SOURCE - Disputationes theologicae - publié en deux parties, dont la seconde le 28 avril 2011
Dans le cadre de la dispute théologique soulevée par notre récent éditorial, nous nous trouvons dans l’obligation, comme d’ailleurs l’exige le but de notre revue, de répondre à certaines interrogations et à certaines objections violentes, parfois même très violentes (signe probable que le problème dénoncé est tout-à-fait réel) cependant toujours privées de signature.
Il semblerait en effet que ni l’amour de la vérité des défenseurs acharnés d’un traditionalisme « dur », ni le désir d’unité des partisans d’un « œcuménisme de la Tradition » libéral n’a suffit pour susciter chez les uns ou les autres le courage d’une signature.
Il faut aussi observer la convergence singulière de ces deux pôles apparemment opposés, mais en réalité unis quant à leur aversion envers la position théologique et ecclésiale, clairement déclarée, qui a été exprimée ici.
Face à cette attitude nous voulons attirer l’attention sur une « troisième voie ».
On peut être “romain” et exprimer du respect – même verbal – envers l’autorité ecclésiastique, mais on doit exprimer son propre désaccord publiquement, quand un danger pour la doctrine de la Foi le réclame.
Dans un effort de synthèse, nous résumons ici les différentes interventions, certaines d’ordre théologique, les autres de type pratico-politique mais avec des renvois théologiques, en cherchant en même temps à montrer les contours de cette troisième voie dont nous avons fait mention dans le titre.
Objections théologiques :
1) La position de votre revue se réduit, comme celle de tous les Ecclesia Dei, à la défense du texte conciliaire, en soutenant que, dans les textes de Vatican II, tout est absolument et indistinctement obligatoire, et doit être interprété dans l’herméneutique de la continuité ;
2) Vous avez attaqué le néothomisme des années 30, car désormais votre position théologique est celle de la nouvelle vague, méprisant la rigueur de cette pensée, avec laquelle on mélange les nouveautés modernistes ;
3) Vous vous êtes soumis visiblement et canoniquement à une autorité qui convoque la rencontre à Assise ; donc vous êtes de façon implicite, favorables à l’actuel œcuménisme. L’unique solution fidèle aurait été votre rupture avec les autorités ecclésiastiques ;
4) Vous ne dénoncez pas avec suffisamment de conviction l’œcuménisme et Assise III.
Objections de caractère pratico-politique :
5) Vous avez accusé la Fraternité d’être schismatique ;
6) Les accords doctrinaux entre les théologiens romains et ceux d’Ecône se déroulent bien et les responsables en sont satisfaits ;
7) La preuve en est qu’il y aura bientôt un Ordinariat personnel ;
8) Les Instituts Ecclesia Dei, en oubliant la parabole de l’enfant prodigue, ne veulent pas d’accord entre Rome et la Fraternité ;
Nous allons répondre en nous basant tout d’abord sur une donnée théologique, ensuite sur une donnée pratique. Dans un perspective réaliste, nous maintiendrons la primauté du vrai sur l’utile, sans mépriser « l’art politique », au sens aristotélicien du terme, et surtout – comme le disait Mgr Lefebvre lui-même - en tenant compte des nuances de la réalité, qui demeurent irréductibles à une sorte « d’affolement idéologiste »
1) C’est sur les normes théologiques classiques d’évaluation que nous nous basons pour exprimer une position d’approbation ou de désaccord par rapport à un argument théologique qui n’a pas été défini infailliblement ou qui est de toute façon susceptible d’être approfondi.
Le Code de Droit Canon souligne lui-même la « juste liberté de recherche comme aussi d’expression prudente de ses opinions dans le respect du Magistère de l’Eglise » (can. 218). En effet la Commission Pontificale Ecclesia Dei est un organe canonico-juridique, et non un organe qui aurait ses « propres » positions théologiques, comme le soutiennent et un certain traditionalisme « intransigeant » et l’Osservatore Romano... En outre, il est bien connu (cela se trouve même dans les Statuts de l’Institut du Bon Pasteur dont fait partie le directeur de ce site libre), que nous ne soutenons pas l’absolue intangibilité des textes d’un tel Concile pastoral. Ils peuvent être revus par Celui qui détient l’autorité suprême dans l’Eglise. Il s’agit en effet de textes qui ne jouissent ni de l’infaillibilité du Magistère extraordinaire infaillible, ni de celle du Magistère ordinaire infaillible dans toutes leurs affirmations. En ce qui concerne la possibilité d’une telle perspective, il suffit de lire la « note théologique » du Concile du 16 Novembre 1964 (Denz. 4350 et suivants). Mgr Gherardini s’est exprimé sur ce même site avec une clarté suffisante sur le sujet. Nous voulons toutefois ajouter qu’il serait réductif de limiter la critique aux textes du Concile, (critique souvent trop exaspérée et fort idéologique) le problème étant bien plus vaste.
