SOURCE - Paix Liturgique n°295 - 10 août 2011
Nous publions ces libres réflexions d’un médecin psychiatre à propos de Ces Prêtres qui souffrent (Michel de Saint-Pierre, 1966), ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Le médecin complète les réflexions du romancier, 45 ans après, dans une situation idéologiquement identique, mais qui pastoralement a changé du tout au tout : la Rénovation décidée à l’époque n’a été possible que parce que l’Église d’Occident était, malgré des signes de déclin évidents et des fissures doctrinales gravissimes, toujours riche en prêtres, religieux, missionnaires, séminaires, œuvres de toutes sortes – de même d’ailleurs, toutes choses égales, que la Révolution de 1789 n’a été possible que parce que la France du XVIIIe siècle, agitée de tensions sociales très graves, restait le pays le plus riche et le puissant d’Europe. Mais la Rénovation conciliaire, qui a ouvert toutes grandes les portes de la sécularisation, a « saigné » l’Église bien plus que les guerres de la Révolution n’avaient saigné et abaissé la France : de la richesse pastorale (relative) d’avant le Concile il ne reste plus rien, et l’institution ecclésiastique est en train de s’effacer purement et simplement du paysage occidental. Du coup, aujourd’hui, le prêtre que l’idéologie de la Rénovation tente de réduire sait qu’il a raison ; et le responsable Rénovateur qui cherche à le réduire devrait savoir qu’il a tout faux.
Et pourtant, la machine à Rénover continue son œuvre, et les prêtres qui résistent à la Rénovation continuent de souffrir.
Ces prêtres qui souffrent : aspects psychologiques
Il y a quarante cinq ans, Michel de Saint-Pierre publiait le deuxième volet d’un triptyque sur le prêtre : Ces Prêtres qui souffrent (La Table Ronde, 1966) prolongeait, deux ans après, Les Nouveaux Prêtres paru en 1964 (La Table Ronde), en plein concile. Un héros récurrent, l’abbé Delance, aussi saint et persécuté que l’abbé Chevance, de Bernanos, auquel il doit sans doute son nom, se voyait à terme (terrestre) mortifié et martyrisé pour sa fidélité au sacerdoce de toujours. Le récit de son exil intérieur, sous le titre La passion de l’abbé Delance, complète la trilogie, en 1968 (toujours, La Table Ronde).
Cette montée vers le sacrifice ultime avait ceci de particulier que le couteau sacrificiel était tenu par son évêque, et non par quelque potentat païen rebelle à toute évangélisation. Malaise dans les rangs des fidèles de l’époque. "Ce Saint-Pierre là, quel provocateur !", entendait-on dans les paroisses. "Il n’accepte pas le renouveau de l’Église. Il lui manque les clés du Royaume !" Et tous de pouffer.
Le respect du haut-clergé n’avait pas encore trop pâti des désastres postconciliaires, encore que, depuis la Libération, l’autorité épiscopale n’était plus ce qu’elle était. Pour suspecter un successeur des apôtres de malveillance à l’égard d’un prêtre méritant, il fallait avoir mauvais fond. Fermez le ban. L’abbé Delance, pour sa part, avait à expier sa rigidité et sa propension à ne pas « penser avec l’Église ». Que voulez vous, il y a, hélas, des gens comme ça.
Le renouveau pastoral était d’actualité. Cette priorité s’imposait, nonobstant les inerties diverses, et autres arguties cherchant de façon dérisoire à freiner l’œuvre sacrée de l’Esprit soufflant en tempête. Le Concile montrait la voie, aussi surement qu’au plafond de la Chapelle Sixtine le Père montre le Fils et vice-versa. Certes, Les Nouveaux Prêtres montraient l’étonnant succès, qui exaspérait ses confrères progressistes, de la sainteté de l’abbé Delance, et le commencement des désastres provoqués par la démagogie de ces dernies. Mais les dogmes n’étant pas menacés (c’est du moins ce que faisait semblant de croire Michel de Saint-Pierre, à la différence d’autres « réfractaires », comme Jean Madiran, Georges de Nantes, Marcel Lefebvre), la pastorale se voulant prometteuse, quel péril en la réforme ?
