La normalisation de la situation canonique de la FSSPX avec Rome
Le grand avantage du livre de Monsieur l’abbé Celier et d’Olivier Pichon « Benoît XVI et les traditionalistes », c’est sa clarté sur un sujet capital : celui de la normalisation de la situation canonique de la FSSPX avec Rome ou mieux sa « régularisation canonique ».
J’ai déjà analysé la pensée de Monsieur l’abbé Celier sur ce sujet dans un précédent Regard. (cf. n° 129 du 12 mai). Il affirme que tous les membres de la FSSPX sont favorables à cette régularisation. C’est pour eux tous, une question de foi. Il n’est pas question qu’ils se séparent de l’Eglise, ni qu’ils créent une « petite église » autocéphale.
Mais ils n’iront de l’avant qu’avec la certitude que cette régularisation ne se fasse pas au détriment de la foi.
Qui pourrait le leur reprocher.
Monsieur l’abbé Celier le dit nettement dans une très belle page de son livre, la plus belle peut-être, la page 212 : « Nous sommes attentifs à toutes les évolutions positives de Rome, et nous en tenons compte dans notre évaluation de la situation. Nous essayons de ne pas laisser les occasions favorables, de ne pas nous maintenir dans l’immobilisme, ce qui serait mortel pour nous-mêmes et pour l’Eglise. Je parle d’un immobilisme de type providentialiste, qui reviendrait à ne pas faire ce qui est à notre portée pour contribuer à résoudre la crise, sous le fallacieux prétexte que « Dieu y pourvoira ». Nous inscrivons donc notre action dans la réalité historique, circonstancielle, d’aujourd’hui. Mais (et c’est ce Mais qui change tout) nous l’avons fait jusqu’ici, nous le faisons aujourd’hui et nous le ferons toujours sur la base de la foi catholique, dans l’attachement inconditionnel à la foi catholique. La Fraternité Saint Pie X veut la restauration de la foi et le relèvement de l’Eglise, c’est le but qu’elle recherche sans trêve ni réserve, et elle est déterminée à coopérer à cette restauration au fur et à mesure de l’évolution des choses, au moyen des circonstances. Mais la Fraternité ne veut pas l’inverse, elle ne vise pas comme but de s’adapter aux circonstances, et comme moyen de restaurer la foi. C’est dire que nous ne pouvons envisager de céder sur la foi parce qu’une occasion exceptionnelle, non réfutable, nous serait offerte sur un plateau. La Fraternité Saint Pie X est prête dans l’heure à tout accord, à tout arrangement qui garantira la foi pour l’Eglise et pour elle-même. En revanche, elle n’est prête à aucun accord, aussi mirobolant et favorable paraitrait-il, qui se conclurait au détriment de la foi. Or le vrai problème, depuis le début, est là. Toutes les propositions de Rome jusqu’ici ont eu pour but de régler le « problème » de la Fraternité Saint-Pie X, vu comme une difficulté canonique, un charisme propre, une souffrance due aux excès de l’après Concile, une incompréhension des textes les moins clairs du Concile, etc. mais ces propositions ont à ce jour systématiquement esquivé le problème de foi que pointait la Fraternité Saint-Pie X, et qui est l’essentiel » (p. 212)
Or il constate que tout ce qui s’est fait jusqu’à maintenant en matière d’accord avec les Instituts Ecclesia Dei , avec les moines du Barroux, avec la Fraternité saint Vincent Ferrier, avec Campos, peut-être un jour avec l’Institut de Bon Pasteur,( il est trop tôt pour que l’on puisse juger) s’est conclu peu ou prou par une « trahison ». Tous en effet ont lâché sur le plan doctrinal, les uns sur la liberté religieuse, les autres sur la réforme liturgique acceptant le bi ritualisme ou la concélébration ou perdant de leur « pugnacité » dans le combat doctrinal et leur critique sur la nouvelle messe.
C’est pourquoi les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X ne veulent pas se lancer dans cette aventure…Ils ne se croient pas plus malin que les « autres ». Là où les autres ont « capitulé », ils craignent de capituler.
