SOURCE - Jean-Pierre Denis - La Vie - 21 septembre 2011
Il était une fois un vieux monsieur, propriétaire d’une très belle maison. Quoiqu’elle fût un peu tombée, cette demeure patinée par les siècles avait gardé tout son charme. Plusieurs décennies auparavant, un de ses ancêtres avait mis l’édifice au goût du jour, le rendant plus accueillant et confortable. On avait abattu le mur de clôture surmonté de tessons, afin de contempler le paysage du vaste monde. Évidemment, depuis, la mode avait évolué. Il aurait fallu changer les papiers peints, enlever les faux plafonds, faire réapparaître les poutres anciennes. Le vieux monsieur voulait absolument laisser à ses enfants une maison restaurée. Alors, sans trop se poser de questions, il fit venir un artisan que des « amis » lui avaient recommandé. Malheureusement, le soi-disant spécialiste des bâtiments anciens qui sonna à sa porte n’avait à lui proposer que des décors en toc, des images sulpiciennes et autres kitscheries trouvées dans un vide-grenier. Le contraire, en somme, de la véritable tradition.
Voilà comment je crains de comprendre le retour possible des intégristes dans l’Église catholique, retour dont on parle beaucoup depuis que Mgr Fellay, le supérieur de la Fraternité Saint-Pie-X, a reçu de Rome une offre aussi mystérieuse qu’apparemment généreuse. Ceux qui ont suivi Mgr Lefebvre dans sa rébellion ne veulent pas redonner à notre Église catholique une énergie missionnaire. D’ailleurs, ils ne cessent d’insulter les fidèles, de dénigrer les papes, de maudire les évêques et les prêtres, de vomir le concile Vatican II, de dénoncer le dialogue entre les religions ou la liberté de conscience. Oh ! bien sûr… quand on se place comme Rome dans la perspective des siècles, et même du Jugement dernier, on doit avoir le souci de guérir un schisme et de rétablir la pleine communion, on doit savoir pardonner, on peut espérer une conversion. Mais faut-il le faire à tout prix et sans repentance ? Si l’unité est un bien précieux, la vérité ne garde-t-elle pas ses exigences ?
Peut-on ignorer, au même moment, l’hémorragie de millions de fidèles dans l’Occident sécularisé ? De nombreux évêques reconnaissent tout bas la nécessité d’une réforme de l’Église. Beaucoup le font en chuchotant parce que, dans la culture catholique, parler fort reste mal vu. Beaucoup de choses restent à repenser : place des femmes, ordination d’hommes mariés, communion des divorcés remariés… On ne pourra éternellement étouffer ces débats-là. Peut-être faudrait-il à la fois renouer avec la continuité, voire même avec certains aspects négligés de la tradition dans ce qu’elle a de vivant et d’authentique, et envisager de nouveaux aggiornamentos, de nouvelles mises à jour.
À tout prendre, il se pourrait toutefois que les catholiques soient par trop occupés d’eux-mêmes. L’Église a des choses à dire sur l’homme, sur les méfaits du matérialisme ambiant, sur l’agonie d’un libéralisme non régulé, incapable de se défendre contre ses propres prédateurs. Nous, les Occidentaux, nous sommes peut-être à la veille d’une très grave crise de confiance, en nous-mêmes, en notre avenir. Sans trop savoir à qui ou à quoi nous fier, nous aspirons à une nouvelle renaissance. Il serait triste que, pour se centrer trop sur ses propres maux, l’Église en oublie de faire entendre son mot. Il ne faudrait pas, pour parler comme feu Raymond Barre, que la microcosmique querelle intégriste nous épuise. Il ne faudrait pas non plus que notre souci de réforme nous obnubile. Le propos de l’Église, ce n’est pas l’Église. Le propos de l’Église, c’est le Christ. Plus que d’être « restaurés » ou « modernisés », nous avons besoin d’être sauvés. Donc, la réforme de l’Église, qui viendra, sera d’abord spirituelle. Elle changera les cœurs avant les institutions, pour nous entraîner à parler de Dieu à tous les pauvres, à tous les massacrés, à tous les humiliés.
