SOURCE - Bruno le Pivain - Kephas - janvier-mars 2012
De loin en loin, il est bon de se poser pour voir le chemin parcouru, pour envisager la suite. Ici, pour notre revue, à la lumière simplement de la charte qu’avait explicitement approuvée en son temps le Cardinal Joseph Ratzinger. Dix ans viennent de s’écouler. Avouons avec le recul qu’elle fut d’un précieux secours : liés certes par la foi et l’amitié, les initiateurs venaient d’horizons bien variés, souvent colorés, et l’on n’a pas pensé utile de restreindre ces horizons au fil du temps, bien au contraire, ni de faire dans le gris. Ce serait paradoxal dans une revue catholique qui prétend simplement mais librement apporter son grain de sable à la Maison commune, ajustée sur Pierre, parce que le Christ l’a ainsi voulu.
De loin en loin, il est bon de se poser pour voir le chemin parcouru, pour envisager la suite. Ici, pour notre revue, à la lumière simplement de la charte qu’avait explicitement approuvée en son temps le Cardinal Joseph Ratzinger. Dix ans viennent de s’écouler. Avouons avec le recul qu’elle fut d’un précieux secours : liés certes par la foi et l’amitié, les initiateurs venaient d’horizons bien variés, souvent colorés, et l’on n’a pas pensé utile de restreindre ces horizons au fil du temps, bien au contraire, ni de faire dans le gris. Ce serait paradoxal dans une revue catholique qui prétend simplement mais librement apporter son grain de sable à la Maison commune, ajustée sur Pierre, parce que le Christ l’a ainsi voulu.
Au seuil de cette deuxième décennie, que nous remettons entre les
mains de Dieu en demandant à sainte Catherine de Sienne, notre sainte
Patronne en la circonstance, de le faire avec l’audace et la confiance
qui la caractérisaient, des concours se présentent, des dialogues
s’établissent, des liens se nouent, un esprit et des projets se
dessinent.
Le dossier présent, sur l’écologie, s’inscrit dans un débat dont
l’urgence a trop souvent échappé à nos contemporains, à nous-mêmes sans
doute, puisque nous sommes aussi les contemporains de nos
contemporains, comme il en va des amis. Sous la houlette de Patrice de
Plunkett, il réunit une somme d’informations, de réflexions, de
suggestions, qui ne prétendent pas se substituer au nécessaire travail
scientifique mené de par le monde, mais il pose aussi la question de la
destinée de l’homme et des communautés humaines. La présence trop
envahissante du rationnel, du virtuel et du consumérisme, ont sans
doute donné l’illusion à l’homme qu’il pouvait vivre de manière
totalement indépendante du monde créé, ou que celui-ci, du moment qu’il
était là, ne pouvait que lui servir. Cette coupure, dans la droite
ligne du péché originel, avait été en son temps magistralement analysée
par Romano Guardini dans son ouvrage Le monde et la personne, ouvrage paru à la veille de la seconde Guerre mondiale.1
Il avait pris comme exergue la fameuse phrase de Pascal : « L’homme
passe infiniment l’homme. » Est-ce superflu de noter ici que Guardini
fut l’un des maîtres à penser de notre Saint-Père Benoît XVI ? L’on y
découvre par exemple qu’une véritable conception de l’écologie n’est
pas sans retentissement sur celle de la liturgie, de la Rédemption, de
la culture. Guardini en appelait notamment à « une vision biblique de
l’existence ». C’est à quoi ce dossier s’attache à concourir, dans la
ligne de ce discours de Benoît XVI devant le Bundestag le 22 septembre
dernier, dont on ne soulignera jamais assez l’importance et dont on se
permet ici de citer deux larges extraits :
Dans un moment historique où l’homme a acquis un pouvoir jusqu’ici inimaginable, cette tâche devient particulièrement urgente. L’homme est en mesure de détruire le monde. Il peut se manipuler lui-même. Il peut, pour ainsi dire, créer des êtres humains et exclure d’autres êtres humains du fait d’être des hommes. Comment reconnaissons-nous ce qui est juste ? Comment pouvons-nous distinguer entre le bien et le mal, entre le vrai droit et le droit seulement apparent ? La demande de Salomon reste la question décisive devant laquelle l’homme politique et la politique se trouvent aussi aujourd’hui.
