SOURCE - Jean-Marie Guénois - Le Figaro - 30 novembre 2011
Je vois deux lectures fondamentalement opposées de l'interview donnée par Mgr Fellay, supérieur de la Fraternité Saint Pie X à propos des négociations en cours avec Rome. Les uns retiennent qu'il juge irrecevable, en l'état, le « Préambule doctrinal » qui lui a été remis le 14 septembre dernier comme base d'un accord cadre pour un éventuel retour dans l'Eglise catholique. Les autres qu'il amende - comme demandé d'ailleurs par le Saint-Siège - ce document de travail, pour poursuivre la négociation selon la méthode convenue pour parvenir, pas à pas, à un accord.
Je me garde bien de trancher dans un sens ou dans un autre. Pour l'heure tout va vraiment dépendre de la réponse romaine à la réponse de Mgr Fellay.
Et rien n'indique que le Saint-Siège ne lui donne pas satisfaction dans la mesure où jusque là, selon la volonté de Benoît XVI, toutes ses demandes ont été exaucées (levée des excommunications, normalisation de la messe selon l'ancien rite, confrontation théologique sur le Concile Vatican II). Et à quel prix ! Faut-il rappeler les dégâts causés par l'affaire Williamson ? En ce sens, d'une certaine manière, Benoît XVI qui veut la réconciliation, n'a plus rien à perdre.
On sait également - c'est une donnée paradoxale de cette recherche d'accord - que Rome assume le désaccord quasi-total à propos du Concile Vatican II ! Il a été dûment constaté, je dirais même scientifiquement constaté, après les fameuses discussions théologiques entre experts des deux parties sur l'objet de la rupture, le Concile Vatican II.
C'est ce point que l'on comprend mal de l'extérieur. Beaucoup estiment que ce désaccord dont l'interview de Mgr Fellay donne une image précise représente un point de rupture alors qu'il représente pour Rome un point de départ. C'est en connaissance de cause, sur la base de ce désaccord que le « préambule théologique » a été proposé à Mgr Fellay.
Dès lors, la partie vraiment sérieuse, historique, commence.
Si Rome va dans le sens des nouvelles demandes de Mgr Fellay - et le Saint-Siège qui n'est pas un débutant en matière de négociations - s'y expose en proposant cette méthode progressive de mise au point commune d'un texte, alors le tournant sur « l'herméneutique » de la continuité à propos du Concile Vatican II, porté par Benoît XVI, ne sera plus une intention mais un acte majeur du pontificat et de l'Eglise catholique.
Non que l'Eglise catholique revienne sur le Concile Vatican II comme Mgr Fellay le souhaite, mais elle relativiserait la portée de certains de ses contenus. Et ce dans le cadre d'une « discussion légitime » - concept clé et nouveau qui est apparu à la faveur de ces récentes négociations avec Ecône.
Autrement dit, cela marquerait non pas « la victoire des intégristes sur les progressistes » mais la fin d'une certaine « sacralisation » du Concile Vatican II dans l'Eglise catholique et le début d'une réconciliation - elle sera longue - avec son passé récent et sa « tradition ». C'est en tout cas exactement ce que Benoît XVI vise.
Reste, côté Lefebvriste, à entrer dans cette intelligence historique du Pape actuel.
Il leur est favorable comme aucun autre membre potentiellement éligible de l'actuel collège des cardinaux. Cette occasion ne se représentera donc plus pour eux. S'ils ne reviennent pas, la notion de « schisme » contestée par les Lefebvristes, reprendra inévitablement au fil des années une consistance même si elle sera toujours canoniquement discutée sur le papier. Tôt ou tard il faudra en effet ordonner de nouveaux évêques sans l'aval de Rome.
L'interview de Mgr Fellay indique qu'il est conscient de cet enjeu. Conscient aussi que la mission qu'il s'est assignée de résister au nom de la « tradition » dans ou hors de l'Eglise a non seulement gagné en crédibilité mais aussi en... réalité. Que l'on soit pour ou contre, ou indifférent, il faut bien le reconnaître comme un fait objectif.
Bien sûr cette bataille ne concerne pas toute l'Eglise catholique, elle est souvent qualifiée de « française » à Rome. Mais elle est symbolique de l'évolution actuelle de l'Eglise catholique et, en ce sens, elle n'est pas banale ou anecdotique.
Il suffit pour s'en rendre compte de l'impact qu'aura l'annonce, positive ou négative, de l'issue des ces discussions :
Car il faut aussi réaliser les conséquences d'un refus : quel crédibilité futur aurait le combat de ce mouvement à qui ce Pape a tant fait d'avance au prix de sa propre réputation, s'il refermait finalement la porte ? Cet isolement, superbe au sens latin, risquerait de perdre toute son audience qui est pourtant la raison d'être des Lefevbristes puisqu'ils ont l'ambition de témoigner autour d'eux et dans l'Eglise d'une certaine façon "d'être catholique".
Les protagonistes de cette négociation savent tout cela. Sans me prononcer sur l'issue, il me semble, en tout cas, trop tôt pour penser qu'elle est en train d'échouer. Mais j'ai bien conscience qu'un accord éventuel se jouera sur le fil.
