28 janvier 2009





Un évêque dans la tourmente
28 janvier - Vincent Pellegrini - lenouvelliste.ch
DÉCRYPTAGE - MgrRichard Williamson est l'un des quatre évêquestraditionalistes dont l'excommunication a été levée par BenoîtXVI. Mais les propos négationnistes de cet évêque anglais provoquentun tollé planétaire et mettent le Vatican dans l'embarras.

Benoît XVI ne pensait sans doute pasqu'en levant l'excommunication des quatreévêques consacrés en 1988 par Mgr Lefebvre (Fraternité Saint-PieX) il ferait avant tout parler de la Shoah et provoquerait dans lemonde une vague de réactions négatives. Il faut dire que les propos négationnistes(niant les chambres à gaz) de Mgr Richard Williamson, l'undes quatre évêques concernés, sonnent comme une aubaine pour tousceux, catholiques ou contempteurs de Benoît XVI, qui ne veulent pasd'un retour de la Fraternité Saint-Pie X dans l'Eglise ou nourrissent desressentiments contre un pape jugé trop conservateur. Le résultat: unclimat irrationnel et des journaux qui accusent carrément par pleinespages Benoît XVI de faire le jeu de l'antisémitisme. Laréalité est pourtant nettement plus complexe. Notre décodage à traverssix mots clés.

La procédure

Il y a déjà un gros malentendu dedépart. La plupart des journalistes n'ont pascompris que la levée des excommunications ne signifiait pas réintégrationou réhabilitation de la Fraternité Saint-Pie X dans l'Eglisecatholique romaine, comme l'ont rappelé hier les évêques suisses.Le geste du pape signifie seulement l'ouverture de «colloques»selon le texte du décret. Des sanctions canoniques pèsent d'ailleurstoujours sur les quatre évêques traditionalistes, dont Mgr Williamson,qui sont «suspens a divinis», c'est-à-dire non autorisés parRome à exercer leur ministère épiscopal et à dispenser les sacrements.Pour cela, ils doivent encore recevoir une mission canoniquede la part du pape et un statut dans l'Eglise. La levée des excommunicationsn'a fait qu'ouvrir des discussions théologiques. La FraternitéSaint-Pie X ne réintégrera l'Eglise officielle que lorsqu'un accorddoctrinal et disciplinaire aura été passé. Et ce sera long. Ecône devrad'une façon ou d'une autre faire acte de repentance. En résumé: MgrWilliamson ne fait pas partie du collège des évêques sur lesquels BenoîtXVI a autorité (il n'est donc pas encore l'une de ses brebis) et l'évêquepar qui le scandale est arrivé ne pourra très certainement pas retrouverun statut officiel dans l'Eglise sans retirer ses propos sur la Shoahlors des futurs colloques avec le Vatican. Conclusion: l'excommunicationvisait uniquement la consécration d'évêques sans l'accordde Rome et son retrait concerne ce seul acte. C'est un éventuel futuraccord qui déterminera si Benoît XVI juge les positions idéologiquesd'Ecône compatibles avec celles de Rome et de l'oecuménisme.

Mgr Williamson

Dans sa documentation, Ecône donnecette biographie de Mgr Richard Williamson parqui le scandale est arrivé: «Mgr Richard Williamson estné à Londres le 8 mars 1940. Diplômé de l'Université de Cambridge,il commence une carrière dans l'enseignement. Converti del'anglicanisme, il entre au séminaire d'Ecône en octobre 1972. Ordonnéprêtre le 29 juin 1976, il est successivement professeur de séminaire,sous-directeur puis directeur de séminaire aux Etats-Unis. Le30 juin 1988, il est consacré évêque par Mgr Marcel Lefebvre. Il gardeses fonctions de directeur du séminaire Saint-Thomas d'Aquin à Winonaau Minnesota. En 2003, il est nommé directeur du séminaire deLa Reja en Argentine. Mgr Williamson parle couramment l'anglais, lefrançais, l'allemand et l'espagnol, et connaît l'italien.» Voilà pour le portraitde celui qui a nié à la télévision l'existence de chambres à gaz etfortement réduit le nombre de victimes juives dans les camps de concentration(entre 200 000 et 300 000 selon lui). C'est une interview àla télévision suédoise qui a mis le feu aux poudres. On précisera qu'elleavait été enregistrée en novembre déjà. Elle est passée à la TV aprèsla signature du décret de levée d'excommunication mais juste avantson annonce publique par le Vatican. Reste que Mgr Williamson estconsidéré comme un dur au sein de la Fraternité. Il n'est pas sûr qu'ilaccepte un jour le ralliement à ce qu'il considère comme la «Romemoderniste» et il ne sera donc pas facile de l'amener à résipiscence.