Et encore :
Je dirais que l’apparition du mouvement écologique dans la politique allemande à partir des années soixante-dix, bien que n’ayant peut-être pas ouvert tout grand les fenêtres, a toutefois été et demeure un cri qui aspire à l’air frais, un cri qui ne peut pas être ignoré ni être mis de côté, parce qu’on y entrevoit trop d’irrationalité. Des personnes jeunes s’étaient rendu compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans nos relations à la nature; que la matière n’est pas seulement un matériel pour notre faire, mais que la terre elle-même porte en elle sa propre dignité et que nous devons suivre ses indications. Il est clair que je ne fais pas ici de la propagande pour un parti politique déterminé – rien ne m’est plus étranger que cela. Quand, dans notre relation avec la réalité, il y a quelque chose qui ne va pas, alors nous devons tous réfléchir sérieusement sur l’ensemble et nous sommes tous renvoyés à la question des fondements de notre culture elle-même. Qu’il me soit permis de m’arrêter encore un moment sur ce point. L’importance de l’écologie est désormais indiscutée. Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec cohérence. Je voudrais cependant aborder avec force un point qui aujourd’hui comme hier est – me semble-t-il – largement négligé : il existe aussi une écologie de l’homme. L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi nature, et sa volonté est juste quand il respecte la nature, l’écoute et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il accepte qu’il ne s’est pas créé de soi. C’est justement ainsi et seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine.
Les prochains dossiers
Les dossiers des trois prochains numéros porteront successivement
sur « Vatican II : recevoir et transmettre un concile », « Le printemps
arabe au crible de l’histoire » et « Psychique et spirituel : chance
ou déviance ? »
Vatican II : recevoir et transmettre un concile
Pour le premier dossier, l’on part d’une constatation obvie : dans
la communication d’un message, il faut un émetteur et un récepteur.
Quels sont les rôles propres de l’un et de l’autre, sachant que dans
l’Église, comme finalement dans le monde en général, les récepteurs que
sont les hommes, de par leur intelligence et leur liberté, les
catholiques en particulier, de par leur baptême et leur confirmation,
de par la grâce aussi des sacrements qui édifient le Corps du Christ
que sont le mariage et l’ordre, ne peuvent se contenter d’un rôle
passif ? Selon l’expression consacrée, il peut y avoir aussi de la
friture sur les ondes, laquelle demande alors à être localisée. Lorsque
le message ne s’adresse pas seulement à la raison raisonnante, mais
fait intervenir la foi comme lumière de la raison, écartant les deux
écueils alignés du fidéisme et du rationalisme, il existe encore un
mode de réception propre, sur lequel le concile a d’ailleurs pris soin
de nous renseigner en évoquant un « assentiment religieux de la volonté
et de l’intelligence ».2 Le mode de transmission peut enfin
lui-même obéir à un langage précis, qu’on appelle en l’espèce
Tradition. Laquelle, pour être reçue, doit vivre... doit donc être
vivante. C’est toute la différence entre deux attitudes d’esprit
foncièrement antagonistes : l’esprit traditionnel et l’esprit
conservateur, le premier tirant joyeusement du neuf de l’ancien pour
transmettre aux générations à venir, le second faisant fonctionner
parmi les facultés humaines celles, fort utiles en effet, que sont la
mémoire et parfois la volonté, mais délaissant paresseusement
l’intelligence et l’imagination. On n’y évitera donc pas les débats,
puisqu’ils existent. C’est la friture. Pas plus que l’indispensable
herméneutique de réforme et de continuité, déjà abondamment illustrée
depuis la clôture du concile. C’est le message.
Le printemps arabe au crible de l’histoire
Pour le deuxième dossier, l’on ne prétend pas disséquer les enjeux
géopolitiques ou économiques qui peuvent sous-tendre cette succession
remarquable de révolutions dans le monde arabe, et l’étonnante
situation qui les suit. L’on s’attachera plutôt, en interrogeant
l’histoire, à discerner des lignes de force. L’Ancien Testament nous
éclaire sur l’histoire tumultueuse des rapports entre le monde juif et
le monde arabe. Les six premiers siècles de notre ère voient l’Afrique
du nord devenir le berceau de l’expansion du christianisme, avec un
extraordinaire développement des diocèses, de la pensée chrétienne avec
les Pères de l’Église, la naissance du monachisme avec la thébaïde et
les milliers de Pères du désert, une culture et un art florissants, une
vie liturgique d’une pureté et d’une beauté exceptionnelles, comme ce
peut être encore le cas par exemple en Éthiopie ou en Égypte. Quelle
évolution jusqu’à l’apparition puis la conquête de l’islam ? Quels
dangers extérieurs ? Quelles difficultés internes, après la période de
croissance ? Est-il possible d’en tirer certaines leçons pour l’Europe
aujourd’hui ? Ces analyses seraient-elles valides pour aborder la
réalité de ce printemps arabe sous un autre angle ? Peut-on enfin
esquisser un autre bulletin météorologique, pour l’Europe, sur les
signes de l’automne et ceux du printemps, dans le même esprit ?
Psychique et spirituel : chance ou déviance ?
Quant au troisième dossier, il s’agit de s’interroger sur
l’émergence d’un mouvement de fond, accompagné d’un débat crucial en ce
qu’il fait intervenir d’éléments essentiels à la vie chrétienne, qui
traverse actuellement certaines régions d’Europe occidentale,
particulièrement en France.
