SOURCE - Paix Liturgique n°313 - 14 décembre 2011
Ayant reçu de nombreux témoignages positifs à l'issue de la messe célébrée selon la forme extraordinaire du rite romain durant les JMJ par Mgr Le Gall, archevêque de Toulouse, pour les pèlerins de Juventutem, nous avons souhaité lui donner la parole pour commenter cette expérience.
Ancien père abbé de l'abbaye bénédictine de Kergonan, l'archevêque de Toulouse a été président durant six années de la Commission épiscopale pour la Liturgie et la Pastorale sacramentelle au sein de la Conférence des Évêques de France (1). Sa profonde habitude de la liturgie latine et grégorienne lui a permis d'aborder avec une grande facilité la liturgie extraordinaire.
Nous remercions vivement Mgr Le Gall de l’obligeance avec laquelle il a bien voulu nous accorder cet entretien et de ses propos d’une grande franchise et liberté, qui ne peuvent qu’aller dans le sens de la paix et de la réconciliation dans l'Église.
1) Monseigneur, lors des JMJ de Madrid, vous avez célébré la forme extraordinaire du rite romain pour les jeunes du groupe Juventutem. C'est, à notre connaissance, la première fois que vous célébriez la liturgie traditionnelle en tant qu'archevêque de Toulouse : comment avez-vous vécu cette expérience ?
Mgr Le Gall : Je ne suis pas totalement étranger à la liturgie traditionnelle. J'ai fait ma première profession à Kergonan le 8 décembre 1965, jour de la clôture du Concile Vatican II. J'ai donc connu et pratiqué la liturgie tridentine, sous sa forme bénédictine, avant la réforme liturgique.
Mais il est vrai que j'ai célébré pour la première fois cet été la forme extraordinaire. Sauf que ce n'était pas à Madrid mais à Donezan, le 30 juillet, où j'ai conféré une ordination sacerdotale et une ordination diaconale. Ce monastère bénédictin, issu de Fontgombault, bien que situé en Ariège, ne fait pas partie de ma province ecclésiastique mais du diocèse voisin de Carcassonne et Narbonne. Et c'est précisément à l'invitation d'Alain Planet, évêque de Carcassonne, que je me suis rendu à Donezan, communauté que j'avais eu l'occasion de visiter pour la première fois l'année dernière. Pour une ordination bénédictine, il était en effet important que le célébrant puisse chanter la liturgie.
Évidemment, le pontifical selon la forme extraordinaire nécessite un minimum de préparation et un cérémoniaire attentif, ce qui était le cas. Du coup, quand le cardinal Rylko, Président du Conseil Pontifical pour les Laïcs et, à ce titre, principal organisateur des JMJ, m'a demandé de célébrer la forme extraordinaire pour le groupe Juventutem, je n'ai pas eu de difficulté à accepter.
2) En 2007, dans un communiqué pour la Commission liturgique de la CEF (Conférence des évêques de France), vous aviez commenté le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI en indiquant qu'il fallait “accueillir” l'inititative du Saint Père, “la comprendre et entrer dans le sens de ce qu'il demande”. Est-ce que c'est dans cet esprit que vous avez répondu favorablement aux invitations de Mgr Planet et du cardinal Rylko ?
Mgr Le Gall : Oui, tout à fait. Depuis que le Saint Père a pris sa décision et a publié le Motu Proprio, que l'instruction Universæ Ecclesiæ a consolidé, je considère qu'il est de notre devoir d'évêque d'entrer dans sa “mens”. Il nous faut comprendre ses motivations, le souci d'une liturgie digne et priante, la paix et la réconciliation dans l'Église, et suivre son exemple.
Bien entendu, “entrer dans le sens de ce que demande” Benoît XVI, c'est aussi ne pas refuser par principe la forme ordinaire et éviter de la dénigrer. C'est malheureusement une attitude que l'on rencontre chez certains traditionalistes.
Dans un article que j'ai donné en 2008 à Lumière et Vie, la revue des Dominicains de Lyon, et qui portait sur la première année d'application du Motu Proprio, je me suis efforcé d'illustrer tous ces aspects. Et le Saint Père, qui en a eu connaissance, m'a confirmé dans cette “lecture” de son initiative.
3) “Paix et réconciliation” : la motivation principale du motu proprio c'est en fait l'unité de l'Église, un thème au cœur du pontificat de Benoît XVI. C'est d'ailleurs par souci d'unité ecclésiale que Paix Liturgique souhaite la célébration de la forme extraordinaire dans les paroisses plus que dans des lieux de messe ad hoc. Seriez-vous d'accord pour dire que, pour un évêque, la célébration de la forme extraordinaire est une manifestation de son unité avec le Saint Père ?Est-ce le sens que l'on peut donner à la messe que vous avez célébrée lors des JMJ ?
