Lettre du cardinal Villot aux Conférences Episcopales - 27 octobre 1975 |
Mis en ligne par http://fsspx.org [NOTE DE FSSPX.ORG: Cette lettre du cardinal Villot, secrétaire d’Etat, est adressée sous le numéro 290 499/94 à tous les présidents des conférences épiscopales.] |
Éminence, Excellence, Le 6 mai dernier, Mgr Pierre Mamie, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, agissant avec le plein accord du Saint-Siège, retirait l’approbation canonique à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X dirigée par Mgr Marcel Lefebvre, ancien archevêque-évêque de Tulle. Les fondations de cette Fraternité, et notamment le séminaire d’Écône, perdaient du même coup le droit à l’existence. Ainsi se trouvait tranchée, du point de vue juridique, une affaire particulièrement complexe et douloureuse. Où en est-on à six mois de distance ? Mgr Lefebvre n’a pas encore accepté, dans les faits, la décision de l’autorité compétente. Ses activités se poursuivent, ses projets tendent à se concrétiser en divers pays, ses écrits et ses propos continuent d’abuser un certain nombre de fidèles désorientés. On prétend, ici ou là, que le Saint-Père s’est laissé entraîner, ou que le déroulement de la procédure a été entaché de vices de forme. On invoque la fidélité à l’Église d’hier pour se démarquer de l’Église d’aujourd’hui, comme si l’Église du Seigneur pouvait changer de nature ou de forme. Considérant le dommage causé au peuple chrétien par la prolongation d’une telle situation, et seulement après avoir usé de toutes les ressources de la charité, le Souverain Pontife a donc disposé que les informations suivantes, qui devraient contribuer à lever les derniers doutes soient communiquées à toutes les Conférences épiscopales. La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fut érigée le 1er novembre 1970 par Mgr François Charrière, alors évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. Pieuse Union diocésaine, elle était destinée, dans l’esprit de Monseigneur Lefebvre, à se muer par la suite en une société de vie commune sans vœux. Jusqu’à sa reconnaissance comme telle — reconnaissance qui n’est d’ailleurs pas intervenue —, elle demeurait par conséquent soumise à la juridiction de l’évêque de Fribourg et à la vigilance des diocèses dans lesquels elle exerçait ses activités. Ceci conformément au droit. Il se révéla cependant assez rapidement que les responsables refusaient tout contrôle des instances légitimes, restant sourds à leurs monitions, persévérant envers et contre tout dans la ligne choisie : l’opposition systématique au concile Vatican II et à la réforme post-conciliaire. Il n’était pas acceptable que des candidats au sacerdoce soient formés en réaction contre l’Église vivante, contre le pape, contre les évêques, contre les prêtres avec lesquels ils seraient appelés à collaborer. Il devenait urgent d’aider les vocations qui avaient été ainsi orientées. Enfin il apparaissait nécessaire de remédier au trouble croissant dans plusieurs diocèses de Suisse et d’autres nations. Vu la gravité de la matière et dans le souci que 1’enquête fût menée indépendamment de toute passion, le Saint-Père institua donc une Commission cardinalice composée de trois membres : le cardinal Gabriel-Marie Garrone, préfet de la Congrégation pour l’Éducation catholique, président ; le cardinal John Wright, préfet de la Congrégation pour le Clergé ; et le cardinal Arturo Tabera, préfet de la Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers. Cette Commission reçut pour tâche d’abord de réunir les informations les plus étendues et de procéder à un examen de tous les aspects du problème ; ensuite de proposer ses conclusions au Souverain Pontife. La première phase des travaux dura environ un an. C’est dire que l’on procéda sans aucune hâte, au contraire de certaines allégations, et que l’on prit le temps exigé par une réflexion approfondie. De très nombreux témoignages furent recueillis. Une Visite apostolique de la Fraternité fut effectuée à Écône (11-13 novembre 1974) par Mgr Albert Deschamps, recteur émérite de l’université de Louvain et secrétaire de la Commission pontificale biblique, assisté de Mgr Guillaume Onclin, à titre de conseiller canonique. Mgr Mamie et Mgr Adam, évêque de Sion (diocèse d’Écône), furent entendus à plusieurs reprises, et Mgr Lefebvre fut convoqué par deux fois à Rome, en février et en mars 1975. Le pape lui-même était fréquemment et scrupuleusement tenu au courant du déroulement de l’enquête et de ses résultats, comme il devait le confirmer au cours de l’été à Mgr Lefebvre (cf. les deux Lettres pontificales dont il sera question plus loin). La seconde phase aboutit à la décision que l’on sait, décision rendue publique sur ordre de Sa Sainteté communiqué à la Commission cardinalice, et décision sans appel puisque chacun de ses points fut approuvé « in forma specifica » par l’Autorité suprême. Je ne m’étendrai pas davantage sur l’historique des événements. Si vous l’estimiez utile, vous pourriez en effet demander des précisions au représentant pontifical dans votre pays. Il a reçu pour instruction de vous les fournir en cas de besoin. Il est donc clair maintenant que la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a cessé d’exister, que ceux qui s’en réclament encore ne peuvent prétendre — à plus forte raison — échapper à la juridiction des Ordinaires diocésains, enfin que ces mêmes Ordinaires sont gravement invités à ne pas accorder, d’incardination dans leur diocèse aux jeunes qui déclareraient s’engager au service de la « Fraternité ». Il me reste à vous présenter les documents ci-joints, deux lettres adressées par le Saint-Père à Mgr Lefebvre, et une réponse de ce dernier. Leur divulgation eût été déplacée jusqu’ici : l’Évangile enseigne que la correction fraternelle doit d’abord se tenter dans la discrétion. C’est aussi la raison pour laquelle le Saint-Siège s’est abstenu de toute polémique depuis l’origine de cette affaire et n’a jamais cherché à réagir aux insinuations, manipulations mensongères de faits, accusations personnelles abondamment répandues dans la presse. Mais vient parfois un moment où le silence ne peut plus être conservé et où il faut que l’Église sache (cf. Mt 18, 15-17). La première lettre, datée du 29 juin 1975, a été portée à Écône le 8 juillet. Elle n’a jamais reçu de réponse. Vous y lirez, comme dans la seconde (8 septembre), la douleur du Père commun et l’espérance qui l’habite toujours, même si aucun signe de réelle bonne volonté ne lui a encore été donnée. Vous verrez que son désir le plus cher est d’accueillir son Frère dans l’épiscopat, lorsqu’il se sera soumis. La lettre de Mgr Lefebvre constitue certes un témoignage de dévotion personnelle à l’égard du Pontife, mais rien malheureusement n’autorise à penser que l’auteur soit résolu à obéir. Elle ne peut donc pas être considérée à elle seule comme une réponse satisfaisante. Éminence, Excellence, si les circonstances font que le problème vous touche d’une manière ou d’une autre, vous aurez à cœur, en cette Année Sainte, de travailler pour la paix et la réconciliation. L’heure n’est pas à la polémique, elle est plutôt à la charité et à l’examen de conscience. Les excès appellent souvent d’autres excès. La vigilance en matière doctrinale et liturgique, la clairvoyance dans le discernement des réformes à mettre en œuvre, la patience et le tact dans la conduite du peuple de Dieu, le souci des vocations sacerdotales et d’une préparation exigeante aux tâches du ministère, tout cela est sans nul doute le témoignage le plus efficace qu’un pasteur puisse donner. Je suis certain que vous comprendrez cet appel et, avec vous, je souhaite que l’unité des membres de l’Église resplendisse davantage demain. Croyez à mes sentiments fidèlement et cordialement dévoués. J. card. Villot. |
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