Intégrisme : un recul de quarante ans |
29 janvier 2009 - Jérôme Anciberro - temoignagechretien.fr |
La levée par Rome de l’excommunication de quatre évêques intégristes annonce des temps difficiles pour l’Église conciliaire. Intégrisme : un recul de quarante ans Pas de doute : l’institution catholique s’entend à fêter les anniversaires et à manier les symboles. Cinquante ans après l’annonce par le pape Jean XXIII de l’ouverture du Concile Vatican II, la levée de l’excommunication des quatre évêques de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X consacrés par Mgr Lefebvre en 1988 est, de ce point de vue, une réussite. Gian Maria Vian, le directeur de l’Osservatore Romano assure dans l’édition du 25 janvier du quotidien du Vatican que c’est Benoît XVI lui-même qui a choisi cette date pour rendre publique sa décision (1). Le journaliste précise même sans rire – ce n’est pas le genre de la maison – que ce « geste de paix » envers les intégristes « aurait plu à Jean XXIII et à ses successeurs ». Il fallait oser, l’Osservatore Romano l’a fait. Crétinerie Les responsables catholiques interrogés assurent qu’ils condamnent fermement les déclarations de l’un de ces quatre évêques, Mgr Richard Williamson, qui a exprimé dans une interview diffusée à la télévision suédoise quelques doutes sur l’existence des chambres à gaz et sur l’ampleur du génocide juif. Mgr Vingt-Trois, l’archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, a confié à ce sujet qu’il lui restait comme « une arête en travers de la gorge ». Une arête qui n’empêche pas les mêmes responsables, dont le Père Federico Lombardi, le porte-parole du Vatican, d’expliquer que la levée de l’excommunication est une affaire strictement ecclésiale qui n’a rien à voir avec la crétinerie historique de Mgr Williamson. Tout va bien dans le meilleur des mondes canoniques possibles. Notons toutefois que si Mgr Williamson s’était mis après son excommunication à prôner – simple hypothèse pédagogique – la pratique de la masturbation (expressément condamnée par le Catéchisme de l’Église catholique, article 2352), il lui eût peut-être été plus difficile de réintégrer formellement le giron de l’Église catholique… Les experts canonistes analysent les subtilités techniques du décret du 24 janvier qui revient sur celui du 1er juillet 1988, lequel excommuniait les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre sans l’aval du pape, ainsi que Mgr Lefebvre lui-même et Mgr de Castro Mayer, évêque brésilien ayant participé à l’ordination. La « levée » du décret de 1988 n’équivaudrait pas formellement à un « retrait ». Le décret est donc « privé d’effets juridiques », mais il n’est pas annulé. En d’autres termes, la décision de 1988 était bien justifiée, mais les temps auraient changé et les intéressés aussi. Le décret du 24 janvier mentionne, d’une part, « le malaise spirituel manifesté par les intéressés à cause de la sanction d’excommunication » et, d’autre part, « l’engagement exprimé par eux […] de n’épargner aucun effort pour approfondir dans les nécessaires entretiens avec les Autorités du Saint-Siège les questions encore ouvertes ». Ni Mgr Lefebvre, ni Mgr de Castro Mayer, tous deux décédés en 1991, ne sont réhabilités. Les morts, eux, ne changent pas. Par conséquent, Rome peut se prévaloir d’une certaine constance, tandis que les intégristes de la Fraternité Saint-Pie X ont intérêt à faire comme si le décret de 1988 était tout simplement annulé, ce qui, formellement, n’est pas tout à fait exact. D’un point de vue strictement stratégique, la levée de l’excommunication de Mgr Williamson – malgré ses propos négationnistes – en même temps que ses trois collègues en épiscopat, est elle aussi habile, à défaut d’être moralement satisfaisante : en procédant de la sorte, Rome évite que les intégristes les plus durs ne se regroupent autour de ce prélat anglais et ne perpétuent le « scandale de la division ». On ne peut toutefois encore parler d’une totale réhabilitation des intégristes, leur statut vis-à-vis de l’institution restant encore à définir. Le processus peut durer et dépend largement de l’attitude de la Fraternité. Pour l’instant, la seule piste évoquée serait celle d’une prélature personnelle, c’est-à-dire d’une dépendance directe au pape, statut dont l’Opus Dei est aujourd’hui la seule organisation catholique à bénéficier. Réserves sur Vatican II À quoi la Fraternité Saint-Pie X s’est-elle engagée pour mériter la clémence papale ? Le décret du 24 janvier mentionne une lettre de Mgr Fellay, le supérieur de la Fraternité, datée du 15 décembre 2008 et adressée à Mgr Castrillon Hoyos, le président de la commission pontificale VEcclesia De/iV, chargée de traiter la question traditionaliste. Mgr Fellay y aurait écrit – c’est le seul passage que mentionne le décret de la Congrégation des évêques – : « Nous sommes toujours bien ancrés dans la volonté de rester catholiques et de mettre toutes nos forces au service de l’Église de notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est l’Église catholique romaine. Nous acceptons son enseignement filialement. Nous croyons fermement à la primauté de Pierre et à ses prérogatives et c’est pourquoi la situation actuelle nous fait d’autant plus souffrir. » La Fraternité se soumet donc