SOURCE - Côme Prévigny - Christus Imperat - 17 juin 2010
Après la libération de la messe et la levée de l’excommunication, quelques esprits se disaient de manière ingénue que c’était au tour de la Fraternité Saint-Pie X de relancer la balle, comme si les actes posés dans l’histoire de l’Église n’étaient que des pas de danses ou de courtoises réciproques issues de traités de galanterie. Des expressions toutes faites furent répétées à satiété : « il faut répondre à la main tendue par le Saint Père », « l’histoire ne repasse pas les plats », « agissons tant que Benoît XVI est toujours vivant » furent à n’en point douter les phrases parvenues au top cinquante des dîners mondains de ce qu’il est convenu d’appeler le « tradiland » et, plus largement, le « catholand ». C’était oublier qu’il y a, au-dessus de ce bas monde, un Dieu qui veille avec amour sur ses fils et que ses desseins sont plus surnaturels que nos visions somme toute « hautement » naturelles, lesquelles se comptent en semaines d’impatience et en années de trépignement.
C’était également ignorer que cette Fraternité n’est rien, qu’elle n’a aucun pouvoir, ni celui de libérer les rites, ni même celui de lever les sanctions, a fortiori celui de revigorer le Magistère. Il était par conséquent illusoire de demander à ce que l’abbé de Tanoüarn dénommait avec justesse « un aiguillon dans l’Église » l’équivalent de ce qu’un pape pouvait accorder non pas à cette société mais à toutes les âmes. La messe de saint Pie V a été donnée non pas à la Fraternité (qui l’avait déjà) mais à tous les fidèles. La fin des censures a offert une bouffée d’oxygène à toute l’Église et non uniquement à une société de quelques centaines de prêtres qui, de toute manière, n’y croyaient guère.
Benoît XVI est bien moins ingénu que ces quelques penseurs manquant d'esprit surnaturel. En un troisième texte, sans doute le plus important, probablement le moins marquant, il a renvoyé dos à dos les caricaturistes et les déserteurs. Il admettait que le problème était doctrinal et que des discussions de fond étaient nécessaires. D’un seul coup de stylo, celui de sa signature, il anéantissait les espoirs d’accords pratiques, relativisant ceux du passé, annihilant ceux qui auraient pu être conclus à l’avenir. Il disait plus ou moins que si quelqu’un tient honnêtement à un discours traditionaliste cohérent, il devait passer l’épreuve de l’examen doctrinal de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. D’une certaine manière, en exigeant que les tenants de la Tradition franchissent les fourches caudines d'une interprétation contrôlée pour être conformes aux normes actuelles, il reconnaissait les limites de l’herméneutique de la continuité.
Car pendant des années, on avait occulté le passé de l’Église, fait de 1962 l’an I d’une nouvelle ère ecclésiale où on ne parlait plus de salut des âmes ou de rémission des péchés mais de pastorale, de mystère ou de solidarité. La continuité n’allait guère de soi et elle restait à prouver. Un Concile qui fut si couramment présenté comme une révolution, un bouleversement ou un renversement n’apparaissait guère comme la confirmation de deux mille ans d’histoire mais bel et bien comme leur contestation. Aussi n’est-il pas étonnant que ceux qui voulaient désormais gommer son caractère novateur et en faire tout au plus un accident de parcours pour le conformer à ce qui avait précédé soient l’objet de la réprobation la plus totale du monde et de ses vecteurs.
Les fameuses discussions doctrinales dont on parle tant et dont on se sait rien doivent donc constituer un rendez-vous autrement plus important que le règlement du sort d’une poignée de traditionalistes. Elles marquent le premier essai solennel de raccord doctrinal entre le Concile et le Magistère précédent. C’est par exemple Nostra Aetate à la lumière de Mortalium Animos. Jusque là, on avait accordé les examens à « la lumière de la Tradition » au seul Mgr Lefebvre comme s’il était naturel que d’autres évêques de l’Église puissent lire le Concile avec d'autres torches, aussi hétéroclites que peuvent l'être la Déclaration des droits de l’homme ou l’oracle médiatique. C’est pourtant les luminions auxquels on recourt habituellement dans bien des officines diocésaines pour observer le passé comme le futur.
