13 février 2009





Pourquoi Benoît XVI veut aller à Jérusalem
13/02/2009 - Jean-Marie Guénois - lefigaro.fr
Le Pape veut clore trois semaines d'une crise sans précédent. Il compte sur son prochain voyage en Israël pour effacer les séquelles de l'affaire Williamson.
Rome est assiégée, il faut aller à Jérusalem ! De mémoire romaine, la crise affrontée par le Pape, ces trois dernières semaines, est sans précédent. Il y avait eu, en 2006, le malentendu de Ratisbonne avec l'islam. Il est aujourd'hui pardonné. Après tout, Benoît XVI «débutait» dans sa fonction, et ce faux pas a été minutieusement rattrapé depuis. Il laisse des traces qui ne sont rien face à l'ampleur du trouble, hors et dans l'Église catholique, lié à la levée des excommunications de quatre évêques lefebvristes, dont un négationniste, Mgr Richard Williamson.
Cet acte a ouvert une crise interne inédite : règlements de comptes publics - du jamais-vu - au sein de la curie romaine. Contestations épiscopales, en Allemagne, en France et en Autriche. Le cardinal Christophe Schönborn, archevêque de Vienne, a même dû convoquer pour ce lundi une réunion extraordinaire de la conférence des évêques pour «limiter les dégâts» de cette affaire et ceux de la nomination d'un nouvel évêque controversé à Linz. Cet acte romain a aussi créé une crise externe ouvrant un nouveau contentieux avec le monde juif, dossier déjà très lourd, et une confusion générale dans l'opinion mondiale.
Passé la stupeur de l'onde de choc ecclésiale et internationale, le Saint-Siège a cherché par tous les moyens à calmer la tempête. À trois reprises, le 28 janvier, le 4 février et le 19 février, le Pape a redit, avec des mots différents, une même conviction : le négationnisme est «intolérable et inacceptable» tout comme sa racine, l'antisémitisme. Il est allé jusqu'à reprendre à son compte, pour ses «amis juifs», la prière de Jean-Paul II devant le mur de Jérusalem, exprimée lors du jubilé de l'an 2000. Le Pape avait demandé «pardon à Dieu» pour «toutes les injustices» dont «le peuple juif a eu à souffrir».
Jérusalem, lieu source, dont Benoît XVI attend, en fait, la sortie définitive de cette crise, puisqu'il vient de confirmer qu'il «prépare une visite en Israël». En mai prochain probablement. Annoncé une première fois en novembre 2008, ce voyage en Jordanie et en Israël - presque annulé en janvier avec la guerre à Gaza - pourrait avoir la magie que sa visite en Turquie opéra après l'affaire de Ratisbonne. Le recueillement de Benoît XVI dans la grande mosquée Bleue d'Istanbul apaisa les esprits inquiets. Dans un autre registre, les échanges avec les responsables juifs en Israël pourraient sceller une réconciliation déjà en route. Et en finir avec le point qui fit vraiment scandale : la levée de l'excommunication d'un évêque qui a confirmé son négationnisme.
Une réconciliation déjà en route
Pour en être sur, il faudrait, après ce voyage à Jérusalem, interroger ce jeune collégien qui a littéralement interloqué Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, le 12 février dernier. Lors d'une visite dans un collège catholique à Issoire, cet adolescent a posé une question réductrice mais significative d'une opinion publique désarçonnée : «Monseigneur, pourquoi le Pape est négationniste ?»… Mgr Simon, par ailleurs vice-président de la conférence des évêques, passe pourtant son temps, comme ses confrères, à tenter d'expliquer que la levée des excommunications n'a rien à voir avec l'approbation du négationnisme. Elle concerne, martèle-t-il, l'excommunication liée à l'ordination par Mgr Marcel Lefebvre de quatre évêques en 1988 en désobéissance ouverte au pape.
Mgr Simon s'inscrit dans la ligne du concile Vatican II. Il est loin des mouvances traditionalistes, mais il a été pourtant l'un des premiers à justifier cette décision incomprise du Pape. Il compare en effet l'ordination épiscopale au «réacteur nucléaire» de l'Église. Si Benoît XVI ne stoppe pas maintenant le schisme intégriste, insiste-t-il, ces quatre évêques pourraient ordonner d'autres évêques ce qui fonderait une autre Église «catholique», parallèle et schismatique.
Après la sortie de crise, par le haut, à Jérusalem, il y a donc une sorte de second volet, par le bas. Le terrain, l'explication inlassable de ce qui relève d'un cours de théologie ou de droit canonique, matières de spécialistes, dont le grand public et ce jeune homme d'Issoire ne sont pas familiers.
