Election de Mgr Fellay - Pourquoi le choix du même |
Abbé Guillaume de Tanoüarn - 13 juillet 2006 - frat.canalhistorique.free.fr |
Deux questions qui avaient été plus ou moins enterrées à la faveur de l’immobilité des circonstances ont resurgi, prenant occasion en quelque sorte de l’élection d’un nouveau Supérieur général pour 12 ans, lors du Chapitre qui s’est tenu à Ecône le 11 juillet dernier : L’une porte sur le passé récent de la FSSPX, l’autre sur son avenir.
Pour mieux éclairer la manière dont ces enjeux ont été posés, il importe de revenir brièvement sur plusieurs circonstances de ce chapitre. Notons pour commencer tous les mystères faits autour de l’importance de ce Chapitre. Il ne concernait pas seulement ceux qui y ont participé (45) mais tous les membres de la FSSPX (450) et, à cause de la dureté des temps et du rôle de suppléance de cette Fraternité, tous les fidèles. Rien n’a filtré des intentions de votes ou simplement des mobiles qui animaient les uns et les autres. Il était impossible de parler de ce Chapitre sans paraître indiscret. Tout juste pouvait-on (et d’ailleurs devait-on) « jeûner et prier ». Silence on tourne ! C’est dans ce contexte de peur qu’il faut situer l’intervention de Mgr Tissier de Mallerais au mois de février dernier. L’évêque a déclaré à une revue traditionaliste américaine, The Remnant, que le nouveau Supérieur ne devait pas être un évêque. Le biographe de Mgr Lefebvre s’exprimait là au nom de l’esprit du fondateur. C’est la seule tentative d’influence sur le scrutin qui ait eu lieu à ciel ouvert. Si Mgr Tissier avait été écouté, on était sûr que Mgr Fellay ne pouvait pas être réélu. Il l’a été. Le scrutin a duré longtemps. Toute la journée. Indice clair que cette réélection n’allait pas de soi (lors du précédent chapitre, en 1995, les résultats étaient connus en fin de matinée. Cette fois, ils ont été communiqués en début de soirée). Cela ne signifie pas pour autant que le résultat soit laborieux, incertain ou ambigu. L’équipe que forme Mgr Fellay avec ses deux assistants semble au contraire parfaitement soudée et sans contrepoids interne pour l’instant. L’abbé Aulagnier, essayant de faire reconnaître la nullité de son exclusion passée, n’a réussi qu’à faire l’unanimité (vous avez bien lu) des membres du Chapitre contre lui. Un nouveau vote a “validé” son exclusion. Cette proportion est trop écrasante pour être honnête. Elle a conféré à Mgr Fellay une sorte de blanc-seing sur sa gestion du passé, en groupant tous les participants, inconditionnellement et sans exception, autour de “la défense du principe d’autorité”. Au cours de l’Affaire Laguérie (2004-2005), Mgr Fellay a largement prouvé à qui voulait analyser les faits, sa désinvolture dans l’exercice de l’autorité supérieure. Cela n’a pas suffi à faire réfléchir les votants sur l’opportunité d’un second mandat de 12 ans conféré à Mgr Fellay. Au contraire, tout se passe comme si on lui avait su gré de son absence de scrupule et de son aptitude à gouverner en dehors des règles du droit. La situation présente exigerait ce genre de tempérament, fort de leur autorité et sachant ignorer les objections, les questions et le fonctionnement normal d’une institution (avec le droit d’appel, afférent à tout ordre proprement juridique et inexistant dans la FSSPX). Cette réélection déçoit un grand nombre de prêtres qui ne participaient pas au Chapitre. Elle était pourtant inscrite dans la logique politique qui gouverne la FSSPX et ses statuts. Le Supérieur est élu tous les douze ans, aux deux tiers des voix, par un cénacle de 45 participants (un dixième des membres de la Fraternité, nous l’avons vu). Les électeurs, se trouvant à des postes de responsabilité aux quatre coins du monde, se connaissent peu entre eux. Ils votent donc pour le plus connu, et le plus connu (de tous) provient évidemment de l’équipe de direction précédente (Mgr Fellay en 1995 était non seulement un des quatre évêques, mais il était économe général, connu de tous les supérieurs locaux). Mais pourquoi avoir réélu Mgr Fellay lui-même ? Toutes les prudences humaines auraient dû conduire les électeurs à réfléchir à ce que signifie un deuxième mandat de 12 ans. Avec 24 ans de Supériorat en perspective, l’évêque suisse atteint aux dimensions d’un re-fondateur de la Fraternité, qu’il aura marquée de son empreinte comme personne avant lui. Ce règne d’un quart de siècle signifie que le pouvoir personnel du Supérieur pèsera considérablement dans la balance et marquera plus