Mais le plus époustouflant dans cet épisode ratzinguérien est que la moitié des voix d’un résultat qui engagera l’Église demain se trouve aujourd’hui entre les mains des disciples de feu Mgr Marcel Lefebvre. Chez ceux qui ne participent pas aux colloques du palais du Saint-Office, on a facilement discrédité çà et là les capacités théologiques de tel ou tel intervenant, de part et d’autre. Il apparaît pourtant que les intéressés conversent et s’écoutent et que, au bout de dix mois, nul n’a été remplacé. D’emblée, tous se mirent d’accord pour faire du Magistère ante-conciliaire la référence pour examiner les textes de Vatican II et les écrits qui les ont suivis. Si l’exercice est habituel chez les experts nommés par Mgr Fellay, on doit reconnaître que le travail peut s’avérer difficile, du moins plus délicat chez ceux pour qui, depuis leur formation, le Concile est comme l’alpha et l’omega de toute pensée dans l’Église.
Sur ces entrefaites, Mgr Brunero Gherardini a publié un ouvrage sur Vatican II. Pour lui, le débat devait être réouvert. Le seul titre du livre conteste à lui seul le fait de faire du Concile une affaire entendue, dont seule l’application serait sujette à caution. A le suivre, la continuité ne va sans doute pas de soi et il serait alors franc de faire de la clarté dans un texte qui « ne peut prétendre à la qualité d’un concile dogmatique ». Dans le détail du livre, on trouvera toujours des éléments qui ne feront pas l’unanimité. Sur un champ de bataille, qui pourra brandir un étendard dénué de tache ? Toujours est-il que la thèse de Mgr Lefebvre qui consistait à faire de Vatican II un concile pastoral excluant par là même toute intention de définition, qui était encore moquée il y a quelques années, même par ceux qui se disaient proches de sa mouvance, se trouve aujourd’hui invoquée par le doyen en théologie de la plus prestigieuse des universités romaines.
Oublier le Concile ? le disqualifier ? le désamorcer ? ou tout simplement le remettre à sa place, toutes ces options qui réuniront le plus frileux des traditionalistes jusqu’au plus modéré des ratzinguériens trouvent leur clef dans cette thèse de la « pastoralité » abordée par Mgr Lefebvre. « L’enseignement [de Vatican II] ne peut être dit infaillible et irréformable que là où se trouve un enseignement défini précédemment » dit Mgr Gherardini. Même Romano Libero, de Golias, commente : « Autrement dit, sur les points controversés comme celui du droit à la liberté religieuse, l’autorité la plus forte du Magistère de l’Eglise n’est pas engagée. Les positions avancées peuvent donc être discutées et contestées dans le cadre même de la plus stricte fidélité au Magistère. »
Ainsi donc, cet acte III ne dépend pas de la Fraternité Saint-Pie X, mais essentiellement du pape. Il ne s’agit pas de faire du révisionnisme. Vatican II a bel et bien existé. Il s’agit de remettre un concile à la place que lui avaient désignée ses initiateurs : ni un super-dogme, ni un concile dogmatique, mais un texte pastoral des évêques des années 1960. Les pères, dans leur volonté de tout révolutionner, et à leur suite clercs et médias, ont trop habitué les mentalités à la rupture qui affleure partout dans le texte. Le rapport du texte conciliaire avec le Magistère antécédent relève du principe des vases communiquants. Celui qui se réclame de l'un est comme conduit à occulter l'autre. Or, il faudra bien un jour que l'Eglise se réapproprie pleinement sa Tradition. Là encore, l’étape sera d’un retentissement spectaculaire, mais elle ne dépend que du courage d’un souverain pontife, non du bon vouloir d’une poignée de traditionalistes. Il lui faut même un courage hors du commun, car, dans ces conditions, la persécution médiatique ne risque pas de s’amoindrir. Si donc le bon vouloir de ces quelques rangs n’est pas tant requis, leurs prières et leurs sacrifices sont exigés de manière incontournable.
