SOURCE - Côme de Prévigny - Fecit - 12 avril 2012
Les espérances que procurent chaque mois les pourparlers entamés il y a douze ans entre le Siège apostolique et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X font virevolter quelques esprits anxieux d’une attitude extrême à l’autre. Si la régularisation de l’œuvre de Mgr Lefebvre échoue, ce serait d’après eux l’abomination de la désolation. Une traversée du désert dessècherait les âmes les plus valeureuses et la fin des temps constituerait l’unique objet de nos espérances. Si au contraire cette résolution canonique parvenait à se concrétiser, les ténèbres disparaîtraient, l’Église retrouverait sa jeunesse primitive et les hordes conciliaires seraient définitivement vaincues.
La terrible réalité semble plus complexe. Dans une conférence dispensée aux quelques deux cent cinquante participants à l’Université d’été de la Fraternité le 15 août dernier, Mgr Bernard Fellay a mis en garde contre l’euphorie qui pouvait s’emparer de ceux qui attendent impatiemment la fameuse reconnaissance. « Imaginez, disait-il, que Rome nous reconnaisse tout à coup, j'ai de la peine à le croire, mais que se passerait-il alors ? Vous croyez que les progressistes vont changer vis-à-vis de nous ? Mais pas du tout ! D'une part ils vont continuer à nous rejeter comme ils l'ont toujours fait, ou ils vont essayer de nous faire avaler leur venin ; nous refuserons et le conflit repartira de plus belle, ne vous faites pas d'illusions. Si Rome nous reconnaissait, ce serait encore plus dur que maintenant. »
D’une part, le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X manifeste sa détermination à ne pas « avaler le venin » du progressisme et, par conséquent, à maintenir l’héritage de Mgr Lefebvre qui, lui aussi, fut un moment à la tête d’une société régularisée, avant qu’elle ne soit condamnée. Ce qui ne l’empêchait pas de maintenir le verbe haut et d’assurer pleinement le témoignage de la foi. D’autre part, Mgr Fellay met en garde contre les illusions. Une régularisation ne changera pas des opposants résolus au Motu Proprio et au catéchisme tridentin en « traditiophiles ». Les portes qui se claquaient jusque là devant l’avancée de nos pèlerinages ne vont pas subitement s’ouvrir pour laisser dérouler un tapis rouge. Au contraire, des évêques progressistes pouvaient feindre de compatir à l’égard de frères qu’ils décrétaient « séparés ». Ils risquent de manifester un rejet non maîtrisé vis-à-vis de communautés qui auront été promues et désormais toutes régularisées.
Une seconde illusion, me semble-t-il, provient du fait que beaucoup d’esprits pensent, souvent pour soulager des différends familiaux, que toutes les forces conservatrices vont s’unir pour bouleverser le monde. La réalité revient une fois de plus au galop car ces milieux regroupent d’un côté des biritualistes pour lesquels la nouvelle messe est sainte et de l’autre des traditionalistes qui la considèrent comme dangereuse. Un responsable d’une communauté Ecclesia Dei m’avait confié un jour qu’il pensait que la Fraternité Saint-Pie X comportait en elle des membres sains et des éléments dangereux. L’harmonie risque de mettre quelques temps à s’établir et les marcheurs de Chartres vont continuer à se croiser.
La crise est longue et en réunissant une dernière fois les prieurs français de sa Fraternité, son fondateur avait prévenu : « Préparez vous à un combat de longue haleine ». Le jour où son œuvre sera pleinement reconnue par l’autorité de l’Église sera sans doute marqué par un basculement des esprits au sein de l’Église car ce n'est pas tant une petite communauté regroupant moins de 0,2 % des prêtres du monde qui sera reconnue que le patrimoine catholique que la Fraternité aura jusque là maintenu. Ce revirement ne sera pas immédiat. Il aura été préparé et il se continuera progressivement. Mais la lutte entre libéraux et zelanti est fort ancienne et il n’a jamais été révélé que nous trouverions le repos ici bas. Il n'en reste pas moins que l'évolution de l'Eglise rend le règlement du différend qui nous intéresse inéluctable. Les générations de progressistes disparaissent, leurs successeurs plus conservateurs montent dans la hiérarchie et le travail de sauvegarde assuré par la Fraternité Saint-Pie X est toujours plus reconnu. Un jour où l'autre les deux lignes vont se croiser.