que jamais la gestion des hommes et l’administration des choses. « Ipse feci vos », c’est moi qui vous aie tous créés, disait le pape Léon XIII, à la fin de son pontificat (26 ans entre 1876 et 1903). On peut dire qu’avec 24 ans de Supériorat, Mgr Fellay aura entièrement constitué le chapitre de 2018, qui élira son successeur. Et sa jeunesse lui permet d’ores et déjà de garder tout espoir. Une telle continuité était-elle dans les habitudes de la Fraternité ? Mgr Lefebvre, premier supérieur, n’avait eu de cesse que de faire élire un successeur : entre 1983 et 1995, ce fut l’abbé Schmidberger qu’il mit à la tête de sa propre Maison. Ce prêtre allemand eut un rôle considérable, en ayant la haute main sur le choix de trois des quatre évêques sacrés en 1988 et, plus tard, en 1994, lorsqu’il fit approuver une interprétation particulière des statuts, tout axée sur une équivalence (qui ne va pas de soi) entre vie de communauté et vie apostolique. Lors du précédent scrutin, en 1995, il fut tout de même élu premier assistant. Beaucoup se plaisaient à dire qu’il était un Mentor pour le jeune Mgr Fellay. Cette fois, il n’est plus explicitement dans l’équipe dirigeante. Il a perdu son poste. Il a sans doute perdu aussi beaucoup de son influence, en particulier dans la question des accords avec Rome, où sa présence et ses contacts amicaux avec le cardinal Ratzinger étaient décisifs. Il faut souligner qu’il y a une rupture dans le présent scrutin, placé pourtant sous le signe de la reconduction du même : aucun des deux assistants élus n’avaient accédé, jusque-là, à des postes d’officiers généraux au sein de la FSSPX. Ce sont donc, par contraste avec Mgr Fellay des “homines novi”, sans doute tout prêts à le servir comme le veut leur fonction d’assistant. Pour les relations avec Rome, Mgr Fellay dispose de la docilité de l’abbé Alain Nely, prieur de la maison d’Albano et excellent intermédiaire, qui sera sans doute utilisé désormais de préférence à l’ancien Premier assistant l’abbé Schmidberger, qui, sur ces chapitres, formait un duo, que l’on pourra sans doute oublier, avec l’abbé du Chalard. Pour l’esprit général de ce gouvernement, gageons que les deux Suisses – Mgr Fellay et l’abbé Pfluger - se retrouveront parfaitement sur le mode sécuritaire de l’exercice de l’autorité, mode que l’on pourrait assez bien résumer dans la formule de Caïphe, le Grand prêtre : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour tout le peuple ». C’est ainsi déjà que Mgr Fellay avait agi en 2004 avec l’abbé Laguérie. Il me semble que sa réélection ne peut que l’incliner à poursuivre cette politique, forcément sacrificielle, du « Je ne veux voir qu’une tête ». Cela est vrai non seulement dans le domaine purement disciplinaire des mutations et des sanctions (« Ce que fait un prêtre de la Fraternité, un autre doit pouvoir le faire », sinon…) ; cela se vérifie aussi dans le débat doctrinal, qui devra épouser plus étroitement que jamais les circonvolutions du Supérieur, ce qui, dans l’immédiat en tout cas, ne promet guère d’explications bien précises ni sur la messe ni sur le Concile ni sur le combat traditionnel. Plus que jamais sans doute, selon le désormais fameux “style Fellay”, l’heure est aux petites phrases, qui peuvent se contredire entre elles sans mal et permettent de dire une chose un jour tout en soutenant le contraire le lendemain, sans oublier sa première position. Il suffit de faire un digest des “sentences” (dûment datées) de Mgr Fellay pour s’apercevoir que dans son dialogue avec Rome, il pousse très loin l’art de la contradiction. Dans ces contradictions subsistantes qui marquent son discours, - c’est là tout son art - , Mgr Fellay est merveilleusement statique (voir notre article : La FSSPX combien de divisions in Objections n°5). Sans doute, cela a-t-il rassuré cette majeure partie des capitulants, les deux-tiers du collège qui a fini par lui accorder ses suffrages. Je ne voudrais pas être ici un oiseau de mauvaise augure pour la Fraternité, à laquelle je reste attaché de toutes mes fibres. Mais il me semble que les capitulants et leurs chefs ont en commun ce vers de Paul Valéry : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes ». Dans l’Eglise de Benoît XVI, toutes les lignes bougent insensiblement. La nouvelle-ancienne gouvernance risque donc d’être plus décalée que jamais, et cela malgré l’incontestable habileté de son très définitif leader. Abbé Guillaume de Tanoüarn |
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