Au sujet de Campos - Le mot du Supérieur Général |
Mgr Fellay, Nouvelles de Chrétienté n°73, Mars/ Avril 2002 |
La conjonction, à quelques jours près, de la reconnaissance de Campos par Rome, que certains pensent être une reconnaissance de la Tradition, et de la journée d’Assise, qui est à l’extrême opposé de la Tradition présente une telle contradiction qu’elle nous oblige à un regard approfondi ; la démolition systématique de tout ce qui est traditionnel dans l’Eglise depuis le concile Vatican II impose une cohérence logique dans l’œuvre entreprise. Avant de saluer la reconnaissance de Campos comme un retour de Rome à la Tradition, nous sommes obligés de nous demander si cet événement ne peut pas aussi, ne doit pas aussi, être inséré dans la logique post-conciliaire : et précisément la journée d’Assise fournit un argument probant en faveur de cette thèse. Si la Rome post-conciliaire est capable de réunir tant de religions, on peut même dire toutes les religions, pour une cause commune religieuse, comment ne pourrait-elle pas aussi trouver une petite place pour la Tradition ? Faut-il y voir un dilemme pour Rome : résorber le « schisme de la Tradition » en l’acceptant, alors que cette dernière s’est montrée jusqu’ici exclusive et condamnatoire (et donc accepter qu’elle a raison contre la Rome moderniste) ou continuer dans la ligne des réformes ? Très manifestement, la ligne des réformes est maintenue comme principe intangible et irréversible. Donc la condition que Rome doit poser pour l’acceptation d’un mouvement traditionnel est l’accord de principe du Concile (on peut discuter sur les nuances et certaines conclusions). C’est le pas obligé. C’est l’entrée dans le pluralisme sous apparence de reconnaissance de la part de Rome, qui est imposé, ce n’est pas le retour de l’Église conciliaire à la Tradition. Le Cardinal Castrillón me reproche cet argument. Ce ne serait pas au nom du pluralisme que Rome désire notre retour, ce n’est pas dans une situation pluraliste que l’on veut nous placer. Et pourtant. La condition pour réaliser ce nouveau prodige a été exprimée par le Cardinal Castrillón, acteur de l’accord camposien dès avant le début des discussions dans un article de 30Giorni d’abord en automne 2000, dans la Nef ensuite, finalement à Campos, lors d’une conférence de presse, le 19 janvier 2002. Le théologien de la maison pontificale, le Père Cottier, n’a pas usé d’autre argument d’ailleurs : l’acceptation du Concile est manifestement le point majeur et déterminant (vient ensuite l’acceptation de la nouvelle messe). C’est le principe d’où est partie la révolution dans l’Église, et de fait, tout le reste suit. Devant ce fait, il me semble que nous nous trouvons devant une ambiguïté de plus par rapport à l’Eglise conciliaire : lorsque nous disons accepter le Concile avec des restrictions (refuser ce qui est contraire à l’enseignement pérenne, interpréter l’ambigu à la lumière de la Tradition, accepter le toujours enseigné), il semble bien que nous disons tout autre chose que ce qu’en comprennent les romains. Car fondamentalement, nous considérons ce Concile comme la grande catastrophe du XXe siècle, la cause de dommages incalculables faits à l’Eglise et aux âmes, alors qu’eux y voient le grand miracle du XXe siècle, le bain de jouvence de l’Église. Tout le reste suit : Le Père Cottier annonce le prochain pas que “l’on” attend de Campos : la concélébration de la nouvelle messe, bien entendu. Et Mgr Perl dit que cela se fera piano piano, petit à petit. Piano piano, les prêtres et les fidèles de Campos seront réintégrés dans le diocèse et dans “l’Église” postconciliaire. Lui aussi prévoit que cela se fera assez vite, cependant. On ne peut pas attribuer à Mgr Perl ces pensées seulement au nom d’une vengeance pour avoir été tenu à l’écart des négociations; c’est la pensée dominante de la Rome conciliaire. Campos ne veut pas le savoir. La réalité se fera bien vite sentir. Très probablement trop tard. Ils pensent encore que de la part de Rome, c’est la reconnaissance de la Tradition. Alors que le contraire vient de se passer. Une partie de la Tradition, un mouvement traditionnel, a accepté, avec quelques réserves, certes, la réalité postconciliaire. Rome estime le pas suffisant. On doit d’ailleurs remarquer que pour la première fois, on a fait d’un Concile non dogmatique un critère de catholicité déterminant. Attendons la publication des statuts définitifs de l’Administration apostolique, qui n’ont pas encore été communiqués aux intéressés. Lu la veille du 18 janvier aux prêtres de Campos, le texte a été ramené à Rome pour amélioration. Un mot manquait, seuls la messe et le bréviaires traditionnels étaient prévus, il manquait les sacrements. En ce qui concerne la nomination de l’évêque de l’Administration, elle est réglée par le droit commun. Pour la nomination des évêques diocésains, le Vatican n’est pas obligé de choisir un prêtre du diocèse. Pour une Administration qui compte 25 prêtres, on peut comprendre facilement que Rome ne veuille s’obliger à une telle limitation. Si le successeur immédiat de Mgr Rangel sera encore choisi parmi les