M. l'abbé Simoulin m'a soumis la semaine dernière l'éditorial pour le prochain Seignadou de juin. Compte tenu des événements actuels, il m'a paru dommage d'attendre la fin du mois pour le porter à la connaissance de tous en "avant première".
Pour ceux qui l'ignore, je rappelle que Monsieur l'abbé Simoulin, actuel aumônier des dominicaines enseignantes de Fanjeaux, a été aux côtés de Mgr Ducaud-Bourget à Saint-Nicolas du Chardonnet de 1980 à 1983, recteur de l’Institut Universitaire Saint-Pie X, directeur du Séminaire d’Ecône de 1988 à 1996, prieur de Lyon, supérieur du district d’Italie de la Fraternité Saint-Pie X.
Abbé J. Le Noac'h, doyen de Toulouse
Depuis les années 1970, nous sommes entrés en résistance. Non pas une résistance à la De Gaulle, qui condamne et rejette tout ce qui n’est pas lui, mais une résistance juste, sage et plus difficile, qui veut distinguer l’acceptable de l’inacceptable, que ce soit en doctrine, en morale ou en liturgie, qui évite de juger les personnes et leurs intentions et qui respecte l’autorité, tout en dénonçant ses défaillances objectives.
C’est là une attitude difficile, qui demande une grande et surnaturelle sagesse, dont Mgr Lefebvre nous a laissé un bel exemple, bien difficile à suivre. J’observe depuis longtemps, en effet, que sans cette sagesse, nous versons facilement dans la contestation de toute autorité, quelle qu’elle soit et quel qu’en soit le motif : famille, école, chapelle, institut religieux ou sacerdotal, etc. Cela va plus loin que la simple désobéissance, car cela tient plus de la méfiance gratuite envers quiconque veut me conduire là où je n’ai pas envie d’aller.
Bien que notre doyenné soit épargné par des remous dont je ne veux pas parler, et pour faire suite au précédent Seignadou, il ne me semble pas superflu de revenir sur la question de nos relations avec Rome.
Par exemple, je me souviens fort bien que, dans les années 1988-1991, Mgr Lefebvre affirmait que si Rome voulait reprendre contact avec nous, il demanderait de commencer par des discussions doctrinales. C’est ce que nous avons fait. Mais, aussi loin que me porte ma mémoire, je n’ai pas souvenir qu’il s’imaginait devoir attendre la « conversion » de Rome avant d’aller plus loin. Il savait trop bien ce qu’est l’Eglise pour prétendre « convertir » Rome. Il savait qu’il est illusoire d’imaginer que Rome puisse désavouer Vatican II, ou condamner ses thèses les plus condamnables ! Il savait, mieux que nous qui aimons tellement faire la leçon au Pape et qui rêvons de « victoire » instantanée, qu’il faudrait des décennies, et sans doute plusieurs générations, pour que Rome abandonne et oublie ces thèses désastreuses. Tout au plus, disait-il, il voulait continuer à se rendre à Rome dans l’espoir de « leur faire un peu de bien », pour faire entendre et, si possible, admettre ses objections, afin qu’on le laisse poursuivre son œuvre.
Aujourd’hui certains veulent être plus « lefebvristes » que lui ! Et ils reprochent, bien sûr, à Mgr Fellay de ne pas être assez « lefebvriste », parce qu’il ne répète pas exactement tout ce que disait Mgr Lefebvre il y a vingt ou trente ans.
Il me semble qu’une partie de leur difficulté tient à ce que ces personnes, qui sont très savantes et très intelligentes, n’agissent pas toujours sous la motion du don suprême, celui de la Sagesse. C’est cette sagesse de Ste Jeanne d’Arc qui réduisait au silence les théologiens les plus savants. Les dons de science et d’intelligence sont excellents mais celui de Sagesse l’est davantage, comme la charité est supérieure à la foi. Alors, elles analysent avec soin tous les propos du Pape, elles raisonnent et font de savants syllogismes. Quelques exemples, parmi d’autres, suffiront à éclairer mon propos : Pie XII avait dit que l’Eglise est ceci. Or, Benoit XVI dit que l’Eglise est cela. Donc, l’Eglise de Benoit XVI n’est pas l’Eglise catholique. Ou bien : Mgr Lefebvre avait dit ceci sur la réunion d’Assise en 1986. Or, Mgr Fellay a dit cela sur la réunion d’Assise de 2011. Donc, Mgr Fellay n’est pas fidèle à Mgr Lefebvre. Il est sous le charme de Benoit XVI et trahit l’esprit de Mgr Lefebvre.
