La forme “ordinaire” et la forme “extraordinaire” du rite romain |
par l’abbé Claude Barthe - present.fr - samedi 28 octobre 2006 |
Faut-il que la joie de la libéralisation annoncée de la messe tridentine soit ternie par les qualifications de « forme ordinaire » du rite romain, employée pour désigner la liturgie de Paul VI, et de « forme extraordinaire », pour qualifier la liturgie traditionnelle ? Passé un premier mouvement d’agacement, on conviendra que, somme toute, elles s’appliquent merveilleusement aux deux formes liturgiques. La liturgie nouvelle, en effet, est par essence ordinaire. Cela résume même avec beaucoup de justesse les reproches et critiques de fond que l’on peut lui adresser : elle est une liturgie de la banalité, ou pour mieux dire de la banalisation, une liturgie ordinaire, ou pour mieux dire de réduction à l’ordinaire. Les signes en sont multiples, l’élément le plus immédiatement sensible ayant été pour les fidèles du rang celui du retournement de l’autel, qui fait en sorte que la célébration des saints mystères se déroule désormais dans ce « face au peuple », dont la signification ne peut pas ne pas avoir une portée idéologique. D’une manière plus générale, la nouvelle liturgie entre dans le projet d’une certaine acculturation moderne du christianisme. Or, cet accommodement partiel ne peut être neutre (à la différence de l’acculturation du christianisme dans la civilisation slave, par exemple), car il représente l’impossible gageure de christianiser une civilisation de masse, idéologiquement sécularisée, étrangère par essence à la culture qui faisait corps avec la culture chrétienne. Et sur cette pente de réduction à l’ordinaire, le nouveau rite de la messe, dans les innombrables variations de sa célébration, manifeste une immanentisation du message chrétien : la doctrine du sacrifice propitiatoire, l’adoration de la présence réelle du Christ, la spécificité du sacerdoce hiérarchique et généralement le caractère sacré de la célébration eucharistique s’y trouvent visiblement atténués. Extraordinaire est au contraire, et non moins essentiellement, la liturgie traditionnelle. Tout en elle est d’ordre ascendant : les gestes, les objets, les paroles, sont conçus pour arracher du profane, du banal, de l’ordinaire. Le culte divin en sa forme traditionnelle, avec toute l’esthétique ou toute la poétique liturgique qui l’enclôt, est destiné à disposer l’âme chrétienne à l’infusion du surnaturel, de l’extraordinaire, que les actes sacramentels procurent : il a un caractère « humiliant » qui procure la « glorification » du pécheur réconcilié, par le biais d’un rite qui, parce que « donné » et non pas « fabriqué », parce que porteur d’une symbolique longuement mûrie, a précisément cette vertu de retirer le chrétien du « monde », certes afin qu’il y retourne apostoliquement, mais une fois rendu libre spirituellement. Cette liturgie est d’autant plus adaptée à la véritable libération du pécheur qu’elle est inadaptée au monde moderne en tant que moderne. Pour le dire autrement et plus généralement : dans un monde du tout technique, qui repose sur la désacralisation en même temps qu’il la provoque, la mise en oeuvre du sacré que représente la liturgie traditionnelle est toute à l’opposé de cette « ouverture au monde », au monde ordinaire, celui d’une société de masse, machine à étouffer la culture qui porte le sacré, et à étouffer le sacré lui-même. |
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