L’année 1966 fut déjà, à sa façon, une « annus horribilis » : C’est l’année du grand vide, celle des départs à la cloche de bois : clercs, religieux, paroissiens firent défection, en masse. Les lendemains qui déchantent, tel fût l’effet majeur d’une praxis ayant réduit le dogme à quia.
Émile Zola avait, entre 1891 et 1898, conçu un cycle romanesque dénommé Trois Villes : Lourdes, Rome, Paris. L’abbé Pierre Froment, dont le chemin intérieur en est le fil conducteur, connaît un parcours inverse de celui de l’abbé Delance. Quand celui-ci reçoit les stigmates, celui là quitte l’Église, ayant perdu la Foi à Lourdes. Il se marie, et connaitra la « vraie » fécondité avec son épouse qui lui donnera douze enfants. Ce « Froment » opte pour les nourritures terrestres, les seules qui ne trompent pas.
La littérature met en évidence l’antagonisme des parcours, et l’on sent intuitivement que la fiction n’est pas un obstacle à la réception du message : le héros n’a d’imaginaire que le patronyme dont le roman le désigne, et le masque tout à la fois. Il n’y a qu’un pas à franchir pour que l’actualité vienne donner un visage contemporain à chaque type littéraire, celui que l’art a rendu accessible à partir du vivant. Il faut choisir sa route, donc, et l’assumer.
Aujourd’hui, tel prêtre de Normandie est la cible de son évêque. Les protagonistes sont de chair et de sang. L’abbé est un curé de paroisse performant. Ce n’est pas un « tradi » ; c’est un prêtre qui interprète l’enseignement contemporain à la lumière de l’enseignement constant de l’Église. Il est catholique, sans prédicat surajouté. Son sacerdoce se déploie sans entrave, à la plus grande satisfaction de ses paroissiens.
Or, il est insupportable à son évêque, Mgr N. Ses ouailles sont nombreuses, et reconnaissantes de surcroit. La quête est généreuse. Alors pourquoi tant de haine ? On vient de vous le dire ! L’abbé incarne le modèle enterré par l’évêque. Pour le dire avec le philosophe Slavoj Zizek, ce qui refuse de mourir devient persécuteur, à la façon d’un fantôme.
Ce prêtre d’aujourd’hui a sur la situation de l’Église une perspective que l’abbé Delance, ou plutôt son démiurge, ne pouvait avoir aussi nettement. La crise de l’Église est patente, la foi est en berne, les vocations aussi. Les constats sont tragiques, à moins de les rendre impossibles par automutilation (aveuglement, décérébration) ou sabordage (abandon de toute faculté de juger, récusation du quantitatif, refus de toute évaluation).
La haine de l’évêque pour ce prêtre est tellement obscène qu’elle scandalise même la revue Golias, laquelle donne de la valeur au soutien de l’abbé par sa base locale. Il n’est pas fréquent, à vrai dire, qu’une gouvernance aussi désastreuse se manifeste. Habituellement, les institutions répugnent à montrer leur violence. Le respect des formes réglementaires, la consistance du fonds faisant litige sont des préalables à la bonne fin d’un contentieux. À l’inverse, une intimidation maladroite ou une sanction arbitraire dénonce l’auteur plus que la cible.
Ce curé a un ennemi. À cause de son succès. Il est combattu parce qu’il réussit, pas parce qu’il est défaillant. L’évêque ne veut pas sa mort, il veut mettre un terme à cet habitus sacerdotal qu’il incarne.
L’abbé Delance était de trop dans un horizon renouvelé par anticipation. Le curé normand d’aujourd’hui sait que les promesses n’ont pas été tenues, et il sait pourquoi. Il est de trop par son insolent succès en terre dévastée. Il fallait que l’abbé Delance fût un saint pour assumer sa passion. Il suffit à notre curé normand de désigner son ennemi pour ne pas laisser dévoyer son martyre en dépression.