Que manque-t-il à ces raisonnements pour être vrais et conformes à l’esprit de Jésus-Christ ? Ces beaux syllogismes ont le tort d’ignorer la diversité des situations concrètes, et manquent donc de cette vertu de prudence et de cet esprit de sagesse dans lequel la charité pénètre tout et met de l’ordre et de la mesure en toutes choses, comme Dieu qui « a tout créé avec mesure, nombre et poids ». (Sag. 11, 20).
On me dit encore : mais regardez ce qui est arrivé à la Fraternité Saint-Pierre ou à l’Institut du Bon Pasteur ! Ils ont signé un accord et Rome les pousse peu à peu vers l’acceptation du Concile !
Ne me mettez en colère, s’il vous plait ! Je refuse absolument la comparaison car elle est gravement offensante pour la Fraternité ! Considérez, je vous prie, les circonstances qui ont vu naître ces instituts ! C’est l’infidélité à la promesse de leur ordination : « Me promettez-vous, à moi et à mes successeurs, respect et obéissance ? – Promitto, je le promets. » La fidélité à cette promesse leur a fait peur et ils ont cherché un abri pour continuer ce qu’ils faisaient avec nous. Naître d’une infidélité à la promesse de son ordination n’est pas le signe évident de l’amour de l’Eglise; et s’enfuir en se jetant dans les bras de la commission Ecclesia Dei, créée pour accueillir les transfuges de la Fraternité n’est pas la marque de la sagesse suprême ! Il était logique et prévisible que cela les conduirait un jour à devoir accepter de venir à la « pleine communion » avec le Concile.
A ce propos, je me souviens des excellentes remarques de notre supérieur de district en 2004: « J’écris « rébellion » car je ne vois pas d’autre mot pour caractériser l’attitude d’un prêtre qui refuse de s’incliner devant l’autorité de son supérieur, qui la brave publiquement et qui exhorte les fidèles à suivre son exemple. [… ] Vous n’avez pas une vue exacte du gouvernement d’une société ecclésiastique comme la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Ce gouvernement n’est nullement démocratique et les décisions et actes de Monseigneur Fellay, son chef, ne peuvent ni ne doivent être remis en cause par une façon de penser différente de l’un ou l’autre de ses subordonnés. Bien plus, le désaccord, publiquement exprimé, d’un prêtre sur un sujet important concernant le gouvernement de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X constitue une faute grave de la part de ce prêtre. Si l’on estime en effet devoir faire part de remarques ou d’objections, il faut en effet savoir s’incliner ensuite devant les décisions du Supérieur, même si ce Supérieur estime ne pas devoir prendre en compte ces remarques. Ceci est l’un des aspects de l’humilité chrétienne qui amène à considérer que personne n’a normalement les grâces nécessaires pour remplir une charge si ce n’est le détenteur légitime de cette charge. Le seul bon sens permet d’ajouter que l’on n’a pas non plus la connaissance de tous les éléments qui fondent la décision de ce Supérieur et qu’il faut accorder à priori, à celui-ci une expérience, des connaissances et d’autres facultés que nous n’avons pas au même niveau, au moins dans la sphère de son activité. »
Or, il est plus que clair que Mgr Fellay, et nous avec lui, n’a aucune intention de vendre l’héritage pour une situation canonique confortable, et que nous refuserons toute solution qui ne nous assurerait pas d’être à l’abri des Évêques locaux aussi bien que de cette funeste « Ecclesia Dei », afin de pouvoir continuer à servir l’Eglise selon notre grâce propre, celle de notre fondation bénie et encouragée en son temps par l’Eglise.
La question fondamentale revient donc toujours à l’amour que nous portons à l’Eglise. Aimons-nous l’Eglise, même malade ? Que dirait-on d’un enfant qui refuserait de vivre chez sa mère malade, par crainte de la contagion ? Avons-nous donc si peu de confiance en notre grâce fondatrice ? Doutons-nous de notre capacité de résistance, pourtant maintenue avec fidélité et courage pendant trente-cinq années de condamnation ? Ne sommes-nous pas sûrs de notre amour de l’Eglise pour craindre ainsi la contamination ?
