En réponse à l’abbé Paul Aulagnier, par Côme Previgny |
23 septembre 2008 - laportelatine.org |
Fraternité Saint-Pie X : entre compromis politiques et discussions dogmatiques - En réponse à l’abbé Paul Aulagnier Dans un récent entretien qu’il accordait à l’abbé Aulagnier, Yves Chiron n’hésitait pas à affirmer froidement que « la Fraternité Saint-Pie X [était] et rest[ait] opposée à un accord avec Rome ». Depuis trois mois, on aura proféré tous les types de jugements hâtifs sur cette société religieuse. « Elle ne veut pas saisir la main tendue par le pape » ; « elle se renferme » ; « elle fait schisme ». Que certaines âmes inquiètes ou inquiétées se laissent gagner par de tels sentiments de crainte qui ont, somme toute, existé depuis la fondation, est concevable, voire compréhensible. Monseigneur Lefebvre avait reconnu en son temps que l’âpreté du combat faisait inévitablement vaciller les plus fatigués. Que nos anciens pasteurs, à l’image de l’abbé Aulagnier, se laissent gagner par le doute nous pousse à prendre résolument la plume et à écrire. Signera, signera pas ? Qu’on se le dise, l’œuvre de Monseigneur Lefebvre veut conclure un accord. Elle ne regarde que dans une direction, celle de Rome, et elle a encore, ces derniers jours, manifesté de diverses manières son attachement indéfectible au Siège apostolique. Oui, ce ne sera jamais trop de le répéter : La Fraternité veut résoudre le différend qui opposait son fondateur aux autorités romaines et qui persiste. Oui, disons-le une nouvelle fois : Elle souhaite que sa situation soit régularisée. Jamais elle n’a imaginé être hors de l’Église – le cardinal Castrillon Hoyos l’a plusieurs fois confirmé. C’est pourquoi les considérations sur la place qu’elle occuperait « à l’intérieur » ou « à l’extérieur » paraissent hors de propos. Oui, elle aspire à ce que les condamnations la touchant soient retirées. Seule Rome peut le faire. Le simple fait qu’elles aient été prononcées dans le cadre d’une abolition de la messe traditionnelle devrait pouvoir faire déduire leur totale obsolescence. Veillons et prions. En revanche, elle a toujours clairement indiqué que ce qu’on entendait par le terme « accord » ne pouvait reposer sur un désaccord. A quoi rimerait une collaboration pratique où elle serait confinée dans ce qu’elle ne veut pas : sans cesse invitée à concélébrer, toujours conviée à relativiser, perpétuellement confrontée à ces cas de conscience auxquels les communautés Ecclesia Dei ont perdu tant de temps, tant d’énergie, tant de larmes. La Fraternité Saint-Pie X, sur la suggestion des abbés Rifan et Aulagnier, avait, il y huit ans, défini la politique des préalables où elle souhaitait que la libération de la messe et la levée des excommunications viennent constituer le cadre serein pour discuter d’accords. Elle se tient à ce qu’elle a défini. Ni plus, bien sûr, mais également ni moins. Ceux qui affirment qu’il n’y aura jamais d’accord sont ceux qui pensent qu’une levée de condamnations par Rome et des discussions sur une foi commune sont désormais impossibles. N’y a-t-il pas pire signe de désespérance ? Il est d’ailleurs tout simplement faux d’affirmer que le Saint-Siège voulait se limiter à lever les excommunications au mois de juin dernier. A coup de menaces de schisme, la commission Ecclesia Dei voulait vraiment conclure un accord comme elle en avait fait avec toutes les autres communautés jusqu’ici : une structure immédiate agrémentée d’un retrait des sanctions. Sans parler des divergences doctrinales, c’était déjà faire fi des pierres d’achoppement de 1988 : le statut de Saint-Nicolas du Chardonnet, le fonctionnement de l’instance devant gérer la Fraternité et les modalités du renouvellement de ses évêques. Compromis politiques et arcanes diplomatiquesEn observant les réactions et suggestions, on est souvent porté à penser que certains catholiques français confondent les sphères politiques et religieuses. La diplomatie, le compromis, l’intrigue, l’intelligence de l’instant – ou de situation – tout l’arsenal de la chose publique se trouve