Tout prêtre souffre quand sa vocation est disqualifiée. Quand l’Appel auquel il a souscrit fait l’objet d’un déni. Qui peut avoir un tel pouvoir de nuire ? L’athée ne déstabilise pas le prêtre, l’indifférent non plus, l’apostat encore moins. Ordonner vers le Christ, telle est sa mission. Il peut connaître la fatigue, mais il ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Il souffre quand il est dénoncé comme un obstacle dans l’accès au Christ, comme une entrave à l’Esprit, comme un serviteur nocif. Qui a l’audace de tels jugements et la capacité de le blesser, si ce n’est celui qu’il voit comme un père ?
Tout ceci est corroboré par les témoignages saisis ça et là dans les diocèses français, au point qu’il est pertinent de dénoncer l’actualité d’un combat épiscopal contre ces « nouveaux prêtres » d’aujourd’hui, lesquels sont bâtis à l’antithèse de leurs aînés. Formés dans les séminaires interdiocésains où les séductions du néo-modernisme sont loin d’être mortes, plus avertis de l’adversité intra ecclésiale et des ambiguïtés d’un amour plus parlé que vécu, ces jeunes prêtres ont souvent l’intuition qu’il faut, pour trouver un équilibre, avoir l’air de ce que l’on est, sans barguigner . De plus en plus, la soutane est « tendance » ; le prêtre se dispose à mettre de l’ordre là où le monde met du désordre ; le sacerdoce du prêtre est vu plus clairement comme un sacrement spécifique, irréductible au sacerdoce des baptisés. Vatican II prend place dans l’histoire de l’Église, évidemment ; ceux qui le veulent inaugural font preuve d’ignorance ou de parti pris. L’adversité la plus trouble est intra muros.
Le 9 avril 2009, jeudi saint, Monseigneur Aillet, l’évêque de Bayonne, signait avec son presbyterium un « message au peuple de Dieu », texte d’attachement au célibat ecclésiastique. Heureux de répondre ainsi aux exigences de leur condition d’hommes séparés du commun, pour la Gloire de Dieu. Or, de fait, étant fauteur d’ordre, le prêtre est, partout là où il est, celui qui pose le cadre de sa propre activité. Il n’a pas à subir les caprices de quiconque ; le baptisé a recours à lui, il n’a pas à lui dicter sa conduite. En analogie avec la fonction médicale, laquelle est au service du malade mais ne s’effectue pas sous sa dictée.
Cette chefferie du prêtre, cette autonomie décisionnelle sont intégrées au gouvernement de l’Église. Lequel doit les faire respecter. Or c’est l’inverse de la politique actuelle des diocèses, sous la férule de la Conférence des Évêques de France. Le prêtre est prolétarisé, au seul profit de l’Évêque qui se choisit des doyens, seuls titularisés, et missionne des laïcs dociles à ses vues. L’Évêque tend à être le seul à jouir du pouvoir d’ordre, dont pourtant il a la plénitude mais pas l’exclusivité, et à en user à sa guise. Un centralisme dit démocratique nivelle les prêtres au rang des laïcs. Les clercs sont souvent même soumis aux laïcs missionnés, ces derniers incorporés ici et là à l’Église enseignante ! Excusez du peu. Des aveux impressionnants échappent à tel ou tel évêque à travers les médias. Monseigneur Hippolyte Simon se lâche dans l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut consacrée au célibat des prêtres le 29/05/2010. Devant le philosophe ébahi, il affirme que la chute des vocations a été une chance pour l’Église, parce qu’elle a permis la promotion du laïcat. Il a même ajouté que si le synode de 1971 avait accepté le mariage des prêtres, c’eût été une réforme d’effet réactionnaire puisque freinant la disparition du prêtre « patron ». Il faut mentionner également le livre de Monseigneur Albert Rouet, archevêque de Poitiers, qu’il faudrait commenter de façon détaillée, et qui est intitulé Vous avez fait de moi un Évêque heureux ( éd. de l’Atelier, Paris, 2011). C’est la longue provocation d’un féodal de la