Vous voyez que cela dépasse l’ordre du raisonnement. Sans ignorer la maladie, c’est l’amour de l’Eglise, notre Mère qui doit dicter notre attitude. C’est l’amour de l’Eglise qui a poussé Mgr Lefebvre à créer la Fraternité et à sacrer quatre évêques en 1988. C’est l’amour de l’Eglise qui a porté les congrégations amies à faire les choix qu’elles ont faits en union avec lui. C’est encore ce même amour qui doit guider notre attitude dans la situation nouvelle où se trouve l’Eglise en 2012. Mais pour aimer l’Eglise, il ne faut pas tout confondre : l’Eglise, Rome, le Pape, Benoit XVI, le Concile, etc…De quoi parle-t-on lorsque nous parlons de l’Eglise ou du Pape ?
Le P. Calmel, dans un très bel article, nous a laissé quelques formules lumineuses, capables de mettre un peu d’ordre dans nos réflexions : « Il est un chef de l’Église toujours infaillible, toujours sans péché, toujours saint, ignorant toute intermittence et tout arrêt dans son œuvre de sanctification. Celui-là est le seul chef car tous les autres, y compris le plus élevé, ne détiennent d’autorité que par lui et pour lui. Or ce chef saint et sans tache, absolument à part des pécheurs, élevé au-dessus des cieux, ce n’est point le pape, c’est celui dont nous parle magnifiquement l’épître aux Hébreux, c’est le Souverain Prêtre : Jésus-Christ. [… ] Si le pape est le vicaire visible de Jésus qui est remonté dans les cieux invisibles, il n’est pas plus que le vicaire : vices gerens, il tient lieu mais il demeure autre. Ce n’est point du pape que dérive la grâce qui fait vivre le corps mystique. [… ] L’Église n’est pas le corps mystique du pape ; l’Église avec le pape est le corps mystique du Christ. » (De l’Eglise et du Pape.)
Tout est dit, je crois. Confondre le Pape, Rome, Benoit XVI et l’Eglise, c’est se condamner à ne rien comprendre aux misères de l’Eglise, misères qui tiennent à sa condition humaine, non à sa constitution divine. Refuser Rome et le Pape sous prétexte de fidélité à l’Eglise, c’est se mettre en grave péril de refuser l’Eglise telle qu’elle est incarnée. Et refuser l’Eglise incarnée sous prétexte de salut des âmes, c’est n’être plus catholique. Mais pour bien comprendre cela, il faut lire le mystère de l’Eglise avec l’Esprit de Sagesse que le Saint-Esprit ne peut donner qu’aux petits, aux « pauvres en esprit », ceux qui sont heureux d’être du nombre des petits et non des savants, ceux qui savent qu’ils ont beaucoup à recevoir et à apprendre de l’Eglise. Tels sont ces simples auxquels Dieu peut tout faire comprendre et en qui sa volonté peut librement s’accomplir comme elle le fit en la Vierge Immaculée, ces simples qui ressemblent à notre grande et si sainte Jehanne d’Arc, ces simples en qui la grâce simplifie tout, devenus plus sages et plus prudents dans leur simplicité que les sages et les prudents selon la chair et le monde. « Je vous bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux simples. Oui, Père, car tel fut votre bon plaisir. » (Luc, 10, 21).
C’est là une attitude difficile, qui demande une grande et surnaturelle sagesse, dont Mgr Lefebvre nous a laissé un bel exemple, bien difficile à suivre. J’observe depuis longtemps, en effet, que sans cette sagesse, nous versons facilement dans la contestation de toute autorité, quelle qu’elle soit et quel qu’en soit le motif : famille, école, chapelle, institut religieux ou sacerdotal, etc. Cela va plus loin que la simple désobéissance, car cela tient plus de la méfiance gratuite envers quiconque veut me conduire là où je n’ai pas envie d’aller.
Bien que notre doyenné soit épargné par des remous dont je ne veux pas parler, et pour faire suite au précédent Seignadou, il ne me semble pas superflu de revenir sur la question de nos relations avec Rome.
Par exemple, je me souviens fort bien que, dans les années 1988-1991, Mgr Lefebvre affirmait que si Rome voulait reprendre contact avec nous, il demanderait de commencer par des discussions doctrinales. C’est ce que nous avons fait. Mais, aussi loin que me porte ma mémoire, je n’ai pas souvenir qu’il s’imaginait devoir attendre la « conversion » de Rome avant d’aller plus loin. Il savait trop bien ce qu’est l’Eglise pour prétendre « convertir » Rome. Il savait qu’il est illusoire d’imaginer que Rome puisse désavouer Vatican II, ou condamner ses thèses les plus condamnables ! Il savait, mieux que nous qui aimons tellement faire la leçon au Pape et qui rêvons de « victoire » instantanée, qu’il faudrait des décennies, et sans doute plusieurs générations, pour que Rome abandonne et oublie ces thèses désastreuses. Tout au plus, disait-il, il voulait continuer à se rendre à Rome dans l’espoir de « leur faire un peu de bien », pour faire entendre et, si possible, admettre ses objections, afin qu’on le laisse poursuivre son œuvre.