clairement au pape. Mais si l’on en croit Mgr Fellay lui-même, écrivant cette fois aux fidèles de la Fraternité le 24 janvier, la lettre du 15 décembre (2) contenait un autre passage : « Nous sommes prêts à écrire avec notre sang le Credo, à signer le serment anti-moderniste, la profession de foi de Pie IV (3), nous acceptons et faisons nôtres tous les conciles jusqu’à Vatican II au sujet duquel nous émettons des réserves. » Où l’on voit que la question centrale qui oppose la Fraternité à Rome, l’acceptation du dernier concile, n’est de toute évidence toujours pas réglée. Dans ce contexte, on peut se demander ce qu’il adviendra des « entretiens » annoncés dans le décret du 24 janvier. Certains intégristes, qui ont aiguisé leurs argumentaires depuis des années, se réjouissent des disputationes à venir autour des textes adoptés par les Pères conciliaires, en particulier ceux concernant la liturgie (constitution Sacrosanctum Concilium), la liberté religieuse (déclaration Dignitatis Humanae), les relations avec les religions non-chrétiennes (déclarationNostra Ætate) ou encore les relations de l’Église avec le monde (constitution Gaudium et Spes). Autant de documents de référence que de nombreux catholiques – la majorité ? – croyaient définitivement intégrés dans le patrimoine spirituel et intellectuel de leur Église. Toute la question est donc aujourd’hui de savoir si les rapports de force conduiront les intégristes en voie de réintégration à s’adapter d’une manière ou d’une autre aux décisions conciliaires, ou bien si, comme beaucoup le craignent, l’institution catholique se laissera aller sans le dire à abandonner l’esprit de Vatican II. Dans les deux cas, nous assistons aujourd’hui à un véritable retour en arrière d’au moins quarante ans. (1) Formellement, cette levée est annoncée dans un décret émanant de la Congrégation des Évêques. (2) Nous ne disposons pas de l’intégralité de cette lettre de Mgr Fellay à Mgr Castrillon Hoyos. (3) Le Serment anti-moderniste est un texte promulgué par le pape Pie X en 1910. Il s’oppose, entre autres, à l’idée de l’évolution des dogmes et à l’utilisation des méthodes historico-critiques indépendamment de l’autorité ecclésiale. Les prêtres étaient tenus de le prononcer jusqu’à son abrogation en 1967 par le pape Paul VI. Une homélie de Mgr Jacques Noyer* J’aimerais pouvoir en ce jour de la Conversion de Paul me réjouir parce que des intégristes rejoignent le sein de la communauté. Paul lui aussi était un intégriste. Il nous le rappelle : c’est le zèle de la Loi, la fidélité aux traditions des Pères, l’attachement à l’image de Dieu qui le poussait à persécuter les fidèles du Christ. Sur le chemin de Damas, il rencontre le visage de Jésus qui l’arrête dans son élan pour rejoindre humblement le petit peuple des chrétiens. Les fidèles pourront peut-être hésiter quelque temps à faire confiance en ce nouveau converti. Comme j’aimerais pouvoir célébrer en ce jour la réconciliation de tous ces intégristes généreux et de bonne foi qui accepteraient humblement de reprendre place dans la communauté. Mais à ma connaissance rien ne semble indiquer un changement quelconque chez ces hommes du refus ! Coup dur Je me réjouirais sans hésitation si je pouvais lire cette décision du Pape comme un geste de justice et de fidélité à nos propres valeurs. Le président Obama ferme la prison de Guantanamo dans cet esprit. Si l’Église renonçait à l’excommunication comme une démarche d’un autre âge, je comprendrais. Mais il ne s’agit certainement pas de cela. Je me réjouirais si je pouvais dire en ce dernier jour de la Semaine de l’Unité qu’un geste de réconciliation marque un pas vers l’unité désirée selon la prière du Christ. Mais quand je sais que l’œcuménisme a été l’un des arguments décisifs du départ de ces gens qui nous reprochaient notre ouverture vers les protestants et les orthodoxes, je n’y vois au contraire qu’une nouvelle difficulté sur le chemin de l’unité. Ancien évêque sans responsabilité, je peux dire, avec une simplicité que n’ont pas aisément ceux qui sont encore en poste, quelle est la dureté du coup qu’ils reçoivent. Ils devront bientôt voir venir vers eux avec un sourire hautain ceux qui depuis des années ont nargué leur autorité. Ils auront à gérer le trouble que cette décision va inévitablement produire parmi tous leurs collaborateurs, prêtres et laïcs. Ils seront humiliés du manque de confiance que le Pape leur fait après avoir ignoré tant de démarches et de courriers sur ce sujet. Ils souffriront de cet obstacle supplémentaire mis sur le chemin de l’Église pour tous ceux que l’Évangile appelle. Pour ne pas rester à une plainte il nous reste à espérer que tant de générosité, et tant d’indulgence témoignées par le Père commun, touchera ces fils aînés sans tolérance et sans charité. La Conversion de Paul est peut-être l’occasion de prier pour la Conversion des Intégristes. Sauront-ils, en rencontrant le visage douloureux et bienveillant du Christ, quitter la suffisance de leurs certitudes pour prendre place humblement dans le peuple chrétien. Nous nous réjouirons alors s’ils apportent, comme Paul a su le faire, leur dynamisme pour l’annonce de l’Évangile. * Jacques Noyer est évêque émérite d'Amiens |
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