SOURCE - Céline Hoyeau - La Croix - 18 avril 2012
Fondée en 1980 par Mgr Lefebvre et dirigée en France par l’abbé Régis de Cacqueray, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X représente une petite minorité militante. Mais elle a quadrillé systématiquement le territoire, choisissant soigneusement ses lieux d’implantation
Ce 27 février 1977, dimanche de Carême, des fidèles traditionalistes se sont donné rendez-vous à la Mutualité pour célébrer la messe tridentine. Des abbés en soutane les invitent à entrer en procession dans l’église voisine, Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où vient de s’achever la messe conciliaire. « Maintenant que nous y sommes, nous y restons ! », lance en chaire l’abbé Louis Coache. Après des échauffourées, les traditionalistes se rendent finalement maîtres de la paroisse, et la remettent en 1980 à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X.
Trente-cinq ans plus tard, Saint-Nicolas-du-Chardonnet demeure le fleuron du mouvement lefebvriste, mais le district de France, qui revendique 100 000 fidèles, a désormais étendu son maillage dans l’ensemble du pays.
La Fraternité est présente dans tous les diocèses, avec 250 prêtres (moins de 2 % du clergé français) assistés de religieuses ou d’oblates, répartis dans 37 prieurés et desservant plusieurs chapelles aux alentours. Elle est implantée aussi aux portes des grands sanctuaires (Lourdes, Notre-Dame-du-Laus) et bénéficie du soutien d’une quinzaine de congrégations « amies », tels les bénédictins de Bellaigue (Puy-de-Dôme) ou les clarisses de Villié-Morgon (Rhône).
« Lorsque l’on regarde sur notre “Google map”, on constate qu’il n’y a pas cent kilomètres à faire aujourd’hui pour trouver une chapelle desservie par la FSSPX », se félicite son porte-parole, l’abbé Alain Lorans.
S’il affirme que « la Fraternité ne s’installe que là où les fidèles l’appellent », ce quadrillage n’a pour autant rien d’aléatoire. Il est le résultat d’une politique d’implantation systématique, héritée de Mgr Marcel Lefebvre. « Celui-ci était un fondateur, qui a appliqué à la Fraternité ce qu’il avait expérimenté comme missionnaire en Afrique », relève l’abbé Guillaume de Tanoüarn, ancien de la FSSPX, aujourd’hui à l’Institut du Bon-Pasteur. L’abbé Paul Aulagnier, qui fut, de 1976 à 1994, le supérieur du district de France, rappelle sa devise de l’époque : « Il faut quadriller la France au plus menu ! »
Ces lieux de culte ont été parfois acquis au prix de rudes batailles, les diocèses faisant barrage pour que la FSSPX n’achète pas le patrimoine immobilier qu’ils avaient mis en vente. Mais elle dispose d’un atout majeur : le budget annuel avoisine celui d’un gros diocèse français (qui tourne à 14 millions d’euros). La source : les quêtes, le denier du culte, les dons et legs des fidèles. Ainsi, après une longue bataille judiciaire, le district de France de la Fraternité a récupéré il y a dix ans 120 legs, bloqués après les ordinations de 1988.
Basé à Suresnes (Hauts-de-Seine), le district mobilise les fidèles en invoquant « la Providence, les sacrifices et la générosité » et en les tenant informés, sur son site La Porte latine, des dernières acquisitions : pour la seule dernière année, une chapelle à La Rochelle et celle de l’ancien grand séminaire d’Amiens, les locaux de son université d’été à Saint-Père (Ille-et-Vilaine), la construction d’une église de 450 places avec foyer pour étudiants à Nantes, l’ouverture d’un lycée d’enseignement professionnel sur l’ancienne base de l’Otan à Châteauroux…
Quoi qu’ils s’en défendent, invoquant une « nécessaire » fonction de « suppléance » face aux errances de l’Église, les lefebvristes se sont structurés au fil des années comme une Église parallèle avec ses propres institutions : une commission canonique pour les nullités de mariage, qui remplace celles des officialités diocésaines, une maison d’édition (Clovis) qui a publié plusieurs centaines d’ouvrages dispensant « la bonne doctrine » et, pour les jeunes, le Mouvement de la jeunesse catholique de France, une dizaine de groupes de scouts et guides, et surtout une trentaine d’écoles hors contrat auxquelles s’ajoute la douzaine d’écoles tenues par les dominicaines enseignantes de Fanjeaux (Aude) et de Brignoles (Var), proches de la FSSPX.
