Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre - 11 octobre 1976 |
Mis en ligne par http://fsspx.org [NOTE DE FSSPX.ORG: Ce document a été rendu public seulement par le Supplément-Voltigeur numéro 42 du 15 novembre 1976. Le texte que nous reproduisons est la version française officielle, établie par le Saint-Siège et notifiée à Mgr Lefebvre au même titre que la version latine.] |
A notre Frère dans l’Episcopat Marcel Lefebvre ancien archevêque-évêque de Tulle En vous recevant le 11 septembre dernier à Castel Gandolfo, Nous vous avons laissé exprimer librement votre pensée et vos désirs, même si les divers aspects de votre cas étaient déjà bien connus de Nous personnellement. Le souvenir que Nous gardons de votre zèle pour la foi et l’apostolat, et du bien accompli dans le passé au service de l’Église, Nous faisait et Nous fait toujours espérer que vous redeviendrez un sujet d’édification, dans la pleine communion ecclésiale. Nous vous avons demandé encore une fois de réfléchir, devant Dieu, à votre devoir, après les actes particulièrement graves que vous aviez posés. Nous avons attendu durant un mois. L’attitude dont témoignent encore, en public, vos paroles et vos actes ne semblent pas modifiée. Il est vrai que Nous avons sous les yeux votre lettre du 16 septembre où vous Nous affirmez : « Un point commun nous unit : le désir ardent de voir cesser tous les abus qui défigurent l’Église. Combien je souhaite collaborer à cette œuvre salutaire avec Votre Sainteté et sous son autorité, afin que l’Église retrouve son vrai visage. » Comment faut-il interpréter ces quelques mots — en soi positifs — auxquels se limite toute votre réponse ? Vous parlez comme si vous oubliiez les propos et les gestes scandaleux contre la communion ecclésiale, que vous n’avez jamais désavoués ! Vous ne manifestez pas de repentir même pour ce qui a été la cause de votre suspens a divinis. Vous n’exprimez pas explicitement votre adhésion à l’autorité du concile Vatican II et du Saint-Siège — ce qui constitue le fond du problème et vous poursuivez vos propres œuvres que l’autorité légitime vous a demandé expressément de suspendre. L’ambiguïté demeure, du fait de ce double langage. Pour Nous, comme Nous vous avions promis de le faire, Nous vous adressons ici la conclusion de nos réflexions. — I — Vous vous présentez pratiquement comme le défenseur, le porte-parole des fidèles et des prêtres qui sont « déchirés par ce qui se passe dans l’Église », avec la pénible impression que la foi catholique et les valeurs essentielles de la Tradition ne sont pas suffisamment respectées et vécues dans une portion du peuple de Dieu, du moins en certains pays ». Mais dans votre interprétation des faits, dans le rôle particulier que vous vous donnez, dans la façon dont vous le remplissez, il y a quelque chose qui égare le peuple de Dieu et trompe les âmes de bonne volonté, justement désireuses de fidélité et d’approfondissement spirituel et apostolique. Le fait des déviations dans la foi ou la pratique sacramentelle est assurément très grave, partout où il se vérifie. Il retient depuis longtemps toute notre attention doctrinale et pastorale. Certes il ne doit pas faire oublier les signes positifs de reprise spirituelle ou de responsabilité accrue chez un bon nombre de catholiques, ni la complexité de la cause de la crise : l’immense mutation du monde d’aujourd’hui affecte les croyants au plus profond d’eux-mêmes, et rend plus nécessaire encore le souci apostolique de ceux « qui sont loin ». Mais il reste vrai que des prêtres et des fidèles couvrent du nom de « conciliaires » des interprétations personnelles et des pratiques erronées, dommageables, voire scandaleuses et parfois même sacrilèges. Car ces abus ne sauraient être attribués au Concile lui-même, ni aux réformes qui en sont légitimement issues, mais bien plutôt à un manque de fidélité authentique à leur endroit. Or, vous voulez convaincre les fidèles que la cause prochaine de la crise est plus qu’une mauvaise interprétation du Concile, et qu’elle découle du Concile lui-même. Par ailleurs, vous agissez comme si vous aviez un rôle particulier en ce domaine. Or la mission de discerner et de redresser les abus est d’abord la Nôtre, elle est celle de tous les évêques qui œuvrent avec Nous. Et précisément Nous ne cessons d’élever la voix