ce dont ils s'acquittent. « Je leur apprends ce qu'est le politiquement correct », ajoute l'enseignant.
Sont-ils noyautés par des groupuscules d'extrême droite ?
Il est difficile de tenir un discours contre-révolutionnaire et de ne pas être approché par l'extrême droite. À Châteauroux, l'abbé Bétin (2), le directeur de l'école, veille à ne pas tomber dans ces travers, via le recrutement des professeurs laïcs. Si l'enseignement reçu est davantage religieux que politique, la frontière est pourtant mince sur le plan idéologique.
Ainsi, tel conférencier est invité pour parler de Tixier-Vignancour (NDLR : avocat et ex-candidat d'extrême droite à l'élection présidentielle de 1965). Tel autre est lié au journal « Présent ».
L'extrême droite apparaît-elle comme une voie d'engagement politique ?
À la sortie de l'école, c'est un débouché naturel et de moindre mal, car la restauration monarchique paraît irréaliste. Il ne faut pas oublier qu'ils vivent dans l'ostracisation de la République et de l'Église. La volonté du pape Benoît XVI de les réintégrer dans le giron de l'Église catholique n'est pas anodine, car cela permet de les cadrer. Le danger est représenté par une frange dure difficilement localisable et en dehors de tout contrôle.
(1) Son film sur l'école Saint-Michel n'a jamais été diffusé à la télévision.
(2) L'école Saint-Michel est aujourd'hui toujours dirigée par l'abbé Bétin.
Le réalisateur saintais Xavier Roujas a filmé durant un an dans l'Indre le quotidien d'une école gérée par la Fraternité Saint-Pie X. Entretien.
Xavier Roujas : « Si l'enseignement reçu est davantage religieux que politique, la frontière est pourtant mince sur le plan idéologique ».
Diffusé sur France 2 le 27 avril dernier, le documentaire « Les Infiltrés » s'attachait à montrer les liens existant à Bordeaux entre le groupuscule Dies Irae, l'école traditionaliste Saint-Projet et la paroisse Saint-Éloi. Si les journalistes ont filmé en caméra cachée ce milieu réputé hermétique aux médias, il est possible de réaliser un film à visage découvert. Un réalisateur saintais raconte son expérience dans une école à Châteauroux, dans l'Indre.
« Sud Ouest Dimanche ». Comment avez-vous procédé pour filmer les traditionalistes de l'école Saint-Michel de Châteauroux ?
Xavier Roujas. Je me suis fait recommander par d'anciens élèves de l'école, dont j'avais gagné la sympathie. J'ai ainsi pu filmer (1) en toute liberté en 2003 et 2004 le quotidien de l'école Saint-Michel, un établissement hors contrat scolarisant environ 150 élèves par an, de la sixième à la terminale.
Mon but était de mettre au jour les tensions existant entre l'Église de France et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), à travers les différences perceptibles dans l'enseignement professé.
Qu'avez-vous découvert ?
Une volonté farouche de redonner à la France ses racines chrétiennes et de lutter contre l'anticatholicité dont ils considèrent la République française être porteuse depuis la Révolution. On perçoit un goût de revanche sur l'air de : « Il faut sauver la France. » Ce qui les amène à être en porte-à-faux avec le monde contemporain, y compris avec les établissements privés sous contrat.
Dans le film, un prêtre indique ainsi « pousser les parents à mettre leurs enfants dans une bonne école, afin de sauver leur âme des écoles publiques et privées ».
Que reprochent-ils aux écoles privées classiques ?
D'être dirigées par des laïcs alors que Saint-Michel est régie par des prêtres. Et, sur le plan de l'enseignement, ils ne se tiennent pas au programme officiel prôné par l'Éducation nationale.
Vous avez des exemples concrets traduisant cette affirmation ?
Les professeurs apprennent aux élèves que Voltaire et Rousseau, et plus généralement les philosophes des Lumières, ont conduit la France à la décadence philosophique, morale et politique. L'égalité politique entre les hommes née de la Révolution n'est pas reconnue car elle est coupable, selon le corps enseignant, de niveler les gens vers le bas. Pour eux, la seule égalité qui existe est celle devant Dieu.
Il faut tout de même souligner que cette dichotomie dans l'enseignement de l'histoire fait l'objet de discussions animées chez certains élèves.
La Seconde Guerre mondiale fait-elle l'objet d'un traitement à part ?
C'est très subtil. Le général de Gaulle est considéré comme un déserteur en 1940, mais il apparaît aussi comme le vainqueur de l'Allemagne aux côtés des Alliés en 1945.
Par ailleurs, je n'ai pas constaté de révisionnisme concernant le génocide juif ni vu d'enfant se vantant de « fêter ses noces à Auschwitz », comme dans le documentaire de France 2.
Quel regard portent les prêtres et les professeurs laïcs sur leur enseignement ?
Le préfet des études dit qu'il existe à Saint-Michel « un suivi propre qui permet aux enfants de comprendre chacune des périodes jusqu'au bout, complètement ».
Un professeur d'économie admet dans le documentaire qu'un double objectif est mis en œuvre : « Former leur esprit, en leur apprenant le véritable rapport à la réalité et à la vérité. » Mais aussi « les préparer à la vie active en faisant en sorte qu'ils connaissent leur environnement ». Et qu'ils obtiennent une bonne copie au bac, ce dont ils s'acquittent. « Je leur apprends ce qu'est le politiquement correct », ajoute l'enseignant.
Sont-ils noyautés par des groupuscules d'extrême droite ?
Il est difficile de tenir un discours contre-révolutionnaire et de ne pas être approché par l'extrême droite. À Châteauroux, l'abbé Bétin (2), le directeur de l'école, veille à ne pas tomber dans ces travers, via le recrutement des professeurs laïcs. Si l'enseignement reçu est davantage religieux que politique, la frontière est pourtant mince sur le plan idéologique.
Ainsi, tel conférencier est invité pour parler de Tixier-Vignancour (NDLR : avocat et ex-candidat d'extrême droite à l'élection présidentielle de 1965). Tel autre est lié au journal « Présent ».
L'extrême droite apparaît-elle comme une voie d'engagement politique ?
À la sortie de l'école, c'est un débouché naturel et de moindre mal, car la restauration monarchique paraît irréaliste. Il ne faut pas oublier qu'ils vivent dans l'ostracisation de la République et de l'Église. La volonté du pape Benoît XVI de les réintégrer dans le giron de l'Église catholique n'est pas anodine, car cela permet de les cadrer. Le danger est représenté par une frange dure difficilement localisable et en dehors de tout contrôle.
(1) Son film sur l'école Saint-Michel n'a jamais été diffusé à la télévision.
(2) L'école Saint-Michel est aujourd'hui toujours dirigée par l'abbé Bétin.