déversé dans celle de l’Église, au plus grand détriment de notre Foi. Les applications sont celles-ci : « Il faut jouer à l’intérieur pour ennuyer les évêques » ; « notre influence serait décuplée si on était reconnu » ; « il faut savoir tendre la main » ; « on discutera doctrine à l’intérieur, etc. » Nul besoin d’être très intelligent pour trouver des arguments du même ordre qui invitent, politiquement parlant, à plus de prudence : Qui nous dit qu’une fois réglé le problème de la Fraternité, les autorités de l’Église s’intéresseront encore aux desiderata des « tradis » ? Qui nous garantit que la Curie proposera plus de discussion à la FSSPX réconciliée demain qu’aux communautés Ecclesia Dei aujourd’hui ? Toujours, dans le même ordre d’idée, quand Monseigneur Rifan se vante à la télévision brésilienne de concélébrer ou lorsque les abbés de Tanoüarn et Aulagnier n’hésitent pas à légitimer leur présence à la messe chrismale, ne constituent-ils pas, à leur corps défendant, un exemple que la FSSPX craindrait de suivre ? En affirmant sur les ondes radiophoniques que les Musulmans peuvent vivre leur religion à égalité avec toutes les autres, l’abbé Philippe Laguérie ne creuse-t-il pas lui-même le fossé qui le sépare de son ancienne société ? En d’autres termes, ceux qui aspirent à une résolution pratique du problème font-ils vraiment ce qu’il faut pour rassurer la Fraternité ? Revenons à cette politique ecclésiale. On parle d’une belle structure dont d’ailleurs personne ne connaît les tenants et aboutissants, pas même la désignation juridique exacte. Rome semble vouloir la donner à la FSSPX et ce sont tous les fidèles Ecclesia Dei qui en rêvent. Cela permettrait effectivement de mettre fin au problème qui pèse sur les épaules du successeur de Pierre depuis vingt ans et de donner un statut à la plus grosse entité des traditionalistes. N’y a-t-il pas, déjà là, un problème ? Comment ne pas voir que cette administration apostolique qu’ils promettent aux uns, ils ne la donneront jamais aux autres. Ils ne laissent même pas les communautés Ecclesia Dei faire l’expérience de la Tradition. Considérez tous ces tracas administratifs, ces impossibilités de s’implanter, ces chantages de concélébration pour confier un apostolat : Est-ce là « faire l’expérience de la Tradition » ? A cet égard, jamais Monseigneur Lefebvre n’a fait de cette fameuse expression qu’il prononça, la fin de son combat. C’est une citation sortie de son contexte de 1976 où l’archevêque demandait à Paul VI de revenir sur la condamnation du séminaire d’Écône. Mais son idéal ne s’est jamais confiné à faire profiter pour quelques-uns seulement de la Tradition catholique. La grande profession de foi de 1974 dit tout le contraire. C’est le refus des réformes conciliaires qu’il y manifeste clairement. Il faudra bien s’y pencher un jour ou l’autre. Pour l’heure, NN.SS Lefebvre et de Castro Mayer sont toujours officiellement voués aux gémonies. A Écône et à Campos, leurs corps profitent d’un repos qui n’a sans doute cure des condamnations qui pèsent toujours sur eux. Ces injustices persistantes sont la preuve qu’à Rome, leur combat demeure incompris, et que, dans les couloirs de la Curie, on considère qu’il est toujours bon de les condamner, eux et la Fraternité Saint-Pie X. Il doit bien y avoir une raison… Le fond Beaucoup de fidèles ont été enthousiasmés par la venue du pape. Ils ont raison. Le successeur de Pierre sera toujours le bienvenu en France, fille aînée de l’Église. C’est une fierté de le recevoir. A cela s’ajoute le fait que Benoît XVI est doux et humble de cœur et qu’il a invité les Catholiques, par la force de son exemple et par le poids de certains de ses mots, à retrouver la ferveur, le sens du sacrifice à travers la Croix du Christ. Cependant, est-il encore possible de porter un regard nuancé sur des propos extérieurs ? Doit-on faire obligatoirement de Jean-Paul II un paria et de Benoît XVI un « saint » ? Personnellement, je serais tenté de dire que son prédécesseur a également parlé en certains lieux de manière profonde et