contre ces excès : notre discours au consistoire du 24 mai dernier le répétait en termes clairs. Plus que quiconque Nous entendons la souffrance des chrétiens désemparés, Nous répondons au cri des fidèles avides de foi et de vie spirituelle. Ce n’est pas le lieu de vous rappeler, Frère, tous les actes de notre pontificat qui témoignent de notre souci constant d’assurer à l’Église la fidélité à la Tradition véritable et de la mettre aussi en mesure d’affronter le présent et l’avenir, avec la grâce du Seigneur. Enfin, votre comportement est contradictoire. Vous voulez, dites-vous, remédier aux abus qui défigurent l’Église ; vous regrettez que l’autorité dans l’Église ne soit pas assez respectée ; vous voulez sauvegarder la foi authentique, l’estime du sacerdoce ministériel et la ferveur pour l’Eucharistie conçue dans sa plénitude sacrificielle et sacramentelle : un tel zèle pourrait, en soi, mériter notre encouragement, car ce sont là des exigences qui, avec l’évangélisation et l’unité des chrétiens, demeurent au cœur de nos préoccupations et de notre mission. Mais comment pouvez-vous en même temps, pour remplir ce rôle, vous prétendre obligé d’agir à contre-courant du récent Concile, en opposition avec vos frères dans l’épiscopat, de vous méfier du Saint-Siège lui-même que vous qualifiez de « Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante », de vous installer dans une désobéissance ouverte envers Nous ? Si vous voulez vraiment, comme vous l’affirmez dans votre dernière lettre privée, travailler « sous notre autorité », il faudrait d’abord mettre fin à ces ambiguïtés et contradictions. — II — Venons-en maintenant aux requêtes plus précises que vous avez formulées durant l’audience du 11 septembre. Vous voudriez que soit reconnu le droit de célébrer la messe selon le rite tridentin en divers lieux de culte. Vous tenez aussi à continuer de former les aspirants au sacerdoce selon vos critères, « comme avant le Concile », dans des séminaires à part, tel Écône. Mais derrière ces questions et d’autres semblables, que Nous examinerons plus loin en détail, il importe de bien voir le nœud du problème qui est théologique. Car elles sont devenues des façons concrètes d’exprimer une ecclésiologie qui est faussée sur des points essentiels. Ce qui est en cause en effet, c’est la question, qu’on doit bien dire fondamentale, de votre refus clairement proclamé, de reconnaître, dans son ensemble, l’autorité du concile Vatican II et celle du pape, refus qui s’accompagne d’une action ordonnée à propager et organiser ce qu’il faut bien appeler, hélas, une rébellion. C’est là le point essentiel, proprement insoutenable. Faut-il donc vous le rappeler à vous, notre frère dans l’épiscopat et qui, plus est, avez été nommé assistant au trône pontifical, ce qui vous oblige à demeurer plus uni encore au siège de Pierre ? Le Christ a remis l’autorité suprême dans son Église à Pierre et au collège apostolique, c’est-à-dire au pape et au collège des évêques una cum Capite. Pour le pape tout catholique admet que les paroles de Jésus à Pierre déterminent aussi la charge de ses successeurs légitimes : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le Ciel » (Mt, 16, 19) ; « Pais mes brebis » (Jn 21, 16-17) ; « Affermis tes frères » (Luc 22, 32). Et le premier concile du Vatican précisait en ces termes l’assentiment dû au souverain pontife : « Les pasteurs de tout rang et de tout rite et les fidèles, chacun séparément ou tous ensemble, sont tenus au devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les questions qui **concerne la foi et les mœurs, mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Église répandue dans le monde entier. Ainsi, en gardant l’unité de communion et de profession de foi avec le pontife romain, l’Église est un seul troupeau sous un seul pasteur. Telle est la doctrine de la vérité catholique dont personne ne peut s’écarter sans danger pour sa foi et son salut » (Const. dogmatique Pastor æternus, ch. 3. Dz. 3060). Quant aux évêques unis au souverain pontife, leur pouvoir à l’égard de l’Église universelle s’exerce solennellement dans les conciles œcuméniques, selon les paroles de Jésus à l’ensemble des Apôtres : « tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le Ciel » (Mt 18, 18). Or voilà que, dans votre conduite, vous refusez de