déconstruction, pour qui le prêtre, autre Christ, doit être ailleurs qu’aux postes décisionnels. Si le diable s’habille en Prada, Monseigneur, lui, s’habille chez Zara. Tantôt il n’a l’air de rien, tantôt il est déguisé en archevêque « trop cool ». Qu’est ce qui a pu le rendre heureux ? On n’apprend rien de ce qui compte pour lui, dans son cœur. Il a multiplié les commissions, missionné à tour de bras, fait tourner « l’Église qui est à Poitiers » autour de lui, avec un aplomb intact. Il fustige l’esprit ultramontain, le mondialisme, la prétention du catholicisme à l’universel. Il préconise l’écoute, le dialogue, l’ouverture au monde. Rien que du neuf, en somme. Quel bilan ? « Dieu n’aime pas les bilans ! » Circulez ! (Pourtant, c’est bizarre, il parle comme Albert, ce dieu là ; est ce que par hasard, à toujours voir Jésus en tout homme, il ne verrait pas Dieu dans la glace ?) Bref, il est heureux d’avoir pu parler en démocrate et agir en autocrate. Il s’en va, alors il balance, Albert. C’est un homme du passé, et du passif. Quid du prêtre en Poitou, sur orbite, ailleurs, dans l’inattendu, l’altérité, etc. ? À suivre.
Le prêtre est un soldat du Christ, comme tout baptisé. Il est prêt à servir le Christ par un engagement qui est folie pour le monde, scandale pour les pécheurs, terreur pour les démons. Sa mission est aussi sa dignité. Voyons en lui celui qu’il veut être, au service de Dieu et des âmes. Disons lui merci de ce qu’il est, et « exploitons-le » dans sa spécificité surnaturelle, n’en déplaise aux « missionnés ». Et dépression, alcoolisme, psychotropes, désespérance ne seront plus qu’un mauvais souvenir.
Nous publions ces libres réflexions d’un médecin psychiatre à propos de Ces Prêtres qui souffrent (Michel de Saint-Pierre, 1966), ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Le médecin complète les réflexions du romancier, 45 ans après, dans une situation idéologiquement identique, mais qui pastoralement a changé du tout au tout : la Rénovation décidée à l’époque n’a été possible que parce que l’Église d’Occident était, malgré des signes de déclin évidents et des fissures doctrinales gravissimes, toujours riche en prêtres, religieux, missionnaires, séminaires, œuvres de toutes sortes – de même d’ailleurs, toutes choses égales, que la Révolution de 1789 n’a été possible que parce que la France du XVIIIe siècle, agitée de tensions sociales très graves, restait le pays le plus riche et le puissant d’Europe. Mais la Rénovation conciliaire, qui a ouvert toutes grandes les portes de la sécularisation, a « saigné » l’Église bien plus que les guerres de la Révolution n’avaient saigné et abaissé la France : de la richesse pastorale (relative) d’avant le Concile il ne reste plus rien, et l’institution ecclésiastique est en train de s’effacer purement et simplement du paysage occidental. Du coup, aujourd’hui, le prêtre que l’idéologie de la Rénovation tente de réduire sait qu’il a raison ; et le responsable Rénovateur qui cherche à le réduire devrait savoir qu’il a tout faux.
Et pourtant, la machine à Rénover continue son œuvre, et les prêtres qui résistent à la Rénovation continuent de souffrir.
Ces prêtres qui souffrent : aspects psychologiques
Il y a quarante cinq ans, Michel de Saint-Pierre publiait le deuxième volet d’un triptyque sur le prêtre : Ces Prêtres qui souffrent (La Table Ronde, 1966) prolongeait, deux ans après, Les Nouveaux Prêtres paru en 1964 (La Table Ronde), en plein concile. Un héros récurrent, l’abbé Delance, aussi saint et persécuté que l’abbé Chevance, de Bernanos, auquel il doit sans doute son nom, se voyait à terme (terrestre) mortifié et martyrisé pour sa fidélité au sacerdoce de toujours. Le récit de son exil intérieur, sous le titre La passion de l’abbé Delance, complète la trilogie, en 1968 (toujours, La Table Ronde).
