Pour Mieux Comprendre et Aimer la Forme Extraordinaire et le Canon Romain |
4 juin 2008 - lettre 109 de paixliturgique.com |
Nous poursuivons dans cette lettre la publication de l’excellente étude de l’abbé Grégoire Célier qui scrute dans cette nouvelle partie de son étude les prières de la forme « extraordinaire » du rite romain et tout particulièrement son cœur, le canon romain Des prières d’introduction au Canon romain Au cœur du Missel se trouve l’Ordinaire qui, entendu et répété, est appelé à former la mentalité du peuple chrétien. D’où l’utilité de connaître son histoire et son enracinement. Les prières d’introduction Les prières de préparation personnelle du prêtre représentent sans doute les textes les plus récents du Missel. Le psaume Judica me est signalé au XIe siècle. La récitation du Confîteor est attestée au Xe siècle. L’oraison Aufer a nobis se trouve dans le Sacramentaire léonien. La prière Oramus te date du XIe siècle, tandis que le baiser à l’autel est déjà connu au VIIIe siècle. Le chant de l’introït, qui « introduit » les fidèles dans la messe, est déjà connu par le Sacramentaire gélasien et l’Ordo romanus. Il s’agit vraisemblablement, écrit Mgr Batiffol dans ses Leçons sur la messe, d’une création romaine du VIe siècle. Première partie préparant les fidèles au sacrifice Après les prières d’introduction, commence ce que l’on appelle la « messe des catéchumènes » car, au début de l’Église, ceux qui n’étaient pas encore baptisés y assistaient (l’expression « liturgie de la Parole » est utilisée fréquemment pour cette partie, depuis un demi-siècle). Il s’agit de susciter la foi et la prière chez les fidèles, principalement par la lecture publique de l’Écriture. Le Kyrie est signalé comme une coutume romaine (probablement assez récente) dans un canon du concile de Vaison en 529. Lors de l’élection du pape saint Grégoire le Grand, en 590, cette supplication en langue grecque est déjà utilisée couramment. Le Gloria est noté au VIe siècle comme propre à la liturgie papale ; c’est au XIe siècle qu’il devient un élément de toute messe. Le Dominus vobiscum comme salutation du peuple est déjà utilisé en Afrique au temps de saint Augustin. La prière qui suit est appelée simplement oratio dans les documents liturgiques romains du VIIIe siècle, mais collecta dans un document romano-carolingien du IXe siècle. L’origine de ce nom, lié à la « station » romaine, nous est révélée par le Sacramentaire grégorien. Les lectures d’Écriture sainte et le chant des psaumes (commentés par l’homélie du célébrant) proviennent de la liturgie synagogale, et forment depuis toujours l’armature essentielle de cette première partie de la messe. Dans son sermon 202, par exemple, saint Augustin rappelle : « La première leçon que nous avons entendue était de l’Apôtre. Ensuite, nous avons chanté le psaume. Puis est venue la leçon évangélique qui nous a montré les dix lépreux guéris. » L’usage de deux lectures, l’une tirée des Épîtres, l’autre de l’Évangile, est déjà considéré comme traditionnel par saint Léon le Grand au Ve siècle (cf. par exemple sermons 40 et 77). L’Antiphonaire grégorien connaît ce que nous appelons le graduel (le mot lui-même date plutôt des VIÏÏe-IXe siècles). L’Alléluia se chantait durant le temps pascal à Rome au début du VIe siècle, et c’est saint Grégoire le Grand qui institua la règle de le chanter aussi les dimanches et fêtes. Le chant du Credo après l’Évangile est entré dans la liturgie germano-franque au VIIIe siècle, et a été accepté dans la liturgie romaine au XIe siècle. L’offertoire L’ouvrage érudit du père Paul Tirot, Histoire des prières d’offertoire dans la liturgie romaine du Ve au XVIe siècle (CLV-Edizioni liturgiche, 1985, 128 pages, 787 notes et références), a renouvelé récemment notre connaissance de l’offertoire. Il montre, par d’innombrables références prises dans des manuscrits liturgiques de l’Europe entière, que toutes les prières qui constituent l’offertoire du Missel révisé par saint Pie V sont attestées dans des manuscrits datant au plus tard du IXe siècle. Le Suscipe sancte Pater est attesté au VIIIe siècle dans le Sacramentaire de saint Rémy de Reims. Le Deus qui humanae est attesté au IXe siècle dans les Missels des pays germaniques. Le Offerimus tibi Domine est attesté au IXe siècle dans un Missel de l’abbaye de Saint-Gall. Le In spiritu humilitatis est attesté au IXe siècle dans le Sacramentaire