2) Nous n’avons pas renié le néothomisme, tout au contraire, nous continuons à regarder avec beaucoup de respect l’“Ecole”, même celle dite des « commentateurs ». On se demande parfois si ceux qui soulèvent ce genre de critiques lisent avec attention et objectivité nos éditoriaux. Nous avons simplement fait mention du jugement facile contre le néothomisme qui a été porté du côté du Vatican. Nous somme toutefois de l’avis que la perspective doit être élargie, sans absolutiser le néothomisme, et cela pour éviter le jeu facile de certains théologiens modernes qui voudraient considérer comme une « querelle d’école » ce qui mérite d’être simplement jugé comme une « erreur de doctrine ». Si ces problèmes et ces accusations faciles ont pu être soulevés des deux côtés, c’est justement parce que les colloques doctrinaux ont été mal agencés.
3) Le seul fait d’être canoniquement et donc visiblement soumis au Romain Pontife et aux Evêques en communion avec lui ne signifie pas souscrire et partager tous et chacun des actes non-infaillibles que l’autorité produit ou subit, propose ou semble proposer.
Cela ne signifie rien d’autre que respecter la constitution divine de l’Eglise, tout en se réservant la faculté d’exprimer respectueusement son propre dissentiment, lorsqu’il est théologiquement compatible avec les matières en question. Ce que nous affirmons c’est surtout un principe théologique, et de loi naturelle : ce qui règle et éventuellement permet la résistance à la pleine soumission à la hiérarchie, est l’imposition d’un ordre moralement inacceptable ; au contraire, le fait que la hiérarchie fasse ou dise des choses qu’on ne peut pas partager, n’autorise pas à étendre la résistance à une dimension habituelle ou universelle.
4) Pour ce qui concerne la dénonciation de dérives œcuméniques : lorsque l’Osservatore Romano dans un article signé par Renzo Gattegna a dit que l’Eglise devait renoncer à convertir les juifs, notre revue a souscrit une dénonciation publique présentée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, déjà en Décembre 2010 (un mois avant l’annonce d’Assise III), et a ensuite publié un article à ce sujet.
Jusqu’à présent il n’est pas venu à notre connaissance que ceux qui ont si durement critiqué notre supposé « silence », aient su prendre position face à un épisode si grave. Face à l’évidence d’une affirmation ouvertement en contraste avec la doctrine catholique, notre position est celle de dénoncer de telles erreurs en matière de foi sans aucune réticence. Quant à Assise III, nous demeurons fort contraires aux rencontres interreligieuses, c’est notre position, elle est publique et connue par le Saint Père comme par l’Eglise en général. Cependant, connaissant la pensée du Card. Ratzinger à l’époque et ses affirmations sur l’impact désastreux de ces événements, nous attendons les événements pour mieux voir quelle est, dans la « mens » du Pape, la véritable motivation d’une telle rencontre. Peut-être est-elle liée, bien plus qu’on ne le croit, à l’actuel équilibre international ou à des équilibres internes au monde ecclésiastique. En considérant la complexité de la situation, les commentaires, et surtout certaines épithètes réservées au Successeur de Pierre qu’on peut trouver sur les sites du milieu traditionnel nous semblent inopportuns.
Il est d’ailleurs impossible de comprendre la logique de ceux qui veulent soutenir que les colloques théologiques entre Ecône et Rome vont bien, tout en affirmant l’indicible gravité de la future rencontre d’Assise III ; en effet, en raison du caractère « doctrinal » qu’on a voulu donner à de telles rencontres, si ces dernières se passent bien cela signifie que dans les faits, l’actuel œcuménisme ne pose pas de problèmes aux interlocuteurs.