reconnaître, comme il se doit, ces deux façons dont s’exerce l’autorité suprême. Chaque évêque est bien docteur authentique pour prêcher au peuple à lui confié, la foi qui doit régler sa pensée et sa conduite et écarter les erreurs qui menacent le troupeau. Mais « les charges d’enseigner et de gouverner... de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres » (Const. « Lumen Gentium » n. 21 ; cf. aussi n. 25). A plus forte raison, un évêque seul et sans mission canonique n’a pas, in actu expedito ad agendum, la faculté d’établir en général quelle est la règle de la foi et de déterminer ce qu’est la Tradition. Or pratiquement vous prétendez être juge à vous seul de ce que recouvre la Tradition. Vous vous dites soumis à l’Église, fidèle à la Tradition, par le seul fait que vous obéissez à certaines normes du passé, dictées par les prédécesseurs de celui auquel Dieu a conféré aujourd’hui les pouvoirs donnés à Pierre. C’est dire que, sur ce point aussi, le concept de « Tradition » que vous invoquez est faussé. La Tradition n’est pas une donnée figée ou morte, un fait en quelque sorte statique qui bloquerait, à un moment déterminé de l’histoire, la vie de cet organisme actif qu’est l’Église, c’est-à-dire le corps mystique du Christ. Il revient au pape et aux conciles de porter un jugement pour discerner dans les traditions de l’Église, ce à quoi il n’est pas possible de renoncer sans infidélité au Seigneur et à l’Esprit Saint — le dépôt de la foi — et ce qui au contraire peut et doit être mis à jour, pour faciliter la prière et la mission de l’Église à travers la variété des temps et des lieux, pour mieux traduire le message divin dans le langage d’aujourd’hui et mieux le communiquer, sans compromission indue. La Tradition n’est donc pas séparable du Magistère vivant de l’Église, comme elle n’est pas séparable de l’Écriture sainte : « La sainte Tradition, la sainte Écriture et le magistère de l’Église... sont tellement reliés et solidaires entre eux qu’aucune de ces réalités ne subsiste sans les autres, et que toutes ensemble, chacune à sa façon, sous l’action du seul Esprit Saint, contribuent efficacement au salut des âmes » (constitution Dei Verbum n. 10). C’est ainsi qu’ont agi communément les papes et les conciles œcuméniques, avec l’assistance spéciale de l’Esprit Saint. Et c’est précisément ce qu’a fait le concile Vatican II. Rien de ce qui a été décrété dans ce Concile, comme dans les réformes que Nous avons décidées pour le mettre en œuvre, n’est opposé à ce que la Tradition bimillénaire de l’Église comporte de fondamental et d’immuable. De cela, Nous sommes garant, en vertu, non pas de nos qualités personnelles, mais de la charge que le Seigneur Nous a conférée comme successeur légitime de Pierre et de l’assistance spéciale qu’il Nous a promise comme à Pierre : « J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas » (Lc 22, 32). Avec Nous en est garant l’épiscopat universel. Vous ne pouvez pas non plus invoquer la distinction entre dogmatique et pastoral pour accepter certains textes de ce Concile et en refuser d’autres. Certes, tout ce qui est dit dans un concile ne demande pas un assentiment de même nature : seul ce qui est affirmé comme objet de foi ou vérité annexe à la foi, par des actes « définitifs », requiert un assentiment de foi. Mais le reste fait aussi partie du magistère solennel de l’Église auquel tout fidèle doit un accueil confiant et une mise en application sincère. Il reste qu’en conscience, dites-vous, vous ne voyez toujours pas comment accorder certains textes du Concile ou certaines dispositions que Nous avons prises pour les mettre en œuvre, avec la saine tradition de l’Église et en particulier avec le concile de Trente ou les affirmations de nos prédécesseurs, par exemple sur la responsabilité du collège des évêques unis au Souverain Pontife, le nouvel Ordo Missœ, l’œcuménisme, la liberté religieuse, l’attitude de dialogue, l’évangélisation dans le monde de ce temps... Ce n’est pas le lieu, dans cette lettre, de reprendre chacun de ces problèmes. La teneur précise des documents, avec l’ensemble des nuances qu’ils comportent et le contexte qui les encadre, les explications autorisées, les commentaires approfondis et objectifs qui en ont été donnés sont de nature à vous faire surmonter ces perplexités personnelles. Des