En admettant toutefois que le voyage du Pape en Israël et les efforts pédagogiques des responsables ecclésiaux puissent aider à retrouver le calme, deux hypothèques subsistent.
La première concerne Mgr Williamson. Elle a été exprimée, vendredi, par Elie Wiesel, Prix Nobel de la Paix. Il estime que le Pape devrait «excommunier» une nouvelle fois Mgr Williamson pour clarifier définitivement les choses. Interrogés sur ce point, des professeurs de droit canonique sèchent. Il n'y a pas, selon eux, de solutions techniques à cet épineux problème. Le Pape ne peut pas rétablir cette excommunication, car elle s'applique à des domaines purement doctrinaux et théologiques. De même, avancent-ils, il n'est pas en son pouvoir de pape de retirer la qualité d'évêque à Mgr Williamson. Un évêque condamné reste un évêque : l'ordination illicite par Mgr Lefebvre est valide. Enfin, et surtout concluent-ils, en raison de son statut particulier, la Fraternité sacerdotale Saint Pie X (FSSPX), placée sous l'autorité de Mgr Bernard Fellay, son supérieur général, échappe à la juridiction de Rome. Ce dernier a condamné les propos de Mgr Williamson et cherche à l'isoler. Il vient de le relever de sa direction de séminaire en Argentine et lui a intimé le silence. Ce qui n'a pas empêché, dimanche dernier, Mgr Williamson de réitérer ses propos négationnistes…
La seconde hypothèque concerne le dialogue sur le fond avec la fraternité lefebvriste. Son opposition aux évolutions du concile Vatican II est le motif essentiel de sa résistance. Mercredi soir, à Paris, une conférence, animée par l'abbé Régis de Cacqueray-Valmenier, supérieur du district de France de la fraternité, a permis de situer la largeur de l'océan. Alors que la conférence des évêques avait réaffirmé, le 28 janvier, qu'en «aucun cas, le concile Vatican II ne sera négociable» et qu'«aucun groupe ecclésial ne peut se substituer au magistère», l'abbé de Cacqueray a évoqué trois points de débats fondamentaux : «la royauté sociale de notre Seigneur Jésus-Christ, roi des consciences, des familles et des pays», ce qui implique que «l'État doit favoriser la religion catholique». Deuxième point : «qui veut aller au Ciel doit passer pas la médiation» du Christ. «C'est la religion qui sauve.» Le dialogue avec les autres religions doit, selon lui, ne rien lâcher. Troisième point, l'organisation de l'Église et des conférences épiscopales qui «n'ont pas de bases théologiques», comme l'avait dit un certain Joseph Ratzinger. Conclusion de ce prêtre : «L'Église n'est pas une oligarchie ni une démocratie, c'est une monarchie. C'est le Pape qui dirige.»
Aucun changement de cap à Rome
En admettant que l'ouragan s'apaise, les eaux resteront donc bien agitées pour la barque de Pierre. D'autant qu'aucun changement de cap ne s'annonce à Rome. On confirmait en haut lieu, hier encore, et contrairement aux explications de «dysfonctionnements», réelles mais superficielles, avancées ces derniers temps, que l'étude puis la décision de lever les excommunications avait été lancée dès 2001 sous le pontificat de Jean-Paul II. Cette décision a été ensuite explicitement soumise à deux conseils interdicastériels, c'est-à-dire à deux Conseils des ministres du Pape et à l'avis de tous les cardinaux du monde lors du consistoire de mars 2006. Elle vient donc de loin et n'a pas de raison de s'interrompre, assure-t-on, car elle est portée sans équivoque par Benoît XVI. Ce dernier l'inscrit, avec la reconnaissance du missel de Jean XXIII (messe dite «en latin») comme l'un des grands actes de son pontificat qui entend «interpréter» le concile Vatican II en tenant davantage compte de la tradition.
Reste une énigme. Comment l'interview de Mgr Williamson recueillie le 1er novembre, vraie cause du scandale, a-t-elle été publiée le 21 janvier, jour de sortie du décret de levée des excommunications ? Hasard ou coïncidence ? Interrogée, la télévision suédoise affirme l'avoir programmée le 21 janvier dès la mi-novembre 2008, un délai normal en télévision. Et l'avoir seulement annoncé une semaine avant. Ce qui a permis à l'hebdomadaire Der Spiegel de publier ces propos de Mgr Williamson le lundi 19 janvier. Mais à Rome, tout était fait : le dossier Williamson n'avait certes pas été fouillé, mais le décret de levée d'excommunication, lui, était signé sur ordre du Pape par le cardinal Giovanni Battista Re, dès le samedi 17 janvier, et remis le jour même, en mains propres, à Mgr Fellay qui avait été convoqué à cette fin au Vatican.