Oui, on peut le voir comme cela : c'est une des façons pour un évêque d'être uni au successeur de Pierre. Mais ce n'est pas la seule.
4) Vous avez célébré pour de jeunes catholiques attachés à la forme extraordinaire du rite romain : comment expliquez-vous l'attrait de nombre d'entre eux pour une liturgie que certains, laïcs comme ecclésiastiques, continuent de considérer obsolète et ringarde ?
À Toulouse, où nous avons une pastorale étudiante très dynamique et fructueuse, je peux constater tous les jours le désir des jeunes pour une liturgie sobre et noble mais aussi active et communautaire. Alors, si je comprends que la forme extraordinaire leur offre une intériorité plus grande, par son silence et son recueillement, je me pose la question de la place qu'elle réserve au sens de la communauté.
De fait, et c'est un phénomène que les évêques de France connaissent bien, les jeunes sont habitués à zapper et leur pratique religieuse n'y échappe pas : ils passent facilement d'une phase chacha à une phase tradi ou l'inverse.
Aux JMJ, j'ai prêché pour Juventutem comme j'aurais prêché pour tout autre groupe de jeunes. Cela s'est bien passé et je n'ai pas eu le sentiment d'avoir à faire à des jeunes à part.
5) Dans votre diocèse, le motu proprio est appliqué à Toulouse, où vous avez confié un apostolat à l'Institut du Christ-Roi, et à la campagne, dans le doyenné du Grand Selve : quel regard portez-vous sur ces communautés ? Les avez-vous déjà visitées ou avez-vous en projet de le faire ?
En 2010, j'ai présidé la célébration de l’Ascension à Saint-Jean-Baptiste à Toulouse, la chapelle qui a été confiée dès 2003, soit avant même le pontificat de Benoît XVI et avant mon arrivée dans la ville, à l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre. Et j'y ai conféré le sacrement de confirmation deux jours plus tard.
Si je n'ai jamais assisté à une messe à Launac, dans le doyenné du Grand Selve, j'entretiens néanmoins des relations étroites avec cette communauté et ses pasteurs. Il s'agit là d'une application paroissiale du Motu Proprio, où forme extraordinaire et forme ordinaire cohabitent paisiblement tout en s'enrichissant l'une l'autre comme le souhaite le pape. Ainsi, lors des confirmations dans le doyenné, selon la forme ordinaire, le curé avait arrangé l'autel avec le crucifix central et les chandeliers, comme cela se fait désormais à Saint-Pierre de Rome.
Récemment, lors de l'enterrement de Mgr Gaidon, l'ancien évêque de Cahors, le supérieur de notre séminaire diocésain m'a confié une anecdote symbolique de la communauté du Grand Selve. Il avait été invité pour une réflexion sur le prologue de l'Evangile selon saint Jean et, alors qu'il expliquait qu'il était malheureusement trop méconnu, réservé à la messe de Noël, il a entendu l'un des fidèles présents lui répondre : “Nous, on l'a tous les dimanches !” Il s'agissait bien entendu d'un des fidèles de la paroisse assistant régulièrement à la forme extraordinaire dans la paroisse.
Je n'ai pas de projet immédiat de célébrer dans l'une ou l'autre de ces deux communautés, mais le ferai volontiers à l'occasion, d'autant plus que j'ai fait depuis cet été l'acquisition du Pontifical Romain de 1962.
6) Dans votre communiqué de 2007, vous écriviez que “le latin reste normatif actuellement dans notre Église romaine”. Pourtant, il n'est plus enseigné dans de nombreux séminaires : n'y a-t-il pas là un grave manque à réparer ?
Je ne peux pas répondre pour les séminaires en général, mais puis vous assurer qu'il a toute sa place à Toulouse.
7) Avez-vous un message particulier à adresser à nos lecteurs ?
Juste insister sur l'importance qu'il y a pour tous les fidèles, et pas seulement les évêques et les prêtres, d'aller dans le sens de ce que veut le Saint Père. Et ce qu'il veut, c'est la paix et l'unité liturgiques, le respect mutuel entre les deux formes sans en faire une guerre de tranchées. La forme ordinaire reste l'ordinaire des communautés paroissiales et religieuses, dans le respect des fidèles et de la tradition de l'Église.
(1) Nous avions par le passé critiqué un refus de messe traditionnelle dans le diocèse de Mende sous le régime du Motu Proprio de 1988. Mgr Le Gall, qui était alors évêque de Mende, a tenu à nous préciser que s'il n'avait pas donné suite à la demande de messe, c'est parce que les demandeurs étaient pour la plupart extérieurs au diocèse.