Cette montée vers le sacrifice ultime avait ceci de particulier que le couteau sacrificiel était tenu par son évêque, et non par quelque potentat païen rebelle à toute évangélisation. Malaise dans les rangs des fidèles de l’époque. "Ce Saint-Pierre là, quel provocateur !", entendait-on dans les paroisses. "Il n’accepte pas le renouveau de l’Église. Il lui manque les clés du Royaume !" Et tous de pouffer.
Le respect du haut-clergé n’avait pas encore trop pâti des désastres postconciliaires, encore que, depuis la Libération, l’autorité épiscopale n’était plus ce qu’elle était. Pour suspecter un successeur des apôtres de malveillance à l’égard d’un prêtre méritant, il fallait avoir mauvais fond. Fermez le ban. L’abbé Delance, pour sa part, avait à expier sa rigidité et sa propension à ne pas « penser avec l’Église ». Que voulez vous, il y a, hélas, des gens comme ça.
Le renouveau pastoral était d’actualité. Cette priorité s’imposait, nonobstant les inerties diverses, et autres arguties cherchant de façon dérisoire à freiner l’œuvre sacrée de l’Esprit soufflant en tempête. Le Concile montrait la voie, aussi surement qu’au plafond de la Chapelle Sixtine le Père montre le Fils et vice-versa. Certes, Les Nouveaux Prêtres montraient l’étonnant succès, qui exaspérait ses confrères progressistes, de la sainteté de l’abbé Delance, et le commencement des désastres provoqués par la démagogie de ces dernies. Mais les dogmes n’étant pas menacés (c’est du moins ce que faisait semblant de croire Michel de Saint-Pierre, à la différence d’autres « réfractaires », comme Jean Madiran, Georges de Nantes, Marcel Lefebvre), la pastorale se voulant prometteuse, quel péril en la réforme ?
L’année 1966 fut déjà, à sa façon, une « annus horribilis » : C’est l’année du grand vide, celle des départs à la cloche de bois : clercs, religieux, paroissiens firent défection, en masse. Les lendemains qui déchantent, tel fût l’effet majeur d’une praxis ayant réduit le dogme à quia.
Émile Zola avait, entre 1891 et 1898, conçu un cycle romanesque dénommé Trois Villes : Lourdes, Rome, Paris. L’abbé Pierre Froment, dont le chemin intérieur en est le fil conducteur, connaît un parcours inverse de celui de l’abbé Delance. Quand celui-ci reçoit les stigmates, celui là quitte l’Église, ayant perdu la Foi à Lourdes. Il se marie, et connaitra la « vraie » fécondité avec son épouse qui lui donnera douze enfants. Ce « Froment » opte pour les nourritures terrestres, les seules qui ne trompent pas.
La littérature met en évidence l’antagonisme des parcours, et l’on sent intuitivement que la fiction n’est pas un obstacle à la réception du message : le héros n’a d’imaginaire que le patronyme dont le roman le désigne, et le masque tout à la fois. Il n’y a qu’un pas à franchir pour que l’actualité vienne donner un visage contemporain à chaque type littéraire, celui que l’art a rendu accessible à partir du vivant. Il faut choisir sa route, donc, et l’assumer.
Aujourd’hui, tel prêtre de Normandie est la cible de son évêque. Les protagonistes sont de chair et de sang. L’abbé est un curé de paroisse performant. Ce n’est pas un « tradi » ; c’est un prêtre qui interprète l’enseignement contemporain à la lumière de l’enseignement constant de l’Église. Il est catholique, sans prédicat surajouté. Son sacerdoce se déploie sans entrave, à la plus grande satisfaction de ses paroissiens.