Et la raison de cette capitulation en chemin est simple, dit-il : tous, ils sont entrés dans une structure qui « marchent pour Vatican II ». Ils ne peuvent pas ne pas en être les victimes. Et cela, les membres de la Fraternité Saint-Pie X ne le veulent d’aucune manière.
Monsieur l’abbé Celier est très clair : « Je me refuse à croire que cette évolution des Instituts Ecclesia Dei tiennent principalement à la faiblesse des hommes : je la crois au contraire structurelle. On ne peut sous-estimer la puissance formidable de l’appareil ecclésiastique, sa capacité à attirer, à imprégner, à orienter, à marquer les âmes. C’est une des forces principales de l’Eglise, nous ne devons pas nous en étonner. Il n’est pas surprenant que l’appareil ecclésiastique ait réussi à faire évoluer en son sens les hommes qui l’ont rejoint depuis vingt ans. Le problème, c’est que cet appareil ecclésiastique roule aujourd’hui pour Vatican II. C’est donc vers Vatican II qu’il attire les Instituts Ecclesia Dei : tout simplement ! Il serait téméraire pour la Fraternité Saint-Pie X de se croire plus maligne ou plus forte que ceux qui, dans le passé, ont signé des accords. Si de plus coriaces que nous s’y sont cassé les dents, nous nous casserons également les dents, tant que l’orientation fondamentale de l’appareil ecclésiastique n’aura pas changé » (p 221)
Monsieur Olivier Pichoin revient sur la question et l’interroge à propos des fondateurs de l’Institut de Bon Pasteur, la dernière création. Il lui demande : « Vous ne croyez pas que les « tontons flingueurs » de la tradition, comme les a surnommés Le Figaro du 9 septembre 2006, sont capables de réaliser une telle percée victorieuse ? Ces fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur ont démontré qu’ils ne se laissaient ni impressionner par les menaces, ni séduire par les promesses »
C’est l’occasion pour Monsieur l’abbé Celier d’enfoncer le clou par sa réponse : « Ce sont incontestablement des fortes têtes. Je souhaite qu’ils réussissent à tenir le coup et à conserver leur liberté de critique à l’égard de Vatican II, à l’intérieur même de la structure ecclésiastique. Comme je l’ai dit, une telle réussite démontrerait que nos craintes sont désormais infondées. Mais l’histoire, tant longue que récente, m’enseigne la capacité d’assimilation quasi illimitée de l’appareil ecclésiastique. Je reste donc dubitatif sur la capacité de quelques prêtres même psychologiquement très solides, à résister à une réelle puissance. C’est pourquoi tant que Rome sera résolument pour le Concile, nous ne pourrons prendre le risque de nous replacer entre ses mais » (p 221-222)
C’était déjà la raison que Mère Anne-Marie Simoulin, Supérieure Générale, à l’époque, des religieuses de Fanjeaux, donnait le 30 mai 1988 à Mgr Lefebvre, lui conseillant de ne pas aller de l’avant dans ses négociations avec Rome et de passer à l’acte des sacres. Ce que fit Mgr Lefebvre le 30 juin 1988…
L’abbé Célier se répète quelques lignes plus loin : « Je vais me répéter. Tant que l’appareil ecclésiastique sera fermement attaché à Vatican II, les normes juridiques les plus favorables ne seront qu’un frêle papier à cigarettes pour nous protéger des pressions. Lorsqu’au contraire le coup de barre vers la tradition aura été donné, des normes juridiques même un peu bancales seront acceptables, car la vie de l’Eglise, alors travaillera chaque jour à les améliorer. Le fond du problème est là, et nulle part ailleurs » (p 222)
On a bien compris que, pour Monsieur l’abbé Celier, il n’y aura, de la part de la Fraternité Saint-Pie X, un accord possible avec Rome que lorsqu’un franc coup de barre vers sa tradition sera donné par les autorités ecclésiales et dûment constatable. Il écrit très clairement : « « Il faut créer de façon irréversible une situation qui rende possibles des accords canoniques. C’est-à-dire qu’il faut que Rome s’engage clairement en faveur de la foi vraie et intégrale, en faveur de l’élimination des erreurs, en faveur de la revivification de la vie chrétienne traditionnelle, même si cette volonté n’a pas encore atteint toutes les parties de l’Eglise ». (p184)
Dans cette précision, nous avons, nous tenons le principe de la future régularisation canonique de la Fraternité Saint Pie X dans l’Eglise, son principe théologique.
