5 décembre 2011

[Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX] L’État sans compétence religieuse? - La doctrine de la liberté religieuse à Vatican II

SOURCE  - Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX - décembre 2011

La Déclaration sur la liberté religieuse repose en particulier sur la thèse (sous-jacente) de l’incompétence religieuse de l’État. Cette thèse soutient que l’État (tout État, quel qu’il soit), n’a pas compétence pour discerner la vérité religieuse, pour effectuer légitimement des actes religieux et pour prescrire à ses citoyens (ou leur interdire) de poser certains actes religieux.
Une thèse sous-jacente à Dignitatis Humanæ
Il suffit de lire la Déclaration sur la liberté religieuse pour apercevoir sans difficulté cette thèse, au moins sous-jacente, de l’incompétence religieuse de l’État : « Par nature, affirme ainsi Dignitatis Humanæ 3 § 5, les actes religieux par lesquels, en privé ou en public, l’homme s’ordonne à Dieu en vertu d’une décision personnelle, transcendent l’ordre terrestre et temporel des choses. Le pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien commun temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu’il dépasse ses limites s’il s’arroge le droit de diriger ou d’empêcher les actes religieux ».
 
Le fait qu’une « reconnaissance civile spéciale [soit] accordée dans l’ordre juridique de la cité à une communauté religieuse donnée » ne semble pouvoir être envisagé, aux yeux de la Déclaration (DH 6 § 3), qu’en « raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent des peuples ».
 
« Le pouvoir civil, assure-t-elle encore, doit veiller à ce que l’égalité juridique des citoyens, qui relève elle-même du bien commun de la société, ne soit jamais lésée, de manière ouverte ou occulte, pour des motifs religieux, et qu’entre eux aucune discrimination ne soit faite » (DH 6, § 4). Et enfin : « Il s’ensuit qu’il n’est pas permis au pouvoir public, par force, intimidation ou autres moyens, d’imposer aux citoyens la profession ou le rejet de quelque religion que ce soit » (DH 6 § 5).
Une thèse contraire à toute l’histoire
Cette thèse est d’abord contraire à toute l’histoire humaine. Au regard du « temps long », la laïcité (sous toutes ses formes) est une invention très récente. Tous les peuples, toutes les sociétés, tous les États jusqu’à récemment ont pratiqué publiquement une religion. Et beaucoup continuent tranquillement aujourd’hui de le faire. Il aura donc fallu attendre 1965 pour que l’Église s’en aperçoive et condamne comme insupportable une pratique aussi répandue et aussi évidente ?

Cette thèse est ensuite contraire à toute l’histoire chrétienne. Les États chrétiens de tous les siècles (et ils furent nombreux, et ils furent divers) ont affirmé la vérité religieuse, ils ont effectué des actes religieux, ils ont prescrit ou interdit à leurs citoyens des actes religieux. Et ceci, respectivement, avec l’accord tacite ou exprès du clergé catholique, mais le plus souvent à la demande même de la hiérarchie ecclésiastique, au besoin appuyée par la menace de peines canoniques.
 