membres de l’Union sacerdotale Saint Jean Marie Vianney, ce qui n’est pas certain, ce ne sera que par une “miséricorde” spéciale et diplomatique. A noter aussi que les limites territoriales de cette Administration apostolique personnelle sont très strictes : le diocèse de Campos. Ainsi la réintégration dans le diocèse, chose annoncée par Mgr Perl, ne sera pas difficile. (1) Nous avouons ne pas comprendre comment, dans la situation que nous vivons, Campos ait pu si légèrement se lancer dans cette aventure sans prendre ou demander aucune mesure protectrice. On a beau vanter les avantages acquis par la nouvelle structure canonique, le droit à la messe tridentine, par exemple, un évêque traditionnel, aussi, le fait que sur le papier, rien de substantiel n’aurait été galvaudé : la fragilité de l’Administration d’une part, la stabilité de la ligne réformatrice vaticane d’autre part, sont des arguments suffisants pour prédire la chute de Campos malgré toutes les déclarations de meilleure intention. De plus, il faut bien distinguer un manque à la vertu de foi elle-même, d’un défaut dans la confession publique de la foi qui est nécessaire dans certaines circonstances comme l’a si bien rappelé Mgr de Castro Mayer le jour des sacres. Or une prévarication comme celle d’Assise réclame cette confession publique… que nous n’avons pas entendue venant de Campos. La situation ne retrouverait un intérêt particulier pour nous que si subitement ils se mettaient à résister et en arrivaient à un affrontement avec la Rome moderniste. + Bernard Fellay NOTE : (1) La version définitive des Statuts de l’Administration vient confirmer l’analyse de Mgr Fellay sur ces deux points : la succession de Mgr Rangel et la limitation territoriale au seul diocèse de Campos. En ce qui concerne la succession, le “droit commun” signifie que le nonce apostolique présente une terna à la Congrégation des Évêques, c’est-à-dire qu’il prépare un dossier sur trois prêtres qu’il a retenus et Rome choisira parmi eux – à moins que la Congrégation ne réclame des dossiers supplémentaires. Le nonce peut retenir tout prêtre qu’il trouvera idoine, dans le diocèse ou dans le pays même. Il n’y a donc nulle assurance que le successeur de Mgr Rangel soit un prêtre de l’Association, même si cela reste bien évidemment possible. Quant à la limitation territoriale, elle est également mentionnée dans les Statuts, sans qu’aucune exception ne soit signalée. Certains objecteront que Mgr Lefebvre lui-même a prononcé cette phrase : « J’accepte le Concile, interprété à la lumière de la Tradition ». Il est vrai que Mgr Lefebvre l’a formulée devant le pape Jean-Paul II, en octobre 1978. Notons cependant qu’il ne l’a pas reprise par la suite et qu’elle n’a pas fait l’objet du protocole d’accord du 5 mai 1988. En effet, Mgr Lefebvre s’est rendu compte qu’elle n’avait pas la même signification pour la Rome moderniste que pour nous. La réponse donnée par le Cardinal Ratzinger au « Dubia » sur la liberté religieuse ainsi que les entretiens qu’eut Mgr Lefebvre avec ledit Cardinal avant les sacres de 1988 le prouvent abondamment : « Il n’y a plus qu’une seule Eglise, c’est l’Eglise de Vatican II. Vatican II représente la Tradition. » (Paroles du Cardinal Ratzinger, citées par Mgr Lefebvre dans la conférence de presse du 15 juin 1988). Il est donc dangereux de citer Jean-Paul II en ce domaine, et vouloir épouser ses propos : « Ce fut le critère également utilisé par le Pape Jean Paul II quand il a parlé de la « doctrine intégrale du Concile », cela veut dire, a-t-il expliqué, que « la doctrine doit être comprise à la lumière de la Sainte Tradition et rapportée au Magistère constant de la Sainte Eglise » (Jean Paul II, discours à la réunion de l’Ecole Sacrée, le 5 novembre 1979). (Cité dans le document : « Les Prêtres de Campos : Leur reconnaissance par le Saint-Siège », de l’Administration Apostolique personnelle Saint Jean Marie Vianney.) Au lendemain de l’accord des prêtres de Campos a paru un entretien (Radio-Vatican) avec le théologien de la maison pontificale, le Père Georges Cottier, O.P., dans lequel celui-ci exprimait qu’il était insuffisant que les prêtres de Campos reconnaissent la validité de la nouvelle messe, mais que l’on devait les amener à la célébrer : « Nous devons nous attendre peu à peu à d’autres actes de rapprochement : par exemple, la participation à des concélébrations dans le rite réformé. Mais il faut encore faire preuve de patience. Il est essentiel que leurs cœurs ne s’y refusent pas plus longtemps. L’unité retrouvée au sein de l’Eglise renferme en elle-même une dynamique interne qui portera ses fruits. » « L’ampleur et la profondeur des enseignements duConcile Vatican II requièrent un effort renouvelé d’approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du Concile avec la Tradition (...) » (Ecclesia Dei Adflicta, du 2 juillet 1988) « Nous reconnaissons le Concile Vatican II comme l’un des Conciles œcuméniques de l’Eglise catholique, l’acceptant à la lumière de la Sainte Tradition . » (Déclaration de Mgr Rangel, du 18 janvier 2002) |
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