Ayant reçu de nombreux témoignages positifs à l'issue de la messe célébrée selon la forme extraordinaire du rite romain durant les JMJ par Mgr Le Gall, archevêque de Toulouse, pour les pèlerins de Juventutem, nous avons souhaité lui donner la parole pour commenter cette expérience.
Ancien père abbé de l'abbaye bénédictine de Kergonan, l'archevêque de Toulouse a été président durant six années de la Commission épiscopale pour la Liturgie et la Pastorale sacramentelle au sein de la Conférence des Évêques de France (1). Sa profonde habitude de la liturgie latine et grégorienne lui a permis d'aborder avec une grande facilité la liturgie extraordinaire.
Nous remercions vivement Mgr Le Gall de l’obligeance avec laquelle il a bien voulu nous accorder cet entretien et de ses propos d’une grande franchise et liberté, qui ne peuvent qu’aller dans le sens de la paix et de la réconciliation dans l'Église.
1) Monseigneur, lors des JMJ de Madrid, vous avez célébré la forme extraordinaire du rite romain pour les jeunes du groupe Juventutem. C'est, à notre connaissance, la première fois que vous célébriez la liturgie traditionnelle en tant qu'archevêque de Toulouse : comment avez-vous vécu cette expérience ?
Mgr Le Gall : Je ne suis pas totalement étranger à la liturgie traditionnelle. J'ai fait ma première profession à Kergonan le 8 décembre 1965, jour de la clôture du Concile Vatican II. J'ai donc connu et pratiqué la liturgie tridentine, sous sa forme bénédictine, avant la réforme liturgique.
Mais il est vrai que j'ai célébré pour la première fois cet été la forme extraordinaire. Sauf que ce n'était pas à Madrid mais à Donezan, le 30 juillet, où j'ai conféré une ordination sacerdotale et une ordination diaconale. Ce monastère bénédictin, issu de Fontgombault, bien que situé en Ariège, ne fait pas partie de ma province ecclésiastique mais du diocèse voisin de Carcassonne et Narbonne. Et c'est précisément à l'invitation d'Alain Planet, évêque de Carcassonne, que je me suis rendu à Donezan, communauté que j'avais eu l'occasion de visiter pour la première fois l'année dernière. Pour une ordination bénédictine, il était en effet important que le célébrant puisse chanter la liturgie.
Évidemment, le pontifical selon la forme extraordinaire nécessite un minimum de préparation et un cérémoniaire attentif, ce qui était le cas. Du coup, quand le cardinal Rylko, Président du Conseil Pontifical pour les Laïcs et, à ce titre, principal organisateur des JMJ, m'a demandé de célébrer la forme extraordinaire pour le groupe Juventutem, je n'ai pas eu de difficulté à accepter.
2) En 2007, dans un communiqué pour la Commission liturgique de la CEF (Conférence des évêques de France), vous aviez commenté le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI en indiquant qu'il fallait “accueillir” l'inititative du Saint Père, “la comprendre et entrer dans le sens de ce qu'il demande”. Est-ce que c'est dans cet esprit que vous avez répondu favorablement aux invitations de Mgr Planet et du cardinal Rylko ?
Mgr Le Gall : Oui, tout à fait. Depuis que le Saint Père a pris sa décision et a publié le Motu Proprio, que l'instruction Universæ Ecclesiæ a consolidé, je considère qu'il est de notre devoir d'évêque d'entrer dans sa “mens”. Il nous faut comprendre ses motivations, le souci d'une liturgie digne et priante, la paix et la réconciliation dans l'Église, et suivre son exemple.
Bien entendu, “entrer dans le sens de ce que demande” Benoît XVI, c'est aussi ne pas refuser par principe la forme ordinaire et éviter de la dénigrer. C'est malheureusement une attitude que l'on rencontre chez certains traditionalistes.
Dans un article que j'ai donné en 2008 à Lumière et Vie, la revue des Dominicains de Lyon, et qui portait sur la première année d'application du Motu Proprio, je me suis efforcé d'illustrer tous ces aspects. Et le Saint Père, qui en a eu connaissance, m'a confirmé dans cette “lecture” de son initiative.
3) “Paix et réconciliation” : la motivation principale du motu proprio c'est en fait l'unité de l'Église, un thème au cœur du pontificat de Benoît XVI. C'est d'ailleurs par souci d'unité ecclésiale que Paix Liturgique souhaite la célébration de la forme extraordinaire dans les paroisses plus que dans des lieux de messe ad hoc. Seriez-vous d'accord pour dire que, pour un évêque, la célébration de la forme extraordinaire est une manifestation de son unité avec le Saint Père ?Est-ce le sens que l'on peut donner à la messe que vous avez célébrée lors des JMJ ?