Mgr Fellay

Hier soir, l'agence (ats/afp) acommuniqué l'info suivante: Le supérieurgénéral de la Fraternité Saint-Pie X, l'évêque valaisan BernardFellay, a demandé «pardon» au pape et à «tous les hommes debonne volonté» après les propos négationnistes d'un évêque intégriste.«Les affirmations de Mgr Williamson ne reflètent en aucun casla position de notre société (la Fraternité, ndlr). C'est pourquoi je luiai interdit, jusqu'à nouvel ordre, toute prise de position publique surdes questions politiques ou historiques», écrit Mgr Fellay selon un communiquétransmis mardi par le Vatican. «Nous demandons pardon auSouverain pontife et à tous les hommes de bonne volonté, pour les conséquencesdramatiques d'un tel acte», ajoute Bernard Fellay.

Benoît XVI

Le pape n'a pas signé personnellementle décret de levée de l'excommunication maisil en a donné la mission au cardinal préfet de laCongrégation pour les évêques. Benoît XVI n'a pas pour habitude d'anticiperla réaction des médias et des divers courants du catholicismeavant de prendre une décision, même s'il consulte beaucoupavant de se prononcer. A Ratisbonne, son discours avait heurtéles musulmans qui l'avaient mal interprété. Il avait dû clarifier saposition, mais il avait pris son temps et choisi le contexte. Ici, c'est legeste de la levée de l'excommunication qui est mal interprété. Commepour son discours de Ratisbonne, Benoît XVI va sans doute devoirprendre position pour calmer les esprits. Même si un pape n'est pascompétent pour fixer des dogmes relevant du travail des historiens,il peut par exemple condamner les propos qui minimisent lasouffrance du peuple juif (Jean Paul II avait déjà fait une démarche similaire.)Le porte-parole du Saint-Siège a condamné lespropos de Mgr Williamson, tout comme l'«OsservatoreRomano» (journal du Vatican) et des cardinaux(qui sont en quelque sorte les «chanoines» del'évêque de Rome).

La période

En pleine semaine de l'unité deschrétiens, l'annonce de cette levée de l'excommunicationpesant sur un mouvement réfractaire à l'oecuménismepeut paraître maladroite et elle a d'ailleurs hérissé nombrede protestants, même si la recherche de l'unité intra-ecclésiale estle préalable à l'unité de l'ensemble des chrétiens. Mais c'est oublier quel'annonce a été précipitée par des fuites auprès de journalistes vaticanisteset c'est oublier surtout l'importance que Benoît XVI attribueau rapprochement oecuménique avec les orthodoxes. Le pape aencore rencontré en décembre le métropolite Cyrille de Smolensk quia succédé hier au patriarche Alexis et qui veut aider Benoît XVI dansle rapprochement entre catholiques et orthodoxes. Or, les orthodoxesont exprimé publiquement qu'ils étaient très sensibles à la manièredont Benoît XVI va régler au sein de l'Eglise catholique le sortde ceux qui sont attachés à la tradition liturgique (ancienne messe).

Les évêques suisses

La conférence épiscopale suisse adans un premier communiqué salué le geste du pape. Puis, face à lacontroverse, elle a publié hier un deuxième communiqué. Le président desévêques suisses, Mgr Kurt Koch, y explique notamment au sujet des propos deMgr Williamson: «L'Eglise catholique ne peut en aucun cas accepter cettenégation de l'holocauste. Le porte-parole du Saint-Siège a pris position lorsde la publication du décret sur ces proposabsurdes et les a qualifiés de «totalement inacceptables». Nous, évêquessuisses, faisons nôtre cette condamnation et prions les membres descommunautés juives de Suisse d'excuser lesirritations survenues ces derniers jours. Ceux qui connaissentBenoît XVI et son attitude positive envers le judaïsme saventqu'il ne peut pas tolérer les déraillements indéfendables de Mgr Williamson.Nous, évêques suisses, attendons qu'au cours des discussions préalables aurétablissement de la communion et à la levée des suspensions, les quatreévêques de la fraternité déclarent de manière crédible qu'ils acceptent leConcile Vatican II et en particulier la déclaration «Nostra Aetate» sur lesrelations avec le judaïsme et qu'ils adoptent une attitude positive envers lejudaïsme.»