Le quotidien italien «Il Giornale» affirme que le pape a signé un décret annulant les excommunications des évêques ordonnés par Mgr Lefebvre en 1988. Il élimine ainsi le dernier obstacle au début des négociations. Les catholiques schismatiques de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) avaient posé deux conditions à l'ouverture de négociations avec Rome: la libéralisation de la messe tridentine, dite de saint Pie V, et l'annulation des excommunications prononcées par Jean Paul II à l'encontre des quatre évêques ordonnés à Ecône par Mgr Lefebvre en 1988. La première a été remplie en juillet 2007. Quant à la levée des excommunications, elle devrait être annoncée ces prochains jours. Selon le quotidien Il Giornale, le pape aurait signé un décret révoquant la décision de Jean Paul II.
Le Vatican n'a ni confirmé ni démenti cette information. Mais tout indique qu'elle est véridique. Le pape n'a jamais caché sa volonté de réintégrer les catholiques intégristes dans le giron de Rome, et il a déjà tendu la main à plusieurs reprises aux lefebvristes. Le simple fait de se présenter comme journaliste en téléphonant à la Maison générale de la FSSPX à Menzingen, dans le canton de Zoug, déclenche une réponse éloquente: «Pas de commentaire avant que ce soit officiel.»
Le District de France de la FSSPX se montre un peu plus bavard. «Nous n'avons reçu aucune communication officielle, dit l'abbé Grégoire Celier, porte-parole. Mais la rumeur court, et il semble qu'elle provienne de gens bien informés. Si elle est exacte, nous ne pouvons bien sûr que nous réjouir que la vérité soit enfin reconnue. Mgr Lefebvre avait agi dans le cadre d'un grave état de nécessité, et les condamnations de Rome étaient injustes.» Cependant, le fait que le Vatican ait rempli les deux préalables exigés par la Fraternité ne «résout pas tous les problèmes, souligne l'abbé. On peut faire un parallèle avec Gaza: les combats ont cessé, et maintenant il faut se mettre à la table des négociations.»
Celles-ci devraient comporter deux volets. Le premier est de nature juridique. «Il s'agit de définir un statut juridique clair pour la Fraternité, dit l'abbé Celier. Nous sommes actuellement une société de vie apostolique, c'est-à-dire des prêtres qui vivent en commun. Rome a envisagé plusieurs statuts possibles.» Notamment celui de la prélature personnelle du pape, comme l'Opus Dei. Dans ce cas, la Fraternité ne serait rattachée à aucun territoire. Le statut des quatre évêques lefebvristes et des prêtres de la FSSPX devra lui aussi être discuté.
Le second volet des négociations, assurément le plus délicat, est de nature doctrinale. Il concerne en particulier deux acquis du concile Vatican II: l'œcuménisme et la reconnaissance de la liberté religieuse. «Nous ne sommes pas contre, affirme l'abbé Celier, mais les fondements de ces principes tels qu'ils ont été posés par Vatican II nous paraissent erronés en certains points. Il s'agit pour nous d'assurer la continuité avec la Tradition et des textes antérieurs à Vatican II.» Ces paroles sibyllines cachent en réalité des positions intransigeantes. La Fraternité conçoit ainsi l'œcuménisme comme un retour des autres confessions chrétiennes à la foi catholique. De même, la liberté religieuse est à sens unique aux yeux des intégristes: seule l'Eglise catholique est dépositaire de la vraie foi, et les membres des autres religions doivent s'y convertir.
Dès lors, jusqu'où peuvent aller les négociations entre Rome et Ecône? Benoît XVI a réaffirmé à plusieurs reprises la nécessité du dialogue œcuménique. Il s'est aussi engagé de manière plus active dans le dialogue interreligieux depuis le tollé qu'avait suscité son discours de Ratisbonne, dans lequel il établissait un lien entre islam et violence. Par ailleurs, il ne semble pas prêt à transiger sur la reconnaissance du Concile Vatican II, comme l'affirme une déclaration publiée par le porte-parole du Saint-Siège le 25 juin 2008 à la suite d'un geste d'ouverture de Rome à l'égard des lefebvristes. Selon ce document, «la reconnaissance du concile Vatican II comme véritable concile œcuménique» n'était «absolument pas» remise en question. Cette précision était intervenue après les cinq conditions posées à la poursuite du dialogue par le cardinal Dario Castrillon Hoyos, chargé du dossier. Elles demandaient notamment un engagement à respecter la personne du pape et son autorité, à éviter la prétention à un magistère supérieur à celui du Saint-Père, et sollicitaient une réponse positive au plus tard à la fin juin. La Fraternité n'avait pas accepté cette main tendue, et répété que les excommunications devaient d'abord être levées. Ce refus ne répondait pas au souhait du Vatican de voir son offre «reçue avec une attitude et un esprit de charité et de communion».
Le pape a-t-il décidé d'annuler ces sanctions sans aucune contrepartie? Il faudra attendre le décret pour le savoir. |