Aujourd’hui certains veulent être plus « lefebvristes » que lui ! Et ils reprochent, bien sûr, à Mgr Fellay de ne pas être assez « lefebvriste », parce qu’il ne répète pas exactement tout ce que disait Mgr Lefebvre il y a vingt ou trente ans.
Il me semble qu’une partie de leur difficulté tient à ce que ces personnes, qui sont très savantes et très intelligentes, n’agissent pas toujours sous la motion du don suprême, celui de la Sagesse. C’est cette sagesse de Ste Jeanne d’Arc qui réduisait au silence les théologiens les plus savants. Les dons de science et d’intelligence sont excellents mais celui de Sagesse l’est davantage, comme la charité est supérieure à la foi. Alors, elles analysent avec soin tous les propos du Pape, elles raisonnent et font de savants syllogismes. Quelques exemples, parmi d’autres, suffiront à éclairer mon propos : Pie XII avait dit que l’Eglise est ceci. Or, Benoit XVI dit que l’Eglise est cela. Donc, l’Eglise de Benoit XVI n’est pas l’Eglise catholique. Ou bien : Mgr Lefebvre avait dit ceci sur la réunion d’Assise en 1986. Or, Mgr Fellay a dit cela sur la réunion d’Assise de 2011. Donc, Mgr Fellay n’est pas fidèle à Mgr Lefebvre. Il est sous le charme de Benoit XVI et trahit l’esprit de Mgr Lefebvre.
Que manque-t-il à ces raisonnements pour être vrais et conformes à l’esprit de Jésus-Christ ? Ces beaux syllogismes ont le tort d’ignorer la diversité des situations concrètes, et manquent donc de cette vertu de prudence et de cet esprit de sagesse dans lequel la charité pénètre tout et met de l’ordre et de la mesure en toutes choses, comme Dieu qui « a tout créé avec mesure, nombre et poids ». (Sag. 11, 20).
On me dit encore : mais regardez ce qui est arrivé à la Fraternité Saint-Pierre ou à l’Institut du Bon Pasteur ! Ils ont signé un accord et Rome les pousse peu à peu vers l’acceptation du Concile !
Ne me mettez en colère, s’il vous plait ! Je refuse absolument la comparaison car elle est gravement offensante pour la Fraternité ! Considérez, je vous prie, les circonstances qui ont vu naître ces instituts ! C’est l’infidélité à la promesse de leur ordination : « Me promettez-vous, à moi et à mes successeurs, respect et obéissance ? – Promitto, je le promets. » La fidélité à cette promesse leur a fait peur et ils ont cherché un abri pour continuer ce qu’ils faisaient avec nous. Naître d’une infidélité à la promesse de son ordination n’est pas le signe évident de l’amour de l’Eglise; et s’enfuir en se jetant dans les bras de la commission Ecclesia Dei, créée pour accueillir les transfuges de la Fraternité n’est pas la marque de la sagesse suprême ! Il était logique et prévisible que cela les conduirait un jour à devoir accepter de venir à la « pleine communion » avec le Concile.
A ce propos, je me souviens des excellentes remarques de notre supérieur de district en 2004: « J’écris « rébellion » car je ne vois pas d’autre mot pour caractériser l’attitude d’un prêtre qui refuse de s’incliner devant l’autorité de son supérieur, qui la brave publiquement et qui exhorte les fidèles à suivre son exemple. [… ] Vous n’avez pas une vue exacte du gouvernement d’une société ecclésiastique comme la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Ce gouvernement n’est nullement démocratique et les décisions et actes de Monseigneur Fellay, son chef, ne peuvent ni ne doivent être remis en cause par une façon de penser différente de l’un ou l’autre de ses subordonnés. Bien plus, le désaccord, publiquement exprimé, d’un prêtre sur un sujet important concernant le gouvernement de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X constitue une faute grave de la part de ce prêtre. Si l’on estime en effet devoir faire part de remarques ou d’objections, il faut en effet savoir s’incliner ensuite devant les décisions du Supérieur, même si ce Supérieur estime ne pas devoir prendre en compte ces remarques. Ceci est l’un des aspects de l’humilité chrétienne qui amène à considérer que personne n’a normalement les grâces nécessaires pour remplir une charge si ce n’est le détenteur légitime de cette charge. Le seul bon sens permet d’ajouter que l’on n’a pas non plus la connaissance de tous les éléments qui fondent la décision de ce Supérieur et qu’il faut accorder à priori, à celui-ci une expérience, des connaissances et d’autres facultés que nous n’avons pas au même niveau, au moins dans la sphère de son activité. »
Or, il est plus que clair que Mgr Fellay, et nous avec lui, n’a aucune intention de vendre l’héritage pour une situation canonique confortable, et que nous refuserons toute solution qui ne nous assurerait pas d’être à l’abri des Évêques locaux aussi bien que de cette funeste « Ecclesia Dei », afin de pouvoir continuer à servir l’Eglise selon notre grâce propre, celle de notre fondation bénie et encouragée en son temps par l’Eglise.