Tout est là !
Il faut que Rome s’engage clairement en faveur de la foi, de sa Tradition.
Alors la question qu’il faut se poser est la suivante : ce mouvement dans l’Eglise vers sa tradition est-il en marche ou n’est-il pas en marche?
C’est la question décisive.
J’ai répondu personnellement depuis longtemps à cette question. J’ai répondu positivement.
Je me suis essentiellement consacré à l’étude de la Messe « tridentine », à l’étude de l’évolution de la hiérarchie en ce domaine. Nul doute que la hiérarchie marche vers sa Tradition. C’est l’objet de mon livre « La bataille de la messe » aux éditions de Paris. J’ai étudié cette évolution depuis son interdiction formelle, mais atypique, le 24 mai 1976, lors du Consistoire tenu par Paul VI, jusqu’à son retour dans l’Eglise décidé par le Pape Jean Paul II, lors de la création de l’Administration Apostolique Saint Jean Marie Vianney, au Brésil, dans le diocèse de Campos, en passant par celle de l’Institut du Bon Pasteur, avec Benoît XVI. Le nouveau Motu Proprio ne peut tarder…Cette évolution de la hiérarchie montre que le coup de barre vers sa tradition liturgique est en train d’être donné. Le pape Benoît XVI le veut.
Aussi n’est- il pas loin le moment où Rome pourra répondre favorablement à la première condition posée par la Fraternité Saint Pie X pour une « normalisation ». Ce préalable - celui du droit de la messe tridentine pour tout prêtre- pourra bientôt être satisfait. Sera alors changée l’attitude des membres de l’Eglise par rapport à sa tradition liturgique…Ce sera la première étape du « chemin inverse de la rupture de 1974-1976 » (p 176) qu’il faut nécessairement parcourir. C’est l’expression même de Monsieur l’abbé Celier. Je suis d’accord.
La deuxième étape, dit-il, c’est la levée de la prétendue excommunication.
Si j’en juge par l’attitude de Rome vis-à-vis de Mgr Rangel, l’évêque de la Fraternité saint Jean Marie Vianney, au Brésil, lors des années 2001 2002, le problème ne me parait pas très grand…L’abbé Celier le reconnaît à la page 178 de son livre. A Olivier Pichon qui pense nécessaire la publication d’un décret d’annulation en bon et due forme sur ce sujet, l’abbé Celier lui répond : « C’est que vous êtes beaucoup trop rigoriste, cartésien. Les hommes de la Curie possèdent de multiples ressources » pour régler ce problème au plus simple…
Ainsi « la mise en œuvre de ces deux préalables est, pour l’abbé Celier, assez facile, et cela sans risquer de causer une révolution dans l’Eglise » (p. 178)
C’est clair que la mise en œuvre de ces deux préalables « favoriserait un changement d’attitude des membres de l’Eglise vis-à-vis de la tradition » (p177). Oh combien !
Ce qui est impérativement demandé par la Fraternité Saint Pie X : « un coup de barre vers sa tradition » est donc en cours.
Il reste le problème du Concile Vatican II. C’est un problème sérieux. Monsieur l’abbé Celier en parle dans les pages 186-192 de son livre. Il fait des propositions qui pourraient retenir l’attention de la hiérarchie et qui seraient somme toute faciles à appliquer.
- Il propose de ne plus faire du Concile Vatican II l’unique référence des autorités comme si il n’existait dans l’Eglise qu’un seul Concile, celui de Vatican II. Il écrit joliment : « La conscience de l’Eglise est aujourd’hui encombrée, obnubilée par la référence unique et envahissante à Vatican II. Si, comme on nous l’affirme, ce concile est un concile comme les autres, et dans la continuité des autres, alors remettons le à sa place, qui est en soi modeste, puisqu’il s’agit d’un simple concile pastoral. Dégonflons cet œdème qui nous empêche de respirer. Arrêtons de ne vivre que par et pour ce Vatican II » (p187).
