SOURCE - Abbé Karl Stehlin - Nouvelles de Chrétienté n°127 - janvier / février 2011
L’abbé Karl Stehlin est responsable de l’apostolat de la Fraternité Saint-Pie X dans les pays de l’Est de l’Europe. Résidant en Pologne, au prieuré de Varsovie, il dessert avec ses confrères la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie, la Biélorussie, la Russie et l’Ukraine.Quelle est la situation de la Tradition dans les pays dont vous avez la charge ?
La situation est très différente dans chacun des pays, ce sont des mondes qui n’ont parfois rien à voir entre eux. Nous sommes installés en Pologne depuis 1994. Nous avons pu y ouvrir 2 prieurés, 12 chapelles, et 2 églises. Sous le pontificat de Jean-Paul II, nous avons éprouvé beaucoup de difficultés car les Polonais étaient sentimentalement très attachés au pape polonais. Et étant donné qu’il était contre nos activités, nous n’avons pu toucher qu’un petit nombre de gens. Ces rares fidèles avaient compris la crise de l’Eglise grâce à un travail intellectuel très poussé. Il faut dire qu’en Pologne, et dans tous les pays de l’Est en général, le catholicisme n’est pas aussi atteint qu’à l’Ouest. Il y a encore beaucoup de traditions et de dévotions populaires. C’est évidemment une très bonne chose, mais le revers de la médaille est que le peuple a parfois des difficultés à comprendre le combat de la Fraternité Saint-Pie X pour la Tradition. Seules les personnes érudites, lettrées, arrivent par leurs lectures et leurs réflexions à comprendre notre position. Mais les choses changent depuis la mort de Jean-Paul II et aussi depuis le Motu Proprio. Nous avons fait un gros effort de publication. Nous avons édité plus d’une centaine de livres en polonais, surtout les encycliques de papes. Et cela a porté des fruits. Notre prieuré de Varsovie réunit chaque dimanche à peu près 350 fidèles. Entre temps, nous avons pu ouvrir une maison de retraite où nous prêchons 8 fois par an des retraites de saint Ignace et des retraites mariales. Nous avons également ouvert une école primaire et dernièrement une école secondaire qui va jusqu’au baccalauréat. Nous sommes 8 prêtres et 4 frères oeuvrant dans 2 prieurés en Pologne.Qu’en est-il des Pays Baltes ?
La situation est très différente car il y a beaucoup de protestants. Nous avons un prieuré en Lituanie, avec 3 prêtres et nous desservons une chapelle dans chacun des pays Baltes. Certes, le nombre des fidèles est moins important qu’en Pologne, mais nous faisons beaucoup d’efforts pour que cela change.Avez-vous pu ouvrir des chapelles en Russie ?
L’apostolat en Biélorussie et en Russie est beaucoup plus difficile encore. La situation politique ne permet pas à l’Eglise catholique de se développer, et surtout, il faut le dire, on n’y veut pas de la Tradition. Nous connaissons donc de grosses difficultés pour avoir ne serait-ce qu’une permanence dans ces pays. Malgré cela, en Biélorussie, nous desservons une chapelle depuis 15 ans, à Minsk, la capitale.Quels obstacles politiques rencontrez-vous en Russie ?
Le plus difficile est essentiellement d’obtenir des visas, un permis de séjour. Mais même avec ce permis de séjour, nous n’avons pas le droit de faire de l’apostolat en public. Nous sommes étroitement surveillés par les services de renseignements de l’Etat. Et nous sommes bloqués dès que nous souhaitons faire un apostolat à l’extérieur.Il n’y a donc pas de chapelles desservies par la Fraternité Saint-Pie X en Russie ?
Non, nous n’avons pas de chapelles, seulement des groupes de fidèles à Moscou et à Saint-Petersbourg que nous visitons de temps en temps.Pourtant, on parle beaucoup d’un renouveau chrétien en Russie ?
Malheureusement, c’est faux. Au contraire, c’est une catastrophe morale sans précédent, pire même que durant l’époque communiste. La Russie s’est considérablement ouverte au matérialisme capitaliste lors de la chute du Rideau de fer. Les populations qui étaient sans foi sont toujours sans foi. Et le degré d’exigence morale a chuté : avortement, alcoolisme, drogue, pornographie, voilà le tableau de la Russie d’aujourd’hui.Et l’Ukraine ?
L’apostolat y est encore très différent ! Dès 1998, un groupe de gréco-catholiques, des uniates se sont adressés à nous afin d’obtenir un peu d’aide. Et à la suite de ce contact, notre Supérieur général leur a accordé une fraternité en propre, la Fraternité Saint-Josaphat, ainsi qu’un séminaire et un groupe de religieuses basiliennes. Ils exercent un apostolat populaire de grande envergure. Il y a d’anciens curés et des jeunes prêtres… Ils sont chargés de paroisses de plusieurs milliers d’âmes. C’est un mouvement important qui attire environ une vingtaine de milliers de fidèles, desservis par 17 prêtres. Les jeunes prêtres sont tous ordonnés par nos évêques et nous nous chargeons également de leur formation sacerdotale au sein de leur séminaire.De façon générale, quels espoirs peut-on nourrir pour les pays de l’Est ?
On peut dire que les pays qui ont su préserver une grande dévotion mariale gardent un fond catholique sur lequel on peut travailler. Beaucoup de jeunes sont intéressés par la foi, c’est indéniable. Je suis persuadé que ces pays peuvent encore porter beaucoup de fruits pour la Tradition. On voit aussi de belles choses dans les Pays Baltes, mais ce sont de petits Etats et les élites, faute de perspectives professionnelles, quittent le pays. On le constate chez nos fidèles, c’est bien dommage.Malgré tout, la situation n’estelle pas meilleure qu’à l’Ouest ?
Il y a d’un côté la grande masse qui vit dans la débauche. L’ouverture à l’Ouest a été de ce point de vue une mauvaise chose puisqu’ils ont reçu ce que l’Occident pouvait leur offrir de pire. Mais, il y a un bon fond catholique dans beaucoup d’âmes et c’est à celles-ci que nous nous adressons. Ce sont des âmes d’élite qui cherchent autre chose que le matérialisme pur, et là nous avons plus de chance de les toucher que dans l’Europe de l’Ouest.Concernant la pratique religieuse, observe-t-on de grandes différences avec l’Europe de l’Ouest?
La religion catholique s’apparente encore dans les campagnes à de grands mouvements populaires comme dans la France d’autrefois, lorsque les gens vivaient autour de la paroisse. Mais la Fraternité Saint-Pie X oeuvre dans de petites chapelles éloignées… et il faut un grand effort de la part des fidèles, qui sont très pauvres, pour s’y rendre physiquement. Toutefois, lorsqu’ils comprennent le sens du combat de la Tradition, leur ferveur est tout simplement extraordinaire !