éclairée et que lui-même peut prononcer des discours qui parfois déconcertent. Peut-on dire, par exemple, que les discours de Benoît XVI à Paris ressemblaient à ceux de Monseigneur Lefebvre, comme le suggère l’abbé Aulagnier ? La lecture du discours prononcé par le pape à la communauté juive doit nous conduire à un non catégorique. L’appel aux « frères aimés dans la foi » pour remercier les Juifs de France de « leur prestigieuse contribution à son patrimoine spirituel » avant de les saluer par un « Shabbat Shalom » ne peut se retrouver ni dans la lettre ni dans l’esprit du prélat d’Écône. Il en va de notre honnêteté ou de notre lucidité que de le reconnaître. Et comme la lex credendi va de pair avec la lex orandi, nous ne saurions transiger ni sur la foi ni sur la liturgie, ni même considérer que les efforts entrepris pour celle-ci devraient se tarir. Le Motu Proprio doit être considéré avec courage comme une étape, non comme un « couronnement » dans l’essoufflement. La moindre chapelle de Paris ou d’Île-de-France ne peut s’acheter, même au prix d’une assistance annuelle à un rite « équivoque » et qui « favorise toujours l’hérésie protestante» (1) pour reprendre les très récents propos de l’abbé Aulagnier. A cet égard, une assistance passive à une cérémonie familiale n’a pas la portée de l’assistance d’un prêtre à une messe célébrée selon le NOM. Quels fâcheux enseignements en tireraient ses fidèles ? Nos yeux ne nous trompent pas. Tout n’est pas comme avant. Une saine volonté d’écoper la barque qui prend l’eau de toutes parts, les débuts d’une lutte contre le relativisme, une certaine renaissance liturgique semblent réconforter les cœurs. Mais, sans cesser ce travail fastidieux mais, ô combien consolant, qui consiste à écoper, il est de notre devoir le plus grave de pointer du doigt les trois grandes crevasses qui ont percé la coque de ce bateau et qui, quant à elles, demeurent béantes. Elles s’appellent : collégialité, œcuménisme, liberté religieuse. Tous les efforts accumulés seraient vains si, dans un premier temps, on avait refusé de prendre conscience des dégâts qu’elles provoquent sur l’Église et qu’il fallait réparer cette coque depuis longtemps endommagée en ces trois endroits précis. Prions pour que la prière élevée par ces messes traditionnelles qui sont de plus en plus souvent célébrées sur la terre hâte la venue de ce moment de nécessaire réhabilitation. Pour conclure, qu’il me soit enfin permis de citer ce conseil que Mgr Lefebvre adressait jadis à ses prêtres qui perdaient confiance dans ces temps de profond brouillard : « Nous déplorons d'autant plus le départ de certains de nos membres. Sans doute, cela est dû aux circonstances dans lesquelles nous vivons, circonstances où le doute s'instaure partout, où les esprits sont troublés, circonstances aussi qui veulent que, étant d'une certaine manière un corps de combat de première ligne, facilement, ceux qui sont en première ligne deviendront des francs-tireurs, croiront avoir une mission particulière. Mais il est dangereux de se constituer en francs-tireurs. On peut non seulement ne pas accomplir la volonté de Dieu, ne pas accomplir la volonté de nos supérieurs, mais on peut aussi détruire involontairement, sans doute, l'œuvre que le Bon Dieu nous demande d'accomplir. Et s'ils peuvent être excusés, d'une certaine manière, par le fait que nous sommes très dispersés, que physiquement, nous sommes très éloignés les uns des autres dans ce ministère qui absorbe notre activité, cependant, étant donné les années qu'ils ont passé dans cette maison, étant donné les liens qui les unissaient à la Fraternité [...], nous prions Dieu afin qu'ils comprennent que leur place est dans la Fraternité, que leur activité sacerdotale doit s'exercer dans l'intérieur de la Fraternité. » Côme PREVIGNY (1) Abbé Aulagnier, entretien pour Aletheia n° 131, 18 septembre 2008. Dans ce même article, l’abbé Aulagnier légitime sa présence à la messe chrismale le Jeudi Saint en la cathédrale de Versailles. |
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