d’Amiens. Le Veni, Sanctificator est attesté au IXe siècle dans le Missel de Stow. Le Incensum istud est attesté au IXe siècle dans le Sacramentaire d’Amiens. Le Lavabo est attesté au IXe siècle dans le Sacramentaire d’Amiens. Le Suscipe, sancta Trinitas est attesté au IXe siècle dans un Sacramentaire de l’abbaye de Saint-Amand. Le Orate fratres est attesté au IXe siècle dans le Sacramentaire d’Amiens. C’est toutefois seulement au XIIIe siècle, dans le Missel de la Curie, que ces prières se trouveront rassemblées dans l’ordre exact où nous les connaissons aujourd’hui. Un texte liturgique venu directement de l’Antiquité chrétienne « De qui est le Canon romain ? On l’ignore. Il date sans doute des IVe-Ve siècles. Il était déjà fixé lorsque deux papes y ont fait de légères retouches : saint Léon (440-461) et saint Grégoire le Grand (590-604). Il n’a pas bougé jusqu’à… Jean XXIII qui ajouta le nom de saint Joseph à la liste des saints du Communicantes. Comme toutes les Prières eucharistiques, il dérive en droite ligne de la liturgie de la Cène. Son centre est le récit de l’institution eucharistique. Peut-être a-t-il existé en grec, puisque Rome n’a adopté le latin qu’après l’an 250, pour que tous puissent comprendre la liturgie de la messe et des sacrements ? Peut-être a-t-il été rédigé en latin directement ? C’est le cas de dire que son origine se perd dans la nuit des temps » (Aimon-Marie Roguet, Le Canon de la messe en français, nouvelle étape de la réforme liturgique, Cerf-Fêtes et Saisons, 1967, p. 5). Le Canon romain Effectivement, l’auteur du De sacramentis (que les spécialistes datent de la fin du IVe siècle et attribuent à saint Ambroise ou à un de ses disciples) cite la plus grande partie du Canon romain, comme étant la forme reçue de la Prière eucharistique. Mais le Sacramentaire gélasien, à la fin du VIe siècle, est le plus ancien texte liturgique comportant le Canon. Saint Léon le Grand (440-461) introduisit dans le Supra quae les mots « sanctum sacrificium, immaculatam hostiam », pour répondre à des attaques contre la sainteté du sacrifice de Melchisédech. Saint Grégoire le Grand apporta une retouche au Hanc igitur : « Diesque nostros in tua pace disponas, etc. ». La dernière prière à faire son apparition fut le Mémento des défunts, que l’on trouve dans le Sacramentaire gallican de Bobbio, au VIIe siècle. Tel est le court laps de temps où émerge « ce joyau (à la beauté impérissable) de la tradition eucharistique en Occident qu’est le Canon Romain » (Louis Bouyer, Eucharistie – Théologie et spiritualité de la Prière eucharistique, deuxième édition, Desclée, 1968, p. 431). Un témoin précieux de la tradition Mgr Pierre Jounel écrit, à propos de la structure de ce témoin précieux de la tradition : « Loin d’être constitué des membra disjecta d’un formulaire primitif, le Canon romain présente, dans le fait même de son manque d’unité apparente, un caractère d’archaïsme » (« La composition des nouvelles Prières eucharistiques », La Maison Dieu 94, 2e trim. 1968, p. 38). Et il ajoute : « Tous les commentateurs de l’Ordo missœ se sont plu à souligner le caractère intangible du Canon grégorien, en qui ils ont montré l’expression la plus achevée de la prière liturgique romaine. C’est la raison pour laquelle, sous Léon XIII, une pétition de plus de 600 évêques relative à l’inscription du nom de saint Joseph au Canon se vit opposer une fin de non-recevoir » (« Les saints du Canon de la messe », La Maison Dieu 92, 4e trim. 1967, p. 35). Cette modification n’aura effectivement lieu que 70 ans plus tard, le 13 novembre 1962. Réflexions de dom Bernard Botte sur le Canon romain Dom Bernard Botte a publié en 1935 une édition critique du Canon romain. En 1953, en collaboration avec l’éminente spécialiste du latin chrétien Christine Mohrmann, il a présenté une nouvelle version de ce travail, révisée et augmentée. Voici ses réflexions sur ce joyau liturgique. « Le Canon n’est pas un texte inspiré, bien sûr ; mais il a toujours été traité avec un respect particulier. Les théologiens du Moyen Âge n’ont pas essayé de le mettre d’accord avec leurs spéculations. Ils le considéraient comme un donné traditionnel et le commentaient comme un texte sacré. On peut juger ce respect exagéré ; mais que serait-il arrivé si les théologiens avaient pris le texte de la messe comme champ clos pour leurs querelles ? Peut-on imaginer qu’un texte, qui a été