Côme Prévigny
Après la libération de la messe et la levée de l’excommunication, quelques esprits se disaient de manière ingénue que c’était au tour de la Fraternité Saint-Pie X de relancer la balle, comme si les actes posés dans l’histoire de l’Église n’étaient que des pas de danses ou de courtoises réciproques issues de traités de galanterie. Des expressions toutes faites furent répétées à satiété : « il faut répondre à la main tendue par le Saint Père », « l’histoire ne repasse pas les plats », « agissons tant que Benoît XVI est toujours vivant » furent à n’en point douter les phrases parvenues au top cinquante des dîners mondains de ce qu’il est convenu d’appeler le « tradiland » et, plus largement, le « catholand ». C’était oublier qu’il y a, au-dessus de ce bas monde, un Dieu qui veille avec amour sur ses fils et que ses desseins sont plus surnaturels que nos visions somme toute « hautement » naturelles, lesquelles se comptent en semaines d’impatience et en années de trépignement.
C’était également ignorer que cette Fraternité n’est rien, qu’elle n’a aucun pouvoir, ni celui de libérer les rites, ni même celui de lever les sanctions, a fortiori celui de revigorer le Magistère. Il était par conséquent illusoire de demander à ce que l’abbé de Tanoüarn dénommait avec justesse « un aiguillon dans l’Église » l’équivalent de ce qu’un pape pouvait accorder non pas à cette société mais à toutes les âmes. La messe de saint Pie V a été donnée non pas à la Fraternité (qui l’avait déjà) mais à tous les fidèles. La fin des censures a offert une bouffée d’oxygène à toute l’Église et non uniquement à une société de quelques centaines de prêtres qui, de toute manière, n’y croyaient guère.
Benoît XVI est bien moins ingénu que ces quelques penseurs manquant d'esprit surnaturel. En un troisième texte, sans doute le plus important, probablement le moins marquant, il a renvoyé dos à dos les caricaturistes et les déserteurs. Il admettait que le problème était doctrinal et que des discussions de fond étaient nécessaires. D’un seul coup de stylo, celui de sa signature, il anéantissait les espoirs d’accords pratiques, relativisant ceux du passé, annihilant ceux qui auraient pu être conclus à l’avenir. Il disait plus ou moins que si quelqu’un tient honnêtement à un discours traditionaliste cohérent, il devait passer l’épreuve de l’examen doctrinal de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. D’une certaine manière, en exigeant que les tenants de la Tradition franchissent les fourches caudines d'une interprétation contrôlée pour être conformes aux normes actuelles, il reconnaissait les limites de l’herméneutique de la continuité.
Car pendant des années, on avait occulté le passé de l’Église, fait de 1962 l’an I d’une nouvelle ère ecclésiale où on ne parlait plus de salut des âmes ou de rémission des péchés mais de pastorale, de mystère ou de solidarité. La continuité n’allait guère de soi et elle restait à prouver. Un Concile qui fut si couramment présenté comme une révolution, un bouleversement ou un renversement n’apparaissait guère comme la confirmation de deux mille ans d’histoire mais bel et bien comme leur contestation. Aussi n’est-il pas étonnant que ceux qui voulaient désormais gommer son caractère novateur et en faire tout au plus un accident de parcours pour le conformer à ce qui avait précédé soient l’objet de la réprobation la plus totale du monde et de ses vecteurs.
Les fameuses discussions doctrinales dont on parle tant et dont on se sait rien doivent donc constituer un rendez-vous autrement plus important que le règlement du sort d’une poignée de traditionalistes. Elles marquent le premier essai solennel de raccord doctrinal entre le Concile et le Magistère précédent. C’est par exemple Nostra Aetate à la lumière de Mortalium Animos. Jusque là, on avait accordé les examens à « la lumière de la Tradition » au seul Mgr Lefebvre comme s’il était naturel que d’autres évêques de l’Église puissent lire le Concile avec d'autres torches, aussi hétéroclites que peuvent l'être la Déclaration des droits de l’homme ou l’oracle médiatique. C’est pourtant les luminions auxquels on recourt habituellement dans bien des officines diocésaines pour observer le passé comme le futur.