Quel lien établir entre le psychique et le spirituel ? Comment
l’aborder en vérité, sans nier la réalité de l’un et l’autre, au risque
de déséquilibrer l’unité de la personne humaine ? L’on touche ici à
des thèmes aussi essentiels que la distinction entre la nature et
l’ordre surnaturel, la liberté et la grâce, le péché originel et la
rédemption, les blessures psychiques et la responsabilité personnelle.
Dans un univers dont les repères ont disparu pour une bonne part, où
les fragilités sont si présentes, dans tous les milieux, à tous les
âges, dans toutes les conditions, tant de familles ou de communautés
religieuses sont aujourd’hui concernées qu’il a paru important d’aborder
la question. On sait aussi certaines déviations parfois médiatisées.
Un discernement s’impose. Au-delà, c’est aussi l’occasion d’approfondir
de nouveau les éléments essentiels d’une vie de foi, à travers toutes
ses dimensions. Il y faudra indubitablement de l’humilité, de
l’attention et du respect, tant la matière est délicate. Mais dans la
lumière de l’enseignement et de la pratique de l’Église, « experte en
humanité » selon l’expression de Paul VI, il semble opportun de faire
un point.
En ces trois matières, chers amis lecteurs, n’hésitez pas à vous
signaler, à suggérer, à proposer etc. Cette revue est la vôtre et n’est
pas faite pour ceux qui la fabriquent. N’hésitez pas à prendre
contact.3
Varia
Il n’est pas question de délaisser ce qui reste une marque de Kephas,
sa diversité et sa liberté de ton, notamment par le biais des
rubriques variées, qui seront renforcées grâce à l’apport de nouvelles
compétences. Un véritable cahier culturel devrait voir le jour,
indispensable à l’esprit de la revue. Les questions de science et foi
seront régulièrement présentes. Les débats de société à la lumière de
l’enseignement de l’Église. Celles d’éducation et de spiritualité
aussi. De vie de l’Église et de son Magistère, bien sûr.
La foi est exigeante, la raison tout autant. Mais notre bien-aimé
Saint-Père nous enseigne par la parole et l’exemple que tout ne prend
un sens que par le service de la joie véritable. Mieux, que sans cela,
la foi s’affadit et se stérilise, que l’intelligence est plus
facilement livrée au jeu des passions, même si c’est très sérieusement.
Kephas perdrait une part de son caractère en négligeant cette
vérité si finement décrite par celui qui était le Cardinal Joseph
Ratzinger :
L’Église est aujourd’hui victime de la division des partis et des
opinions qui se disputent en son sein, et il est de plus en plus
difficile pour les chrétiens de s’y retrouver et de distinguer les
vrais et les faux prophètes. Notre thème est très lié à la question du
discernement des esprits. Voici comment on pourrait formuler l’une des
règles fondamentales de ce discernement : où manque la joie, où
disparaît l’humour, là n’est certainement pas l’esprit du Christ. Et
inversement : la joie est un signe de la grâce. Celui qui est joyeux du
fond du cœur, celui qui a souffert et n’a pas perdu la joie, celui-là
ne peut pas être loin du Dieu de l’Évangile, dont le premier mot au
seuil de la nouvelle alliance est : « réjouis-toi. »4
Questions d’intendance
N’hésitez pas plus à participer au développement de votre revue. Votre soutien est primordial.
Le prochain catalogue de La Procure comportera un encart
publicitaire d’une demi-page qui peut être l’occasion de la faire
connaître. De nombreux dépliants sont disponibles : il suffît de
demander pour qu’ils vous soient envoyés. Si des listes de noms vous
semblent correspondre à de potentiels lectorats, elles sont les
bienvenues pour recevoir ce même dépliant.
Une dimension nous tient particulièrement à cœur depuis longtemps :
le développement en Afrique francophone. Des demandes de plus en plus
nombreuses nous parviennent. Il est hors de question, vu la disparité
des monnaies, de faire payer le prix d’un abonnement normal. Ce prix
n’a pas varié depuis dix ans et permet de couvrir avec les seuls
abonnements, en-dehors de tout soutien financier, les frais de
production de la revue, tous les intervenants étant bénévoles. Pour
garder l’équilibre, il nous est difficile d’offrir habituellement des
services. Il est donc proposé d’offrir un abonnement au tarif étranger
de 60 euros en proposant quatre intentions de messes, ce qui permet un
échange de biens spirituels pour tous et assure la partie matérielle.
En ce temps pascal, que le Christ serviteur soit notre Lumière et notre Joie.
1. Welt und Person, Trad. Française Robert Givord, éd. Du Seuil, 1959.
2. Vatican Il. Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium, n. 25.
3. Contacts : lepivain@wanadoo.fr ou secratariat.kephas@gmail.com
4. Les principes de la théologie catholique, Téqui 1985, p. 90.