Je vois deux lectures fondamentalement opposées de l'interview donnée par Mgr Fellay, supérieur de la Fraternité Saint Pie X à propos des négociations en cours avec Rome. Les uns retiennent qu'il juge irrecevable, en l'état, le « Préambule doctrinal » qui lui a été remis le 14 septembre dernier comme base d'un accord cadre pour un éventuel retour dans l'Eglise catholique. Les autres qu'il amende - comme demandé d'ailleurs par le Saint-Siège - ce document de travail, pour poursuivre la négociation selon la méthode convenue pour parvenir, pas à pas, à un accord.
Je me garde bien de trancher dans un sens ou dans un autre. Pour l'heure tout va vraiment dépendre de la réponse romaine à la réponse de Mgr Fellay.
Et rien n'indique que le Saint-Siège ne lui donne pas satisfaction dans la mesure où jusque là, selon la volonté de Benoît XVI, toutes ses demandes ont été exaucées (levée des excommunications, normalisation de la messe selon l'ancien rite, confrontation théologique sur le Concile Vatican II). Et à quel prix ! Faut-il rappeler les dégâts causés par l'affaire Williamson ? En ce sens, d'une certaine manière, Benoît XVI qui veut la réconciliation, n'a plus rien à perdre.
On sait également - c'est une donnée paradoxale de cette recherche d'accord - que Rome assume le désaccord quasi-total à propos du Concile Vatican II ! Il a été dûment constaté, je dirais même scientifiquement constaté, après les fameuses discussions théologiques entre experts des deux parties sur l'objet de la rupture, le Concile Vatican II.
C'est ce point que l'on comprend mal de l'extérieur. Beaucoup estiment que ce désaccord dont l'interview de Mgr Fellay donne une image précise représente un point de rupture alors qu'il représente pour Rome un point de départ. C'est en connaissance de cause, sur la base de ce désaccord que le « préambule théologique » a été proposé à Mgr Fellay.
Dès lors, la partie vraiment sérieuse, historique, commence.
Si Rome va dans le sens des nouvelles demandes de Mgr Fellay - et le Saint-Siège qui n'est pas un débutant en matière de négociations - s'y expose en proposant cette méthode progressive de mise au point commune d'un texte, alors le tournant sur « l'herméneutique » de la continuité à propos du Concile Vatican II, porté par Benoît XVI, ne sera plus une intention mais un acte majeur du pontificat et de l'Eglise catholique.
Non que l'Eglise catholique revienne sur le Concile Vatican II comme Mgr Fellay le souhaite, mais elle relativiserait la portée de certains de ses contenus. Et ce dans le cadre d'une « discussion légitime » - concept clé et nouveau qui est apparu à la faveur de ces récentes négociations avec Ecône.
Autrement dit, cela marquerait non pas « la victoire des intégristes sur les progressistes » mais la fin d'une certaine « sacralisation » du Concile Vatican II dans l'Eglise catholique et le début d'une réconciliation - elle sera longue - avec son passé récent et sa « tradition ». C'est en tout cas exactement ce que Benoît XVI vise.
Reste, côté Lefebvriste, à entrer dans cette intelligence historique du Pape actuel.
Il leur est favorable comme aucun autre membre potentiellement éligible de l'actuel collège des cardinaux. Cette occasion ne se représentera donc plus pour eux. S'ils ne reviennent pas, la notion de « schisme » contestée par les Lefebvristes, reprendra inévitablement au fil des années une consistance même si elle sera toujours canoniquement discutée sur le papier. Tôt ou tard il faudra en effet ordonner de nouveaux évêques sans l'aval de Rome.
L'interview de Mgr Fellay indique qu'il est conscient de cet enjeu. Conscient aussi que la mission qu'il s'est assignée de résister au nom de la « tradition » dans ou hors de l'Eglise a non seulement gagné en crédibilité mais aussi en... réalité. Que l'on soit pour ou contre, ou indifférent, il faut bien le reconnaître comme un fait objectif.
Bien sûr cette bataille ne concerne pas toute l'Eglise catholique, elle est souvent qualifiée de « française » à Rome. Mais elle est symbolique de l'évolution actuelle de l'Eglise catholique et, en ce sens, elle n'est pas banale ou anecdotique.
Il suffit pour s'en rendre compte de l'impact qu'aura l'annonce, positive ou négative, de l'issue des ces discussions :
- Négative, elle sera lue comme l'un des échecs majeurs du pontificat, voire l'échec du pontificat à vues humaines bien sur.
- Positive, elle sera lue comme un tournant majeur de l'Eglise catholique au début du XXI° siècle.
Car il faut aussi réaliser les conséquences d'un refus : quel crédibilité futur aurait le combat de ce mouvement à qui ce Pape a tant fait d'avance au prix de sa propre réputation, s'il refermait finalement la porte ? Cet isolement, superbe au sens latin, risquerait de perdre toute son audience qui est pourtant la raison d'être des Lefevbristes puisqu'ils ont l'ambition de témoigner autour d'eux et dans l'Eglise d'une certaine façon "d'être catholique".
Les protagonistes de cette négociation savent tout cela. Sans me prononcer sur l'issue, il me semble, en tout cas, trop tôt pour penser qu'elle est en train d'échouer. Mais j'ai bien conscience qu'un accord éventuel se jouera sur le fil.