Or, il est insupportable à son évêque, Mgr N. Ses ouailles sont nombreuses, et reconnaissantes de surcroit. La quête est généreuse. Alors pourquoi tant de haine ? On vient de vous le dire ! L’abbé incarne le modèle enterré par l’évêque. Pour le dire avec le philosophe Slavoj Zizek, ce qui refuse de mourir devient persécuteur, à la façon d’un fantôme.
Ce prêtre d’aujourd’hui a sur la situation de l’Église une perspective que l’abbé Delance, ou plutôt son démiurge, ne pouvait avoir aussi nettement. La crise de l’Église est patente, la foi est en berne, les vocations aussi. Les constats sont tragiques, à moins de les rendre impossibles par automutilation (aveuglement, décérébration) ou sabordage (abandon de toute faculté de juger, récusation du quantitatif, refus de toute évaluation).
La haine de l’évêque pour ce prêtre est tellement obscène qu’elle scandalise même la revue Golias, laquelle donne de la valeur au soutien de l’abbé par sa base locale. Il n’est pas fréquent, à vrai dire, qu’une gouvernance aussi désastreuse se manifeste. Habituellement, les institutions répugnent à montrer leur violence. Le respect des formes réglementaires, la consistance du fonds faisant litige sont des préalables à la bonne fin d’un contentieux. À l’inverse, une intimidation maladroite ou une sanction arbitraire dénonce l’auteur plus que la cible.
Ce curé a un ennemi. À cause de son succès. Il est combattu parce qu’il réussit, pas parce qu’il est défaillant. L’évêque ne veut pas sa mort, il veut mettre un terme à cet habitus sacerdotal qu’il incarne.
L’abbé Delance était de trop dans un horizon renouvelé par anticipation. Le curé normand d’aujourd’hui sait que les promesses n’ont pas été tenues, et il sait pourquoi. Il est de trop par son insolent succès en terre dévastée. Il fallait que l’abbé Delance fût un saint pour assumer sa passion. Il suffit à notre curé normand de désigner son ennemi pour ne pas laisser dévoyer son martyre en dépression.
Tout prêtre souffre quand sa vocation est disqualifiée. Quand l’Appel auquel il a souscrit fait l’objet d’un déni. Qui peut avoir un tel pouvoir de nuire ? L’athée ne déstabilise pas le prêtre, l’indifférent non plus, l’apostat encore moins. Ordonner vers le Christ, telle est sa mission. Il peut connaître la fatigue, mais il ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Il souffre quand il est dénoncé comme un obstacle dans l’accès au Christ, comme une entrave à l’Esprit, comme un serviteur nocif. Qui a l’audace de tels jugements et la capacité de le blesser, si ce n’est celui qu’il voit comme un père ?
Tout ceci est corroboré par les témoignages saisis ça et là dans les diocèses français, au point qu’il est pertinent de dénoncer l’actualité d’un combat épiscopal contre ces « nouveaux prêtres » d’aujourd’hui, lesquels sont bâtis à l’antithèse de leurs aînés. Formés dans les séminaires interdiocésains où les séductions du néo-modernisme sont loin d’être mortes, plus avertis de l’adversité intra ecclésiale et des ambiguïtés d’un amour plus parlé que vécu, ces jeunes prêtres ont souvent l’intuition qu’il faut, pour trouver un équilibre, avoir l’air de ce que l’on est, sans barguigner . De plus en plus, la soutane est « tendance » ; le prêtre se dispose à mettre de l’ordre là où le monde met du désordre ; le sacerdoce du prêtre est vu plus clairement comme un sacrement spécifique, irréductible au sacerdoce des baptisés. Vatican II prend place dans l’histoire de l’Église, évidemment ; ceux qui le veulent inaugural font preuve d’ignorance ou de parti pris. L’adversité la plus trouble est intra muros.
