SOURCE - Alexandre Mayol - Ouest France - 19 avril 2012
Une foi n'est pas coutume: C'est le titre d'une contribution sur les intégristes proposée par Alexandre Mayol, un jeune catholique formé à l'École normale supérieure de Cachan (antenne de Rennes). Une participation pertinente et argumentée au débat."Une foi n'est pas coutume !
"Depuis quelques jours, la rumeur court que le processus de négociations entre la Fraternité Saint Pie X et le Vatican aurait abouti à un accord. Cet événement majeur pour l'histoire de l'Eglise mérite un petit éclaircissement historique.
"La Fraternité Saint Pie X, abrégée « FSSPX », est une communauté de prêtres qui se sont rassemblés autour de l'évêque français Mgr Marcel Lefebvre dans les années 70, en réaction au Concile Vatican II. En effet, à la suite de cette « nouvelle pentecôte » de l'Eglise, les nombreuses expériences liturgiques et pastorales ont suscité des réactions extrêmement négatives de la part d'une frange non négligeable des catholiques. L'effet de nouveauté, la rupture avec les habitudes et parfois les tentatives un peu fantaisistes ont provoqué chez certains fidèles et prêtres un désir de retour à la Tradition. C'est ainsi que la Fraternité Saint Pie X a ouvert son séminaire à Ecône en Suisse pour y former des prêtres fidèles aux enseignements d'avant le Concile. De son côté, le Vatican n'a pas toléré que se développe, en marge de l'Eglise, un groupuscule en rupture avec la communauté catholique. Le séminaire sera interdit et la fraternité va entrer progressivement dans l'illégalité canonique.
"La rupture entre la fraternité et Rome sera consommée définitivement lorsqu'en 1988, l'évêque français présidera à l'ordination de quatre nouveaux évêques sans mandat pontifical. Cet acte schismatique entraînera l'excommunication latae sententiae (rupture de la communion) des évêques et des fidèles de la Fraternité Saint Pie X.
"Cet échec des négociations entre les intégristes et l'Eglise catholique a cristallisé, de manière durable, une véritable fracture entre deux visions du monde : d'un côté l'Eglise catholique en mouvement, prise dans une dynamique d'ouverture sur les autres ; de l'autre la Fraternité Saint Pie X qui recentre son action autour de la vraie foi et sur l'intransigeance en toute chose. L'intérêt de la rupture de 1988 avait alors permis de clarifier les choses et de donner à chacun la possibilité de choisir son camp.
"Cependant, c'était sans compter sur la pugnacité de certains prélats qui avaient à coeur d'oeuvrer pour la réconciliation de l'Eglise catholique. Le cardinal Ratzinger, artisan des négociations entre Mgr Lefebvre et le Vatican avant 1988, était de ceux là.
"Une fois devenu Pape, le Cardinal Ratzinger va inscrire dans ses priorités pastorales l'action en faveur de l'unité de l'Eglise catholique autour de la foi. Conscient de son rôle de pasteur universel, il va donc entreprendre la réouverture du dialogue avec la Fraternité pour tenter de rétablir la communion rompue. Plusieurs actes vont être posés :
- Libéralisation de la messe en rite extraordinaire à partir de 2007 par le motu proprio « Summorum Pontificorum ». C'est à dire que désormais, les fidèles auront une sorte de « droit opposable » à la célébration du rite extraordinaire, envers et contre l'avis de leurs évêques. Une multitude d'initiatives vont voir le jour pour faire pression sur l'épiscopat et exiger des lieux de cultes dédiés.
- Levée des excommunications en 2008 qui frappaient depuis 1988 les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre. Parmi eux, Mgr Williamson qui défraiera la chronique par la révélation des propos négationnistes qu'il a tenu à la télévision. Benoît XVI sera alors critiqué pour cette levée d'excommunications mal préparée et à laquelle les Eglises nationales avaient été très peu associées. En conséquence, un déferlement d'opinions négatives va s'ensuivre associant dans le même élan la levée des excommunications aux propos de l'évêque Williamson.
"Une fois cet acte posé, Rome et Ecône vont ouvrir une discussion sur les points de rupture doctrinaux. Ce dialogue aboutira à la demande du Vatican de solliciter l'adhésion de la FSSPX à une profession de foi de catholicité, intégrant l'enseignement de l'Eglise en entier, y compris le Concile. Mgr Fellay, supérieur général de la communauté, va d'abord rejeter le texte, puis, devant l'insistance du Vatican, va formuler une nouvelle réponse transmise le 16 avril 2012.
"Aujourd'hui, nous ne connaissons pas le contenu de cette réponse, néanmoins les commentateurs semblent converger sur l'idée d'une réconciliation imminente entre Rome et Ecône.
"Voilà pour la partie historique. Maintenant, il s'agit d'exposer pourquoi, selon moi, cette annonce de réconciliation n'est pas une si bonne nouvelle en l'état des choses.