Réponse aux objections d’ordre pratique et politique:
1) Nous n’avons jamais soutenu que la Fraternité Saint Pie X soit schismatique ou qu’elle l’ait été ; nous avons dit qu’il y a en elle des tendances en ce sens, et qui ne semblent point diminuer. Cela même aurait du suggérer à Mgr Fellay d’accepter, il y a quelques années déjà, l’accord proposé par Rome. Un accord qui n’était pas « inacceptable » et qui aurait lentement estompé les excès de « petite église » qu’on constate dans la Fraternité. Cependant, c’est un fait qu’il y a encore des représentants de la Fraternité qui s’expriment avec une attitude gravement schismatique. Nous renvoyons pour cette question à l’étude de M. l’abbé Ch. Héry, « Non lieu sur un schisme » (2005), dont nous partageons largement les conclusions.
2) Les accords doctrinaux, tels qu’ils avaient été décrits par Son Exc. Mgr de Galarreta, chef de la délégation de la Fraternité, ont échoué.
L’évêque espagnol avait dit en effet le 19 décembre 2009, au cours d’une fameuse homélie prononcée à la Reja, que la délégation allait à Rome « simplement pour donner un témoignage de la foi » où encore « nous allons là-bas pour prêcher – comme ce que je suis en train de faire ici » (!). A une telle attitude, qui reste difficile à partager, il ajoutait une autre déclaration péremptoire : « nous savons en revanche très clairement ce que nous n’avons pas l’intention de faire, en aucune manière : premièrement céder sur la doctrine et deuxièmement faire un accord purement pratique »[1]. Remarquons que si Ecône n’a pas cédé sur la doctrine catholique, en soi elle a bien fait ; si elle décidait d’accepter l’idée d’un accord pratique, ou en substance canonique (pourvu que cela soit encore réalisable, vu les résistances externes et internes qui se sont développées entretemps), ce serait mieux encore. Mais accepter un accord pratique voudrait dire qu’il y a eu un changement de position par apport aux déclarations susmentionnées faites à La Reja ; un changement par rapport au sermon du 2 février 2010 de S. Exc. Mgr Fellay à Flavigny ; par rapport au contenu du livre de Mgr Tissier, L’étrange théologie de Benoit XVI, (sur lequel mieux vaut étendre un voile pudique) ; par rapport à ce qui a été soutenu par le Supérieur du district de France, M. l’abbé de Caqueray, à savoir l’impossibilité de toute « communicatio in sacris » avec les prêtres soumis au Pape et aux évêques diocésains ; et surtout un changement par rapport à la déclaration officielle qui a suivi le dernier Chapitre de la FSSPX (2006), déclaration qui définissait explicitement comme “impossible” un accord pratique sans conversion préalable de Rome. Si un tel changement a eu lieu, nous nous en réjouissons, mais il serait du moins sérieux et honnête de le déclarer publiquement.
3) Si la Fraternité doit procéder à un tel accord, en acceptant un « Ordinariat personnel », ce serait certes un acte de sagesse et de romanité. Mais dans ce cas, elle devra aussi faire preuve d’humilité, en reconnaissant honnêtement que bien des affirmations de ces dix dernières années au sujet de la “conversion préalable” de Rome, chez qui on allait seulement pour prêcher la vérité, étaient totalement déplacées. L’éventuelle acceptation d’un ordinariat personnel pourrait ne pas être en contradiction avec l’échec des colloques doctrinaux, mais elle pourrait signifier simplement qu’on a opté pour l’« accord pratique », jusqu’à présent méprisé et exclu de façon catégorique.
Il faut ajouter que la proposition d’un « Ordinariat personnel » (ou une structure équivalente) ne sera pas le résultat du succès des accords doctrinaux, mais plutôt une proposition de Rome déjà ancienne, et qui n’a jamais été retirée, remontant à 2001-2002 (nous espérons que les conditions posées par Rome soient toujours aussi restreintes qu’elles ne l’étaient à cette époque, et qu’elles ne sont pas devenues plus exigeantes – comme semblerait pourtant l’indiquer la « Note Officielle » de la Secrétairerie d’Etat du Vatican de février 2009). Cette vieille proposition, tout-à-fait acceptable (car ne contenant aucune exigence « doctrinale », si ce n’est l’acceptation de l’autorité du Pape), avait déjà été refusée par Mgr Fellay, au temps où on désignait cette proposition canonique sous le nom d’« Administration Apostolique personnelle». Le refus de cette proposition avait été communiqué à la presse au mois de Janvier 2006 (La Croix du 13 Janvier 2006). Si aujourd’hui il est devenu plus difficile d’accepter un tel accord, ou si le prix à payer est plus élevé à cause d’énormes résistances internes, il serait juste que Mgr Fellay assume la responsabilité d’avoir été lui-même l’une des causes principales de cette aversion : après avoir méprisé avec insistance une telle solution canonique, il serait malvenu de l’entendre reprocher aux fidèles et aux prêtres de l’avoir écouté.