Le 9 avril 2009, jeudi saint, Monseigneur Aillet, l’évêque de Bayonne, signait avec son presbyterium un « message au peuple de Dieu », texte d’attachement au célibat ecclésiastique. Heureux de répondre ainsi aux exigences de leur condition d’hommes séparés du commun, pour la Gloire de Dieu. Or, de fait, étant fauteur d’ordre, le prêtre est, partout là où il est, celui qui pose le cadre de sa propre activité. Il n’a pas à subir les caprices de quiconque ; le baptisé a recours à lui, il n’a pas à lui dicter sa conduite. En analogie avec la fonction médicale, laquelle est au service du malade mais ne s’effectue pas sous sa dictée.
Cette chefferie du prêtre, cette autonomie décisionnelle sont intégrées au gouvernement de l’Église. Lequel doit les faire respecter. Or c’est l’inverse de la politique actuelle des diocèses, sous la férule de la Conférence des Évêques de France. Le prêtre est prolétarisé, au seul profit de l’Évêque qui se choisit des doyens, seuls titularisés, et missionne des laïcs dociles à ses vues. L’Évêque tend à être le seul à jouir du pouvoir d’ordre, dont pourtant il a la plénitude mais pas l’exclusivité, et à en user à sa guise. Un centralisme dit démocratique nivelle les prêtres au rang des laïcs. Les clercs sont souvent même soumis aux laïcs missionnés, ces derniers incorporés ici et là à l’Église enseignante ! Excusez du peu. Des aveux impressionnants échappent à tel ou tel évêque à travers les médias. Monseigneur Hippolyte Simon se lâche dans l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut consacrée au célibat des prêtres le 29/05/2010. Devant le philosophe ébahi, il affirme que la chute des vocations a été une chance pour l’Église, parce qu’elle a permis la promotion du laïcat. Il a même ajouté que si le synode de 1971 avait accepté le mariage des prêtres, c’eût été une réforme d’effet réactionnaire puisque freinant la disparition du prêtre « patron ». Il faut mentionner également le livre de Monseigneur Albert Rouet, archevêque de Poitiers, qu’il faudrait commenter de façon détaillée, et qui est intitulé Vous avez fait de moi un Évêque heureux ( éd. de l’Atelier, Paris, 2011). C’est la longue provocation d’un féodal de la déconstruction, pour qui le prêtre, autre Christ, doit être ailleurs qu’aux postes décisionnels. Si le diable s’habille en Prada, Monseigneur, lui, s’habille chez Zara. Tantôt il n’a l’air de rien, tantôt il est déguisé en archevêque « trop cool ». Qu’est ce qui a pu le rendre heureux ? On n’apprend rien de ce qui compte pour lui, dans son cœur. Il a multiplié les commissions, missionné à tour de bras, fait tourner « l’Église qui est à Poitiers » autour de lui, avec un aplomb intact. Il fustige l’esprit ultramontain, le mondialisme, la prétention du catholicisme à l’universel. Il préconise l’écoute, le dialogue, l’ouverture au monde. Rien que du neuf, en somme. Quel bilan ? « Dieu n’aime pas les bilans ! » Circulez ! (Pourtant, c’est bizarre, il parle comme Albert, ce dieu là ; est ce que par hasard, à toujours voir Jésus en tout homme, il ne verrait pas Dieu dans la glace ?) Bref, il est heureux d’avoir pu parler en démocrate et agir en autocrate. Il s’en va, alors il balance, Albert. C’est un homme du passé, et du passif. Quid du prêtre en Poitou, sur orbite, ailleurs, dans l’inattendu, l’altérité, etc. ? À suivre.
Le prêtre est un soldat du Christ, comme tout baptisé. Il est prêt à servir le Christ par un engagement qui est folie pour le monde, scandale pour les pécheurs, terreur pour les démons. Sa mission est aussi sa dignité. Voyons en lui celui qu’il veut être, au service de Dieu et des âmes. Disons lui merci de ce qu’il est, et « exploitons-le » dans sa spécificité surnaturelle, n’en déplaise aux « missionnés ». Et dépression, alcoolisme, psychotropes, désespérance ne seront plus qu’un mauvais souvenir.