→ "D'abord, il faut observer ceux qui composent la Fraternité Saint Pie X et ses fondements idéologiques. En effet, les membres qui sont dans ses rangs sont avant tout des personnes marquées par une intransigeance et un caractère extrêmement paranoïaque. Ils sont en effet convaincus que la foi catholique est au bord du gouffre, perdue par son modernisme rampant. Ils pensent que le monde se fourvoie dans l'erreur et que hors de leur foi, point de salut. Ils dénoncent également l'ouverture sur le monde du Vatican comme une imposture et une compromission avec les « fausses religions ». N'était ce pas en effet, Mgr Lefebvre qui, le jour de la rencontre d'Assises de Jean-Paul II, avait transmis au pape ce verset de psaume : « le dieu des païens est le démon » ?
Pire, il y a également l'idéologie politique et sociale de la fraternité. En effet, ce n'est un mystère pour personne, autour de la Fraternité gravite l'ensemble de l'extrême droite catholique. Par exemple, c'est la FSSPX qui célébrait la messe au cours des journées « Bleu Blanc Rouge » du Front National. C'est également la FSSPX qui célèbre les enterrements des personnalités de l'extrême droite à Saint Nicolas du Chardonnet.
"Récemment encore, les propos de Mgr Williamson illustrent le sérieux problème de cette « fraternité » avec la seconde guerre mondiale. En France, ses prêtres célèbrent la mémoire et la grandeur du Maréchal Pétain comme chef de l'Etat français (propos de Xavier Beauvais, prêtre à St Nicolas du Chardonnet à Paris Canal Plus en 2012 faisant l'éloge du « chef de l'Etat français en 1941 »). De plus, un pèlerinage est organisé régulièrement sur la tombe de Philippe Pétain pour se rappeler au bon souvenir de la révolution nationale.
"Il y a également l'institut « Civitas » qui a défrayé la chronique en cherchant à perturber les pièces de théâtre qu'ils jugent blasphématoires. Pour avoir pu éprouver personnellement, à Rennes, la charité de ces individus, il est évident qu'ils représentent un vrai danger pour la démocratie. Une « charia » n'est pas meilleure parce qu'elle serait réclamée par des chrétiens.
Il y a également un discours et une attitude sectaire qu'il faut savoir dénoncer. Il faut se rappeler l'affaire de Perros Guirec, où des scouts avaient péri en mer par la négligence coupable du prêtre de la FSSPX qui dirigeait le groupe. L'emprise de ce dernier sur ses fidèles et les légèretés prises avec la sécurité, ont démontré le repli qui caractérise cette communauté.
→ "Cela m'amène au deuxième argument : le communautarisme institutionnalisé dans l'Eglise catholique. En effet, depuis le Motu Proprio de 2007, une multiplication des morcellements liturgiques est apparue dans les diocèses de France où chacun veut désormais une chapelle à son image. Le consumérisme liturgique est devenu un droit qui s'oppose à la simple logique catholique de la paroisse comme lieu de vie et d'habitation. De plus, le statut canonique des instituts dits « ecclesia Dei », habilités à célébrer le rite extraordinaire (en latin et dos au peuple pour faire simple), a poussé à l'isolement de leurs fidèles. Leur autonomie dans les diocèses a poussé de nombreuses communautés à se couper des réalités diocésaines et à la véritable logique de communion catholique.
"Si demain la FSSPX réintégrait l'Eglise, nous aurions une communauté encore plus autonome et indépendante que les instituts qui célèbrent le rite extraordinaire. En effet, en faisant de la FSSPX une « prélature personnelle », celle-ci ne dépendrait plus que du Pape lui même, leur conférant une autonomie considérable sur le terrain.
"Aussi, les initiatives de Civitas par exemple, jusqu'ici associés aux seuls intégristes de la FSSPX, pourront désormais agir avec un brevet de catholicité. Ils pourront ainsi éructer contre la société, insulter la modernité et prêcher la haine de l'islam avec la bénédiction de l'Eglise...
"Comment faire Eglise dans ce contexte, lorsqu'il y a de telles divergences de fonds sur ce qu'est la foi catholique ? Comment faire Eglise lorsqu'on institutionnalise la séparation entre les fidèles ? Comment faire Eglise lorsque nous avons de telles animosités ? Comment oublier les exactions et les agressions subies par les catholiques de la part de la FSSPX (l'église St Nicolas du Chardonnet occupée illégalement depuis les années 70 après sa spoliation par les lefebvristes qui ont chassé les fidèles manu militari) ?
