Les apprentis sorciers du Vatican - par Noël Bouttier |
Editorial de "Témoignage Chrétien" du 14 septembre 2006 - temoignagechretien.fr |
Les apprentis sorciers du Vatican par Noël Bouttier Alors là, c’est le bouquet ! Pendant que les caméras s’installaient en Bavière pour le voyage de l’enfant du pays devenu pape, le Vatican lançait une petite bombe en direction de la fille aînée de l’Église. Le 8 septembre, Dario Castrillon Hoyos, responsable des relations avec les intégristes, annonçait la création, à Bordeaux, de l’Institut du Bon-Pasteur. Celui-ci, dépendant directement de Rome, accueillera les transfuges de la Fraternité Saint-Pie X – cinq prêtres, pour l’instant – qui entendent mettre en œuvre « une critique sérieuse et constructive du concile Vatican II ». Rappelons les épisodes précédents. Voici un an, Bernard Fellay, supérieur général de ladite Fraternité, était l’hôte de Benoît XVI, fraîchement élu. Ce dernier entendait mettre fin à dix-sept années de schisme, en comptant sur la bienveillance des héritiers de feu Lefebvre vis-à-vis de la tonalité antimoderniste du nouvel évêque de Rome. La tâche s’est vite avérée impossible, les intégristes hésitant à manger leur chapeau. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais le Vatican, décidément motivé, n’a pas désarmé. Il a pris langue avec quelques brebis égarées, et follement ambitieuses, de la Fraternité pour les intégrer par la petite porte. S’agissait-il d’accompagner une conversion à l’esprit conciliaire de ces religieux ? Pas du tout, et pour s’en convaincre, il suffit de les écouter. « Il nous est possible désormais de poser la question de la responsabilité propre de l’Église dans la crise qu’elle traverse aujourd’hui et je crois que les “coups de gueule” de Mgr Lefebvre étaient justifiés. » (1) Ainsi parle le futur supérieur de l’Institut du Bon-Pasteur, Philippe Laguérie. Celui-ci est connu pour ses provocations aussi bien à l’église parisienne de Saint-Nicolas-du-Chardonnet qu’à celle de Saint-Éloi, à Bordeaux, que la municipalité avait curieusement accordée aux intégristes. Rome fait un cadeau empoisonné au diocèse de Bordeaux en y implantant l’Institut du Bon-Pasteur. Une présence fort encombrante pour l’évêque du lieu, le cardinal Ricard. Le patron des évêques français, qui se déclare d’un « réalisme prudent », prévient : « Les nouveaux venus doivent se rendre compte qu’ils ne sont pas en pays conquis. » (2) On a connu accueil plus chaleureux… Par stratégie ou par inconscience, Rome installe le ver intégriste dans le fruit. L’Église de France, déjà aux prises avec des logiques traditionalistes, n’avait pas besoin de cet Institut qui pourrait faire des dégâts dans les prochaines années. La demande d’identité catholique, la tentation de repli d’une partie des fidèles sur les sacristies et les crispations sécuritaires de la société sont autant de ferments pour que prenne le discours nostalgique et proprement réactionnaire de Laguérie et consorts. Il ne s’agit pas là d’une simple question de rite – le latin a bon dos dans cette affaire –, mais bien d’un profond choix ecclésial. Veut-on continuer à porter le témoignage du Christ aujourd’hui là où la dignité de l’Homme est broyée ? Veut-on encourager les catholiques à s’engager au service du dialogue avec les autres croyants et les non-croyants ? Préfère-t-on enfermer les fidèles dans un ensemble de règles et d’interdits, faire jouer les peurs ancestrales et les détourner de la chose publique ? Et puis, sur un plan structurel, pourquoi accorder aux fans de Lefebvre le droit de s’organiser de façon autonome au sein de l’Église catholique ? Aurait-on laissé le même privilège à des catholiques désireux d’expérimenter le sacerdoce d’hommes mariés ou de femmes ? Voilà bien un choix désolant de la part de la Curie. Au fait, qu’en aurait pensé Jean-Paul II ? 1. et 2. La Croix du 11 septembre. |
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