Article du Père Michel Gitton, paru dans le n°3079 de France Catholique-Ecclesia du 6 juillet 2007.
Je n’ai aucune raison personnelle de me réjouir particulièrement de l’indult facilitant la célébration de la messe selon le rite de 1962. Je ne compte pas moi-même en faire usage, l’ordo de 1969, le seul que j’ai connu depuis mon ordination, porte ma prière et fait maintenant partie de ma vie, je ne vois aucune raison de le quitter. Il faut dire que, formé à l’école de Mgr Maxime Charles, qui fut recteur au Sacré Cœur de Montmartre dans les années noires, je l’ai toujours vécu dans une grande continuité par rapport au rite précédent, en intégrant tout ce qui était compatible en fait de solennité et de sacralité. C’est justement ce qui pourrait justifier de ma part quelques craintes face à la généralisation de la pratique du rite tridentin. Il est possible que la nouvelle donne rende peu crédible la solution que moi et d’autres nous avons essayé de pratiquer et de défendre depuis trente ans ou plus. Ceux qui se sont habitués à un usage désacralisant du missel de Paul VI ne sont pas prêts à faire machine arrière, et, pour ceux qui veulent plus de rigueur, il y aura maintenant une solution toute trouvée : le missel de 1962 enfin autorisé et légitimé. Quelle place pourra-t-il rester aux tenants d’une réforme liturgique qui semble à beaucoup avoir démontré son échec, même si eux, personnellement, l’ont vécue de façon fidèle et respectueuse ? Si je persiste à m’en réjouir, c’est qu’au-delà d’un intérêt partisan, on ne peut que se réjouir de voir cesser une injustice. La brutalité avec laquelle a été pourchassée la messe que pendant tant de siècles l’Eglise a connue et pratiquée, la suffisance avec laquelle on a présenté la réforme liturgique comme l’avènement des Lumières après les ténèbres, l’iconoclasme qui a prétendu faire disparaître tout ce qui, dans le mobilier, le vêtement, la décoration, la musique portait la trace d’un passé honni, tout cela méritait d’être publiquement démenti et rétrospectivement flétri. Du même coup, on se réjouit que se trouvent réhabilités des fidèles et des prêtres, qui ont tenu bon contre la marée de vulgarité et de démission, même s’ils ne l’ont pas toujours fait avec le tact et la soumission qu’on aurait pu souhaiter. On peut espérer aussi que cet acte, qui au début ne concernera qu’une petite part de l’ensemble des pratiquants, aura des conséquences indirectes sur tous les autres, et que, sans se confondre, les deux rites agiront l’un sur l’autre, comme c’est déjà un peu le cas : le rite "restauré" profitant de l’ambiance de recueillement et de respect émanant du rite "classique", tandis que celui-ci intégrerait le souci de communication et de lisibilité qui est à la base de la réforme conciliaire. Plus généralement, je persisterai à me réjouir de la décision du Saint Père, car elle ne peut pas manquer d’avoir des conséquences en dehors même de la liturgie, au nom de l’adage qui lie la lex orandi avec la lex credendi. Le préjugé de rupture qui a atteint la liturgie d’une façon tellement caricaturale a bien plus profondément encore blessé le rapport des catholiques avec leur héritage spirituel et doctrinal. Là où les maîtres qui sont à l’origine du renouveau de la théologie au milieu du XXe siècle (Romano Guardini, Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, Gaston Fessard, Jean Daniélou, Louis Bouyer et tant d’autres) voulaient élargir et approfondir le contact avec la Tradition de l’Eglise, leurs émules maladroits ont prétendu mettre en accusation les expressions les plus constantes de la foi de l’Eglise, jugées désormais irrecevables par "l’homme d’aujourd’hui". Ce furent tour à tour la transcendance de Dieu séparé du monde, le péché des origines, la transmission de la mortalité depuis Adam, l’existence de créatures spirituelles entre Dieu et l’homme (anges et démons), la résurrection corporelle, la véracité absolue des Ecritures Saintes, la transsubstantiation eucharistique, etc., qui firent les frais de cette révision drastique. Il ne s’agit pas le moins du monde de revenir à des expressions matériellement justes, mais insuffisamment étayées et parfois superficielles qui avaient cours dans les manuels de théologie du début du siècle, il ne s’agit pas d’ignorer les acquis de l’histoire et de s’enfermer dans une tour d’ivoire qui ne protège nullement nos certitudes, mais il faut faire cesser le règne (très hégémonique et nullement tolérant) de ceux qui ont dominé pendant trente ou quarante ans les organismes de formation, les recyclages en tout genre, les publications officielles et dont le discours se ramenait presque toujours au schéma "on vous a dit (jusque-là)… moi je vous dis…" Et le coup d’arrêt donné aujourd’hui à la dépréciation de l’ancien rite les atteint également. Au fond, il s’agit de reprendre le travail de mise à jour et d’approfondissement entrepris dans les années 50 tant dans le domaine liturgique qu’en théologie et en exégèse, mais, cette fois-ci, conscients des dangers et des dérives, il nous faudra le mener jusqu’au bout dans une fidélité intrépide à l’enseignement de l’Eglise et à son sens de la foi. Michel GITTON |