Il était une fois un vieux monsieur, propriétaire d’une très belle maison. Quoiqu’elle fût un peu tombée, cette demeure patinée par les siècles avait gardé tout son charme. Plusieurs décennies auparavant, un de ses ancêtres avait mis l’édifice au goût du jour, le rendant plus accueillant et confortable. On avait abattu le mur de clôture surmonté de tessons, afin de contempler le paysage du vaste monde. Évidemment, depuis, la mode avait évolué. Il aurait fallu changer les papiers peints, enlever les faux plafonds, faire réapparaître les poutres anciennes. Le vieux monsieur voulait absolument laisser à ses enfants une maison restaurée. Alors, sans trop se poser de questions, il fit venir un artisan que des « amis » lui avaient recommandé. Malheureusement, le soi-disant spécialiste des bâtiments anciens qui sonna à sa porte n’avait à lui proposer que des décors en toc, des images sulpiciennes et autres kitscheries trouvées dans un vide-grenier. Le contraire, en somme, de la véritable tradition.
Voilà comment je crains de comprendre le retour possible des intégristes dans l’Église catholique, retour dont on parle beaucoup depuis que Mgr Fellay, le supérieur de la Fraternité Saint-Pie-X, a reçu de Rome une offre aussi mystérieuse qu’apparemment généreuse. Ceux qui ont suivi Mgr Lefebvre dans sa rébellion ne veulent pas redonner à notre Église catholique une énergie missionnaire. D’ailleurs, ils ne cessent d’insulter les fidèles, de dénigrer les papes, de maudire les évêques et les prêtres, de vomir le concile Vatican II, de dénoncer le dialogue entre les religions ou la liberté de conscience. Oh ! bien sûr… quand on se place comme Rome dans la perspective des siècles, et même du Jugement dernier, on doit avoir le souci de guérir un schisme et de rétablir la pleine communion, on doit savoir pardonner, on peut espérer une conversion. Mais faut-il le faire à tout prix et sans repentance ? Si l’unité est un bien précieux, la vérité ne garde-t-elle pas ses exigences ?
Peut-on ignorer, au même moment, l’hémorragie de millions de fidèles dans l’Occident sécularisé ? De nombreux évêques reconnaissent tout bas la nécessité d’une réforme de l’Église. Beaucoup le font en chuchotant parce que, dans la culture catholique, parler fort reste mal vu. Beaucoup de choses restent à repenser : place des femmes, ordination d’hommes mariés, communion des divorcés remariés… On ne pourra éternellement étouffer ces débats-là. Peut-être faudrait-il à la fois renouer avec la continuité, voire même avec certains aspects négligés de la tradition dans ce qu’elle a de vivant et d’authentique, et envisager de nouveaux aggiornamentos, de nouvelles mises à jour.
À tout prendre, il se pourrait toutefois que les catholiques soient par trop occupés d’eux-mêmes. L’Église a des choses à dire sur l’homme, sur les méfaits du matérialisme ambiant, sur l’agonie d’un libéralisme non régulé, incapable de se défendre contre ses propres prédateurs. Nous, les Occidentaux, nous sommes peut-être à la veille d’une très grave crise de confiance, en nous-mêmes, en notre avenir. Sans trop savoir à qui ou à quoi nous fier, nous aspirons à une nouvelle renaissance. Il serait triste que, pour se centrer trop sur ses propres maux, l’Église en oublie de faire entendre son mot. Il ne faudrait pas, pour parler comme feu Raymond Barre, que la microcosmique querelle intégriste nous épuise. Il ne faudrait pas non plus que notre souci de réforme nous obnubile. Le propos de l’Église, ce n’est pas l’Église. Le propos de l’Église, c’est le Christ. Plus que d’être « restaurés » ou « modernisés », nous avons besoin d’être sauvés. Donc, la réforme de l’Église, qui viendra, sera d’abord spirituelle. Elle changera les cœurs avant les institutions, pour nous entraîner à parler de Dieu à tous les pauvres, à tous les massacrés, à tous les humiliés.