La Fraternité a investi le domaine de l’éducation en orientant ses prêtres vers l’enseignement et en incitant fortement les parents à envoyer leurs enfants dans ses écoles. Et pour cause : elles sont aujourd’hui le principal vivier des vocations lefebvristes. Les deux tiers des séminaristes de Flavigny (Côte-d’Or) en sont issus, selon son supérieur, l’abbé Patrick Troadec
« Les parcours individuels sont devenus plus rares que par le passé. C’est le signe que la Fraternité vit en vase clos et est peu missionnaire », déplore un ancien prêtre lefebvriste, ajoutant : « Hormis Paris qui brasse des populations diverses, elle reste un petit milieu à la sociologie très typée. Les lieux de culte ne sont pas tous pleins. Montez à la tribune de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et vous verrez que l’église n’est pas toujours si bondée qu’on le dit. Lorsque j’y étais, il était convenu a priori que l’on indiquerait le double de participants dans nos manifestations. »
La Fraternité Saint-Pie-X se targue de nombreuses vocations. De fait, elle enregistre, depuis vingt-cinq ans, une moyenne annuelle de 14 entrées au séminaire de Flavigny et de 10 ordinations, soit près de 10 % des prêtres ordonnés chaque année en France.
Toutefois, si l’on s’en tient aux statistiques internationales annuelles que publie la FSSPX, elle aurait dû passer de 400 à 700 prêtres entre 2000 et 2012, pourtant elle ne revendique aujourd’hui que 552 prêtres dans le monde… Le manque à gagner est-il dû à un retour de ces 150 prêtres à l’Église officielle ? Le sujet a été abordé à Lourdes, lors de l’Assemblée plénière des évêques qui voient arriver ces dernières années des prêtres lefebvristes demandant discrètement à rejoindre l’Église diocésaine.
Selon certains observateurs, les lefebvristes ont perdu de leur influence depuis le motu proprio et la montée d’une nouvelle génération dans l’Église de France. « Ils n’incarnent plus l’unique voie de contestation aux dérives post-conciliaires, affirme un prêtre issu du monde traditionaliste. Quand les jeunes prêtres de ma génération remettent en valeur l’adoration, les confessions, la liturgie traditionnelle, une prédication classique tendance Benoît XVI, le message sur la crise de l’Église est plus dur à tenir. » Ce qui n’empêche pas les lefebvristes de bénéficier d’une bienveillance parmi les jeunes catholiques, moins clivés que leurs aînés.
Sur la scène politique, la FSSPX tente de mobiliser ses fidèles en vue des municipales de 2014 par le biais de son fer de lance politique, Civitas, mais elle n’a plus de poids réel dans les partis. « Il y a quelques années, ils avaient une tribune au Front national, mais avec l’éviction de Bruno Gollnisch ils ne sont plus du tout présents aujourd’hui, même si individuellement ils peuvent se retrouver dans nos idées », affirme un proche de Marine Le Pen.
La Fraternité reste présente symboliquement par les coups d’éclat de Civitas qui avait lancé les manifestations contre les pièces de théâtre de Romeo Castellucci et de Rodrigo Garcia à l’automne, et perturbe régulièrement des manifestations interreligieuses. « C’est une petite minorité. Mais comme ils sont très militants et très présents sur Internet (à travers leurs sites, La Porte latine, Dici, le forum de discussions Fecit), analyse Philippe de Saint-Germain, directeur de la revue Liberté politique , leur retentissement médiatique est inversement proportionnel à leur poids réel. »
Céline Hoyeau
Trente-cinq ans plus tard, Saint-Nicolas-du-Chardonnet demeure le fleuron du mouvement lefebvriste, mais le district de France, qui revendique 100 000 fidèles, a désormais étendu son maillage dans l’ensemble du pays.
La Fraternité est présente dans tous les diocèses, avec 250 prêtres (moins de 2 % du clergé français) assistés de religieuses ou d’oblates, répartis dans 37 prieurés et desservant plusieurs chapelles aux alentours. Elle est implantée aussi aux portes des grands sanctuaires (Lourdes, Notre-Dame-du-Laus) et bénéficie du soutien d’une quinzaine de congrégations « amies », tels les bénédictins de Bellaigue (Puy-de-Dôme) ou les clarisses de Villié-Morgon (Rhône).
