La messe en latin : « Une peur face à l’ouverture au monde »
Entretien . Le père Gilbert Caffin, ancien représentant de l’Office international de l’enseignement catholique au Conseil de l’Europe, nous livre son opinion sur le retour de la messe en latin implicitement voulu par le pape. La volonté exprimée implicitement par Benoît XVI de remettre au goût du jour la messe en latin traduit-elle un raidissement de l’Église catholique ? Gilbert Caffin. Précisons d’abord qu’il ne s’agit pas de restaurer le latin dans la messe telle qu’elle découle du concile Vatican II, mais de permettre de dire en latin la messe d’avant Vatican II, plus connue sous le nom de messe de saint Pie V. En clair, cela reviendrait à faire comme si Vatican II n’avait pas eu lieu. C’est un raidissement : certains pourraient ne pas faire état du concile qui, normalement, a une autorité universelle dans la communauté chrétienne. Pour ce qui concerne la langue, rappelons que les prédications ont commencé à se faire dans les langues vernaculaires dès le quatorzième siècle ! Revenir à la tradition, ce n’est pas seulement revenir au passé, mais garder l’esprit qui faisait vivre cette tradition. Car le texte de saint Pie V était à l’époque un progrès et non un retour en arrière. Pourquoi alors ne pas revenir au rite de Grégoire le Grand qui date du Moyen âge ?
Ce retour à la messe de Vatican I vous inquiète-t-il ? Gilbert Caffin. Oui, dans la mesure où Vatican II a été marqué par la volonté de l’Église de se rapprocher des hommes, du monde, afin de mieux les comprendre. Cela a débouché sur une modernisation du langage chrétien et sur la volonté de travailler avec tous les hommes de bonne volonté. Cette ouverture au monde a été mal reçue par certains (intégristes - NDLR) qui ont estimé que l’intégrité de la foi, l’identité de l’Église catholique étaient remises en cause. Revenir au rite tridentin (la messe en latin selon le rite de saint Pie V - NDLR) peut apparaître comme une peur face à cette ouverture au monde, mais également comme le choix d’un repli identitaire.
S’agit-il d’un nouveau pas en direction des courants intégristes ? Gilbert Caffin. Oui, bien évidemment. Tout cela est fait pour faciliter leur retour dans le giron de l’Église de Rome. L’enjeu est important du point de vue théologique. La messe en latin de Pie V met en avant l’idée d’un Dieu tout-puissant, loin du monde, qui juge les hommes, quand celle issue de Vatican II avance celle d’un dieu parmi les hommes. Dans la première, le prêtre monte les marches de l’autel, donc vers Dieu, tout en tournant le dos aux fidèles. Dans l’autre, le prêtre préside l’assemblée au milieu des fidèles, comme le Christ qui est venu habiter parmi les hommes. Ce sont deux théologies qui s’affrontent, deux attitudes spirituelles qui se manifestent dans des liturgies différentes. Ce n’est pas qu’une question de sensibilité artistique ou esthétique mais la manifestation d’un sens qui est donné au message chrétien.
Quelles réactions cela provoque-t-il dans l’Église ? Gilbert Caffin. Un malaise énorme parmi les communautés qui vivent depuis Vatican II en proximité avec les hommes. Les fidèles ont peur d’un retour à une église qui se replie dans la nostalgie, d’une église qui postule que le monde est mauvais, qu’il est sous l’emprise du démon, et qui professe que la meilleure chose est de se réfugier dans la citadelle catholique. Cette décision de revenir à la messe en latin peut être interprétée comme la victoire de ceux qui ont peur d’une perte d’identité sur ceux qui veulent continuer à être proches des hommes et de leur vie. Ces deux tendances existent à l’intérieur de l’épiscopat français comme dans le monde d’ailleurs. Nous ne pouvons qu’espérer qu’il y ait suffisamment de compréhension mutuelle pour éviter les divisions. Toutefois, je remarque que ceux qui sont aujourd’hui réintégrés le sont sans condition. C’est plutôt dangereux pour l’ensemble de la communauté chrétienne.
Entretien réalisé par Cyrille Poy |