"Bien entendu, je comprends la volonté du pape de rassembler les catholiques. C'est même l'essence de son rôle que de rassembler autour de la foi reçue des apôtres. Cependant il y a une dimension d'unité qui ne peut pas se faire à n'importe quel prix. Il faut une volonté d'avancer ensemble et de se respecter qui soit réciproque. Jusqu'ici, Rome a donné l'impression d'avoir tout concédé, tout transigé. Elle a accepté le rite extraordinaire, des instituts particuliers, la levée des excommunications, le droit de critiquer le Concile. De son côté, quelles garanties a t-elle obtenu ?
"A t-elle obtenu que les lefebvristes cessent leurs accointances politiques avec les nostalgiques de Vichy ? A t-elle obtenu que les lefebvristes soient respectueux des autres catholiques ? A t-elle obtenu d'eux qu'ils acceptent de faire Eglise avec une communion réelle ?
"Ce sont autant de questions qui aujourd'hui me saisissent. Ce sont autant de questions qui m'empêchent de sauter de joie et d'exulter à l'approche de cette réconciliation tant espérée. Je ne suis pas contre l'unité de l'Eglise, je prie pour cela tous les dimanches à la messe. En revanche l'unité ne doit pas être une question de pure forme car elle doit représenter une réalité vécue au quotidien.
"Il faut se méfier des apparences car l'habit ne fait pas le moine. Ce n'est pas parce que des personnes se réclament du catholicisme qu'ils en sont ; ce n'est pas parce qu'ils célèbrent une messe visuellement catholique qu'ils communient à la catholicité. La Tradition ne peut pas se résumer à ses seuls éléments d'intransigeance et d'exclusion. Le cardinal Barbarin rappelait très justement que la foi chrétienne est inclusive, qu'elle ne peut chercher à exclure mais à réconcilier les hommes et les femmes de bonne volonté autour du Dieu d'amour.
"Au fond, ce que nous dit l'histoire de l'Eglise c'est qu'une foi n'est pas coutume. Elle est une communion à l'humanité et au Dieu qui a envoyé son fils par amour pour annoncer une espérance nouvelle : Dieu nous aime et nous accueille. Dans ce mouvement perpétuel d'inclusion, les Lefebvristes appelés à communier de nouveau à la table du Seigneur, chercheront ils à y participer ou seront ils en marge pour annoncer, en prophètes de malheurs, que la fin des temps est proche ?
"Bien entendu, je comprends la volonté du pape de rassembler les catholiques. C'est même l'essence de son rôle que de rassembler autour de la foi reçue des apôtres. Cependant il y a une dimension d'unité qui ne peut pas se faire à n'importe quel prix. Il faut une volonté d'avancer ensemble et de se respecter qui soit réciproque. Jusqu'ici, Rome a donné l'impression d'avoir tout concédé, tout transigé. Elle a accepté le rite extraordinaire, des instituts particuliers, la levée des excommunications, le droit de critiquer le Concile. De son côté, quelles garanties a t-elle obtenu ?
"A t-elle obtenu que les lefebvristes cessent leurs accointances politiques avec les nostalgiques de Vichy ? A t-elle obtenu que les lefebvristes soient respectueux des autres catholiques ? A t-elle obtenu d'eux qu'ils acceptent de faire Eglise avec une communion réelle ?
"Ce sont autant de questions qui aujourd'hui me saisissent. Ce sont autant de questions qui m'empêchent de sauter de joie et d'exulter à l'approche de cette réconciliation tant espérée. Je ne suis pas contre l'unité de l'Eglise, je prie pour cela tous les dimanches à la messe. En revanche l'unité ne doit pas être une question de pure forme car elle doit représenter une réalité vécue au quotidien.
"Il faut se méfier des apparences car l'habit ne fait pas le moine. Ce n'est pas parce que des personnes se réclament du catholicisme qu'ils en sont ; ce n'est pas parce qu'ils célèbrent une messe visuellement catholique qu'ils communient à la catholicité. La Tradition ne peut pas se résumer à ses seuls éléments d'intransigeance et d'exclusion. Le cardinal Barbarin rappelait très justement que la foi chrétienne est inclusive, qu'elle ne peut chercher à exclure mais à réconcilier les hommes et les femmes de bonne volonté autour du Dieu d'amour.
"Au fond, ce que nous dit l'histoire de l'Eglise c'est qu'une foi n'est pas coutume. Elle est une communion à l'humanité et au Dieu qui a envoyé son fils par amour pour annoncer une espérance nouvelle : Dieu nous aime et nous accueille. Dans ce mouvement perpétuel d'inclusion, les Lefebvristes appelés à communier de nouveau à la table du Seigneur, chercheront ils à y participer ou seront ils en marge pour annoncer, en prophètes de malheurs, que la fin des temps est proche ?
"La vérité nous rendra libre, dit l'évangile. A nous d'avoir l'exigence de cheminer honnêtement et profondément pour une communion qui ne transige pas avec nos contre témoignages. Je prie pour que le Saint Père sache faire de l'unité une réalité."
Alexandre Mayol.