pendant treize siècles au centre de la piété chrétienne en Occident et qui a passé intact au milieu des controverses théologiques, succombe finalement sous une réforme liturgique ? » (Bernard Botte, Le mouvement liturgique – Témoignage et souvenirs, Desclée, 1973, p. 103). « [Le Canon] est un texte vénérable qu’on ne peut traiter avec désinvolture. A part quelques légères corrections au IXe siècle, il était resté tel que l’avait laissé saint Grégoire à la fin du VIe siècle. Pendant plus de treize siècles, il avait été au cœur de la piété eucharistique de la chrétienté occidentale. Les théologiens du Moyen Âge l’avaient respecté presque à l’égal d’un texte sacré et ils s’étaient bien gardés d’y introduire leurs propres idées. Ils l’acceptaient comme un donné traditionnel » (Bernard Botte, Le mouvement liturgique – Témoignage et souvenirs, Desclée, 1973, p. 180). Réflexions du père Louis Bouyer sur le Canon romain En 1966, le père Louis Bouyer publie son ouvrage majeur sur la liturgie, Eucharistie – Théologie et spiritualité de la Prière eucharistique. Voici ses réflexions sur le Canon, quelques mois plus tôt. « Nous touchons ici du doigt le mal qu’ont pu faire des théories hâtives ou des critiques superficielles du Canon romain, entassées depuis un demi-siècle, à la suite de liturgistes un peu trop enclins aux hypothèses invérifiables, comme Baumstark ou d’autres. On se construit, sur des échafaudages de conjectures douteuses, une vision imaginaire de l’Eucharistie « primitive ». Et après cela, on critique et dissèque superbement les textes que la tradition nous a transmis, sans se donner la peine d’essayer de les comprendre tels qu’ils sont en fait parvenus jusqu’à nous. » « II ne faudrait tout de même pas oublier que les formules essentielles du Canon romain, telles que nous les récitons toujours, sont déjà attestées par saint Ambroise. Et il faudrait encore moins méconnaître tout ce qu’il a en commun, dans sa structure, avec des liturgies égyptiennes bien antérieures, ni tout ce qu’il comporte, dans ses formulaires, d’expressions et de particularités qui nous invitent à remonter plus haut encore. « Jeter par-dessus bord, ou réviser de fond en comble au nom de théories en vogue, dont les experts se gausseront sans doute dans une génération, une prière aussi vénérable, aussi riche de sens, serait une folie criminelle. Si jamais nous y cédions, nous pouvons être assurés que les générations à venir porteraient sur nous un jugement plus sévère encore qu’aucun de ceux que nous sommes enclins à porter sur les époques où la liturgie était la plus méconnue » (Louis Bouyer, « Que vont devenir les rites sacrés ? », La Vie spirituelle 521, novembre 1965, p. 540). « Aussi longtemps que le prurit de nouveautés, comme c’est le cas chez nous en ce moment, y restera en fonction directe de l’ignorance ou de la méconnaissance de la tradition catholique, on devra s’y défier a priori de toutes les suggestions soit de substituer, soit même simplement d’alterner facultativement à l’usage du Canon romain n’importe quelle prière composée de chic par des fantaisistes futuristes ou des archéologues obsédés par leurs marottes » (Louis Bouyer, « Que vont devenir les rites sacrés ? », La Vie spirituelle 521, novembre 1965, p. 542). Le rite de communion et de renvoi Les trois prières de préparation du prêtre à la communion (Domine Jesu Christe qui dixisti, Domine Jesu Christe Fili Dei et Perceptio corporis tui) figurent déjà (avec d’autres) dans le Missel de la Curie du XIIIe siècle. La première prière d’action de grâce (Quod ore sumpsimus) se trouve dans le Sacramentaire léonien. La seconde (Corpus tuum) est une postcommunion gallicane attestée au VIIe siècle. Ite missa est est originellement le rite de conclusion de la messe : il figure dans la messe papale du VIIIe siècle. La bénédiction provient de la coutume du pontife de bénir les assistants sur son passage en revenant à la sacristie ! Au début du XIIe siècle, elle s’est largement répandue parmi les prêtres, et le Missel des Franciscains sanctionne cet usage, la plaçant après l’Ite missa est et avant la prière Placeat, laquelle est attestée dès le IXe siècle. C’est le Missel de saint Pie V qui place la bénédiction après la prière Placeat. Le dernier Évangile (Prologue de saint Jean) fait son apparition comme prière d’action de grâce au XIIIe siècle, et est rendu obligatoire par saint Pie V. Le fruit