SOURCE - Anthony Hernandez - Le Monde - 19 avril 2011
Dimanche 17 avril, l'œuvre de l'artiste américain Andres Serrano Piss Christ a été vandalisée à coups de marteau dans les locaux de la collection Lambert à Avignon (lire notre article sur la destruction du Piss Christ). Mettant en scène un crucifix baignant dans un bain de sang et d'urine, la photographie avait déclenché une campagne de mobilisation dans les mouvements catholiques intégristes.
Tête de pont de la protestation, l'institut Civitas, en collaboration avec plusieurs associations et sites catholiques (Catholiques en campagne, E-deo, Salon beige, Observatoire de la christianophobie...) avait appelé à manifester samedi à Avignon pour dénoncer l'exposition de ces œuvres jugées sacrilèges. Un millier de personnes avaient répondu à l'appel. Selon des témoins, les auteurs des faits de vandalisme à la collection Lambert se seraient trouvés parmi ces manifestants.
L'institut Civitas se présente sur son site Internet comme "une œuvre de reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France" militant pour "l'instauration de la royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples". Joint par LeMonde.fr, son secrétaire général, Alain Escada, précise la nature et les objectifs de Civitas. "Nous sommes un mouvement catholique visant à restaurer une France catholique, à orienter les décisions politiques et les lois selon une vision catholique", explique-t-il. S'il dénie à son mouvement une quelconque ambition politique – "Civitas n'est pas un parti" – Alain Escada reconnaît un désir "d'influencer le monde politique" et plus généralement les décideurs.
"POUR LE TRIOMPHE DU CHRIST-ROI"
L'abbé Régis de Cacqueray, l'un des dirigeants du mouvement, appelle cependant les catholiques à un engagement municipal à l'occasion des élections de 2014 "pour le triomphe du Christ-Roi". "Nous souhaitons qu'il puisse résulter des élections de 2014 la conquête de quelques dizaines de petites mairies par des maires et des élus vraiment catholiques et soucieux de l'extension du règne de Notre Seigneur Jésus-Christ", plaide-t-il.
A côté de ce désir de lutter contre ce qu'il considère comme "la déchristianisation de la France", Civitas entend également lutter contre la "christianophobie". Selon Alain Escada, il existe "un véritable recul de la visibilité des catholiques doublé d'une offensive visant à les moquer". Très vite, son constat s'oriente sur le traitement prétendu "préférentiel" de l'islam. "Le débat sur la laïcité nous amène à une duplicité qui installe l'islam en France et qui efface les racines chrétiennes", explique-t-il. Selon lui, il n'y aurait qu'"un vernis de contestation de l'islam à travers la remise en cause de la burqa".
Pour le politologue Jean-Yves Camus, le discours qui évoque un traitement différencié des religions en France n'est pas neuf. Mais derrière ce combat, "c'est la soumission de l'ordre politique à l'ordre chrétien qui est l'objectif". L'institut Civitas est lié, selon ce spécialiste de l'extrême droite, aux catholiques intégristes de la mouvance lefebvriste. Il considère Alain Escada comme "la vitrine, le simple porte-parole" du mouvement. "J'ai connu ce citoyen belge en tant que patron d'une petite librairie d'extrême droite à Bruxelles. C'est un personnage sans grande envergure et l'on peut affirmer sans s'avancer qu'il n'est pas la tête pensante de Civitas", témoigne Jean-Yves Camus.
UNE MOUVANCE COMPOSÉE NOTAMMENT D'UNIVERSITAIRES ET DE MILITAIRES
C'est en revanche dans les cercles beaucoup plus classique du militantisme intégriste que l'institut puise ses forces vives. "On retrouve parmi les soutiens de cette mouvance des personnes issues des milieux universitaires et militaires", affirme-t-il. Le président de l'institut n'est autre que l'amiral François de Penfentenyo.
La composition du comité de parrainage à l'hommage national à Jeanne d'Arc organisé par Civitas, le 8 mai à Paris, donne d'autres indications sur les personnalités proches du mouvement. On y trouve des gens parfois d'un haut niveau intellectuel et qui ont un long passé de militant, comme le relève Jean-Yves Camus : "Michel Olagnon est le président de la Fédération des scouts et guides Godefroy de Bouillon. Michel Fromentoux, qui milite aussi depuis les années 70, est un royaliste bien connu, rédacteur en chef de L'Action française 2000. On peut également évoquer Aymeric Chauprade, géopoliticien."
"Sans cautionner ni condamner" la destruction de l'œuvre d'Andres Serrano, Alain Escada admet comprendre l'acte comme symbole de "l'exaspération issue d'une obstination à perséverer dans l'insulte au sacré" mais insiste sur "le caractère légal" des actions de son mouvement. Un brin perfide, Escada glisse que "cette destruction vient à point nommé pour faire la publicité de cette collection", tout en se défendant d'avoir cherché à attirer l'attention sur Civitas avec les manifestations à Avignon : "Nous ne sommes pas demandeurs de cette médiatisation. Ce n'est pas notre méthode."
Jean-Yves Camus confirme : "La mouvance catholique intégriste se caractérise par sa grande capacité de mobilisation. Ils mènent énormément d'actions qui ne défrayent pas forcément toujours la chronique", explique-t-il. Mais à l'heure du débat sur la laïcité, l'affaire du Piss Christ a, aux yeux de Jean-Yves Camus, au moins un mérite : "Cela montre qu'il est aussi urgent de s'intéresser à ce genre d'énergumènes qu'aux prières dans les rues..."
Anthony Hernandez