La question fondamentale revient donc toujours à l’amour que nous portons à l’Eglise. Aimons-nous l’Eglise, même malade ? Que dirait-on d’un enfant qui refuserait de vivre chez sa mère malade, par crainte de la contagion ? Avons-nous donc si peu de confiance en notre grâce fondatrice ? Doutons-nous de notre capacité de résistance, pourtant maintenue avec fidélité et courage pendant trente-cinq années de condamnation ? Ne sommes-nous pas sûrs de notre amour de l’Eglise pour craindre ainsi la contamination ?
Vous voyez que cela dépasse l’ordre du raisonnement. Sans ignorer la maladie, c’est l’amour de l’Eglise, notre Mère qui doit dicter notre attitude. C’est l’amour de l’Eglise qui a poussé Mgr Lefebvre à créer la Fraternité et à sacrer quatre évêques en 1988. C’est l’amour de l’Eglise qui a porté les congrégations amies à faire les choix qu’elles ont faits en union avec lui. C’est encore ce même amour qui doit guider notre attitude dans la situation nouvelle où se trouve l’Eglise en 2012. Mais pour aimer l’Eglise, il ne faut pas tout confondre : l’Eglise, Rome, le Pape, Benoit XVI, le Concile, etc…De quoi parle-t-on lorsque nous parlons de l’Eglise ou du Pape ?
Le P. Calmel, dans un très bel article, nous a laissé quelques formules lumineuses, capables de mettre un peu d’ordre dans nos réflexions : « Il est un chef de l’Église toujours infaillible, toujours sans péché, toujours saint, ignorant toute intermittence et tout arrêt dans son œuvre de sanctification. Celui-là est le seul chef car tous les autres, y compris le plus élevé, ne détiennent d’autorité que par lui et pour lui. Or ce chef saint et sans tache, absolument à part des pécheurs, élevé au-dessus des cieux, ce n’est point le pape, c’est celui dont nous parle magnifiquement l’épître aux Hébreux, c’est le Souverain Prêtre : Jésus-Christ. [… ] Si le pape est le vicaire visible de Jésus qui est remonté dans les cieux invisibles, il n’est pas plus que le vicaire : vices gerens, il tient lieu mais il demeure autre. Ce n’est point du pape que dérive la grâce qui fait vivre le corps mystique. [… ] L’Église n’est pas le corps mystique du pape ; l’Église avec le pape est le corps mystique du Christ. » (De l’Eglise et du Pape.)
Tout est dit, je crois. Confondre le Pape, Rome, Benoit XVI et l’Eglise, c’est se condamner à ne rien comprendre aux misères de l’Eglise, misères qui tiennent à sa condition humaine, non à sa constitution divine. Refuser Rome et le Pape sous prétexte de fidélité à l’Eglise, c’est se mettre en grave péril de refuser l’Eglise telle qu’elle est incarnée. Et refuser l’Eglise incarnée sous prétexte de salut des âmes, c’est n’être plus catholique. Mais pour bien comprendre cela, il faut lire le mystère de l’Eglise avec l’Esprit de Sagesse que le Saint-Esprit ne peut donner qu’aux petits, aux « pauvres en esprit », ceux qui sont heureux d’être du nombre des petits et non des savants, ceux qui savent qu’ils ont beaucoup à recevoir et à apprendre de l’Eglise. Tels sont ces simples auxquels Dieu peut tout faire comprendre et en qui sa volonté peut librement s’accomplir comme elle le fit en la Vierge Immaculée, ces simples qui ressemblent à notre grande et si sainte Jehanne d’Arc, ces simples en qui la grâce simplifie tout, devenus plus sages et plus prudents dans leur simplicité que les sages et les prudents selon la chair et le monde. « Je vous bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux simples. Oui, Père, car tel fut votre bon plaisir. » (Luc, 10, 21).