« Il faut quadriller la France au plus menu ! »
S’il affirme que « la Fraternité ne s’installe que là où les fidèles l’appellent », ce quadrillage n’a pour autant rien d’aléatoire. Il est le résultat d’une politique d’implantation systématique, héritée de Mgr Marcel Lefebvre. « Celui-ci était un fondateur, qui a appliqué à la Fraternité ce qu’il avait expérimenté comme missionnaire en Afrique », relève l’abbé Guillaume de Tanoüarn, ancien de la FSSPX, aujourd’hui à l’Institut du Bon-Pasteur. L’abbé Paul Aulagnier, qui fut, de 1976 à 1994, le supérieur du district de France, rappelle sa devise de l’époque : « Il faut quadriller la France au plus menu ! »
Ces lieux de culte ont été parfois acquis au prix de rudes batailles, les diocèses faisant barrage pour que la FSSPX n’achète pas le patrimoine immobilier qu’ils avaient mis en vente. Mais elle dispose d’un atout majeur : le budget annuel avoisine celui d’un gros diocèse français (qui tourne à 14 millions d’euros). La source : les quêtes, le denier du culte, les dons et legs des fidèles. Ainsi, après une longue bataille judiciaire, le district de France de la Fraternité a récupéré il y a dix ans 120 legs, bloqués après les ordinations de 1988.
Une Église parallèle avec ses propres institutions
Quoi qu’ils s’en défendent, invoquant une « nécessaire » fonction de « suppléance » face aux errances de l’Église, les lefebvristes se sont structurés au fil des années comme une Église parallèle avec ses propres institutions : une commission canonique pour les nullités de mariage, qui remplace celles des officialités diocésaines, une maison d’édition (Clovis) qui a publié plusieurs centaines d’ouvrages dispensant « la bonne doctrine » et, pour les jeunes, le Mouvement de la jeunesse catholique de France, une dizaine de groupes de scouts et guides, et surtout une trentaine d’écoles hors contrat auxquelles s’ajoute la douzaine d’écoles tenues par les dominicaines enseignantes de Fanjeaux (Aude) et de Brignoles (Var), proches de la FSSPX.
« Saint-Nicolas-du-Chardonnet n’est pas toujours si bondée qu’on le dit »
« Les parcours individuels sont devenus plus rares que par le passé. C’est le signe que la Fraternité vit en vase clos et est peu missionnaire », déplore un ancien prêtre lefebvriste, ajoutant : « Hormis Paris qui brasse des populations diverses, elle reste un petit milieu à la sociologie très typée. Les lieux de culte ne sont pas tous pleins. Montez à la tribune de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et vous verrez que l’église n’est pas toujours si bondée qu’on le dit. Lorsque j’y étais, il était convenu a priori que l’on indiquerait le double de participants dans nos manifestations. »
La Fraternité Saint-Pie-X se targue de nombreuses vocations. De fait, elle enregistre, depuis vingt-cinq ans, une moyenne annuelle de 14 entrées au séminaire de Flavigny et de 10 ordinations, soit près de 10 % des prêtres ordonnés chaque année en France.
Toutefois, si l’on s’en tient aux statistiques internationales annuelles que publie la FSSPX, elle aurait dû passer de 400 à 700 prêtres entre 2000 et 2012, pourtant elle ne revendique aujourd’hui que 552 prêtres dans le monde… Le manque à gagner est-il dû à un retour de ces 150 prêtres à l’Église officielle ? Le sujet a été abordé à Lourdes, lors de l’Assemblée plénière des évêques qui voient arriver ces dernières années des prêtres lefebvristes demandant discrètement à rejoindre l’Église diocésaine.
Une petite minorité très militante
Sur la scène politique, la FSSPX tente de mobiliser ses fidèles en vue des municipales de 2014 par le biais de son fer de lance politique, Civitas, mais elle n’a plus de poids réel dans les partis. « Il y a quelques années, ils avaient une tribune au Front national, mais avec l’éviction de Bruno Gollnisch ils ne sont plus du tout présents aujourd’hui, même si individuellement ils peuvent se retrouver dans nos idées », affirme un proche de Marine Le Pen.
La Fraternité reste présente symboliquement par les coups d’éclat de Civitas qui avait lancé les manifestations contre les pièces de théâtre de Romeo Castellucci et de Rodrigo Garcia à l’automne, et perturbe régulièrement des manifestations interreligieuses. « C’est une petite minorité. Mais comme ils sont très militants et très présents sur Internet (à travers leurs sites, La Porte latine, Dici, le forum de discussions Fecit), analyse Philippe de Saint-Germain, directeur de la revue Liberté politique , leur retentissement médiatique est inversement proportionnel à leur poids réel. »
Céline Hoyeau