conseillers absolument sûrs, théologiens et spirituels, pourraient vous y aider encore, dans la lumière de Dieu, et Nous sommes prêt à vous faciliter cette assistance fraternelle. Mais comment une difficulté personnelle intérieure — drame spirituel que Nous respectons — vous permettrait-elle de vous ériger publiquement en juge de ce qui a été adopté légitimement et pratiquement à l’unanimité, et d’entraîner sciemment une partie des fidèles dans votre refus ? Si les justifications sont utiles pour faciliter intellectuellement l’adhésion — et Nous souhaitons que les fidèles troublés ou réticents aient la sagesse, l’honnêteté et l’humilité d’accueillir celles qui sont mises largement à leur disposition —, elles ne sont point par elles-mêmes nécessaires à l’assentiment d’obéissance qui est dû au Concile œcuménique et aux décisions du pape. C’est le sens ecclésial qui est en cause. Au fond vous entendez, vous-même et ceux qui vous suivent, vous arrêter à un moment déterminé de la vie de l’Église ; vous refusez, par là même, d’adhérer à l’Église vivante qui est celle de toujours ; vous rompez avec ses pasteurs légitimes, vous méprisez l’exercice légitime de leurs charges. C’est ainsi que vous ne prétendez n’être même plus touché par les ordres du pape, ni par la suspens a divini, tout en déplorant la « subversion » dans l’Église. N’est-ce pas dans cet état d’esprit que vous avez ordonné des prêtres, sans lettres dimissoriales et contre notre mandat explicite, créant un groupe de prêtres en situation irrégulière dans l’Église et affectés de graves peines ecclésiastiques ? Plus encore, vous soutenez que la suspens encourue par vous s’applique seulement à la célébration des sacrements selon le rite rénové, comme s’ils étaient importés abusivement dans l’Église que vous allez jusqu’à qualifier de schismatique, et vous pensez échapper à cette sanction en administrant les sacrements dans les formules du passé et contre les règles établies (cf. I Co 13, 10). C’est à la même conception erronée que se rattache chez vous la célébration abusive de la messe dite de saint Pie V. Vous savez fort bien que ce rite avait été lui-même le résultat de changements successifs, et que le canon romain demeure la première des prières eucharistiques autorisées aujourd’hui. La réforme actuelle a puisé ses raisons d’être et ses lignes directrices dans le Concile et dans les sources historiques de la liturgie. Elle permet aux fidèles de se nourrir plus largement de la Parole de Dieu. Leur participation plus active laisse intact le rôle unique du prêtre, agissant in persona Christi. Nous avons sanctionné cette réforme de notre autorité, en demandant son adoption par tous les catholiques. Si, en général, Nous n’avons pas jugé bon de maintenir plus longtemps des retards ou des exceptions à cette adoption, c’est en vue du bien spirituel et de l’unité de l’entière communauté ecclésiale, car, pour les catholiques de rite romain, l’Ordo Missœ est un signe privilégié de leur unité. C’est aussi parce que, dans votre cas, l’ancien rite est en fait l’expression d’une ecclésiologie faussée, un terrain de lutte contre le Concile et ses réformes, sous le prétexte que là seulement on conserverait, sans que leurs significations soient obscurcies, le véritable sacrifice de la messe et le sacerdoce ministériel. Nous ne pouvons accepter ce jugement erroné, cette accusation injustifiée, ni tolérer que l’Eucharistie du Seigneur, sacrement d’unité, soit l’objet de pareilles divisions (cf. Co 11, 18), et qu’elle soit même utilisée comme instrument et signe de rébellion. Certes, il y a place dans l’Église pour un certain pluralisme, mais dans les choses licites et dans l’obéissance. Ils ne le comprennent pas, ceux qui refusent l’ensemble de la réforme liturgique ; pas davantage d’ailleurs, ceux qui mettent en péril la sainteté de la présence réelle du Seigneur et de son sacrifice. De même, il ne peut être question d’une formation sacerdotale qui ignore le Concile. Nous ne pouvons donc pas prendre vos requêtes en considération, parce qu’il s’agit d’actes qui sont déjà posés dans la rébellion contre l’unique et véritable Église de Dieu. Cette sévérité n’est pas dictée, croyez-le bien, par un refus de faire une concession sur tel ou tel point disciplinaire ou liturgique, mais, étant donné la signification et la portée