3 février 2009






Intégristes - L'unité à tout prix ?
03/02/2009 - Samuel Lieven - pelerin.info
Devant la levée de boucliers suscitée par les propos négationnistes de l'évêque intégriste Richard Williamson, les évêques de France cherchent à apaiser les esprits à la suite du pape. Les catholiques sont renvoyés à la question centrale de l'unité de l'Eglise : avec qui, comment et à quel prix ?

Le pape lui-même, se dit "troublé" Les propos négationnistes de Richard Williamson, l'un des quatre évêques de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) - séparée de l'Eglise depuis 1988 - qui ont fait l'objet, le 24 janvier, d'une levée d'excommunication, ont provoqué une onde de choc dans l'opinion internationale. « Je pense qu'il n'y a pas eu de chambres à gaz », déclarait l'évêque intégriste dans une émission de télévision diffusée en Suède le 21 janvier.
Depuis, les condamnations de juifs et de catholiques du monde entier, les courriers de lecteurs indignés - plusieurs centaines de lettres ont été adressées aux rédactions de Pèlerin et de La Croix et de messages dans les forums de leurs sites - et les interpellations dans la presse se multiplient.
D'ordinaire peu sensible à la pression des médias, Benoît XVI n'a pas pu garder le silence. « Troublé » par les déclarations de Richard Williamson, le pape a tenu à rappeler son « affection » et sa « solidarité pleine et indiscutable » avec le peuple juif (lire le texte de son intervention).
Le malaise perdure
 Las. Ni ces propos sans ambiguïté, ni la « ferme condamnation » exprimée par les évêques de France n'ont su ramener le calme. Les « regrets » tardivement adressés au pape par Richard Williamson ont accentué la confusion. L'évêque intégriste se contente d'évoquer ses « remarques imprudentes » sans les rétracter. Jugées « tout à fait insuffisantes » par le cardinal archevêque de Lyon, Mgr Philippe Barbarin, ces excuses a minima n'ont pas empêché de nouvelles condamnations au sein de l'Eglise de France. Mgr Jean-Michel di Falco, évêque de Gap et d'Embrun, s'est référé à la mémoire du cardinal Jean-Marie Lustiger, né juif et converti au catholicisme. « Sa mère est morte à Auschwitz après avoir été dénoncée par un Français sans doute de la même famille de pensée que Mgr Williamson. » (lire le texte intégral)
Quant à la communauté juive, elle attend toujours des « réponses claires » de l'Eglise, à l'instar du nouveau grand rabbin de France, Gilles Bernheim. « Comment le pape pouvait-il ignorer le négationnisme de Richard Williamson ? » interroge ce fervent partisan du dialogue judéo-chrétien (lire le texte).
Un geste d’ouverture controversé
Une fois encore, le langage et le calendrier de l'Eglise ne sont pas ceux de la société civile. Tout d'abord, rappelons-le, les intégristes ne sont pas « réintégrés » dans l'Eglise (lire nos explications). L'excommunication portait uniquement sur un point de discipline : l'ordination, en 1988, par Mgr Marcel Lefebvre, de quatre évêques - dont Richard Williamson - contre l'avis formel du pape. La levée de l'excommunication n'est qu'un préalable à la reprise des discussions avec les intégristes sur l'acceptation du concile Vatican II (1962-1965). Rien n'est donc joué. Toujours est-il que ce geste d'ouverture est controversé dans l'opinion et que les déclarations de Richard Williamson ne font qu'ajouter à la confusion.
« A qui profite le crime ? » interroge Mgr Hippolyte Simon, vice-président de la Conférence des évêques de France, dans une lettre ouverte publiée le 29 janvier. Réponse de l'évêque de Clermont : à Richard Williamson, un ultra de la Fraternité, historiquement opposé à tout rapprochement avec Rome. « Il fait exploser une bombe en espérant que tout le processus de réconciliation va dérailler », poursuit Mgr Simon. Au passage, l'évêque intégriste ternit l'image d'un pape allemand qui a personnellement enduré la férule nazie et fait du dialogue judéo-chrétien une priorité de son pontificat.
Les intégristes et l'idéologie antisémite
Si la manipulation est avérée, elle n'épuise pas pour autant la question du grand rabbin Gilles Bernheim. Comment ignorer le négationnisme de Richard Williamson et de toute une branche de la Fraternité Saint-Pie-X, proche de l'extrême droite et des thèses xénophobes ? « Personne au Vatican ne se fait d'illusions sur la manière de penser des lefebvristes », concède l'historien Paul Airiau, spécialiste du catholicisme. Arc-boutés sur le rejet du concile Vatican II et de l'ouverture au monde, les intégristes continuent majoritairement de souscrire au vieil antijudaïsme théologique - le rejet des juifs comme peuple déicide - abandonné par l'Eglise catholique. L'idéologie antisémite - le rejet du peuple juif pour lui-même et la négation d'une réalité historique, la Shoah - n'est jamais bien loin. Les propos de Richard Williamson l'ont montré.
Comment, dès lors, concevoir la réconciliation avec les partisans d'une idéologie en contradiction totale avec l'Evangile, qui se trouvent être aussi de farouches adversaires du concile Vatican II ? « C'est tout le problème de l'unité de l'Eglise : doit-elle se faire en s'accommodant de la diversité idéologique ? » interroge Paul Airiau. Dans sa volonté d'en finir avec le schisme, Benoît XVI semble répondre par l'affirmative.
L'image de Benoît XVI sérieusement écornée
Quelles en seront les conséquences ? Première victime, le dialogue judéo-chrétien. « Le chemin que nous avons parcouru ensemble et qui s'ouvre devant nous est trop important pour que nous nous laissions manipuler par des ultras », a déclaré Mgr André Vingt-Trois, président de la Conférence épiscopale, à l'intention des juifs.
Dans l'opinion française, l'affaire laissera aussi des traces. « L'image de Benoît XVI risque d'en sortir sérieusement écornée, avance l'historien de la papauté Philippe Levillain. Son désir d'unité est caricaturé comme un retour à l'Eglise du passé. » Le geste d'ouverture vers les lefebvristes se traduira-t-il par un autre schisme ? Nombreux sont les catholiques qui s'estiment floués par cette main tendue à ceux qui ont toujours refusé l'ouverture prônée par Vatican II.

Samuel Lieven