Sans doute, parce que les hommes restent pécheurs même en régime de chrétienté, il a pu exister certains excès, certaines exagérations, certaines oppressions de la légitime liberté intérieure que rappelle le principe moral et canonique : « Personne ne doit, contre son gré propre, être contraint d’embrasser la foi ». Mais ces « bavures » sont accidentelles par rapport à la pratique unanime de la religion comme réalité publique, pratique fondée sur la persuasion que l’État possède bien une compétence en matière religieuse.
Une thèse contraire à la doctrine enseignée avant le Concile
« L’histoire est maîtresse de vie », aimait à répéter l’ancien professeur d’histoire ecclésiastique que fut Jean XXIII. Mais outre l’histoire, qui nous montre la pratique d’une religion d’État à travers les siècles de chrétienté, le Magistère lui-même a rappelé solennellement l’obligation pour la société humaine, prise en corps, de rendre un culte public au vrai Dieu dans le cadre de la véritable religion, la catholique : ce qui signifie une réelle et obligatoire compétence religieuse de l’État.
L’enseignement de Léon XIII dans Immortale Dei et Libertas
« Il est évident que [la société politique] doit sans faillir accomplir par un culte public les nombreux et importants devoirs qui l’unissent à Dieu. Si la nature et la raison imposent à chacun l’obligation d’honorer Dieu d’un culte saint et sacré, (…) elles astreignent à la même loi la société civile. (…). C’est pourquoi, de même qu’il n’est permis à personne de négliger ses devoirs envers Dieu, et que le plus grand de tous les devoirs est d’embrasser d’esprit et de coeur la religion, non pas celle que chacun préfère, mais celle que Dieu a prescrite et que des preuves certaines et indubitables établissent comme la seule vraie entre toutes, ainsi les sociétés politiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière, ou se passer de la religion comme étrangère et inutile, ou en admettre une indifféremment selon leur bon plaisir. En honorant la Divinité, elles doivent suivre strictement les règles et le mode suivant lesquels Dieu lui-même a déclaré vouloir être honoré. Les chefs d’État doivent donc tenir pour saint le nom de Dieu et mettre au nombre de leurs principaux devoirs celui de favoriser la religion, de la protéger de leur bienveillance, de la couvrir de l’autorité tutélaire des lois, et ne rien statuer ou décider qui soit contraire à son intégrité. (…) Quant à décider quelle religion est la vraie, cela n’est pas difficile à quiconque voudra en juger (…). En effet, des preuves très nombreuses et éclatantes (…) prouvent clairement que la seule vraie religion est celle que Jésus-Christ a instituée lui-même et qu’il a donné mission à son Église de garder et de propager » (Léon XIII, Actes II, pp. 21-23, ou Paix intérieure des nations 130-132).
 
« La société civile, en tant que société, doit nécessairement reconnaître Dieu comme son principe et son auteur, et, par conséquent, rendre à sa puissance et à son autorité l’hommage de son culte.
Non, de par la justice ; non, de par la raison, l’État ne peut être athée ou, ce qui reviendrait à l’athéisme, être animé à l’égard de toutes les religions, comme on dit, des mêmes dispositions, et leur accorder indistinctement les mêmes droits. Puisqu’il est donc nécessaire de professer une religion dans la société, il faut professer celle qui est la seule vraie et que l’on reconnaît sans peine, surtout dans les pays catholiques, aux signes de vérité dont elle porte en elle l’éclatant caractère » (Léon XIII, Actes II, p. 195, ou Paix intérieure des nations 204).
L’enseignement de Pie XI dans Quas primas
« Les États, à leur tour, apprendront par la célébration annuelle de cette fête [du Christ-Roi] que les gouvernants et les magistrats ont l’obligation, aussi bien que les particuliers, de rendre au Christ un culte public et d’obéir à ses lois. Les chefs de la société civile se rappelleront, de leur côté, le jugement final, où le Christ accusera ceux qui l’ont expulsé de la vie publique, mais aussi ceux qui l’ont dédaigneusement mis de côté et ignoré, et tirera de pareils outrages la plus terrible vengeance ; car sa dignité royale exige que l’État tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens dans l’établissement des lois, dans l’administration de la justice, dans la formation intellectuelle et morale de la jeunesse, qui doit respecter la saine doctrine et la pureté des moeurs » (Pie XI, Actes III, pp. 91-92, ou Paix intérieure des nations 569).
Le texte de l’hymne au Christ-Roi dans la nouvelle liturgie
Lors de l’institution de la fête du Christ-Roi, en 1925, le pape Pie XI fit composer une hymne liturgique (Te sæculorum Principem) qui constituait comme un petit « catéchisme » de la doctrine catholique sur l’obligation de la société humaine à rendre un culte à Dieu.
 
Sa sixième strophe affirmait : « Puissent les gouvernants des nations vous offrir un honneur public ; les maîtres, les juges, vous honorer ; les arts et lois vous exprimer ». Sa septième strophe affirmait : « Que les drapeaux des autorités publiques brillent, consacrés à vous ; soumettez à votre doux sceptre la patrie et les maisons des citoyens ».
 
Cette hymne existe encore dans la liturgie de Paul VI. Mais, en raison de la doctrine nouvelle de Vatican II, contraire à la doctrine catholique traditionnelle rappelée trop clairement par cette hymne de 1925, les deux strophes en question en ont été purement et simplement supprimées.