de vos actes dans le contexte actuel, agir ainsi serait de notre part accepter d’introduire une conception de l’Église et de la Tradition gravement erronée. C’est pourquoi, avec la pleine conscience de nos devoirs, Nous vous disons, frère, que vous êtes dans l’erreur. Et avec toute l’ardeur de notre amour fraternel, comme avec tout le poids de notre autorité de successeur de Pierre, Nous vous invitons à vous rétracter, à vous reprendre et à cesser d’infliger des blessures à l’Église du Christ. — III — Concrètement qu’est-ce que Nous vous demandons ? A. — D’abord et surtout, une déclaration qui remet les choses au point, pour Nous-mêmes et aussi pour le peuple de Dieu qui a droit à la clarté et ne peut plus supporter sans dommage de telles équivoques. Cette déclaration devra donc affirmer que vous adhérez franchement au concile œcuménique Vatican II et à tous ses textes — sensu obvia —, qui ont été adoptés par les pères du Concile, approuvés et promulgués par notre autorité. Car une telle adhésion a toujours été la règle, dans l’Église, depuis les origines, en ce qui concerne les conciles œcuméniques. Il doit être clair que vous accueillez également les décisions que Nous avons prises, depuis le Concile, pour le mettre en œuvre, avec l’aide des organismes du Saint-Siège ; entre autres, vous devez reconnaître explicitement la légitimité de la liturgie rénovée, notamment de l’Ordo Missœ, et notre droit de requérir son adoption par l’ensemble du peuple chrétien. Vous devez admettre aussi le caractère obligatoire des dispositions du droit canonique en vigueur qui, pour la plus grande part, correspondent encore au contenu du code de droit canonique de Benoît XV, sans en excepter la partie qui a trait aux peines canoniques. En ce qui concerne notre personne, vous aurez à cœur de cesser et de rétracter les graves accusations ou insinuations que vous avez portées publiquement contre Nous, contre l’orthodoxie de notre foi et notre fidélité à la charge de successeur de Pierre, et contre notre entourage immédiat. En ce qui concerne les évêques, vous devez reconnaître leur autorité dans leurs diocèses respectifs, en vous abstenant d’y prêcher et d’y administrer les sacrements : eucharistie, confirmation, ordres sacrés, etc., lorsque ces évêques s’y opposent expressément. Enfin vous devez vous engager à vous abstenir de toutes les initiatives (conférences, publications...) contraires à cette déclaration, et à réprouver formellement toutes celles qui se réclameraient de vous à l’encontre de la même déclaration. Il s’agit là du minimum que doit souscrire tout évêque catholique : cette adhésion ne peut souffrir de compromis. Dès que vous Nous aurez manifesté que vous en acceptez le principe, Nous vous proposerons les modalités pratiques de présenter cette déclaration. C’est la première condition pour que la suspens a divinis soit levée. B. — Ensuite restera à résoudre le problème de votre activité, de vos œuvres et notamment de vos séminaires. Vous comprendrez, frère, que, vu les irrégularités et ambiguïtés passées et présentes affectant ces œuvres, Nous ne pouvons pas revenir sur la suppression juridique de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Elle a inculqué un esprit d’opposition au Concile et à sa mise en œuvre telle que le vicaire de Jésus-Christ s’appliquait à la promouvoir. Votre déclaration du 21 novembre 1974 est un témoignage de cet esprit ; et sur un tel fondement, comme l’a jugé à juste titre notre commission cardinalice, le 6 mai 1975, on ne peut bâtir d’institution ou de formation sacerdotale conforme aux exigences de l’Église du Christ. Cela n’infirme point ce qui existe de bon dans vos séminaires, mais il faut aussi considérer les lacunes ecclésiologiques dont Nous avons parlé et la capacité d’exercer un ministère pastoral dans l’Église aujourd’hui. Devant ces réalités malheureusement mêlées, Nous aurons le souci de ne pas détruire, mais de corriger et de sauver autant que possible. C’est pourquoi, en tant que garant suprême de la foi et de la formation du clergé, Nous vous demandons d’abord de remettre entre nos mains la responsabilité de votre œuvre, et notamment de vos séminaires. C’est assurément pour vous un lourd sacrifice, mais c’est un test aussi de votre confiance, de votre obéissance, et c’est une condition nécessaire pour que ces