Il est certes vrai, par exemple, qu’il est difficile de trouver une solution « moyenne » au sujet de la Déclaration (non infaillible) « Dignitatis Humanae » n. 2, mais il est évident d’autre part que le Souverain Pontife, en ce moment historique, peut difficilement imposer une nouvelle formulation du texte conciliaire, même si en principe il garde la faculté de le faire. Et Rome, pourtant, avait proposé à l’époque à la FSSPX d’accompagner sa régularisation canonique et sa déclaration d’acceptation du « Concile à la lumière de la Tradition » de l’institution d’une Commission bilatérale de discussion sur les points controversés de Vatican II, signe évident que le jugement sur ces points restait ouvert. Il reste à voir si aujourd’hui cela est encore le cas.
4) Nous n’avons point oublié la parabole de l’ « enfant prodigue », auquel le père réserve l’accueil le plus chaleureux, au point que nous avons écrit que si la Fraternité fait honnêtement un accord, tout le monde l’attend les bras ouverts : on se demande parfois si nos critiques ont lu ce qu’ils critiquent ou s’ils veulent seulement jeter de la fumée aux yeux. A la limite, cette parabole nous paraît même offensive pour la Fraternité, parce que celle-ci n’est pas sortie de l’Eglise, ni ne doit demander pardon – le lynchage subi par Mgr Lefebvre a été injuste – pour chacune des souffrances subies lorsqu’elle était « hors de la maison ». Nous avons au contraire toujours soutenu que cet état des choses, pendant un certain temps, a été justifié ; il était réellement justifié par l’ « état de nécessité », lequel – par définition – ne dure pas indéfiniment. De l’« enfant prodigue », par contre, elle devrait assumer au moins l’attitude humble et filiale envers le Pape et démentir publiquement certaines affirmations, en particulier les aberrantes théories eucharistiques de M. l’abbé de Caqueray et les violentes accusations contre Saint Père portées par Mgr Tissier. On nous objectera que la plupart des prêtres de la Fraternité ne partagent pas ces exagérations. Très bien. Alors que la partie « romaine » de la Fraternité trouve le courage de s’exprimer et de démentir de tels égarements. Jusqu’à présent aucune voix ne s’est levée contre l’inconcevable doctrine qui refuse, ipso facto, la « communicatio in sacris » avec les instituts Ecclesia Dei. L’essentiel de la question est que l’éventuel retour, pour ainsi dire, se fasse dans la vérité. Si l’on croit réellement à son primat.
Pour résumer, nous confirmons ce que nous avons déjà écrit. Les colloques doctrinaux, cela est évident, n’ont pas apporté le résultat qu’on leur avait fixé. On peut cependant – et on doit – accepter l’accord canonique, qui, nous en sommes persuadés, sera un bien pour tous. Si les autorités de la Fraternité ne veulent pas de l’« administration personnelle » déjà refusée en 2006, ou de l’« ordinariat personnel » – comme on dit aujourd’hui –, parce qu’ils attendent la solution aux problèmes du Concile, comme l’a déclaré Mgr de Galarreta, qu’ils le disent de façon non équivoque, une fois pour toute. La pire perspective, qui malheureusement n’est pas encore exclue, serait celle de renvoyer « sine die » la résolution de la question, en conservant une position ambigüe. Si Rome veut poser d’ici peu un ultimatum de ce genre – ce n’est une nouveauté, elle propose de la faire depuis dix ans – cela sera le signe que le Saint-Siège ne renonce pas à l’autorité qui lui revient ; cependant, il faudra reconnaître en même temps que la plupart des questions théologico-doctrinales restent encore ouvertes.
[1] http://www.dici.org/actualites/un-jugement-de-mgr-de-galarreta-sur-les-entretiens-doctrinaux/