- Il propose de cesser de « diviniser » ce Concile. Il peut être corrigé. Le pape Paul VI le fit bien pour le latin. Le Concile avait demandé le maintien du latin comme langue liturgique. Paul VI affirma contre le Concile, dans son discours du 26 novembre 1969, que « ce ne sera plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe ». Il pourrait en être fait de même par Benoît XVI sur tel ou tel autre point du Concile…
- La proposition la plus originale de Monsieur l’abbé Celier, c’est celle tirée de l’accord historique de Brest-Litovsk en 1595, sous le pontificat de Clément VIII, accord qui scellait le rapprochement entre l’Eglise ruthène (ukrainienne) jusqu’ici dans l’orbite du schisme byzantin et l’Eglise catholique romaine. Il faut connaître cet accord. Il pourrait être retenu par Rome et imité. Voici ce qu’écrit Monsieur l’abbé Celier :
« Dans cet accord, on peut relever quelques passages intéressants…Ce traité d’union commence par la déclaration suivante : « Avant de nous unir à l’Eglise romaine, nous exigeons au préalable des garanties de la part des « Romains » au sujet des points suivants ». Il s’ensuit une longue énumération de coutumes propres à l’Eglise ruthène (tel que l’ordination des hommes mariés) et d’exemptions (exemption, par exemple, de l’obligation de participer à certaines cérémonies célébrées par les Latins). Parmi ces points, on peut relever le suivant : Nous ne débattrons pas du purgatoire, mais nous faisons confiance à l’enseignement de la sainte Eglise ». La conception byzantine sur cette question en effet, diffère de la conception latine. Un peu plus loin, on peut lire aussi : « Comme il existe une querelle entre les Romains et les Grecs au sujet de la procession du Saint-Esprit qui empêche l’unité, nous demandons à ne pas être soumis à une doctrine différente de celle qui nous a été transmise par le saint-Esprit, par l’évangile et par les écrits des Docteurs grecs, à savoir que le Saint-Esprit ne procède pas de deux sources, ni d’une double procession, mais d’une seule origine, c’est-à-dire du Père par le Fils. »(p 189)
De cet exemple, il en fait une application très intéressante à notre situation actuelle au sujet de la liberté religieuse. Il écrit : « Si l’on prend la question de la liberté religieuse, en partant évidemment du principe que le coup de barre ait été donné - c’est le principe nécessaire demandé par la Fraternité Saint-Pie pour toute réintégration possible, nous le savons - c’est-à-dire que les erreurs de Dignitatis humanae commenceraient à être officiellement remises en cause, ne pourrait-on pas, en attendant le plein achèvement de ce retour à la tradition, imaginer la formulation suivante, proposée par la Fraternité saint Pie X et acceptée par Rome : « Comme il existe une dissension entre Rome et la Fraternité Saint pie X à propos de la déclaration Dignitatis humanae du Concile Vatican II qui empêche l’unité, nous demandons à ne pas être soumis à une doctrine différente de celle qui nous a été transmise par le Saint-Esprit, par l’Evangile, par les écrits des saints Docteurs et des papes jusqu’à Pe XII, et nommément Mirari vos de Grégoire XVI, Quanta cura de Pie IX, Libertas de Léon XIII, Quas primas de Pie XI, Gi riese de Pie XII. Cependant, nous déclarons notre adhésion pleine et entière à la doctrine de l’Eglise romaine. Par ailleurs, sur cette base, nous nous engageons à une attitude positive d’étude de communication avec le Siège apostolique dans le cadre d’une critique sérieuse et constructive ».
Cette proposition n’est pas inintéressante.
Son interlocuteur, Monsieur Olivier Pichon, lui fait remarquer qu’il utilise là, à la fin de sa réponse, les formules admises par Rome et Mgr Lefebvre, ainsi que par les membres fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur…Ces formules montrent que Rome ne fait plus du Concile un absolu . Il peut être critiqué.
Conclusion
A la lumière de toutes ces explications, ne peut-on pas penser que la régularisation canonique de la Fraternité Saint Pie X n’est pas très éloignée ? Elle pourrait aller de pair avec la publication du Motu Proprio sur la messe ou du moins dans sa foulée.
Je l’espère ! |