Oui, on peut le voir comme cela : c'est une des façons pour un évêque d'être uni au successeur de Pierre. Mais ce n'est pas la seule.
4) Vous avez célébré pour de jeunes catholiques attachés à la forme extraordinaire du rite romain : comment expliquez-vous l'attrait de nombre d'entre eux pour une liturgie que certains, laïcs comme ecclésiastiques, continuent de considérer obsolète et ringarde ?
À Toulouse, où nous avons une pastorale étudiante très dynamique et fructueuse, je peux constater tous les jours le désir des jeunes pour une liturgie sobre et noble mais aussi active et communautaire. Alors, si je comprends que la forme extraordinaire leur offre une intériorité plus grande, par son silence et son recueillement, je me pose la question de la place qu'elle réserve au sens de la communauté.
De fait, et c'est un phénomène que les évêques de France connaissent bien, les jeunes sont habitués à zapper et leur pratique religieuse n'y échappe pas : ils passent facilement d'une phase chacha à une phase tradi ou l'inverse.
Aux JMJ, j'ai prêché pour Juventutem comme j'aurais prêché pour tout autre groupe de jeunes. Cela s'est bien passé et je n'ai pas eu le sentiment d'avoir à faire à des jeunes à part.
5) Dans votre diocèse, le motu proprio est appliqué à Toulouse, où vous avez confié un apostolat à l'Institut du Christ-Roi, et à la campagne, dans le doyenné du Grand Selve : quel regard portez-vous sur ces communautés ? Les avez-vous déjà visitées ou avez-vous en projet de le faire ?
En 2010, j'ai présidé la célébration de l’Ascension à Saint-Jean-Baptiste à Toulouse, la chapelle qui a été confiée dès 2003, soit avant même le pontificat de Benoît XVI et avant mon arrivée dans la ville, à l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre. Et j'y ai conféré le sacrement de confirmation deux jours plus tard.
Si je n'ai jamais assisté à une messe à Launac, dans le doyenné du Grand Selve, j'entretiens néanmoins des relations étroites avec cette communauté et ses pasteurs. Il s'agit là d'une application paroissiale du Motu Proprio, où forme extraordinaire et forme ordinaire cohabitent paisiblement tout en s'enrichissant l'une l'autre comme le souhaite le pape. Ainsi, lors des confirmations dans le doyenné, selon la forme ordinaire, le curé avait arrangé l'autel avec le crucifix central et les chandeliers, comme cela se fait désormais à Saint-Pierre de Rome.
Récemment, lors de l'enterrement de Mgr Gaidon, l'ancien évêque de Cahors, le supérieur de notre séminaire diocésain m'a confié une anecdote symbolique de la communauté du Grand Selve. Il avait été invité pour une réflexion sur le prologue de l'Evangile selon saint Jean et, alors qu'il expliquait qu'il était malheureusement trop méconnu, réservé à la messe de Noël, il a entendu l'un des fidèles présents lui répondre : “Nous, on l'a tous les dimanches !” Il s'agissait bien entendu d'un des fidèles de la paroisse assistant régulièrement à la forme extraordinaire dans la paroisse.
Je n'ai pas de projet immédiat de célébrer dans l'une ou l'autre de ces deux communautés, mais le ferai volontiers à l'occasion, d'autant plus que j'ai fait depuis cet été l'acquisition du Pontifical Romain de 1962.
6) Dans votre communiqué de 2007, vous écriviez que “le latin reste normatif actuellement dans notre Église romaine”. Pourtant, il n'est plus enseigné dans de nombreux séminaires : n'y a-t-il pas là un grave manque à réparer ?
Je ne peux pas répondre pour les séminaires en général, mais puis vous assurer qu'il a toute sa place à Toulouse.
7) Avez-vous un message particulier à adresser à nos lecteurs ?
Juste insister sur l'importance qu'il y a pour tous les fidèles, et pas seulement les évêques et les prêtres, d'aller dans le sens de ce que veut le Saint Père. Et ce qu'il veut, c'est la paix et l'unité liturgiques, le respect mutuel entre les deux formes sans en faire une guerre de tranchées. La forme ordinaire reste l'ordinaire des communautés paroissiales et religieuses, dans le respect des fidèles et de la tradition de l'Église.
(1) Nous avions par le passé critiqué un refus de messe traditionnelle dans le diocèse de Mende sous le régime du Motu Proprio de 1988. Mgr Le Gall, qui était alors évêque de Mende, a tenu à nous préciser que s'il n'avait pas donné suite à la demande de messe, c'est parce que les demandeurs étaient pour la plupart extérieurs au diocèse.