SOURCE - Nice Matin - 11 décembre 2006
Prêtre ordonné au séminaire traditionaliste d'Ecône, l'abbé Guillaume de Tanoüarn a quitté la Fraternité Saint-Pie-X de Mgr Lefebvre en mars 2005. Avec l'abbé Laguerie, autre "figure" lefebvriste (il est resté 14 ans à Saint-Nicolas du Chardonnet, l'église occupée depuis 1977 par les "intégristes" à Paris) en rupture avec la Fraternité, et l'abbé Aulagnier, lui aussi ancien pilier du lefebvrisme, il a rejoint l'Eglise le 8 septembre dernier au sein du Bon Pasteur, un Institut religieux tout récent et autorisé à célébrer l'ancienne messe selon le rite de Saint-Pie V.
- Pourquoi avoir rejoint l'Eglise ?
- Nous avons la chance d'avoir un nouveau pape théologien. On ne peut pas refuser la main qu'il tend aux traditionnalistes, d'autant qu'il a entamé un travail de fond déjà amorcé par Jean Paul II, qui avait commencé un recentrage liturgique avec son instruction "Redemptionis Sacramentum, sur certaines choses à observer et à éviter concernant l'eucharistie" et avec l'encyclique "Ecclesia de eucharistia, sur les rapports de l'eucharistie avec l'Eglise". La "détabouisation" du concile commence enfin.
- Vous vous dites toujours traditionaliste. Le traditionalisme, "combien de divisions" ?
- On compte en France environ 200 000 personnes attachées à la messe de Saint-Pie-V. Mais cela représente un enjeu symbolique beaucoup plus important. Sinon, Coluche n'en aurait sans doute pas fait un sketch, ni Brassens une chanson.
- Qu'est-ce que la Tradition ?
- C'est la transmission du message évangélique formulé dans les dogmes et les rites (liturgie). Les traditionnalistes demandent un accès libre aux formes de la Tradition. Le paradoxe du rite nouveau, c'est qu'on y comprend tout et qu'on n'y comprend rien : on le célèbre en français, mais son sens est mal manifesté, notamment le caractère sacrificiel de la messe. C'est l'auberge espagnole : on y trouve ce qu'on y apporte. La force du rite ancien, c'est qu'il est explicite théologiquement en lui-même. Et qu'il contient en lui-même une sacralité qui n'a pas à être provoquée par le célébrant. Le rite rénové est valide, mais pas très adéquat. Il faudrait libéraliser le rite traditionnel. Cela permettrait de "retrouver le mode d'emploi" de la messe.
- La messe de Saint-Pie V est-elle le vrai cheval de bataille des traditionnalistes, ou un cheval de Troie contre le concile ?
- Que les évêques de France nous expliquent ce qu'est Vatican II. Qu'on arrête de se contenter d'invocations et qu'on aborde le contenu du concile. C'est le sens du n° 7 de notre revue "Objections".
- Pensez-vous comme l'évêque lefebvriste Mgr Tissier que l'on ne peut pas lire Vatican II à la lumière de la Tradition ?
- Il a dérapé.
- Mais vous-même, pensez-vous toujours, comme vous l'avez écrit dans "Vatican II et l'Evangile", que le concile, c'est "Ebola" ? Que c'est un "espace où sont concentrées toutes les erreurs théologiques caractéristiques de notyre temps ? Faites-vous toujours "profession d'être anticonciliaire "? Pensez-vous toujours que la "Révolution conciliaire est un véritable demi-tour de l'Eglise, une inversion de son message" ?
- Aujourd'hui, je dirais les choses autrement. Vatican II a osé poser les questions qu'il fallait poser en tant que catholique face à la modernité : liberté religieuse, oecuménisme, question juive... Vatican II ouvre des pistes à explorer, parfois à déminer. Il y a un travail théologique à accomplir, mais le travail théologique du XXIe siècle n'est pas celui du XXe siècle. Dans ses voeux à la Curie le 22 décembre 2005, Benoit XVI écarte l'"herméneutique de la discontinuité et de la rupture", "qui a souvent pu compter sur la sympathie d’une partie de la théologie moderne et qui risque de finir par une rupture entre Église préconciliaire et Église post-conciliaire". Il considère qu'il n'y a pas encore eu d'intérprétation authentique du concile. Il prône une "herméneutique de la réforme", "du renouveau dans la continuité de l'Église, laquelle grandit dans le temps et se développe, tout en restant toujours la même : le Peuple de Dieu en marche". L'Eglise a la chance d'avoir un pape théologien . Il a déjà réévalué des formules dans Dominus Jesus. Par exemple : l'Eglise de Dieu = l'Eglise catholique.
- On dit que Rome est sur le point de faciliter la messe de Saint-Pie-V ? Les lefebvristes vont-ils bientôt réintégrer l'Eglise ?
- Je ne suis pas sûr qu'ils soient pressés de le faire. La réintégration de la Fraternité Saint-Pie-X est difficile : c'est une grosse structure. En revanche, les évêques ont tout à gagner dans la libéralisation de la messe tridentine : ils n'auront plus la "concurrence" des congrégations. A Lourdes, les évêques de France ont donné un blanc-seing à Mgr Ricard pour régler le problème des traditionnalites. C'est comme s'ils lui avaient dit : "Jean-Pierre, vas-y !". Cela va dans le sens d'une vraie paix de l'Eglise, même si la coordination avec Rome n'est pas parfaite. Aujourd'hui, on assiste à une levée des tabous. Enfin, on peut se parler. Finalement, est-on si éloignés les une des autres ? A la table ronde que nous avons organisé en novembre dernier à la Mutualité, l'abbé Laguérie a pu dialoguer avec l'hebdomadaire La Vie. Chose impensable il n'y a pas si longtemps. Les oppositions sont liées à beaucoup d'ignorances réciproques. Une ignorance du rite traditionnel notamment.