Mais le plus époustouflant dans cet épisode ratzinguérien est que la moitié des voix d’un résultat qui engagera l’Église demain se trouve aujourd’hui entre les mains des disciples de feu Mgr Marcel Lefebvre. Chez ceux qui ne participent pas aux colloques du palais du Saint-Office, on a facilement discrédité çà et là les capacités théologiques de tel ou tel intervenant, de part et d’autre. Il apparaît pourtant que les intéressés conversent et s’écoutent et que, au bout de dix mois, nul n’a été remplacé. D’emblée, tous se mirent d’accord pour faire du Magistère ante-conciliaire la référence pour examiner les textes de Vatican II et les écrits qui les ont suivis. Si l’exercice est habituel chez les experts nommés par Mgr Fellay, on doit reconnaître que le travail peut s’avérer difficile, du moins plus délicat chez ceux pour qui, depuis leur formation, le Concile est comme l’alpha et l’omega de toute pensée dans l’Église.
Sur ces entrefaites, Mgr Brunero Gherardini a publié un ouvrage sur Vatican II. Pour lui, le débat devait être réouvert. Le seul titre du livre conteste à lui seul le fait de faire du Concile une affaire entendue, dont seule l’application serait sujette à caution. A le suivre, la continuité ne va sans doute pas de soi et il serait alors franc de faire de la clarté dans un texte qui « ne peut prétendre à la qualité d’un concile dogmatique ». Dans le détail du livre, on trouvera toujours des éléments qui ne feront pas l’unanimité. Sur un champ de bataille, qui pourra brandir un étendard dénué de tache ? Toujours est-il que la thèse de Mgr Lefebvre qui consistait à faire de Vatican II un concile pastoral excluant par là même toute intention de définition, qui était encore moquée il y a quelques années, même par ceux qui se disaient proches de sa mouvance, se trouve aujourd’hui invoquée par le doyen en théologie de la plus prestigieuse des universités romaines.
Oublier le Concile ? le disqualifier ? le désamorcer ? ou tout simplement le remettre à sa place, toutes ces options qui réuniront le plus frileux des traditionalistes jusqu’au plus modéré des ratzinguériens trouvent leur clef dans cette thèse de la « pastoralité » abordée par Mgr Lefebvre. « L’enseignement [de Vatican II] ne peut être dit infaillible et irréformable que là où se trouve un enseignement défini précédemment » dit Mgr Gherardini. Même Romano Libero, de Golias, commente : « Autrement dit, sur les points controversés comme celui du droit à la liberté religieuse, l’autorité la plus forte du Magistère de l’Eglise n’est pas engagée. Les positions avancées peuvent donc être discutées et contestées dans le cadre même de la plus stricte fidélité au Magistère. »
Ainsi donc, cet acte III ne dépend pas de la Fraternité Saint-Pie X, mais essentiellement du pape. Il ne s’agit pas de faire du révisionnisme. Vatican II a bel et bien existé. Il s’agit de remettre un concile à la place que lui avaient désignée ses initiateurs : ni un super-dogme, ni un concile dogmatique, mais un texte pastoral des évêques des années 1960. Les pères, dans leur volonté de tout révolutionner, et à leur suite clercs et médias, ont trop habitué les mentalités à la rupture qui affleure partout dans le texte. Le rapport du texte conciliaire avec le Magistère antécédent relève du principe des vases communiquants. Celui qui se réclame de l'un est comme conduit à occulter l'autre. Or, il faudra bien un jour que l'Eglise se réapproprie pleinement sa Tradition. Là encore, l’étape sera d’un retentissement spectaculaire, mais elle ne dépend que du courage d’un souverain pontife, non du bon vouloir d’une poignée de traditionalistes. Il lui faut même un courage hors du commun, car, dans ces conditions, la persécution médiatique ne risque pas de s’amoindrir. Si donc le bon vouloir de ces quelques rangs n’est pas tant requis, leurs prières et leurs sacrifices sont exigés de manière incontournable.
Côme Prévigny