d’un développement continu Avec celui qui était encore le cardinal Ratzinger, remarquons donc que cette liturgie est « le fruit d’un développement continu », issu d’un « processus vivant de croissance et de devenir […], maturation organique du vivant à travers les siècles » (préface à Mgr Klaus Gamber, La réforme liturgique en question, éditions Sainte-Madeleine, 1992, p. 6-8). « Une liturgie orthodoxe, c’est-à-dire qui exprime la vraie foi, n’est jamais une compilation faite selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies, dont on pourrait disposer de manière positiviste et arbitraire (aujourd’hui comme cela et demain autrement). Les formes orthodoxes d’un rite sont des réalités vivantes, nées du dialogue d’amour entre l’Église et son Sauveur. Ce sont des expressions de la vie de l’Église, où se sont condensées la foi, la prière et la vie même des générations, et où se sont incarnées dans une forme concrète en même temps l’action de Dieu et la réponse de l’homme » (allocution du 24 octobre 1998 à Rome, 30 Jours, novembre 1998, p. 38). Le parfum spirituel des temps héroïques de l’Église primitive Comme le disait avec bonheur Mgr Annibale Bugnini, il s’agit là de « textes vénérables qui pendant des siècles ont alimenté la piété chrétienne avec tant d’efficacité, et ont encore aujourd’hui le parfum spirituel des temps héroïques de l’Église primitive », de « chefs-d’œuvre littéraires dont la forme et l’expression peuvent difficilement être surpassées » (« Modifications aux oraisons solennelles du Vendredi saint », Documentation catholique 1445, 4 avril 1965, col. 603-604). Nous sommes en présence « de rites et formulaires hérités d’une longue tradition », pour reprendre une expression du père Irénée-Henri Dalmais, « qui, malgré les appauvrissements et les scléroses, s’enracinait sans rupture trop grave jusqu’au tréfonds de la vie ecclésiale dans les premières communautés ». Or la liturgie est le « lieu par excellence où chaque chrétien est appelé à se confronter avec la tradition reçue des Pères » (« L’expression de la foi dans les liturgies orientales », Concilium 82, 1973, p. 77 et 84). Un tel patrimoine mérite respect et vénération « Cet héritage se trouvait profondément enraciné dans la conscience des fidèles et dans la pratique des assemblées » (Joseph Gélineau, « Célébration et vie », La Maison Dieu 106, 2e trimestre 1971, p. 12). Car « l’ordinaire [de la messe] contient des textes très antiques et qui se sont conservés substantiellement inchangés dans toute la tradition chrétienne. Avec eux ont prié des générations entières, sur toute la surface de la terre. Un tel patrimoine sacré mérite respect et vénération » (Rinaldo Falsini, « Quelques difficultés dans la traduction de l’ordinaire de la messe », La Maison Dieu 86, 2e trim. 1966, p. 107). Abbé Grégoire Celier Ce texte de l’abbé Grégoire Celier est extrait de « la lettre à nos frères prêtres » de Mars 2008 – Numéro 37. Pour plus de renseignements et pour vous abonner à cette publication : LNFP – 2245 avenue des Platanes 31380 Gragnague – tél : 05 61 74 27 93. Abonnement : 8 € par an (4 € pour les prêtres). Réflexions de Paix Liturgique - Comment ne pas faire nôtre la citation de monseigneur Bugnini qui expliquait déjà si parfaitement et prophétiquement en 1965 l’une des raisons de notre attachement profond à ce que l’on appelle heureusement aujourd’hui « la forme extraordinaire du rite romain » ? - Comment ne pas trouver renforcée et approfondie notre conviction qu’en priant selon cette forme c’est bien à l’école de milliers de saints que nous nous mettons pour essayer d’honorer le renouvellement du sacrifice de notre divin maître ? - Comment ne pas souhaiter que tous les fidèles catholiques de notre Eglise de France aient la possibilité pratique, au cœur même de leurs paroisses, de connaître cette richesse ? Plus que jamais, il nous faut prier pour que nos pasteurs multiplient les célébrations de la messe dans sa forme extraordinaire pour tous ceux qui le désirent et ceux encore plus nombreux qui n’ont pas encore eu le bonheur de la savourer mais qui, demain, parce que l'occasion de connaître cette forme liturgique leur aura été donnée, aimeront particulièrement se sanctifier dans cette vénérable liturgie. Sylvie Mimpontel Présidente du mouvement pour la Paix Liturgique et la Réconciliation dans l’Église |
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