SOURCE - Sophie de Ravinel - Le Figaro - 4 novembre 2006
Pour cet historien spécialiste de la laïcité, les évêques français considèrent toujours que la période précédant Vatican II a été un âge obscurantiste. D'où la crise actuelle.
Paul Airiau, agrégé d'histoire et enseignant, est l'auteur notamment de 100 Ans de laïcité française, 1905-2005 (Presses de la Renaissance).
Paul Airiau, agrégé d'histoire et enseignant, est l'auteur notamment de 100 Ans de laïcité française, 1905-2005 (Presses de la Renaissance).
Pourquoi ces questions liées à la liturgie traditionnelle sont-elles aussi passionnées en France ?
Elles ont été trop longtemps sous-traitées ou ignorées par l'épiscopat. Beaucoup d'évêques ont considéré ou considèrent encore les années 1860-1960 - période historique de conflit entre l'Église catholique et la société moderne - comme un âge obscurantiste. Ils ne l'assument pas, ni d'ailleurs les questions posées alors sur la participation des catholiques à la vie politique de la nation. Or, une culture intransigeante héritière de l'Action française, quoique minoritaire, est encore bien vivante aujourd'hui et rejaillit à leur visage.
Vous affirmez que l'épiscopat a volontairement ignoré le dossier traditionaliste. Quelles en sont les conséquences aujourd'hui ?
On observe un immense besoin de dégorger toute une souffrance presque étouffée depuis trente ans. Aussi bien du côté traditionaliste que de la part des catholiques restés fidèles à leurs évêques malgré le sentiment d'avoir dû subir des pratiques liturgiques considérées comme abusives. Ces derniers peuvent avoir le sentiment que ceux ayant manifesté haut et fort leur désaccord, au point de briser la communion avec Rome, sont aujourd'hui privilégiés. De leur côté, les évêques maintiennent la tension et souhaitent conserver leur autorité sur la liturgie. C'est un peu le dernier domaine, d'ailleurs, dans lequel ils peuvent l'exercer.
Pensez-vous que la main tendue par Rome aux lefebvristes produise la réconciliation espérée ?
On peut s'attendre à une extériorisation des vives tensions qui existent chez les lefebvristes. En cas d'accord avec Rome, il est probable que la majorité des fidèles suivra le supérieur de la Fraternité Saint- Pie X, Mgr Bernard Fellay. Mais une partie pourrait suivre d'autres évêques lefebvristes comme Mgr Richard Williamson ou Mgr Bernard Tissier de Mallerais qui considérait, en 2003, que l'Église catholique était devenue néognostique. Il y a comme deux branches catholiques qui s'éloignent de plus en plus l'une de l'autre. Cela pourrait produire deux confessions à terme, un peu comme l'Église vieille-catholique qui avait refusé le Concile Vatican I au XIXe siècle.
Ce dossier est aujourd'hui traité comme s'il s'agissait d'une affaire interne à l'Église alors qu'il devrait presque être considéré comme une affaire de dialogue oecuménique entre deux Églises d'une même confession. Ce serait alors prendre acte d'un échec.