séminaires, qui n’ont pas d’existence canonique dans l’Église, puisse éventuellement y prendre place. Ce n’est qu’après que vous en aurez accepté le principe que Nous serons en mesure de pourvoir le mieux possible au bien de toutes les personnes intéressées, avec le souci de promouvoir les vocations sacerdotales authentiques et dans le respect des exigences doctrinales, disciplinaires et pastorales de l’Église. A ce stade, Nous pourrons entendre avec bienveillance vos demandes et vos souhaits, et prendre en conscience, avec nos dicastères, les mesures justes et opportunes. En ce qui concerne les séminaristes ordonnés illicitement, les sanctions qu’ils ont encourues conformément aux canons 985, 7° et 2374 pourront être levées, s’ils donnent une preuve de résipiscence en acceptant notamment de souscrire à la déclaration que Nous vous avons demandée. Nous comptons sur votre sens de l’Église pour leur faciliter cette démarche. Quant aux fondations, maisons de formation, « prieurés » et autres institutions diverses créées sur votre initiative ou avec votre encouragement, Nous vous demandons également de vous en remettre au Saint-Siège, qui étudiera leur cas, dans ses divers aspects, avec l’épiscopat local. Leur survie, leur organisation et leur apostolat seront subordonnés, comme il est normal dans toute l’Église catholique, à un accord qui devra être passé, dans chaque cas, avec l’évêque du lieu — nihil sine episcopo — et dans un esprit qui respecte la déclaration mentionnée plus haut. * * * Tous les points qui figurent dans cette lettre et que Nous avons mûrement pesés, avec la collaboration des chefs des dicastères intéressés, n’ont été adoptés par Nous qu’en vue du meilleur bien de l’Église. Vous Nous avez dit à un moment de l’entretien du 11 septembre : « Je suis prêt à tout, pour le bien de l’Église. » La réponse est maintenant entre vos mains. Si vous refusiez — quod Deus avertat — de faire la déclaration qui vous est demandée, vous resteriez suspens a divinis. Par contre, notre pardon et la levée de la suspens vous seront assurés dans la mesure où vous accepterez sincèrement et sans ambiguïté de réaliser les conditions de cette lettre et de réparer le scandale causé. L’obéissance et la confiance dont vous ferez preuve Nous permettront aussi d’étudier, sereinement, avec vous, vos problèmes personnels. Puisse l’Esprit Saint vous éclairer et vous acheminer vers la seule solution qui vous permettrait de retrouver d’une part la paix de votre conscience un moment égarée, mais d’assurer aussi le bien des âmes, de contribuer à l’unité de l’Église dont le Seigneur Nous a confié la charge, d’éviter le péril d’un schisme. Dans l’état psychologique où vous vous trouvez. Nous avons conscience qu’il vous est difficile d’y voir clair et très dur de changer humblement de ligne de conduite : n’est-il pas urgent alors, comme dans tous les cas semblables, de vous ménager un temps et un lieu de recueillement qui vous permettent le recul nécessaire ? Fraternellement, Nous vous mettons en garde contre les pressions dont vous pourriez être l’objet de la part de ceux qui veulent vous entretenir dans une position insoutenable, alors que Nous-même, tous vos frères dans l’épiscopat et l’immense majorité des fidèles attendent enfin de vous l’attitude ecclésiale qui vous honorerait. Pour extirper les abus que nous déplorons tous et garantir un renouveau spirituel authentique, en même temps que l’évangélisation courageuse à laquelle Nous convie l’Esprit Saint, il faut plus que jamais l’aide et l’engagement de toute la communauté ecclésiale, autour du pape et de l’épiscopat. Or la révolte des uns rejoint finalement et risque d’accentuer l’insubordination et ce que vous appelez la « subversion » des autres ; alors que, sans votre propre insubordination, vous auriez pu, frère, aider à opérer, dans la fidélité et sous notre autorité, l’avancée de l’Église. Veuillez donc, cher frère, ne plus tarder davantage à considérer devant Dieu, avec une très vive et religieuse attention, cette adjuration solennelle de l’humble mais légitime successeur de Pierre. Veuillez mesurer la gravité de l’heure et prendre la seule décision qui convient à un fils de l’Église. Tel est notre espoir, telle est notre prière. Du Vatican, le 11 octobre 1976. |
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